Хелпикс

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PREMIÈRE PARTIE 7 страница



– Oui.

– Elle a de la famille à Paris?

– Je ne sais pas. Et sa fiè vre?

– Une bonne grippe. Il n'y a rien à faire… Attendre que ç a passe… Veillez à ce qu'elle ne se couvre pas trop, é vitez les courants d'air et obligez-la à garder le lit pendant quelques jours…

– Bon…

– C'est vous qui avez l'air pré occupé maintenant! Soit, j'ai noirci le tableau, mais… pas tant que ç a en ré alité … Vous allez ê tre vigilant n'est-ce pas?

– Oui.

– Dites-moi, c'est chez vous ici?

– Euh, oui…

– Il y a combien de mè tres carré s en tout?

– Un peu plus de trois cents…

– Eh bien! siffla-t-il, je vais peut-ê tre vous sembler indiscret, mais vous faites quoi dans la vie, vous?

– Arche de Noé.

– Pardon?

– Non, rien. Je vous dois combien?


– Camille, vous dormez?

– Non.

– Regardez, j'ai une surprise pour vous…

Il ouvrit la porte et poussa devant lui sa cheminé e synthé tique.

– J'ai pensé que cela vous ferait plaisir…

– Oh… C'est gentil, mais je ne vais pas rester là, vous savez… Je vais remonter demain…

– Non.

– Quoi non?

– Vous remonterez avec le baromè tre, en attendant vous restez ici pour vous reposer, c'est le docteur qui l'a dit. Et il vous a arrê té e dix jours…

– Tant que ç a?

– Eh oui…

– Il faut que je l'envoie…

– Pardon?

– L'arrê t de travail…

– Je vais vous chercher une enveloppe.

– Non, mais… Je ne veux pas rester si longtemps, je… Je ne veux pas.

– Vous pré fé rez aller à l'hô pital?

– Ne plaisantez pas avec ç a…

– Je ne plaisante pas, Camille.

Elle se mit à pleurer.

– Vous les empê cherez, hein?

– Vous vous rappelez de la Guerre de Vendé e?

– Euh… Pas plus que ç a, non…

– Je vous prê terai des livres… En attendant souvenez-vous que vous ê tes chez les Marquet de la Durbelliè re et que l'on ne craint pas les Bleus par ici!

– Les Bleus?

– La Ré publique. Ils veulent vous mettre dans un hô pital public, pas vrai?

– Sû rement…

– Alors vous n'avez rien à craindre. Je jetterai de l'huile bouillante sur les brancardiers depuis le haut de la cage d'escalier!

– Vous ê tes complè tement brindezingue…

– On l'est tous un peu, non? Pourquoi vous vous ê tes rasé la tê te, vous?

– Parce que je n'avais plus le courage de me laver les cheveux sur le palier…

– Vous vous souvenez de ce que je vous avais dit à propos de Diane de Poitiers?

– Oui.

– Eh bien, je viens de retrouver quelque chose dans ma bibliothè que, attendez…

Il revint avec un livre de poche dé fraî chi, s'assit au bord du lit et se racla la gorge:

– Toute la Cour - sauf Madame d'É tampes, bien entendu (je vous dirai pourquoi tout à l'heure) - é tait d'accord pour la trouver adorablement belle. On copiait sa dé marche, ses gestes, ses coiffures. Elle servit, d'ailleurs, à é tablir les canons de la beauté, dont toutes les femmes, pendant cent ans, cherchè rent furieusement à se rapprocher:

Trois choses blanches: la peau, les dents, les mains.

Trois noires: les yeux, les sourcils, les paupiè res.

Trois rouges: les lè vres, les joues, les ongles.

Trois longues: le corps, les cheveux, les mains.

Trois courtes: les dents, les oreilles, les pieds.

Trois é troites: la bouche, la taille, l'entré e du pied.

Trois grosses: les bras, les cuisses, le gros de la jambe.

Trois petites: le té tin, le nez, la tê te.

C'est joliment dit, n'est-ce pas?

– Et vous trouvez que je lui ressemble?

– Oui, enfin sur certains critè res… Il é tait rouge comme une tomate.

