Хелпикс

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PREMIÈRE PARTIE 16 страница



Va te coucher, va…

L'appartement é tait vide, elle chercha de l'alcool, n'importe lequel, en but suffisamment pour trouver le chemin de son oreiller et se releva dans la nuit pour aller vomir.


7


Les mains dans les poches et le nez en l'air elle sautillait sous le panneau d'affichage quand une voix familiè re lui donna le renseignement qu'elle cherchait:

– Train en provenance de Nantes. Arrivé e quai 9 à 20 h 35. Retard de 15 minutes environ… Comme d'habitude…

– Ah! Ben t'es là, toi?

– Eh oui… ajouta Franck. Je suis venu tenir la chandelle… Dis donc, tu t'es faite belle! C'est quoi ç a? c'est du rouge à lè vres ou je me trompe?

Elle cacha son sourire derriè re les trous de son é charpe.

– Tu es bê te…

– Non, je suis jaloux. T'en mets jamais du rouge à lè vres pour moi…

– C'est pas du rouge, c'est un truc pour les lè vres gercé es…

– Menteuse. Montre…

– Non. Tu es toujours en vacances?

– Je recommence demain soir…

– Ah?

– Elle va bien ta grand-mè re?

– Oui.

– Tu lui as donné mon cadeau?

– Oui.

– Et alors?

– Alors elle a dit que pour me dessiner aussi bien, c'est que tu devais ê tre folle de moi…

– Ben voyons…

– On va boire quelque chose?

– Non. Je suis resté e enfermé e toute la journé e… Je vais m'asseoir là, à regarder les gens…

– Je peux mater avec toi?

Ils se pelotonnè rent donc sur un banc entre un kiosque à journaux et un composteur et observè rent le Grand Carrousel des usagers affolé s.

– Allez! Cours mon gars! Cours! Hop… Trop taaard…

– Un euro? Non. Une clope si tu veux…

– Est-ce que tu pourrais m'expliquer pourquoi c'est toujours les filles les plus mal foutues qui portent des pantalons taille basse? Je comprends pas, là …

– Un euro? Hé, mais tu m'as dé jà tapé tout à l'heure, vieux!

– Avise la petite mamie avec sa coiffe bigoudè ne, t'as ton carnet, là? Non? C'est dommage… Et lui? Regarde comme il a l'air content de retrouver sa femme…

– C'est louche, fit Camille, ç a doit ê tre sa maî tresse…

– Pourquoi tu dis ç a?

– Un homme qui dé boule en ville avec son baise-en-ville et qui se pré cipite sur une femme en manteau de fourrure en l'embrassant dans le cou… Euh, crois-moi, c'est louche…

– Pff… C'est peut-ê tre sa femme?

– Meuh non! Sa femme, elle est à Quimper et elle couche les mô mes à l'heure qu'il est! Tiens, en voilà un de couple, ricana-t-elle en lui indiquant deux beaufs qui s'engueulaient devant une borne à TGV…

Il secoua la tê te:

– T'es nulle…

– T'es trop sentimental…

Deux petits vieux passè rent ensuite devant eux à deux à l'heure, voû té s, tendres, pré cautionneux et se tenant par le bras. Franck lui donna un coup de coude:

– Ah!

– Je m'incline…

– J'adore les gares.

– Moi aussi, ré pondit Camille.

– Pour connaî tre un pays, t'as pas besoin de faire le couillon dans un autocar, y suffit de visiter les gares et les marché s et t'as tout compris…

– Tout à fait d'accord avec toi… T'es allé où dé jà?

– Nulle part…

– Tu n'as jamais quitté la France?

– J'ai passé deux mois en Suè de… Cuisinier à l'ambassade… Mais c'é tait pendant l'hiver et j'ai rien vu. Tu peux pas boire là -bas… Y a pas de bars, y a rien…

– Ben… et la gare? Et les marché s?

– J'ai pas vu le jour…

– C'é tait bien? Pourquoi tu te marres?

– Pour rien…

– Raconte-moi.

– Non.

– Pourquoi?

– Parce que…

– Oh, oh… Il y a une histoire de femme derriè re tout ç a…

– Non.

