Хелпикс

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PREMIÈRE PARTIE 12 страница



Du coup, elle fit un dé tour par l'avenue Montaigne. Pour voir.

Les vigiles é taient vraiment impressionnants… Elle dé testait ce quartier où l'argent proposait ce qu'il avait de moins amusant à offrir: le mauvais goû t, le pouvoir et l'arrogance. Elle pressa le pas devant la vitrine de chez Malo: trop de souvenirs, et rentra par les quais.

Au boulot, rien à signaler. Le froid, quand elle avait fini de pointer, é tait encore ce qu'il y avait de plus dur à supporter.

Elle rentrait seule, mangeait seule, dormait seule et é coutait Vivaldi en serrant ses bras autour de ses genoux.

Carine avait un plan pour le Ré veillon. Elle n'avait pas du tout envie d'y aller, mais avait dé jà payé ses trente euros de participation pour avoir la paix et se retrouver au pied du mur.

– Il faut sortir, se sermonnait-elle.

– Mais je n'aime pas ç a…

– Pourquoi tu n'aimes pas ç a?

– Je ne sais pas…

– Tu as peur?

– Oui.

– De quoi?

– J'ai peur qu'on me secoue la pulpe… Et puis… J'ai aussi l'impression de sortir quand je me perds à l'inté rieur de moi-mê me… Je me balade… C'est grand quand mê me…

– Tu veux rire? C'est tout petit! Allez, viens, elle sent le ranci ta pulpe…

Ce genre de conversation entre elle et sa pauvre conscience lui grignotait le cerveau des heures durant…

Quand elle rentra, ce soir-là, elle le trouva sur le palier:

– T'as oublié tes clefs?

– …

– Ç a fait longtemps que tu es là?

Il fit un geste agacé devant sa bouche pour lui rappeler qu'il ne pouvait pas parler. Elle haussa les é paules. Elle n'avait plus l'â ge de jouer à ce genre de conneries.

Il alla se coucher sans prendre une douche, sans fumer, sans chercher à l'emmerder. Il é tait explosé.

Il sortit de sa chambre vers dix heures et demie le lendemain matin, il n'avait pas entendu son ré veil et n'eut mê me pas l'é nergie de râ ler. Elle é tait dans la cuisine, il s'assit en face d'elle, se servit un litre de café et mit un moment avant de se dé cider à le boire.

– Ç a va?

– Fatigué.

– Tu ne prends jamais de vacances?

– Si. Les premiers jours de janvier… Pour mon dé mé nagement…

Elle regarda par la fenê tre.

– Tu seras là vers quinze heures?

– Pour t'ouvrir?

– Oui.

– Oui.

– Tu sors jamais?

– Si, ç a m'arrive, mais là je ne vais pas sortir puisque tu ne peux pas rentrer…

Il hocha la tê te comme un zombi:

– Bon, il faut que j'y aille, là, sinon je vais me faire dé calquer…

Il se leva pour rincer son bol.

– C'est quoi l'adresse de ta mè re?

Il s'immobilisa devant l'é vier.

– Pourquoi tu me demandes ç a?

– Pour la remercier…

– La… rrrre…, il avait un chat dans la gorge, la remercier de quoi?

– Ben… pour l'é charpe.

– Aaaah… Mais c'est pas ma mè re qui te l'a faite c'est ma mé mé! rectifia-t-il soulagé, y a que ma mé mé pour tricoter aussi bien!

Camille souriait.

– Hé, t'es pas obligé e de la mettre, tu sais…

– Je l'aime bien…

– J'ai pas pu m'empê cher de sursauter quand elle me l'a montré e…

Il riait.

– Et attends, toi c'est rien… Tu verrais celle de Phi-libert…

– Elle est comment?

– Orange et verte.

– Je suis sû re qu'il la mettra… Il regrettera simplement de ne pas pouvoir lui faire un baisemain pour la remercier…

– Ouais, c'est ce que je me suis dit en repartant… Une chance que ce soit vous deux… Vous ê tes les deux seules personnes au monde que je connaisse qui soient capables de porter ces horreurs sans avoir l'air ridicule…

Elle le dé visagea:

– Hé, tu t'en rends compte que tu viens de dire quelque chose de gentil, là?

