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QUATRIÈME PARTIE 3 страница



Il le rouvrit:

― Lettre que Vincent Van Gogh portait sur lui le 29 juillet 1890… C'est seulement en lisant la pré face le lendemain ou le surlendemain que j'ai compris qu'il s'é tait suicidé ce con. Que cette lettre il l'avait pas envoyé e et je… Putain, ç a m'a fait un coup, je te dis pas… Tout ce qu'il dit sur son corps, je le ressens. Toute sa souffrance, c'est pas que des mots, tu comprends? C'est… Enfin, moi je… je m'en fous de son travail… Enfin, nan, je m'en fous pas, mais c'est pas ç a que j'ai lu, Ce que j'ai lu, c'est que si t'es pas dans le rang, si t'arrives pas à ê tre ce qu'on attend de toi, tu souffres. Tu souffres comme une bê te et à la fin, tu crè ves. Eh ben, non. Moi je vais pas crever. Par amitié pour lui, par fraternité, je vais pas crever… Je veux pas.

Camille é tait scotché e. Pchiii… Sa cendre venait de tomber dans son café.

– C'est n'importe quoi ce que je viens de dire?

– Nan, nan, au contraire… je…

– Tu l'as lu, toi?

– Bien sû r.

– Et tu… Ç a t'a pas fait souffrir?

– Je me suis surtout inté ressé e à son travail… Il s'y est mis tard… C'est un autodidacte… Un… Tu… tu les connais ses toiles?

– Les tournesols, c'est ç a? Nan… J'y ai pensé pendant un moment, d'aller feuilleter un livre ou quoi, mais j'ai pas envie, je pré fè re mes images…

– Garde-le. Je te le donne.

– Tu sais… Un jour… si je m'en sors, je te remercierai. Mais là je peux pas… Je te l'ai dit, je suis raboté jusqu'au trognon. À part ce gros sac à puces, j'ai plus rien.

– Tu pars quand?

– La semaine prochaine normalement…

– Tu veux me remercier?

– Si je peux…

– Laisse-moi te dessiner…

– C'est tout?

– Oui.

– Nu?

– Je pré fé rerais…

– La vache… Tu l'as pas vu mon corps…

– Je l'imagine…

Il nouait ses baskets et son chien sautait dans tous les sens.

– Tu sors?

– Toute la nuit… Toutes les nuits… Je marche jusqu'à é puisement, je passe prendre ma dose quotidienne à l'ouverture du service et je reviens me coucher pour tenir jusqu'au lendemain. J'ai pas encore trouvé mieux pour le moment…

Du bruit dans ie couloir. La pile à poils se figea.

– Y a quelqu'un… paniqua-t-il.

– Camille? Tout va bien? C'est… c'est ton preux chevalier, ma ché rie…

Philibert se tenait dans l'encadrement de la porte, un sabre à la main.

– Barbes! Couché!

– Je… Je suis ri… ridicule, là, non?

Elle fit les pré sentations en riant:

– Vincent, voici Philibert Marquet de la Durbel-liè re, gé né ral en chef d'une armé e en dé route, puis, se retournant: Philibert, Vincent… euh… que… comme Van Gogh…

– Enchanté, ré pondit-il en rengainant son bazar. Ridicule et enchanté … Eh bien, je… Je vais me replier n'est-ce pas…

– Je descends avec toi, ré pondit Camille.

– Moi aussi.

– Tu… Tu viendras me voir?

– Demain.

– Quand?

― Dans l'aprè s-midi. Euh? Avec mon chien?

― Avec Barbes, bien sû r…

― Ah! Barbes… se dé sola Philibert. Encore un fou furieux de la Ré publique, celui-là … J'aurais pré fé ré l'abbesse de Rochechouart, tiens!

Vincent l'interrogea du regard.

Elle leva les é paules, perplexe.

Philibert, qui s'é tait retourné, s'offusqua:

― Parfaitement! Et que le nom de cette pauvre Marguerite de Rochechouart de Montpipeau soit associé à ce jean-foutre est une aberration!

– De Montpipeau? ré pé ta Camille. Putain mais vous avez de ces noms… Au fait? Pourquoi tu t'inscris pas à Questions pour un Champion, toi?