– Pa… pas tous bien sû r, mais vou… vous voyez, c'est une question d'allure, de gra… grâ ce, de… de…

– C'est vous qui m'avez dé shabillé e?

Ses lunettes é taient tombé es sur ses genoux et il se mit à bé … bé gayer comme jamais.

– Je… je… Oui enfin, je… je… Trè s cha… chastement, je le vous pra… promets, je vous ai da… d'abord bor… bordé e, je…

Elle lui tendit ses binocles.

– Hé, ne vous mettez pas dans des é tats pareils! Je voulais juste savoir, c'est tout… Euh… Il é tait là, l'autre?

– Qu… qui ç a?

– Le cuisinier…

– Non. Bien sû r que non, voyons…

– J'aime mieux ç a… Oooh… J'ai si mal au crâ ne…

– Je vais descendre à la pharmacie… Vous avez besoin de quelque chose d'autre?

– Non. Merci.

– Trè s bien. Ah, oui, il faut que je vous dise… Nous n'avons pas le té lé phone ici… Mais si vous voulez pré venir quelqu'un, Franck a un portable dans sa chambre et…

– Ç a va, merci. Moi aussi j'ai un portable… Il faudra juste que je ré cupè re mon chargeur là -haut…

– J'irai si vous voulez…

– Non, non, ç a peut attendre…

– Soit.

– Philibert?

– Oui?

– Merci.

– Allons…

Il se tenait debout devant elle avec son pantalon trop court, sa veste trop cintré e et ses bras trop longs.

– C'est la premiè re fois depuis trè s longtemps qu'on s'occupe de moi comme ç a…

– Allons…

– Si, c'est vrai… Je veux dire… sans rien attendre en retour… Parce que vous… Vous n'attendez rien, n'est-ce pas?

Il é tait outré:

– Non, mais qu'a… qu'allez-vous i… imaginer?

Elle avait dé jà refermé les yeux.

– Je n'imagine rien, je vous le dis: je n'ai rien à donner.

 

Elle ne savait plus quel jour on é tait. Samedi? Dimanche? Elle n'avait pas dormi comme ç a depuis des anné es.

Philibert venait de passer pour lui proposer un bol de soupe.

– Je vais me lever. Je vais venir ré installer dans la cuisine avec vous…

– Vous ê tes sû re?

– Mais oui! Je ne suis pas en sucre tout de mê me!

– D'accord, mais ne venez pas dans la cuisine, il y fait trop froid. Attendez-moi dans le petit salon bleu…

– Pardon?

– Ah, oui, c'est vrai… Suis-je bê te! Il n'est plus vraiment bleu aujourd'hui puisqu'il est vide… La piè ce qui donne sur l'entré e, vous voyez?

– Là où il y a un canapé?

– Oh, un canapé, c'est beaucoup dire… C'est Franck qui l'a trouvé sur le trottoir un soir et qui l'a remonté avec l'un de ses amis… Il est trè s laid mais bien commode, je l'avoue…

– Dites-moi, Philibert, qu'est-ce que c'est exactement cet endroit? On est chez qui, là? Et pourquoi vous vivez comme dans un squat?

– Pardon?

– Comme si vous campiez?

– Oh, c'est une sordide histoire d'hé ritage hé las… Comme on en trouve partout… Mê me dans les meilleures familles, vous savez…

Il semblait sincè rement contrarié.

– Nous sommes ici chez ma grand-mè re maternelle qui est morte l'anné e passé e et en attendant que la succession soit ré glé e, mon pè re m'a demandé de venir ré installer ici, pour é viter les… Comment vous disiez dé jà?

– Les squatters?

– Voilà, les squatters! Mais pas ces garç ons drogué s avec des é pingles à nourrice dans le nez, non, des gens bien mieux habillé s et beaucoup moins é lé gants: nos cousins germains…

– Vos cousins ont des vues sur cet endroit?