– Menteur, je le vois à ta… à ton nez qui s'allonge…

– Bon, on s'arrache? fit-il en lui indiquant les quais.

– Raconte-moi d'abord…

– Mais c'est rien… Des conneries…

– Tu as couché avec la femme de l'ambassadeur, c'est ç a?

– Non.

– Avec sa fille?

– Oui! Là! Voilà! T'es contente?

– Trè s contente, acquiesç a-t-elle en minaudant, elle é tait mignonne?

– Un vrai cageot.

– Nooon?

– Si. Mê me un Sué dois ravitaillé au Danemark un samedi soir et pé té comme un coing n'en aurait pas voulu…

– C'é tait quoi? De la charité? De l'hygiè ne?

– De la cruauté …

– Raconte.

– Non. Sauf si tu me dis que tu t'es trompé e et que la blonde de tout à l'heure, c'é tait bien sa femme…

– Je me suis trompé e: la pute avec son manteau en peau de loutre, c'é tait bien sa femme. Ils sont marié s depuis seize ans, ils ont quatre gamins, ils s'adorent et là elle est en train de se jeter sur sa braguette dans l'ascenseur du parking en gardant un œ il sur sa montre parce qu'elle a mis une blanquette à ré chauffer avant de partir et qu'elle aimerait le faire jouir avant que les poireaux soient brû lé s…

– Peuh… Y a pas de poireaux dans une blanquette!

– Ah bon?

– Tu confonds avec le pot-au-feu…

– Et ta Sué doise alors?

– Elle é tait pas sué doise, elle é tait franç aise, je te dis… En fait, c'é tait sa sœ ur qui me chauffait… Une princesse trop gâ té e… Petite pé ronnelle fringué e en Spice Girl et chaude comme les braises… Elle aussi, elle se faisait chier, j'imagine… Et pour passer le temps, elle venait poser son petit cul sur nos fourneaux. Elle aguichait tout le monde, trempait son doigt dans mes casseroles et le lé chait lentement en me regardant par en dessous… Tu me connais, je ne suis pas compliqué comme garç on, alors un jour je te l'ai chopé e à l'entre-sol et la voilà qui se met à couiner, cette conne. Qu'elle allait le dire à son pè re et tout ç a… Oh là, là, je suis pas compliqué mais j'aime pas les allumeuses, moi… Alors je me suis tapé sa grande sœ ur pour lui apprendre la vie…

– C'est dé gueulasse pour la moche!

– Tout est dé gueulasse pour les moches, tu le sais bien…

– Et aprè s?

– Aprè s je suis parti…

– Pourquoi?

– …

– Incident diplomatique?

– On peut dire ç a comme ç a… Allez, on y va maintenant…

– Moi aussi, j'aime bien quand tu me racontes des histoires…

– Tu parles d'une histoire…

– T'en as beaucoup des comme ç a?

– Non. En gé né ral, je pré fè re me donner du mal pour toper les mignonnes!

– On devrait aller plus loin, gé mit-elle, s'il prend les escaliers là -bas et qu'il monte vers les taxis, on va le rater…

– T'inquiè te… Je le connais mon Philou… Il marche toujours tout droit jusqu'à ce qu'il se cogne dans un poteau, aprè s il s'excuse et il lè ve la tê te pour comprendre où est la sortie…

– T'es sû r?

– Mais oui… Hé, c'est bon, là … T'es amoureuse ou quoi?

– Nan, mais tu sais ce que c'est… Tu sors de ton wagon avec tout ton barda. T'es un peu groggy, un peu dé couragé … T'espè res personne et toc, y a quelqu'un qu'est là, au bout du quai, et qui t'attend… T'as jamais rê vé de ç a, toi?

– Je rê ve pas, moi…

– Je rê ve pas, moi, ré pé ta-t-elle en imitant la gouaille d'un marlou, je rê ve pas et j'aime pas les allumeuses. Te v'ià pré venue, fillette…

Il é tait accablé.