– Ah! Tu ne vas pas t'y mettre aussi! Tu sais bien pourquoi…

– Non. Pourquoi?

– Le temps que j'appuie sur le champignon, ce sera dé jà l'heure du journal…


Elle ne dormit pas de la nuit. Tourna en rond, gratta la poussiè re, se cogna dans des fantô mes, prit un bain, se leva tard, doucha Paulette, la coiffa n'importe comment, flâ na un peu dans la rue de Grenelle avec elle et fut incapable d'avaler quoi que ce soit.

– Tu es bien nerveuse aujourd'hui…

– J'ai un rendez-vous important.

– Avec qui?

– Avec moi.

– Tu vas chez le mé decin? s'inquié ta la vieille dame.

Comme à son habitude, cette derniè re s'assoupit aprè s le dé jeuner. Camille lui retira sa pelote, remonta sa couverture et partit sur la pointe des pieds.

Elle s'enferma dans sa chambre, changea cent fois le tabouret de place et inspecta son maté riel avec circonspection. Mal au cœ ur.

Franck venait de rentrer. Il é tait en train de vider une machine. Depuis son histoire de pull jivaro, il é tendait son linge lui-mê me et tenait des discours de mé nagè re affolé e à propos des sè che-linge qui usaient les fibres et niquaient les cols.

Palpitant.

C'est lui qui alla ouvrir la porte:

– Je viens pour Camille.

– Au fond du couloir…

Ensuite, il s'enferma dans sa chambre et elle lui sut gré de sa discré tion pour une fois…

Ils é taient tous les deux trè s mal à l'aise mais pour des raisons diffé rentes.

Faux.

Ils é taient tous les deux mal à l'aise et pour la mê me raison: leurs tripes.

C'est lui qui les tira d'embarras:

– Bon, ben… On y va? T'as une cabine? Un paravent? Quelque chose?

Elle le bé nit.

– T'as vu? J'ai chauffé à fond. Tu n'auras pas froid…

– Oh! Super, ta cheminé e!

– Putain, j'ai l'impression d'ê tre encore chez un caducé e, ç a m'angoisse. Je… J'enlè ve le slip aussi?

– Si tu veux le garder, tu le gardes…

– Mais si je l'enlè ve, c'est mieux…

– Oui. De toute faç on, je commence toujours par le dos…

– Merde. Je suis sû r que j'ai plein de boutons…

– T'inquiè te, torse nu sous les embruns, ils vont disparaî tre avant que t'aies fini ton premier chargement de fumier…

– Tu sais que tu ferais une merveilleuse esthé ticienne, toi?

– C'est ç a… Allez, sors de là maintenant et va t'asseoir.

– T'aurais pu me mettre devant la fenê tre au moins… Que j'aie de la distraction…

– C'est pas moi qui dé cide.

– Ah bon? C'est qui?

― La lumiè re. Et te plains pas, aprè s tu seras debout…

― Pendant combien de temps?

– Jusqu'à ce que tu tombes…

― Tu tomberas avant moi.

– Mmm, fit-elle.

Mmm faç on de dire: m'é tonnerait…

Elle commenç a par une sé rie de croquis en lui tournant autour. Son ventre et sa main devinrent plus souples.

Lui, au contraire, se raidissait.

Quand elle é tait trop prè s, il fermait les yeux.

Avait-il des boutons? Elle ne les vit pas. Elle vit ses muscles tendus, ses é paules fatigué es, ses cervicales qui pointaient sous sa nuque quand il baissait la tê te, sa colonne verté brale comme une longue crê te é rodé e, sa nervosité, sa fé brilité, ses maxillaires et ses pommettes saillantes. Les trous autour de ses yeux, la forme de son crâ ne, son sternum, sa poitrine creuse, ses bras ché tifs et tout piqueté s de points sombres. L'é mouvant dé dale des veines sous sa peau claire et le passage de la vie sur son corps. Oui. Surtout cela: l'empreinte du gouffre, les marques de chenilles d'un gros char invisible et son extrê me pudeur aussi.

Au bout d'une heure à peu prè s, il lui demanda s'il pouvait lire.

― Oui. Le temps que je t'apprivoise…

― T'as… t'as pas encore commencé, là?