– C'est gentil de vous traiter de clowns?

– Ah pardon… Je croyais que tu parlais de notre classe naturelle…

Il mit un moment avant de lui ré pondre:

– Nan, je parlais de… de votre liberté, je crois… De cette chance que vous avez de vivre en vous en foutant complè te…

À ce moment-là, son portable sonna. Pas de chance, pour une fois qu'il essayait de dire un truc philosophique…

«J'arrive chef, j'arrive… Mais c'est bqn, là, je suis prê t… Eh ben, Jean-Luc il a qu'à les faire, lui… Attendez, chef, je suis en train d'essayer d'emballer une fille qu'est vachement plus intelligente que moi, alors, c'est sû r, ç a prend plus de temps que d'habitude… De quoi? Nan, je l'ai pas appelé encore… De toute faç on, je vous j'ai dit qu'il pourrait pas… Je le sais qu'ils sont tous dé bordé s, je le sais… OK, je m'en occupe… Je l'appelle tout de suite… De quoi? … De laisser tomber avec la fille? Ouais, vous avez sû rement raison, chef…»

– C'é tait mon chef, lui annonç a-t-il en lui adressant un sourire niais.

– Ah bon? s'é tonna-t-elle.

Il essuya son bol, quitta les lieux et retint la porte de justesse pour l'empê cher de claquer.

D'accord cette fille é tait conne mais elle é tait loin d'ê tre bê te et c'est ç a qui é tait bien.

Avec n'importe quelle autre nana, il aurait raccroché et puis voilà. Alors que là, il lui a dit c'é tait mon chef pour la faire rire, et elle, elle é tait tellement maligne qu'elle avait mimé l'é tonné e pour lui retourner sa blague. De parler avec elle, c'é tait comme de jouer au ping-pong: elle tenait la cadence et t'envoyait des smashs dans les coins au moment où tu t'y attendais le moins, du coup, t'avais l'impression d'ê tre moins con.

Il descendait les escaliers en se tenant à la rampe et entendait le cric-cric des pignons et des engrenages au-dessus de sa tê te. Avec Philibert, c'é tait pareil, il aimait bien discuter avec lui à cause de ç a…

Parce que lui, il le savait qu'il n'é tait pas aussi bourrin qu'il en avait l'air, mais son problè me, c'é tait les mots justement… Il lui manquait toujours des mots alors il é tait obligé de s'é nerver pour se faire comprendre… C'est vrai, c'é tait vraiment gonflant à la fin, merde!

C'é tait pour toutes ces raisons que ç a l'ennuyait de partir… Qu'est-ce qu'il allait foutre quand il serait chez Kermadec? Picoler, fumer, mater des DVD et feuilleter des magazines de tuning dans les chiottes?

Super.

Retour à la case vingt ans.

Il assura son service distraitement.

La seule fille de l'univers capable de porter une é charpe tricoté e par sa mê me tout en restant jolie, ne serait jamais pour lui.

C'é tait bê te la vie…

Il fit un dé tour par la pâ tisserie avant de partir, se fit engueuler parce qu'il n'avait toujours pas appelé son ancien apprenti et rentra se coucher.

Il ne dormit qu'une heure parce qu'il devait se rendre à la laverie. Il ramassa toutes ses fringues et les rassembla dans la housse de sa couette.


15

 

Dé cidé ment…

Elle é tait encore, là. Assise prè s de la machine numé ro sept avec son sac de linge mouillé entre les jambes. Elle lisait.

Il s'installa en face d'elle sans qu'elle l'eû t remarqué. Ç a le fascinait toujours ce truc-là … Comment elle et Philibert é taient capables de se concentrer… Ç a lui rappelait une pub, un type qui mangeait tranquillement son Boursin pendant que le monde s'é croulait autour de lui. Beaucoup de choses lui rappelaient une pub d'ailleurs… C'é tait sû rement parce qu'il avait beaucoup regardé la té lé quand il é tait petit…

Il joua à un petit jeu: imagine que tu viens de rentrer dans cette Lavomatic pourrie de l'avenue de La Bourdonnais un 29 dé cembre à cinq heures de l'aprè s-midi et que tu aperç ois cette silhouette pour la premiè re fois de ta vie, qu'est-ce que tu te dirais?