– Je crois qu'ils ont mê me dé jà dé pensé l'argent qu'ils pensaient en tirer les pauvres! Un conseil de famille s'est donc ré uni chez le notaire à l'issue duquel on m'a dé signé comme portier, gardien et veilleur de nuit. Bien sû r, il y a eu quelques manœ uvres d'intimidation au dé but… D'ailleurs beaucoup de meubles se sont volatilisé s comme vous avez pu le constater et j'ai souvent ouvert la porte aux huissiers, mais tout semble ê tre rentré dans l'ordre à pré sent… Maintenant, c'est au notaire et aux avocats de ré gler cette accablante affaire…

– Vous ê tes là pour combien de temps?

– Je ne sais pas.

– Et vos parents acceptent que vous hé bergiez des inconnus comme le cuisinier ou moi?

– Pour vous, ils n'auront pas besoin de le savoir, j'imagine… Quant à Franck, ils é taient plutô t soulagé s… Ils savent combien je suis empoté … Mais, bon, ils sont loin d'imaginer à quoi il ressemble et… Heureusement! Ils croient que je l'ai rencontré par l'intermé diaire de la paroisse!

Il riait.

– Vous leur avez menti?

– Disons que j'ai é té pour le moins… é vasif…

Elle avait tant fondu qu'elle pouvait rentrer le bas de sa chemise dans son jean sans ê tre obligé e de le dé boutonner.

Elle avait l'air d'un fantô me. Elle se fit une grimace dans le grand miroir de sa chambre pour se prouver le contraire, noua son foulard en soie autour de son cou, passa sa veste et s'aventura dans cet incroyable dé dale haussmannien.

Elle finit par retrouver l'affreux canapé dé foncé et fit le tour de la piè ce pour apercevoir les arbres couverts de givre sur le Champ-de-Mars.

Alors qu'elle se retournait, tranquillement, l'esprit encore embrumé et les mains dans les poches, elle sursauta et ne put' s'empê cher de pousser un petit cri idiot.

Un grand type, tout de cuir noir vê tu, botté et casqué se tenait juste derriè re elle.

– Euh, bonjour… finit-elle par articuler. L'autre ne ré pondit rien et tourna les talons.

Il avait enlevé son casque dans le couloir et entra dans la cuisine en se frottant les cheveux:

– Hé Philou, dis voir, c'est quoi la tantouse dans le salon, là? C'est un de tes copains scout ou quoi?

– Pardon?

– Le pé dé qu'est derriè re mon canapé …

Philibert, qui é tait dé jà passablement é nervé par l'ampleur de son dé sastre culinaire, perdit un peu de son aristocratique nonchalance:

– Le pé dé, comme tu dis, s'appelle Camille, recti-fia-t-il d'une voix blanche, c'est mon amie et je te prie de te comporter en gentleman car j'ai l'intention de l'hé berger ici quelque temps…

– Oh, ç a va… T'é nerve pas comme ç a… C'est une fille tu dis? On parle bien du mê me lascar? Le petit maigrichon sans cheveux?

– C'est une jeune fille en effet…

– T'es sû r?

Philibert ferma les yeux.

– C'est lui, ta copine? Enfin c'est elle? Dis donc, tu lui pré pares quoi, là? Des doubitchous confits?

– C'est une soupe, figure-toi…

– Ç a? Une soupe?

– Parfaitement. Une soupe poireaux pommes de terre de chez Liebig…

– C'est de la merde. En plus tu l'as laissé e brû ler, ç a va ê tre dé gueulasse… T'as rajouté quoi là -dedans? ajouta-t-il horrifié, en soulevant le couvercle.

– Euh… de la Vache Qui Rit et des morceaux de pain de mie…

– Pourquoi t'as fait ç a? s'inquié ta-t-il.

– C'est le mé decin… Il m'a demandé de la retaper…

– Eh ben, si elle se retape avec ce truc-là, chapeau! À mon avis, tu vas plutô t la faire caner, oui…

Sur ce, il attrapa une biè re dans le Frigidaire et alla s'enfermer dans sa chambre.

Quand Philibert rejoignit sa proté gé e, elle é tait encore un peu dé contenancé e:

– C'est lui?

– Oui, murmura-t-il en posant son grand plateau sur un carton.