– Tiens, regarde, ajouta-t-elle, je crois que c'est lui, là -bas…

Il é tait tout au bout du quai et Franck avait raison: c'é tait le seul qui n'avait ni jean, ni baskets, ni sac, ni bagage à roulettes. Il se tenait droit comme un i, marchait lentement, tenait d'une main une grosse valise en cuir entouré e d'une sangle militaire et de l'autre un livre encore ouvert…

Camille souriait:

– Non, je ne suis pas amoureuse de lui, mais tu vois, c'est le grand frè re que j'aurais rê vé avoir…

– T'es fille unique?

– Je… Je ne sais plus… murmura-t-elle en se pré cipitant vers son zombi bigleux et adoré.

Bien sû r il é tait confus, bien sû r il bé gaya, bien sû r il lâ cha sa valise qui tomba sur les pieds de Camille, bien sû r il se confondit en excuses et perdit ses lunettes du mê me coup. Bien sû r.

– Oh, mais Camille, comme vous y allez… On croirait un petit chiot, mais, mais, mais…

– M'en parle pas, on peut plus la tenir… bougonna Franck.

– Tiens, prends sa valise, lui ordonna-t-elle pendant qu'elle se pendait à son cou, tu sais, on a une surprise pour toi…

– Une surprise, mais mon Dieu, non… Je… Je n'aime pas pas tellement les surprises, il ne fal… fallait pas…

– Hé, les tourtereaux! Ç a vous gê nerait pas de marcher moins vite? Y a votre boy qu'est fatigué, là … Putain, mais qu'est-ce que t'as mis là -dedans? Une armure ou quoi?

– Oh, quelques livres… Rien de plus…

– Putain, Philou, t'en as dé jà des milliers, merde… Ceux-là, tu pouvais pas les laisser au châ teau?

– Mais, il est trè s en forme, notre ami… glissa-t-il, à l'oreille de Camille, ç a va, vous?

– Qui ç a, nous?

– Euh… eh bien, vous…

– Pardon?

– T… toi?

– Moi? reprit-elle en souriant, trè s bien. Je suis contente que tu sois là …

– Moi aussi… Tout s'est bien passé? Pas de tranché es dans l'appartement? Pas de barbelé s? Pas de sacs de sable?

– Aucun problè me. Il a une petite amie en ce moment…

– Ah, trè s bien… Et les fê tes?

– Quelles fê tes? C'est ce soir la fê te! D'ailleurs, on va dî ner quelque part… Je vous invite!

– Où ç a? ronchonna Franck.

– À la Coupole!

– Oh, non… C'est pas un restaurant, ç a, c'est une usine à bouffe…

Camille fronç a les sourcils:

– Si. À La Coupole. Moi, j'adore cet endroit… On n'y va pas pour manger, on y va pour le dé cor, poui l'ambiance, pour les gens et pour ê tre ensemble…

– Ç a veut dire quoi «on n'y va pas pour manger»? c'est la meilleure, ç a!

– Eh ben si tu ne veux pas nous accompagner, tant pis, mais moi j'invite Philibert. Considé rez tous les deux que c'est mon premier caprice de l'anné e!

– On n'aura pas de place…

– Mais si! On attendra au bar sinon…

– Et la bibliothè que de Monsieur le Marquis? C'est moi qui me la fade jusque là -bas?

– On n'a qu'à la laisser à la consigne et on la ré cupé rera au retour…

– Ben voyons… Merde, Philou! Dis quelque chose!

– Franck?

– Oui.

– J'ai six sœ urs…

– Et alors?

– Alors je te le dis le plus simplement du monde: abandonne. Ce que femme veut, Dieu le veut…

– Qui c'est qui dit ç a?

– La sagesse populaire…

– Et voilà! Ç a recommence! Vous faites chier tous les deux avec vos citations…

Il se calma quand elle cala son autre bras sous le sien et, sur le boulevard Montparnasse, les badauds s'é cartè rent pour les laisser passer.

De dos, ils é taient trè s mignons…

À gauche, le grand maigre avec sa pelisse Retraite de Russie, à droite, le petit râ blé avec son blouson Lucky Strike et au milieu, une jeune fille qui pé piait, riait, sautillait et rê vait en secret d'ê tre soulevé e du sol et de les entendre dire: «À la une! À la deux! À la trois! Yooouuuh…»

Elle les serrait le plus fort possible. Tout son é quilibre é tait là aujourd'hui. Ni devant, ni derriè re, mais là. Juste là. Entre ces deux coudes dé bonnaires…

Le grand maigre penchait lé gè rement la tê te et le petit râ blé enfonç ait ses poings dans ses poches usé es.