Il se cala dans son siè ge en plastique, enfonç a ses mains dans son blouson et plissa les yeux.

D'abord, tu penserais que c'est un mec. Comme la premiè re fois. Peut-ê tre pas une folle, mais un type vachement effé miné quand mê me… Donc t'arrê terais de mater. Quoique… Tu aurais des doutes malgré tout… À cause de ses mains, de son cou, de cette faç on qu'il avait de promener l'ongle de son pouce sur sa lè vre infé rieure… Oui, tu hé siterais… C'é tait peut-ê tre une fille finalement? Une fille habillé e en sac. Comme si elle cherchait à cacher son corps? Tu essayerais de regarder ailleurs mais tu ne pourrais pas t'empê cher d'y revenir. Parce qu'il y avait un truc, là … L'air é tait spé cial autour de cette personne. Ou la lumiè re peut-ê tre?

Voilà. C'é tait ç a.

Si tu venais d'entrer dans cette Lavomatic pourrie de l'avenue de La Bourdonnais un 29 dé cembre à cinq heures de l'aprè s-midi et que tu apercevais cette silhouette sous la lumiè re triste des né ons, tu te dirais exactement ceci: ben merde… Un ange…

Elle leva la tê te à ce moment-là, le vit, resta un moment sans ré agir comme si elle ne l'avait pas reconnu et finit par lui sourire. Oh, presque rien, un lé ger é clat, petit signe de reconnaissance entre habitué s…

– C'est tes ailes? lui demanda-t-il en dé signant son sac.

– Pardon?

– Nan, rien…

Une des sé cheuses s'arrê ta de tourner et elle soupira en jetant un coup d'œ il à la pendule. Un clodo s'approcha de la machine, il en sortit un blouson et un sac de couchage tout effiloché.

Voilà qui é tait inté ressant… Sa thé orie mise à l'é preuve des faits… Aucune fille normalement constitué e ne mettrait ses affaires à sé cher aprè s celles d'un clochard et il savait de quoi il parlait: il avait presque quinze ans de laveries automatiques dans les pattes…

Il scruta son visage.

Pas le moindre mouvement de recul ou d'hé sitation, pas l'ombre d'une grimace. Elle se leva, chargea ses vê tements en vitesse et lui demanda s'il pouvait lui faire de la monnaie.

Puis elle retourna à sa place et reprit son livre.

Il é tait un peu dé ç u.

C'é tait chiant les gens parfaits…

Avant de se replonger dans sa lecture, elle l'interpella:

– Dis-moi…

– Oui.

– Si j'offre une machine à laver qui fait aussi sé choir à Philibert pour Noë l, tu crois que tu pourras l'installer avant de partir?

– …

– Pourquoi, tu souris, là? J'ai dit une bê tise?

– Non, non…

Il fit un geste de la main:

– Tu peux pas comprendre…

– Hé, fit-elle en tapotant son majeur et son index contre sa bouche, tu fumes trop en ce moment, toi, non?

– En fait, t'es une fille normale…

– Pourquoi tu me dis ç a? Bien sû r que je suis une fille normale…

– Tu es dé ç u?

– Non.

– …

– C'est quoi ce que tu lis?

– Un carnet de voyage…

– C'est bien?

– Super…

– Ç a raconte quoi?

– Oh… Je ne sais pas si ç a t'inté resserait…

– Nan, je te le dis carré ment, ç a m'inté resse pas du tout, ricana-t-il, mais j'aime bien quand tu racontes… Tu sais, je l'ai ré é couté le disque de Marvin hier…

– Ah bon?

– Ouais…

– Et alors?

– Ben le problè me, c'est que je comprends rien… C'est pour ç a que je vais aller bosser à Londres d'ail, leurs… Pour apprendre l'anglais…

– Tu pars quand?

– Normalement, je devais prendre une place aprè s l'é té, mais là, c'est le bordel… À cause de ma grand-mè re justement… À cause de Paulette…

– Qu'est-ce qu'elle a?