― Non.

― Eh ben! Je lis à haute voix?

― Si tu veux…

Il malaxa le livre un moment avant de le casser en deux:

― Je sens que pè re et mè re ré agissent instinctivement à mon sujet (je ne dis pas intelligemment).

«On hé site à m'accueillir à la maison, comme on hé siterait à recueillir un grand chien hirsute. Il entrera avec ses pattes - et puis, il est trè s hirsute.

«Il gê nera tout le monde. Et il aboie bruyamment.

«Bref- c'est une sale bê te.

«Bien - mais l'animal a une histoire humaine et, bien que ce ne soit qu'un chien, une â me humaine. Qui plus est une â me humaine assez sensible pour sentir ce qu'on pense de lui, alors qu'un chien ordinaire en est incapable.

«Oh! ce chien est le fils de notre pè re, mais on l'a laissé courir si souvent dans la rue qu'il a dû né cessairement devenir plus hargneux. Bah! pè re a oublié ce dé tail depuis des anné es, il n'y a donc plus lieu d'en parler…

Il se raclait la gorge.

– É vi… hum, pardon… É videmment, le chien regrette à part lui d'ê tre venu jusqu'ici; la solitude é tait moins grande dans la bruyè re que dans cette maison, en dé pit de toutes leurs gentillesses. L'animal est venu en visite dans un accè s de faiblesse. J'espè re qu 'on me pardonnera cette dé faillance; quant à moi, j'é viterai d'y ver…

– Stop, l'interrompit-elle. Arrê te, s'il te plaî t. Arrê te.

– Ç a te gê ne?

– Oui.

– Pardon.

– Bon. Ç a y est. Je te connais à pré sent…

Elle referma son bloc et ses haut-le-cœ ur l'assaillirent de nouveau. Elle leva le menton et renversa sa tê te en arriè re.

– Ç a va?

– …

– Alors… Tu vas te tourner vers moi et t'asseoir en é cartant les jambes et en posant tes mains comme ç a.

– Il faut que je les é carte, t'es sû re?

– Oui. Et ta main, tu vois, tu… Tu casses ton poignet et tu é cartes les doigts… Attends… Bouge pas…

Elle farfouilla dans ses affaires et lui pré senta la reproduction d'un tableau d'Ingres.

― Exactement comme ç a…

― C'est qui ce gros?

― Louis-Franç ois Bertin.

– C'est qui?

– Le Bouddha de la bourgeoisie, repue, cossue et triomphante… C'est pas moi qui le dis, c'est Manet… Sublime, non?

– Et tu veux que je me tienne comme lui?

– Oui.

– Euh… Les… les jambes é carté es donc… C'est ç a?

– Hé … Arrê te avec ta queue… C'est bon… Je m'en fous, tu sais… le rassura-t-elle en feuilletant ses croquis. Tiens, regarde. La voilà …

– Oh!

Petite syllabe dé ç ue et attendrie…

Camille s'assit et posa sa planche sur ses genoux. Elle se releva, essaya sur un chevalet, ç a n'allait pas non plus. Elle s'é nervait, se maudissait, savait pertinemment que tout ce merdier, c'é tait du n'importe quoi pour repousser le vide.

Finalement, elle fixa son papier à la verticale et dé cida de s'asseoir exactement à la mê me hauteur que son modè le.

Elle inspira une longue goulé e de courage et souffla un petit vent dé faillant. Elle s'é tait trompé e, pas de sanguine. Mine de plomb, plume et lavis d'encre sé pia.

Le modè le avait parlé.

Elle leva le coude. Sa main resta en suspens. Elle tremblait.

― Bouge pas surtout. Je reviens.

Elle courut jusque dans la cuisine, fit tomber des trucs, attrapa la bouteille de gin et noya sa peur. Elle ferma les yeux et se retint au bord de l'é vier. Allez… Une deuxiè me pour la route…

Quand elle revint s'asseoir, il l'observa en souriant.

Il savait.

Quelle que soit leur soumission, ces gens-là se reconnaissent entre eux. Tous.

C'é tait comme une sonde… Comme un radar.

Complicité confuse et partage de l'indulgence…

– Ç a va mieux?

– Oui.