Tous les deux, et sans en ê tre aussi conscients, pensaient exactement la mê me chose: nous trois, ici, maintenant, affamé s, ensemble, et que vogue la galè re…

Pendant les dix premiè res minutes, Franck fut exé crable, critiquant tour à tour, la carte, les prix, le service, le bruit, les touristes, les Parisiens, les Amé ricains, les fumeurs, les non-fumeurs, les tableaux, les homards, sa voisine, son couteau et la statue immonde qui allait sû rement lui couper l'appé tit.

Camille et Philibert se marraient.

Aprè s une coupe de Champagne, deux verres de chablis et six huî tres, il la boucla enfin.

Philibert, qui n'avait pas l'habitude de boire, riait bê tement et sans raison. À chaque fois qu'il reposait son verre, il s'essuyait la bouche et imitait le curé de son village en se lanç ant dans des sermons mystiques et torturé s avant de conclure: «Aaa-men, aaah que je suis heureux d'ê tre avec vous…» Pressé par les deux autres, il leur donna des nouvelles de son petit royaume humide, de sa famille, des inondations, du ré veillon chez les cousins inté gristes et leur expliqua, au passage nombre d'usages et coutumes hallucinantes avec un humour pince-sans-rire qui les enchanta.

Franck, surtout, é carquillait les yeux et ré pé tait «non? » «non! » «non…» toutes les dix secondes:

– Tu dis qu'ils sont fiancé s depuis deux ans et qu'ils n'ont jamais… Arrê te… J'y crois pas…

– Tu devrais faire du thé â tre, le pressait Camille, je suis sû r que tu serais un excellent show man… Tu connais tellement de mots et tu racontes les choses avec tellement d'esprit… Tellement de distance… Tu devrais raconter le charme azimuté de vieille noblesse franç aise ou quelque chose dans ce goû t-là …

– Tu… tu crois?

– J'en suis sû re! Hein Franck? Mais… tu ne m'avais pas parlé d'une fille au musé e qui voulait t'emmener à ses cours?

– C'est… c'est exact… mais, mais je bé … bé gaye trop…

– Non, quand tu racontes, tu parles normalement…

– Vou… vous croyez?

– Oui. Allez! C'est ta bonne ré solution de l'anné e! trinqua Franck. Sur les planches, Monseigneur! Et te plains pas, hein, parce que la tienne, elle est pas difficile à tenir…

Camille dé cortiquait leurs crabes, brisait pattes, pinces et carapaces et leur pré parait de merveilleuses tartines. Depuis toute petite, elle adorait les plateaux de fruits de mer parce qu'il y avait toujours beaucoup à s'occuper et peu à manger. Avec une montagne de glace pilé e entre elle et ses interlocuteurs, elle pouvait donner le change pendant tout un repas sans qu'on s'en mê le ou qu'on l'embê te. Et, ce soir encore, alors qu'elle é tait dé jà en train de hé ler le garç on pour une autre bouteille, elle é tait loin d'avoir honoré sa part. Elle s'é tait rincé les doigts, avait attrapé une tartine de pain de seigle et s'é tait adossé e contre la banquette en fermant les yeux.

Clic clac.

Plus personne ne bouge.

Moment suspendu.

Bonheur.

Franck racontait des histoires de carburateur à Philibert qui l'é coutait patiemment, prouvant, une fois encore, son é ducation parfaite et sa grande bonté d'â me:

– Certes, 89 euros c'est une somme, opinait-il gravement, et… qu'en pense ton ami le… Le gros…

– Le gros Titi?

– Oui!

– Oh ben, tu sais, Titi, il s'en fout, lui… Des joints de culasse comme ç a, il en a tant qu'il veut…

– É videmment, ré pondit-il, sincè rement dé solé, le gros Titi, c'est le gros Titi…

Il ne se moquait pas. Pas la moindre ironie là -dessous. Le gros Titi, c'é tait le gros Titi et puis voilà.