– Pff… j'ai pas trè s envie d'en parler… Raconte-moi ton livre de voyages plutô t…

Il approcha sa chaise.

– Tu connais Albrecht Durer?

– L'é crivain?

– Non. Le peintre.

– Jamais entendu parler…

– Si, je suis sû re que tu as vu certains de ses dessins… Il y en a qui sont trè s cé lè bres… Un liè vre… Des herbes folles… Des pissenlits…

– …

– Moi, c'est mon dieu. Enfin… j'en ai plusieurs, mais lui c'est mon dieu numé ro un… T'en as des dieux, toi?

– Euh…

– Dans ton travail? Je sais pas, moi… Escoffier, Carê me, Curnonsky?

– Euh…

– Bocuse, Robuchon, Ducasse?

– Ah, tu veux dire des modè les! Oui, j'en ai mais ils ne sont pas connus… enfin moins connus… Moins bruyants, quoi… Tu connais Chapel?

– Non.

– Pacaud?

– Non.

– Senderens?

– Le type de Lucas Carton?

– Oui… C'est dingue tout ce que tu connais… Comment tu fais?

– Attends, je le connais, comme ç a, de nom, mais je n'y suis jamais allé e…

– Lui, c'est un bon… J'ai mê me un livre dans ma chambre… Je te montrerai… Lui ou Pacaud, pour moi, ce sont des maî tres… Et s'ils sont moins connus que les autres, c'est parce qu'ils sont dans leur cuisine, justement… Enfin, je te dis ç a, j'en sais rien… C'est l'idé e que je m'en fais… Peut-ê tre que je me goure complè tement…

– Mais entre cuisiniers, vous parlez quand mê me? Vous vous racontez vos expé riences?

– Pas tellement… On est pas trè s bavards, tu sais… On est trop crevé s pour jacter. On se montre des trucs, des tours de mains, on é change des idé es, des morceaux de recettes qu'on a piqué es ici ou là, mais ç a va rarement plus loin…

– C'est dommage…

– Si on savait s'exprimer, faire des belles phrases et tout ç a, on ferait pas ce boulot-là, c'est clair. Enfin moi en tout cas, j'arrê terais tout de suite.

– Pourquoi?

– Parce que… Ç a rime à rien… C'est de l'esclavage… T'as vu ma vie? C'est n'importe quoi. Bon… euh… j'aime pas du tout parler de moi… Alors, ton livre, là?

– Oui, mon livre… Justement, c'est le journal tenu par Durer pendant son voyage aux Pays-Bas entre 1520 et 1521… Une espè ce de carnet ou d'agenda… C'est surtout la preuve que j'ai bien tort de le considé rer comme un dieu. La preuve que c'é tait un type normal lui aussi. Qui comptait ses sous, qui enrageait quand il ré alisait qu'il venait de se faire rouler par les douaniers, qui laissait toujours tomber sa femme, qui ne pouvait pas s'empê cher de perdre de l'argent au jeu, qui é tait naï f, gourmand, macho et un peu orgueilleux aussi… Mais bon, ce n'est pas trè s important tout ç a, au contraire, Ç a le rend plus humain… Et… Euh… Je continue?

– Oui.

– Au dé part, c'est un voyage qu'il a entrepris pour un motif grave, à savoir sa survie, celle de sa famille et des gens qui travaillaient avec lui dans son atelier. Jusqu'à pré sent, il é tait sous la protection de l'Empe reur Maximilien Ier. Un type complè tement mé galo qui lui avait passé une commande de folie: le repré senter en tê te d'un cortè ge extraordinaire pour l'immortaliser à tout jamais… Une œ uvre qui sera finalement imprimé e quelques anné es plus tard et qui fera plus de cinquante-quatre mè tres de long… T'imagines le truc?