– Il n'enlè ve jamais son casque?

– Si, mais quand il rentre le lundi soir, il est toujours exé crable… En gé né ral, j'é vite de le croiser ce jour-là …

– C'est parce qu'il a trop de travail?

– Non justement, il ne travaille pas le lundi… Je ne sais pas ce qu'il fait… Il part assez tô t le matin et revient toujours dans une humeur de dogue… Problè mes familiaux, je crois… Tenez, servez-vous pendant que c'est chaud…

– Euh… Qu'est-ce que c'est?

– Une soupe.

– Ah? fit Camille en essayant de touiller l'é trange brouet.

– Une soupe à ma faç on… Une espè ce de bortsch si vous pré fé rez…

– Aaah… Parfait… ré pé ta-t-elle en riant.

Cette fois encore, c'é tait nerveux.


DEUXIÈ ME PARTIE


1


– T'as deux minutes, là? Faut qu'on se parle…

Philibert prenait toujours du chocolat au petit dé jeuner et son plaisir, c'é tait d'é teindre le gaz juste avant que le lait dé borde. Plus qu'un rite ou une manie, c'é tait sa petite victoire quotidienne. Son exploit, son invisible triomphe. Le lait retombait et la journé e pouvait commencer: il maî trisait la situation.

Mais ce matin-là, dé concerté, agressé mê me, par le ton de son colocataire, il tourna le mauvais brû leur. Le lait se carapata et une odeur dé plaisante envahit soudain la piè ce.

– Pardon?

– Je dis: il faut qu'on se parle.

– Parlons, ré pondit calmement Philibert en mettant sa casserole à tremper, je t'é coute…

– Elle est là pour combien de temps?

– Plaî t-il?

– Oh, ne fais pas ton malin, hein? Ta souris? Elle est là pour combien de temps?

– Aussi longtemps qu'elle le souhaitera…

– T'en pinces pour elle, c'est ç a?

– Non.

– Menteur. Je le vois bien ton petit manè ge… Tes belles maniè res, tes airs de châ telain et tout ç a…

– Tu es jaloux?

– Putain, non! Manquerait plus que ç a! Moi, jaloux d'un tas d'os? Hé, y a pas marqué L'abbé Pierre, là! fit-il en dé signant son front.

– Pas jaloux de moi, jaloux d'elle. Peut-ê tre que tu te sens un peu à l'é troit ici et que tu n'as pas envie de pousser ton verre à dents de quelques centimè tres sur la droite?

– Alors, là, tout de suite… Les grandes phrases… À chaque fois que t'ouvres le bec, c'est comme si tes mots devaient rester é crits quelque part tellement qu'y sonnent bien…

– …

– Attends, je le sais que t'es chez toi, je le sais bien, va… C'est pas ç a le problè me. T'invites qui tu veux, t'hé berges qui tu veux, tu fais mê me les restos du cœ ur si ç a te chante, mais merde, je sais pas moi… On faisait une bonne petite é quipe tous les deux, non?

– Tu trouves?

– Ouais je trouve. D'accord j'ai mon caractè re et toi t'as toutes tes obsessions dé biles, tes trucs là, tes toc, mais dans l'ensemble, ç a roulait bien jusqu'à aujourd'hui…

– Et pourquoi les choses changeraient-elles?

– Pfff… On voit bien que tu connais pas les nanas, toi… Attention, je dis pas ç a pour te blesser, hein? Mais c'est vrai, quoi… Tu mets une fille quelque part et tout de suite c'est le bordel, vieux… Tout se complique, tout devient chiant et mê me les meilleurs potes finissent par se faire la gueule, tu sais… Pourquoi tu ricanes, là?

– Parce que tu t'exprimes comme… Comme un cow-boy… Je ne savais pas que j'é tais ton… ton pote.

– OK, je laisse tomber. Je pense juste que t'aurais pu m'en parler avant, c'est tout.

– J'allais t'en parler.

– Quand?

– Là, maintenant, au-dessus de mon bol, si tu m'avais laissé le temps de me le pré parer…

– Je m'excuse… Enfin non, merde, je peux pas m'excuser tout seul, c'est ç a?