– Alors, vas-y maintenant! On n'a pas que ç a à faire, bon sang!

Il se tenait trè s droit. Lé gè rement de biais, comme l'autre. Prit sa respiration et soutint le regard de celle qui l'humiliait sans le savoir.

Sombre et lumineux.

Ravagé.

Confiant.

– Combien tu pè ses, Vincent?

– Dans les soixante…

Soixante kilos de provocation.

(Mê me si elle n'é tait pas trè s aimable, c'é tait une question inté ressante: Camille Fauque avait-elle tendu la main à ce garç on pour l'aider, comme il en é tait convaincu, ou pour le dissé quer, nu et sans dé fense sur une chaise de cuisine en formica rouge?

Compassion? Amour de l'humanité? Vraiment?

Est-ce que tout cela n'avait pas é té pré mé dité? Son installation là -haut, le Canigou, la confiance, le courroux de Pierre Kessler, la mise à pied et le pied du mur?

Les artistes sont des monstres.

Allons. Non. Ce serait trop contrariant… Laissons-lui le bé né fice du doute et taisons-nous. Cette fille n'é tait pas trè s claire mais quand elle plantait ses crocs dans le vif du sujet, c'é tait fulgurant. Et peut-ê tre mê me que sa gé né rosité se manifestait seulement maintenant? Ouand ses pupilles se contractaient et qu'elle devenait impitoyable…)

Il faisait presque nuit à pré sent. Elle avait allumé la lumiè re sans s'en rendre compte et transpirait autant

que lui.

– On arrê te. J'ai des crampes. J'ai mal partout.

– Non! cria-t-elle.

Sa dureté les surprit tous les deux.

– Excuse-moi… Ne… Ne bouge pas, je t'en supplie…

– Dans mon pantalon… poche de devant… Tranxè ne…

Elle alla lui chercher un verre d'eau.

– Je t'en supplie… Encore un peu, tu peux t'adosser si tu veux… Je… Je sais pas travailler avec des souvenirs… Si tu pars maintenant, il est mort mon dessin… Excuse-moi, je… J'ai presque fini.

– C'est bon. Tu peux te rhabiller.

– C'est grave, docteur?

– J'espè re… murmura-t-elle.

Il revint en s'é tirant, frotta son chien et lui dit quelques mots tendres derriè re l'oreille. Il alluma une cigarette.

― Tu veux voir?

– Non.

― Si.

Il resta stupé fait.

― Putain… C'est… C'est dur.

― Non. C'est tendre…

― Pourquoi tu t'es arrê té e aux chevilles?

― Tu veux la vraie version ou celle que je vais bidouiller?

– La vraie.

– Parce que je suis nulle en pieds!

– Et l'autre?

– Parce que… Plus grand-chose te retient, si?

– Et mon chien alors?

– Le voilà ton chien. Je l'ai fait par-dessus ton é paule tout à l'heure…

– Oh! Qu'il est beau! Qu'il est beau, qu'il est beau, qu'il est beau…

Elle arracha la feuille.

Donnez-vous du mal, ronchonna-t-elle pour de faux, tuez-vous, ressuscitez-les, offrez-leur l'immortalité et tout ce qui les é meut, c'est un crobard de leur corniaud…

Je te jure…

– T'es contente de toi?

– Oui.

– Il faudra que je revienne?

– Oui… Pour me dire au revoir et me donner ton adresse… Tu veux boire un coup?

– Non. Il faut que j'aille me coucher, je ne suis pas bien, là …

En le pré cé dant dans le couloir Camille se frappa le front:

– Paulette! Je l'ai oublié e!

Sa chambre é tait vide.

Merrde…

– Un problè me?

– J'ai perdu la mé mé de mon coloc…

– Regarde… Y a un mot sur la table…

On voulait pas te dé rangé. Elle est avec moi. Viens dè s que tu peux. P. -S.: le chien de ton pote a chié dans l'entré e.


12


Camille é tendit les bras et s'envola au-dessus du Champ-de-Mars. Elle frô la la tour Eiffel, chatouilla les é toiles et vint se poser devant l'entré e de service du restaurant.

Paulette é tait assise dans le bureau du chef.

Dilaté e de bonheur.