«Pour Durer, c'é tait du pain bé nit… Des anné es de boulot assuré … Manque de bol, le Maximilien cane peu de temps aprè s, et du coup, sa rente annuelle est compromise… Le drame… Donc, voilà notre homme qui part sur les routes avec sa femme et sa servante sous le bras pour aller faire des risettes à Charles Quint, le futur empereur, et à Marguerite d'Autriche, la fille de son ancien protecteur, parce qu'il faut absolument que cette rente officielle soit reconduite…

«Voilà pour les circonstances… Il est donc un peu stressé au dé but mais ç a ne l'empê che pas d'ê tre un touriste parfait, S'é merveillant de tout, des visages, des coutumes, des vê tements, rendant visite à ses pairs, aux artisans, admirant leur travail, visitant toutes les é glises, achetant tout un tas de babioles fraî chement dé barqué es du Nouveau Monde: un perroquet, un babouin, une é caille de tortue, des branches de corail, de la cannelle, un sabot d'é lan, etc. Il est comme un gamin avec ç a… Il va mê me faire un dé tour pour aller voir une baleine é choué e qui se dé compose au bord de la mer du Nord… Et, bien sû r, il dessine. Comme un fou. Il a cinquante ans, il est au summum de son art et quoi qu'il fasse: un perroquet, un lion, un morse, un chandelier ou le portrait de son aubergiste, c'est… C'est…

– C'est quoi?

– Ben tiens, regarde…

– Non, non, j'y connais rien!

– Mais y a pas besoin de s'y connaî tre! Regarde ce vieillard, là, comme il en impose… Et ce beau jeune homme, tu vois comme il est fier? Comme il a l'air sû r de lui? On dirait toi, tiens… La mê me morgue, les mê mes narines dilaté es… - Ah, ouais? Tu le trouves beau?

– Un peu tê te à claques, non?

– C'est le chapeau qui fait ç a…

– Ah, ouais… T'as raison, sourit-elle, ç a doit ê tre le chapeau…

– Et ce crâ ne, là? Est-ce qu'il n'est pas incroyable? On dirait qu'il nous nargue, qu'il nous provoque: «Eh… gais vous aussi, les gars… C'est ç a qui vous attend…»

– Montre.

– Là. Mais ce que je pré fè re, ce sont ses portraits et ce qui me tue, c'est la dé sinvolture avec laquelle il les ré alise. Ici, au cours de ce voyage, c'est surtout une monnaie d'é change, rien de plus que du troc: ton savoir-faire contre le mien, ton portrait contre un dî ner, un chapelet, un colifichet pour ma. femme ou un manteau en peau de lapin… Moi, j'aurais adoré vivre à cette é poque… Je trouve que le troc, c'est une é conomie gé niale…

– Et ç a se termine comment? Il le ré cupè re, son fric?

– Oui, mais à quel prix… La grosse Marguerite le dé daigne, elle ira mê me jusqu'à refuser le portrait de son pè re qu'il avait fait exprè s pour elle, cette conne… Du coup, il le troquera contre un drap! En plus, il est revenu malade, une saloperie qu'il a chopé e en allant voir la baleine justement… La fiè vre des marais, je crois… Tiens, regarde, il y a une machine de libre, là …

Il se releva en soupirant.

– Retourne-toi, j'ai pas envie que tu voies mes dessous…

– Oh, j'ai pas besoin de les voir pour les imaginer… Philibert, lui, il doit ê tre plutô t caleç ons rayé s, mais toi, je suis sû re que tu portes ces petits boxer shorts de chez Hom bien moulants, avec des trucs é crits sur la ceinture…

– Que tu es forte… Allez, baisse les yeux quand mê me…

Il s'activa, alla chercher sa demi-bouteille de poudre et s'accouda sur la machine:

– Enfin, non, t'es pas si forte que ç a… Sinon tu ferais pas des mé nages, tu ferais comme ce mec, là … Tu bosserais…

Silence.

– T'as raison… Je ne suis forte qu'en slips…

– Eh, c'est dé jà pas mal, hein?! Y a peut-ê tre un cré neau à prendre… Au fait, t'es libre le 31?

– T'as une fê te à me proposer?

– Non. Du boulot.

– Pourquoi, non?

– Parce que je suis nulle!

– Attends, mais on va pas te demander de faire la cuisine! Juste donner un coup de main pour la mise en place…

– C'est quoi la mise en place?