Camille demanda qui voulait bien partager des crê pes flambé es avec elle. Philibert pré fé rait un sorbet et Franck prit ses pré cautions:

– Attends… T'es quel genre de nana, toi? Celles qui disent on partage et qui se goinfrent tout en papillotant des cils? Celles qui disent on partage et qui chipotent le nez du gâ teau? Ou celles qui disent on partage et qui partagent vraiment?

– Commande et tu le sauras…

– Mmmm, c'est dé licieux…

– Nan, elles sont ré chauffé es, trop é paisses et y a trop de beurre… Je t'en ferai un jour et tu verras la diffé rence…

– Quand tu veux…

– Quand tu seras sage.

Philibert sentait bien que le vent avait tourné, mais il ne voyait pas trop dans quel sens.

Il n'é tait pas le seul.

Et c'é tait ç a qui é tait amusant…

Puisque Camille insistait et que ce que femme veut, etc., ils parlè rent d'argent: Qui payerait quoi, quand et comment? Qui ferait les courses? Combien d'é trennes pour la concierge? Quels noms sur la boî te aux lettres? Est-ce qu'on installait une ligne de té lé phone et est-ce qu'on se laissait impressionner par les lettres excé dé es du Tré sor public à propos de la redevance? Et le mé nage? chacun sa chambre, OK, mais pourquoi c'é tait toujours elle ou Philou qui se tapaient la cuisine et la salle de bains? À propos de la salle de bains, il faudrait une poubelle, je m'en charge… Toi Franck, pense à recycler tes canettes et ouvre la fenê tre de ta chambre de temps en temps sinon on va tous attraper des bê tes… Les chiottes idem. Priè re de baisser la lunette et quand y a plus de PQ, dites-le. Et puis on pourrait se payer un aspirateur potable quand mê me… Le balai Bissel de la guerre de 14, ç a va un moment… Euh… Quoi encore?

– Alors mon Philou, tu comprends maintenant quand je te disais de ne pas laisser une fille s'installer chez toi? Tu vois ce que je voulais dire? Tu vois un peu le bordel? Et attends, c'est qu'un dé but…

Philibert Marquet de La Durbelliè re souriait. Non, il ne voyait pas. Il venait de passer quinze jours humiliants sous le regard exaspé ré de son pè re qui n'arrivait plus à cacher son dé saveu. Un premier-né qui ne s'inté ressait ni aux fermages, ni aux bois, ni aux filles, ni à la finance et encore moins à son rang social. Un incapable, un grand bê ta qui vendait des cartes postales pour l'É tat et bé gayait quand sa petite sœ ur lui demandait de lui passer le sel. Le seul hé ritier du nom et mê me pas fichu de garder un peu de prestance quand il s'adressait au garde-chasse. Non, il n'avait pas mé rité ç a, grinç ait-il chaque matin en le surprenant à quatre pattes dans la chambre de Blanche en train de jouer au baigneur avec elle…

– Vous n'avez rien de mieux à faire, mon fils?

– Non pè re, mais je… je… dites-moi, si vous avez be… besoin de moi, je…

Mais la porte avait claqué avant qu'il ait terminé sa phrase.

– Toi, on dira que tu feras à manger et moi j'irai chercher les courses et aprè s on dira que tu feras des gaufres et aprè s on ira au parc pour promener les bé bé s…

– D'accord, ma puce, d'accord. On dira tout ce que tu voudras…

Blanche ou Camille, pour lui, c'é tait la mê me chose: des petits bouts de filles qui l'aimaient bien et lui faisaient des bisous quelquefois. Et pour ç a, il é tait prê t à encaisser le mé pris de son pè re et à acheter cinquante aspirateurs s'il le fallait.

Pas de problè me.

Comme il appré ciait les manuscrits, serments, parchemins, cartes et autres traité s, c'est lui qui poussa les tasses à café sur la table d'à cô té et sortit une feuille de son cartable sur laquelle il é crivit cé ré monieusement: «Charte de l'avenue É mile-Deschanel à l'usage de ses occupants et autres visit…»

Il s'interrompit:

– Et qui é tait cet Emile Deschanel, les enfants?