– Je vous avais oublié e…

– Mais non, idiote, tu travaillais… C'est fini?

– Oui.

– Ç a va?

– J'ai faim!

– Lestafier!

– Oui, chef…

― Faites-moi un bon gros steak bien saignant pour le bureau.

Franck se re tourna. Un steak? Mais elle n'avait plus de dents…

Quand il comprit que c'é tait pour Camille, son é tonnement fut plus grand encore.

Ils communiquè rent par signes:

― Pour toi?

― Ouiiii, ré pondit-elle en secouant la tê te.

― Un gros steak?

― Ouiiiii.

– T'es tombé e sur la tê te?

– Ouiiiii.

– Hé! T'es super mignonne quand t'es heureuse, tu sais?

Mais ç a, elle ne le comprit pas et acquiesç a donc au hasard.

– Oh, oh… fit le chef, en lui tendant son assiette, j'voudrais pas dire, mais y en a qu'ont de la chance…

La piè ce de viande é tait en forme de cœ ur.

– Ah qu'il est fort ce Lestafier, soupira-t-il, qu'il est fort…

– Et qu'il est beau… ajouta sa grand-mè re qui le dé vorait des yeux depuis deux heures.

– Ouais… J'irai pas jusque-là … Qu'est-ce que je vous sers avec ç a? Allez… Un petit cô tes-du-rhô ne et je trinque avec vous… Et vous, Mamie? Il est pas encore arrivé votre dessert?

Le temps d'un coup de gueule et Paulette é cornait son fondant…

– Dis donc, ajouta-t-il en faisant claquer sa langue, y s'est drô lement arrangé votre petit-fils… Je le reconnais plus…

En s'adressant à Camille:

– Qu'est-ce que vous lui avez fait?

– Rien.

– Eh ben, c'est parfait! Continuez comme ç a! Ç a lui ré ussit trè s bien! Nan, sé rieusement… Il est bien ce petit… Il est bien…

Paulette pleurait.

– Ben quoi? Ben qu'est-ce que j'ai dit? Buvez, nom de Dieu! Buvez! Maxime…

– Oui, chef?

– Allez me chercher une coupe de champagne, s'il vous plaî t…

― Ç a va mieux?

Paulette se mouchait en s'excusant:

― Si vous saviez le chemin de croix… Il s'est fait renvoyer de son premier collè ge, puis du deuxiè me, du CAP, de ses stages, de son apprentissage, de…

– Mais c'est pas important ç a! tonna-t-il. Regardez-le, là! Comme il maî trise! Ils sont tous en train d'essayer de me le dé baucher! Y finira avec un ou deux macarons aux fesses, vot' bichon!

― Pardon? s'inquié ta Paulette.

– Les é toiles…

– Ah… et pas trois? demanda-t-elle un peu dé ç ue.

– Non. Trop mauvais caractè re pour ç a. Et trop… sentimental…

Clin d'œ il à Camille.

– Au fait, elle est bonne, cette viande?

– Dé licieuse.

– Forcé ment… Bon, j'y vais… Si vous avez besoin de quelque chose, vous tapez au carreau.

Quand il revint à l'appartement, Franck s'arrê ta d'abord aux pieds de Philibert qui rongeait un crayon sous sa lampe de chevet:

– Je te dé range?

– Absolument pas!

– On se voit plus…

― Plus beaucoup, c'est exact… Au fait? Tu travailles toujours le dimanche?

― Oui.

― Eh bien passe nous voir le lundi si tu t'ennuies…

― Tu lis quoi?

― J'é cris.

― A qui?

― J'é cris un texte pour mon thé â tre… Hé las, nous sommes tous contraints de monter sur scè ne à la fin de l'anné e…

― Tu nous inviteras?

― Je ne sais pas si j'oserai…

– Hé dis-moi, euh… Ç a se passe bien?

– Pardon?

– Entre Camille et ma vieille?

– L'entente cordiale.

– Tu crois pas qu'elle en a marre?

– Tu veux que je te dise vraiment?

– Quoi? s'inquié ta Franck.

– Non, elle n'en a pas marre mais ç a viendra… Souviens-toi… Tu avais promis de la dé charger deux journé es par semaine… Tu avais promis de lever le pied.