– C'est tout ce que tu pré pares à l'avance pour gagner du temps au moment du coup de feu…

– Et là, il faudra que je fasse quoi?

– É plucher des châ taignes, nettoyer des girolles, dé piauter et é pé piner des grains de raisin, laver la salade… Enfin, plein de trucs sans inté rê t…

– Je suis mê me pas sû re d'y arriver…

– Je te montrerai tout, je t'expliquerai bien…

– T'auras pas le temps…

– Non. C'est pour ç a que je te brieferai avant. Je rapporterai de la came à l'appart demain et je te formerai pendant ma pause…

– …

– Allez… Ç a te fera du bieft de voir du monde… Toi tu vis qu'avec des morts, tu causes qu'avec des mecs qui sont plus là pour te ré pondre… T'es tout le temps toute seule… C'est normal que tu tournes pas rond…

– Je tourne pas rond?

– Non.

– É coute. Je te le demande comme un service… J'ai promis à mon chef que je lui trouverais quelqu'un pour nous aider, et je trouve personne… Je suis dans la merde, là …

– …

– Allez… Un dernier effort… Aprè s je me casse et tu ne me verras plus jamais de ta vie…

– J'avais une fê te de pré vue…

– Tu dois y ê tre à quelle heure?

– Je sais pas, vers dix heures…

– Pas de problè me. Tu y seras. Je te payerai le taxi.

– Bon…

– Merci. Retourne-toi encore, mon linge est sec.

– Il faut que je m'en aille de toute faç on… Je suis dé jà en retard…

– OK à demain…

– Tu dors là ce soir?

– Non.

– T'es dé ç ue?

– Oh, mais que tu es looouurd comme garç on…

– Attends, je dis ç a, c'est pour toi, hein! Parce que pour les slips, c'est pas sû r que t'aies raison, tu sais?

– Attends, mais si tu savais comme je m'en fous de tes slips!

– Tant pis pour toi…


17


– On y va?

– Je t'é coute. C'est quoi ç a?

– De quoi?

– La mallette?

– Ah ç a? C'est ma boî te à couteaux. Mes pinceaux à moi si tu pré fè res… Si je l'avais plus, je serais plus bon à rien, soupira-t-il. Tu vois à quoi ç a tient ma vie? À une vieille boî te qui ferme mal…

– Tu l'as depuis quand?

– Pff… Depuis que je suis tout minot… C'é tait ma mé mé qui me l'avait payé e pour mon entré e au CAP…

– Je peux regarder?

– Vas-y.

– Raconte-moi…

– De quoi?

– À quoi ils servent… J'aime bien apprendre…

– Alors… Le gros, c'est le couteau de cuisine ou le couteau de chef, y sert à tout, le carré, c'est pour les os, les articulations ou pour aplatiç la viande, le tout petit, c'est le couteau d'office comme on en trouve dans toutes les cuisines, prends-le d'ailleurs, tu vas en avoir besoin… Le long, c'est l'é minceur pour tailler les lé gumes et les couper fin, le petit, là, c'est le couteau à dé nerver pour parer et dé graisser la barbaque, et son jumeau avec la lame rigide, c'est pour la dé sosser, le trè s fin, c'est pour lever les filets de poissons, et le dernier, c'est pour trancher le jambon…

– Et ç a c'est pour les affû ter…

– Yes.

– Et ç a?

– Ç a, c'est rien… C'est pour la dé co, mais je m'en sers plus depuis longtemps…

– On fait quoi avec?

– Des merveilles… Je te montrerai un autre jour… Bon, t'es prê te là?

– Oui.

– Tu regardes bien, hein? Les châ taignes, je te pré viens tout de suite, c'est trè s chiant… Là, elles ont dé jà é té plongé es dans une eau bouillante donc elles sont plus faciles à é plucher… Enfin, normalement… Tu dois surtout pas les abî mer… Il faut que leurs petites veines restent intactes et bien visibles… Aprè s l'é corce, y a ce machin cotonneux, là, et tu dois le retirer le plus dé licatement possible…

– Mais c'est vachement long!