– Tout à fait.

– Tu pars bosser, là?

– Oui.

– Moi aussi. Allez viens. Je te paye un chocolat en bas…

Alors qu'ils é taient dé jà dans la cour, Franck sortit sa derniè re cartouche:

– En plus, on sait mê me pas qui c'est… On sait mê me pas d'où elle sort, cette fille-là …

– Je vais te montrer d'où elle sort… Suis-moi.

– Ttt… Compte pas sur moi pour me taper les sept é tages à pied…

– Si. Je compte sur toi justement. Suis-moi. Depuis qu'ils se connaissaient, c'é tait la premiè re fois que Philibert lui demandait quelque chose. Il maugré a tant qu'il put et le suivit dans l'escalier de service.

– Putain, mais qu'est-ce qu'y caille là -dedans!

– Ce n'est rien… Attends d'ê tre sous les toits…

Philibert dé fit le cadenas et poussa la porte. Franck resta silencieux quelques secondes.

– C'est là qu'elle crè che?

– Oui.

– T'en es sû r?

– Viens, je vais te montrer autre chose…

Il le mena au fond du couloir, donna un coup de pied dans une autre porte dé glingué e et ajouta:

– Sa salle de bains… En bas, les W-C et au-dessus, la douche… Avoue que c'est ingé nieux…

Ils descendirent les escaliers en silence.

Franck ne recouvra la parole qu'aprè s son troisiè me café:

– Bon, juste une chose alors… Tu lui expliqueras bien pour moi, comment c'est important que je dorme l'aprè s-midi et tout ç a…

– Oui, je lui dirai. On lui dira tous les deux. Mais à mon avis, cela ne devrait pas poser de problè me parce qu'elle dormira aussi…

– Pourquoi?

– Elle travaille la nuit.

– Qu'est-ce qu'elle fait?

– Des mé nages.

– Pardon?

– Elle est femme de mé nage…

– T'es sû r?

– Pourquoi me mentirait-elle?

– J'sais pas, moi… Ç a se trouve, elle est call-girl…

– Elle aurait plus de… De rondeurs, non?

– Ouais, t'as raison… Hé, t'es pas con, toi! ajouta-t-il en lui donnant une grande claque dans le dos.

– A… attention, tu… tu m'as fait lâ cher mon croissant, i… idiot… Regarde, on dirait une vieille mé … mé duse maintenant…

Franck s'en fichait, il lisait les titres du Parisien posé sur le comptoir.

Ils s'é brouè rent ensemble.

– Dis-moi?

– Quoi?

– Elle a pas de famille, cette nana?

– Tu vois, ç a, ré pondit Philibert en nouant son é charpe, c'est une question que je me suis toujours refusé à te poser…

L'autre leva les yeux pour lui sourire.

En arrivant devant ses fourneaux, il demanda à son commis de lui mettre du bouillon de cô té.

– Hé?

– Quoi?

– Du bon, hein?


Camille avait dé cidé de ne plus prendre le demi-comprimé de Lexpmil que le mé decin lui avait prescrit chaque soir. D'une part, elle ne supportait plus cette espè ce d'é tat semi-comateux dans lequel elle vasouillait, d'autre part, elle ne voulait pas prendre le risque de la moindre accoutumance. Pendant toute son enfance, elle avait vu sa mè re hysté rique à l'idé e de dormir sans ses cachets et ces crises l'avaient durablement traumatisé e.

Elle venait de sortir d'une é niè me sieste, n'avait pas la moindre idé e de l'heure qu'il é tait mais dé cida de se lever, de se secouer, de s'habiller enfin pour monter chez elle et voir si elle é tait prê te à reprendre le cours de sa petite vie dans l'é tat où elle l'avait laissé e en partant.

En traversant la cuisine pour rejoindre l'escalier des bonnes, elle vit un mot glissé sous une bouteille remplie d'un liquide jaunâ tre.

A ré chauffé dans une casserole, surtout ne le faites pas bouillir. Ajouté les pâ tes quand ç a fré mi et laissé cuire 4 minutes en remuant doucement.