– Ouais je sais mais je…

– Stop, le coupa-t-il. É pargne-moi tes arguments. Cela ne m'inté resse pas. Tu sais, il faut grandir un peu, mon vieux… C'est comme pour ç a… (Il lui dé signait son cahier tout raturé ), qu'on le veuille ou non, un jour on est tous obligé s d'y passer…

Franck se leva, pensif.

– Elle le dirait si elle en avait marre, non?

– Tu crois?

Il regardait à travers ses lunettes pour les nettoyer.

– Je ne sais pas… Elle est tellement mysté rieuse… Son passé … Sa famille… Ses amis… On ignore tout de cette jeune personne… En ce qui me concerne, à part ses carnets je ne dispose d'aucune piè ce me permettant d'é mettre la moindre hypothè se sur sa biographie… Pas de courrier, pas de coups de té lé phone, jamais d'invité s… Imagine que nous la perdions un jour, nous ne saurions mê me pas vers qui nous tourner…

– Dis pas ç a.

– Si, je le dis. Penses-y, Franck, elle m'a convaincu, elle est allé e la chercher, elle lui a laissé sa chambre, aujourd'hui elle s'en occupe avec une douceur incroyable, mê me pas d'ailleurs, elle ne s'en occupe pas, elle prend soin d'elle. Elles prennent soin d'elles toutes les deux… Je les entends rire et papoter toute la journé e quand je suis là. En plus, elle essaie de travailler l'aprè s-midi et toi tu n'es mê me pas fichu de tenir tes engagements…

Il remit ses lorgnons et le tint en joué quelques secondes:

― Non, je ne suis pas trè s fier de vous, mon troufion.

Avec des pieds de plomb, il alla ensuite la border et é teindre sa té lé vision.

– Viens par là, souffla-t-elle.

Merde. Elle ne dormait pas.

– Je suis fiè re de toi, mon petit…

Ah ben faudrait savoir, songea-t-il, en posant la té lé commande sur sa table de nuit.

– Allez, mé mé … Dors maintenant…

– Trè s fiè re.

C'est ç a, c'est ç a…

La porte de la chambre de Camille é tait entrouverte. Il la poussa un peu et sursauta.

La lumiè re pâ le du couloir é clairait son chevalet.

Il resta un moment immobile.

Stupé faction, frayeur et é blouissement.

Alors c'est encore elle qui avait raison?

On pouvait comprendre des choses sans les avoir apprises?

Alors il n'é tait pas si bê te finalement? Puisque instinctivement, il avait tendu la main vers ce corps en vrac pour l'aider à se redresser, c'est qu'il n'é tait pas si bouché que ç a, hein?

Aligné e du soir, cafard. Il l'é crasa et prit une biè re.

Il la laissa tié dir.

Il n' aurait pas dû traî ner dans le couloir.

Toutes ces salades, ç a lui brouillait ses instruments de navigation…

Putain… Enfin, ç a allait, là. Pour une fois la vie se tenait bien…

Il é loigna sa main de sa bouche prestement. Il ne se rongeait plus les ongles depuis onze jours. Sauf le petit doigt.

Mais lui ç a comptait pas.

Grandir, grandir… Il n'avait fait que ç a, grandir… Qu'est-ce qu'ils deviendraient, tous, si elle disparaissait?

Il rota. Bon, ben, c'est pas le tout, mais j'ai une pâ te à crê pe à pré parer, moi…

Comble de la dé votion, il la battit au fouet pour ne pas les dé ranger, murmura quelques incantations secrè tes et la laissa reposer en paix.

Il la couvrit d'un torchon propre et quitta la cuisine en se frottant les mains.

Demain, il lui offrirait des crê pes Suzette pour la retenir à tout jamais.

Hiark, hiark, hiark… Seul devant le miroir de la salle de bains, il imitait le rire dé moniaque de Satanas dans Les Fous du Volant…

Houh, houh, houh… Ç a c'é tait celui de Diabolo.

Ah là, là … Qu'est-ce qu'on s'amuse…


Il n'avait pas passé la nuit avec eux depuis longtemps. Il fit de beaux rê ves.