– Un pré sident de la Ré publique!

– Non, celui-là, c'é tait Paul. Emile Deschanel é tait un homme de lettres, professeur à la Sorbonne et limogé à cause de son ouvrage Catholicisme et socialisme… Ou le contraire, je ne sais plus… D'ailleurs ma grand-mè re, ç a la chiffonnait un peu le nom de cette canaille sur sa carte de visite… Bon, euh… Où en é tais-je, moi?

Il reprit point par point tout ce qui venait d'ê tre conclu, y compris le papier-toilette et les sacs-poubelle, et fit tourner leur nouveau protocole afin que chacun puisse y ajouter ses propres conventions.

– Me voilà bien jacobin… soupira-t-il.

Franck et Camille lâ chè rent leurs verres à contrecœ ur et é crivirent beaucoup de bê tises…

Imperturbable, il sortit son bâ ton de cire à cacheter et apposa sa chevaliè re en bas du papelard sous le regard ahuri des deux autres puis le plia en trois et le glissa né gligemment dans la poche de sa veste.

– Euh… Tu te balades toujours avec ton attirail de Louis XIV sur toi? finit par demander Franck en secouant la tê te.

– Ma cire, mon sceau, mes sels, mes é cus d'or, mon blason et mes poisons… Certainement, mon cher…

Franck, qui avait reconnu un serveur, fit un tour en cuisine.

– Je maintiens, une usine à bouffe. Mais une belle usine…

Camille prit l’addition, si, si, j’insiste, vous, vous passerez l’aspirateur, ils ré cupé rè rent la valise en enjambant encore quelques clochards ici et là, Lucky Strike enfourcha sa moto et les deux autres appelè rent un taxi.


8


Elle le guetta en vain le lendemain, le surlendemain et les jours suivants. Pas de nouvelles. Le vigile, avec lequel elle entretenait dé sormais un brin de causette (la couille droite de Matrix n'é tait pas descendue, un drame…), ne lui en apprit pas davantage. Pourtant, elle savait qu'il é tait dans les parages. Quand elle dé posait un filet garni derriè re les bidons de dé tergents, pain, fromage, salades Saupiquet, bananes et pâ té e Fido, celui-ci disparaissait systé matiquement. Jamais un poil de chien, jamais une miette et pas la moindre odeur… Pour un junkie, elle le trouvait drô lement bien organisé, à tel point qu'elle eut mê me un doute sur le destinataire de ses bonté s… Ç a se trouve, c'é tait l'autre taré qui nourrissait son unicouilliste à l'œ il… Elle tâ ta un peu le terrain, mais non, Matrix ne mangeait que des croquettes enrichies à la vitamine B12 avec une cuilleré e d'huile de ricin pour le poil. Les boî tes, c'é tait de la merde. Pourquoi qu'on donnerait à son chien un truc qu'on voudrait pas soi-mê me?

Ben, oui, pourquoi?

– Et les croquettes, c'est pareil, alors? T'en mangerais pas…

– Bien sû r que si, j'en mange!

– C'est ç a…

– Je te jure!

Le pire c'est qu'elle le croyait. Na-qu'une-couille et Na-qu'un-cervelet en train de grignoter des croquettes au poulet devant un porno dans leur cahute surchauffé e au milieu de la nuit, ç a pouvait le faire… Trè s bien, mê me.

Plusieurs jours s'é coulè rent ainsi. Quelquefois, il ne venait pas. La baguette avait durci et les cigarettes é taient encore là. Quelquefois, il passait et ne prenait rien d'autre que la bouffe de son chien… Trop de dope ou pas assez pour faire bombance… Quelquefois, c'est elle qui n'assurait pas… Camille ne se prenait plus la tê te avec ç a. Un coup d'œ il rapide au fond du local pour savoir si elle devait vider sa musette et basta.

Elle avait d'autres soucis…

À l'appart, pas de problè me, ç a roulait, charte ou pas charte, Myriam ou pas Myriam, TOC ou pas TOC, chacun menait son petit bonhomme de chemin sans ennuyer le voisin. On se saluait chaque matin et l'on se droguait gentiment en rentrant le soir. Shit, herbe, pinard, incunables, Marie-Antoinette ou Heineken, c'é tait chacun son trip et Marvin pour tous.