Ce n'é tait pas l'é criture de Philibert…

Son cadenas avait é té arraché et le peu qu'elle possé dait sur cette terre, ses derniè res attaches, son minuscule royaume, tout avait é té dé vasté.

D'instinct elle se pré cipita vers la petite valise rouge é ventré e sur le sol. Non, c'é tait bon, ils n'avaient rien pris et ses cartons à dessin é taient toujours là …

La bouche tordue et le cœ ur au bord des lè vres, elle entreprit de remettre un peu d'ordre pour voir ce qu'il manquait.

Il ne lui manquait rien et pour cause, elle ne possé dait rien. Si, un radio-ré veil… Voilà … Tout ce carnage pour une bricole qu'elle avait dû acheter cinquante balles chez un Chinois…

Elle ré cupé ra ses vê tements, les entassa dans un carton, se baissa pour attraper sa valise et partit sans se retourner. Elle attendit d'ê tre dans les escaliers pour lâ cher un peu de lest.

Arrivé e devant la porte de l'office, elle se moucha, posa tout son barda sur le palier et s'assit sur une marche pour se rouler une cigarette. La premiè re depuis bien longtemps… La minuterie s'é tait é teinte, mais ce n'é tait pas grave, au contraire.

Au contraire, murmurait-elle, au contraire…

Elle songeait à cette thé orie fumeuse qui pré tendait que tant qu'on é tait en train de couler, on ne pouvait rien tenter et qu'il fallait attendre de toucher le fond pour donner ce petit coup de talon salutaire qui, seul, permettait de remonter à la surface…

Bon.

Ç a y é tait, là, non?

Elle jeta un coup d'œ il à son carton, passa sa main sur son visage anguleux et s'é carta pour laisser passer une affreuse bestiole qui courait entre deux fissures.

Euh… Rassurez-moi… Ç a y é tait, là?

Quand elle entra dans la cuisine, c'est lui qui sursauta:

– Ah! Vous ê tes là? Je croyais que vous dormiez…

– Bonjour.

– Lestafier Franck.

– Camille.

– Vous… vous avez vu mon mot?

– Oui, mais je…

– Vous ê tes en train de dé mé nager vos affaires? Vous avez besoin d'un coup de main?

– Non, je… Je n'ai plus que ç a à vrai dire… On m'a cambriolé e.

– Ben merde.

– Oui, comme vous dites… Je ne vois pas d'autres mots, là … Bon, je vais aller me recoucher, là, parce que j'ai la tê te qui tourne et…

– Le consommé, vous voulez que je vous le pré pare?

– Pardon?

– Le consommé?

– Consommer quoi?

– Ben le bouillon! s'é nerva-t-il.

– Oh pardon… Non. Merci. Je vais d'abord dormir un peu…

– Hé! lui cria-t-il alors qu'elle é tait dé jà dans le couloir, si vous avez la tê te qui tourne, c'est parce que vous mangez pas assez justement!

Elle soupira. Diplomatie, diplomatie… Vu comme il avait l'air fin, ce mec-là, il valait mieux ne pas rater la premiè re scè ne. Elle revint donc dans la cuisine et s'assit au bout de la table.

– Vous avez raison.

Il marmonna dans sa barbe. Faudrait savoir… Bien sû r qu'il avait raison… Et merde… Il allait ê tre à la bourre maintenant…

Il lui tourna le dos pour s'activer.

Il versa le contenu de la casserole dans une assiette creuse et sortit du ré frigé rateur un morceau de Sopalin qu'il ouvrit dé licatement. C'é tait un truc vert qu'il cisela au-dessus du potage fumant.

– Qu'est-ce que c'est?

– De la coriandre.

– Et ces petites nouilles, vous appelez ç a comment?

– Des perles du Japon.

– Oh, c'est vrai? C'est joli comme nom…

Il attrapa son blouson et claqua la porte d'entré e en secouant la tê te: Oh, c'est vrai? C'est joli comme nom… Trop conne, la fille.