Il alla chercher des croissants le lendemain matin et ils prirent leur petit dé jeuner tous ensemble dans la chambre de Paulette. Le ciel é tait trè s bleu. Philibert et elle se lanç aient mille civilité s charmantes tandis que Franck et Camille s'agrippaient à leurs bols en silence.

Franck se demandait s'il devait changer ses draps et Camille se demandait si elle devait changer certains dé tails. Il essayait de croiser son regard mais elle n'é tait plus là. Elle é tait dé jà rue Sé guier dans le salon de Pierre et Mathilde, prê te à dé faillir et à s'enfuir en courant.

" Si je les change maintenant, j'oserai plus m'allonger c'taprè me et si je les change aprè s ma sieste, ç a va faire un peu lourdingue, non? Je l'entends dé jà ricaner…"

" Ou alors je passe à la galerie? Je dé pose mon carton à Sophie et je me casse tout de suite aprè s? »

" En plus ç a se trouve euh… On va mê me pas s'allonger… On restera debout, comme dans un film tellement on sera euh…»

«Non, ce n'est pas une bonne idé e… S'il est là, il va me retenir et me forcer à m'asseoir pour en parler avec lui… Moi je veux pas parler. Je m'en fous de son blabla. Il le prend ou il le prend pas. Point. Et son blabla, y se le garde pour ses clients…»

«Je prendrai une douche au vestiaire avant de partir…»

«Je prendrai un taxi et je lui demanderai de m'attendre en double file devant la porte…»

Les soucieux, les insouciants, tous secouè rent leurs miettes en soupirant et se dispersè rent sagement.

Philibert é tait dé jà dans l'entré e. D'une main, il tenait la porte à Franck, et de l'autre, une valise.

– Tu pars en vacances?

– Non, ce sont des accessoires.

– Des accessoires pour quoi faire?

– Pour mon rô le…

– Oh putain… C'est quoi? C'est un truc de cape et d'é pé e? Tu vas courir partout et tout ç a?

– Mais oui, bien sû r… Je vais me pendre au rideau et me jeter dans la foule… Allez… Passe ou je t'embroche…

Azur oblige, Camille et Paulette descendirent «au jardin».

La vieille dame marchait de plus en plus difficilement et elles mettaient presque une heure à parcourir l'allé e Adrienne-Lecouvreur. Camille avait des fourmis dans les jambes, lui donnait le bras, se calait sur ses pas menus et ne pouvait s'empê cher de sourire quand elle apercevait le panneau Ré servé e aux cavaliers, allure modé ré e… Quand elles s'arrê taient, c'é tait pour prendre des touristes en photo, laisser passer les joggers ou é changer quelques mots frivoles avec d'autres marathoniens en Mé phisto.

― Paulette?

― Mon petit?

― Ç a vous choque si je vous parle d'un fauteuil roulant?

― …

– Bon… Ç a vous choque, donc…

– Je suis donc si vieille? chuchota-t-elle.

– Non! Pas du tout! Au contraire! Mais je me disais que… Comme on s'embourbe avec votre dé ambulateur, vous pourriez le pousser un moment, jusqu'à ce que vous soyez fatigué e, ensuite vous pourriez vous reposer et moi je vous emmè nerai au bout du monde!

― …

– Paulette… J'en ai marre de ce parc… Je ne peux plus le voir. Je crois que j'ai compté tous les cailloux, tous les bancs et toutes les canisettes… Y en a onze en tout… J'en ai marre de ces gros cars affreux, j'en ai marre de ces groupes sans imagination, j'en ai marre de croiser toujours les mê mes gens… La gueule enfariné e des gardiens et l'autre, là … Qui pue la pisse sous sa Lé gion d'honneur… Il y a tellement d'autres choses à voir dans Paris… Les boutiques, les impasses, les arriè re-cours, les passages couverts, le Luxembourg, les bouquinistes, le jardin de Notre-Dame, le marché aux fleurs, les bords de Seine, le… Non, je vous assure, elle est magnifique, cette ville… On pourrait aller au ciné ma, au concert, é couter des opé rettes, mon joli bouquet de violettes et tout le bazar… Là on est coincé es dans ce quartier de vieux où tous les gamins sont habillé s pareil, ou toutes leurs nounous font la gueule pareil, oú tout est si pré visible… C'est nul.



  

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