Dans la journé e, elle dessinait et, quand il é tait là, Philibert lui faisait la lecture ou commentait les albums de famille:

– Là c'est mon arriè re-grand-pè re… Le jeune homme à cô té, c'est son frè re, l'oncle É lie, et devant ce sont leurs fox… Ils organisaient des courses de chiens et c'é tait monsieur le curé, là tu le vois assis devant la ligne d'arrivé e, qui dé signait le vainqueur.

– Ils ne s'embê taient pas dis donc…

– Ils avaient bien raison… Deux ans plus tard ils partiront sur le front des Ardennes et six mois aprè s ils seront morts tous les deux…

Non, c'é tait au boulot que ç a n'allait plus… D'abord le mec du cinquiè me l'avait accosté e un soir en lui demandant où elle avait mis son plumeau. Wouarf, wouarf, il é tait super content de sa blague et l'avait poursuivie à travers tout l'é tage en ré pé tant «Je suis sû r que c'est vous! Je suis sû r que c'est vous! » Dé gage gros con, tu me gê nes, là.

Non, c'est ma collè gue, finit-elle par lâ cher en lui indiquant Super Josy qui é tait? en train de compter ses varices.

Game over.

Deuxiè mement, elle ne pouvait plus supporter la Bre-dart justement…

Elle é tait bê te comme ses pieds, avait un peu de pouvoir et en abusait sans modé ration (chef de chantier, chez Touclean, ce n'é tait pas le Pentagone tout de mê me! ), transpirait, postillonnait, é tait toujours en train de piquer des capuchons de Bic pour ré cupé rer des bouts de barbaque coincé s entre ses dents du fond et glissait une blague raciste à chaque é tage en prenant Camille à partie puisque c'é tait la seule autre Blanche de l'é quipe.

Camille qui se retenait souvent à sa serpilliè re pour ne pas la lui envoyer dans la gueule et l'avait prié e l'autre jour de garder pour elle ses conneries parce qu'elle commenç ait à fatiguer tout le monde.

– Non, mais l'autre… Mais comment qu'è me cause celle-ci? Qu'est-ce tu fous là d'abord, toi? Qu'est-ce tu fous avec nous? Tu nous espionnes ou quoi? C'est une question que je me suis posé e l'autre jour, tins… Que p'tê tre bien que t'é tais envoyé e par les patrons pour nous espionner ou queque chose dans le genre… Je l'ai vu sur ta feuille de paye où qu'tu logeais et comment que tu parles et tout ç a… T'es pas des nô tres, toi! Tu pues la bourgeoise, tu pues le fric. Matonne, va!

Les autres filles ne ré agissaient pas. Camille poussa son chariot et s'é loigna.

Elle se retourna:

– Ce qu'elle me dit, elle, j'en ai rien à foutre parce que je la mé prise… Mais, vous, vous ê tes vraiment nazes… C'est pour vous que j'ai ouvert ma gueule, pour qu'elle arrê te de vous humilier et j'attends pas que vous me remerciiez, ç a aussi j'en ai rien à foutre, mais au moins, vous pourriez venir faire les chiottes avec moi… Parce que toute bourgeoise que je suis, c'est toujours moi qui me les cogne, je vous ferai remarquer…

Mamadou fit un drô le de bruit avec sa bouche et lâ cha un é norme mollard aux pieds de Josy, un truc monstrueux vraiment. Ensuite elle attrapa son seau, le balanç a devant elle et donna un coup dans les fesses de Camille:

– Comment une fille qui a un si petit cul peut avoir une si grande bouche? Tu m'é tonneuras toujours, toi…

Les autres ronchonnè rent à tort et à travers et se dispersè rent mollement. Pour Samia, elle s'en fichait. Pour Carine, c'é tait plus dur… Elle l'aimait bien, elle… Carine qui s'appelait Rachida en vrai, qui n'aimait pas son pré nom et lé chait le cul d'une facho. Elle irait loin, cette petite…



  

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