– Hé! C'est la raison pour laquelle on a besoin de toi…

Il fut patient. Il lui expliqua ensuite comment nettoyer les girolles avec un torchon humide et comment gratter la terre sans les abî mer.

Elle s'amusait. Elle é tait doué e de ses mains. Elle enrageait d'ê tre si lente par rapport à lui, mais elle s'amusait. Les grains de raisin roulaient entre ses doigts et elle avait vite attrapé le truc pour les é pé piner de la pointe du couteau.

– Bon, pour le reste, on verra demain… La salade et tout ç a, ç a devrait aller…

– Ton chef, il va tout de suite s'en rendre compte que je suis nulle…

– Ç a c'est sû r! Mais il a pas trop le choix de toute faç on… C'est quoi ta taille?

– Je sais pas.

– Je te trouverai un fute et une veste… Et ta pointure?

– 40.

– T'as des baskets?

– Oui.

– C'est pas l'idé al, mais ç a fera l'affaire pour une fois…

Elle se roula une cigarette pendant qu'il rangeait la cuisine.

– C'est où ta fê te?

– À Bobigny… Chez une fille qui bosse avec moi…

– Ç a te fait pas peur de commencer à neuf heures demain matin?

– Non.

– Je te pré viens, y aura qu'une petite pause… Une heure maxi… Y a pas de service à midi mais on fera plus de soixante couverts le soir. Menu dé gustation pour tout le monde… Ç a va ê tre quelque chose… Deux cent vingt euros par tê te de pipe, je crois… J'essaierai de te libé rer le plus tô t possible, mais à mon avis, t'es là jusqu'à huit heures du soir au moins…

– Et toi?

– Pff… Moi, je pré fè re mê me pas y penser… Les ré veillons, c'est toujours galè re… Mais bon, c'est bien payé … D'ailleurs, pour toi aussi, je demanderai un bon ticket…

– Oh, c'est pas le problè me…

– Si, si, c'est le problè me. Tu verras demain soir…

. 18

– Faut y aller, là … On boira un café là -bas.

– Mais je flotte complè tement dans ce pantalon!

– C'est pas grave.

Ils traversè rent le Champ-de-Mars au pas de course.

Camille fut surprise par l'agitation et la concentration qui ré gnaient dé jà dans la cuisine.

Il faisait si chaud tout à coup…

– Voilà, chef. Un petit commis tout frais…

L'autre grommela et les chassa d'un revers de la main. Franck la pré senta à un grand type encore mal ré veillé:

– Alors, lui, c'est Sé bastien. C'est le garde-manger. C'est aussi ton chef de partie aujourd'hui et ton big boss, OK?

– Enchanté e.

– Mmmm…

– Mais c'est pas à lui que t'auras affaire, c'est à son commis…

S'adressant au garç on:

– Il s'appelle comment dé jà?

– Marc.

– Il est là?

– Dans les chambres froides…

– Bon, je te la confie…

– Qu'est-ce qu'elle sait faire?

– Rien. Mais, tu verras, elle le fait bien.

Et il partit se changer aux vestiaires.

– Il t'a montré pour les châ taignes?

– Oui.

– Ben, les v'ià, ajouta-t-il en lui indiquant un tas é norme.

– Je peux m'asseoir?

– Non.

– Pourquoi?

– On pose pas de questions dans une cuisine, on dit «oui, monsieur» ou «oui, chef».

– Oui, chef.

Oui gros con. Mais pourquoi elle avait accepté ce boulot? Elle irait beaucoup plus vite, si elle é tait assise…

Heureusement, une cafetiè re tournait dé jà. Elle posa son gobelet sur une é tagè re et se mit au travail.

Un quart d'heure plus tard - elle avait dé jà mal aux mains - on s'adressa à elle:

– Ç a va?

Elle leva la tê te et resta interdite.

Elle ne le reconnut pas. Pantalon nickel, veste impeccablement repassé e avec sa double rangé e de boutons ronds et son nom brodé en lettres bleues, petit foulard en pointe, tablier et torchon immaculé s, toque bien vissé e sur la tê te. Elle qui ne l'avait jamais vu habillé autrement qu'en traî ne-savates, elle le trouva trè s beau.



  

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