3

 

Camille soupira et attrapa machinalement l'assiette en songeant à son voleur. Qui avait fait le coup? Le fantô me du couloir? Un visiteur é garé? É tait-il passé par les toits? Reviendrait-il? Devait-elle en parler à Pierre?

L'odeur, le fumet plutô t, de ce bouillon, l'empê cha de gamberger plus longtemps. Mmm, c'é tait merveilleux et elle eut presque envie de mettre sa serviette sur sa tê te pour s'en faire une inhalation. Mais qu'est-ce qu'il y avait là -dedans? La couleur é tait particuliè re. Chaude, grasse, mordoré e comme du jaune de cadmium… Avec les perles translucides et les pointes é meraude de l'herbe ciselé e, c'é tait un vrai bonheur à regarder… Elle resta ainsi plusieurs secondes, dé fé rente et la cuillè re en suspens, puis but une premiè re gorgé e tout doucement parce que c'é tait trè s chaud.

L'enfance en moins, elle se trouva dans le mê me é tat que Marcel Proust: «attentive à ce qui se passait d'extraordinaire en elle» et termina son assiette religieusement, en fermant les yeux entre chaque cuilleré e.

Peut-ê tre é tait-ce simplement parce qu'elle mourait de faim sans le savoir, ou peut-ê tre é tait-ce parce qu'elle se forç ait à ingurgiter les soupes en carton de Philibert depuis trois jours en grimaç ant, ou peut-ê tre encore é tait-ce parce qu'elle avait moins fumé mais en tout cas, une chose é tait sû re: jamais de sa vie, elle n'avait pris autant de plaisir à manger seule. Elle se releva pour aller voir s'il restait un fond dans la casserole. Non hé las… Elle porta son assiette à sa bouche pour ne pas en perdre une goutte, fit claquer sa langue, lava son couvert et attrapa le paquet de pâ tes entamé. Elle é crivit «Top! » en alignant quelques perles sur le mot de Franck et se remit au lit en passant sa main sur son ventre bien tendu.

Merci petit Jé sus.


4

 

La fin de sa convalescence passa trop vite. Elle ne voyait jamais Franck, mais savait quand il é tait là: portes claqué es, chaî ne hi-fi, té lé vision, conversations animé es au té lé phone, rires gras et jurons secs, rien de tout cela n'é tait naturel, elle le sentait. Il s'agitait et laissait sa vie ré sonner aux quatre coins de l'appartement comme un chien qui pisserait un peu partout pour marquer son territoire. Certaines fois, elle avait trè s envie de remonter chez elle pour retrouver son indé pendance et ne plus rien devoir à personne. D'autres fois, non. D'autres fois, elle frissonnait à la seule idé e de se coucher de nouveau sur le sol et de monter ses sept é tages en se cramponnant à la rampe pour ne pas tomber.

C'é tait compliqué.

Elle ne savait plus où é tait sa place et puis elle aimait bien Philibert aussi… Pourquoi devrait-elle toujours se fustiger et battre sa coulpe en serrant les dents? Pour son indé pendance? Tu parles d'une conquê te… Elle n'avait eu que ce mot-là à la bouche pendant des anné es, et puis quoi finalement? Pour en arriver où? Dans ce gourbi à passer des aprè s-midi à fumer cigarette sur cigarette en ressassant son sort? C'é tait pathé tique. Elle é tait pathé tique. Elle allait avoir vingt-sept ans et n'avait rien engrangé de bon jusqu'à pré sent. Ni amis, ni souvenirs, ni aucune raison de s'accorder la moindre bienveillance. Qu'est-ce qui s'é tait passé? Pourquoi elle n'é tait jamais parvenue à refermer ses mains et à garder deux ou trois choses un peu pré cieuses entre ses paumes? Pourquoi?

Elle é tait songeuse. Elle é tait reposé e. Et quand ce grand ouistiti venait lui faire la lecture, quand il refermait doucement la porte en levant les yeux au ciel parce que l'autre larron é coutait sa musique «de Zoulou», elle lui souriait et s'é chappait un moment de l'œ il du cyclone…

Elle s'é tait remise à dessiner.

Comme ç a.

Pour rien. Pour elle. Pour le plaisir.



  

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