Хелпикс

Главная

Контакты

Случайная статья





PREMIÈRE PARTIE 6 страница



Il n'avait qu'un jour de libre par semaine, il n'allait quand mê me pas le passer dans une maison de vieux à Pé taouchnoque, à regarder sa grand-mè re chialer!

L'autre s'é tait dé jà installé dans son fauteuil avec ses parchemins et tout son bordel d'é cussons.

– Philibert…

– Pardon?

– É coute… euh… Je m'excuse pour tout à l'heure, je… J'ai des galè res en ce moment, et je suis à cran, tu vois… En plus j'suis crevé …

– C'est sans importance…

– Si, c'est important.

– Ce qui est important, vois-tu, c'est de dire «excuse-moi» et pas «je m'excuse». Tu ne peux pas t'excuser tout seul, linguistiquement ce n'est pas correct…

Franck le dé visagea un moment avant de secouer la tê te:

– T'es vraiment un drô le de zigue, toi…

Avant de passer la porte, il ajouta:

– Hé, tu regarderas dans le frigo, je t'ai ramené un truc. Je ne sais plus ce que c'est… Du canard, je crois…

Philibert remercia un courant d'air. Notre charretier é tait dé jà dans l'entré e en train de pester parce qu'il ne retrouvait pas ses clefs.

Il assura son service sans prononcer la moindre parole, ne broncha pas quand le chef vint lui prendre la casserole des mains pour faire son inté ressant, serra les dents quand on lui renvoya un magret pas assez cuit et frotta sa plaque de chauffe pour la nettoyer comme s'il avait voulu ré cupé rer des copeaux de fonte.

La cuisine se vida et il attendit dans un coin que son pote Kermadec ait fini de trier ses nappes et de compter ses serviettes. Quand ce dernier l'avisa, assis dans un coin en train de feuilleter Moto Journal, il l'interrogea du menton:

– Qu'est-ce qui veut, le cuistot?

Lestafier renversa sa tê te en arriè re et mit son pouce devant sa bouche.

– J'arrive. Encore trois bricoles et je suis à toi…

Ils avaient l'intention de faire la tourné e des bars, mais Franck é tait dé jà ivre mort en sortant du second.

Il retomba dans un trou cette nuit-là, mais pas celui de son enfance. Un autre.


– Bon, ben, c'é tait pour m'excuser quoi… Enfin, pour vous les demander…

– Me demander quoi, mon gars?

– Ben des excuses…

– Je t'ai dé jà pardonné, va… Tu ne les pensais pas tes paroles, je le sais bien, mais y faut que tu fasses attention quand mê me… Tu sais, faut en prendre soin des gens qui sont corrects avec toi… Tu le verras en vieillissant que tu n'en croiseras pas tant que ç a…

– Vous savez, j'ai ré flé chi à ce que vous m'avez dit hier et mê me si ç a m'arrache la bouche de vous le dire, je sais bien que c'est vous qui avez raison…

– Bien sû r que j'ai raison… Je les connais bien les vieux, j'en vois toute la journé e par ici…

– Alors euh…

– Quoi?

– Le problè me, c'est que j'ai pas le temps de m'en occuper, je veux dire de trouver une place et tout ç a…

– Tu veux que je m'en charge?

– Je peux vous payer vos heures, vous savez…

– Ne recommence pas avec tes grossiè reté s, petit bezot, je veux bien t'aider, mais c'est toi qui dois lui annoncer. C'est à toi de lui expliquer la situation…

– Vous viendrez avec moi?

– Je veux bien, si ç a t'arrange, mais tu sais, moi, elle sait parfaitement ce que j'en pense… Depuis le temps que je lui monte le bourrichon…

– Il faut lui trouver quelque chose de classe, hein? Avec une belle chambre et un grand parc surtout…

– C'est trè s cher, ç a, tu sais…

– Cher comment?

– Plus d'un million par mois…

– Euh… Attendez, Yvonne, vous parlez en quoi, là? C'est les euros maintenant…

– Oh, les euros… Moi, je te parle comme j'ai l'habitude de parler et pour une bonne maison, il faut compter plus d'un million ancien par mois…

– Franck?

– C'est… C'est ce que je gagne…

– Tu dois aller à la CAF pour demander une allocation logement, voir ce que repré sente la retraite de ton grand-pè re, et puis monter un dossier APA auprè s du Conseil gé né ral…

– C'est quoi l'apa?

– C'est une aide pour les personnes dé pendantes ou handicapé es.

– Mais… Elle est pas vraiment handicapé e, si?

– Non, mais il faudra qu'elle joue le jeu quand ils lui enverront un expert. Faudra pas qu'elle ait l'air trop vaillante, sinon vous toucherez pas grand-chose…

– Oh, putain, quel bordel… Pardon.

– Je me bouche les oreilles.

– J'aurai jamais le temps de remplir tous ces papiers… Vous voulez bien dé broussailler un peu le terrain pour moi?

– Ne t'inquiè te pas, je vais lancer le sujet au Club vendredi prochain, et je suis sû re de faire un tabac!

– Je vous remercie, madame Carminot…

– Penses-tu… C'est bien le moins, va…

– Bon, ben, je vais aller bosser, moi…

– Y paraî t que tu cuisines comme un chef maintenant?

– Qui c'est qui vous a dit ç a?

– Madame Mandel…

– Ah…

– Oh, là là, si tu savais… Elle en parle encore! Tu leur avais fait un liè vre à la royale, ce soir-là …

– Je me rappelle plus.

– Elle, elle s'en souvient, tu peux me croire! Dis-moi, Franck?

– Oui?

– Je sais bien que ce ne sont pas mes affaires, mais… Ta mè re?

– Ma mè re, quoi?

– Je ne sais pas, mais je me disais qu'il faudrait peut-ê tre la contacter, elle aussi… Elle pourrait peut-ê tre t'aider à payer…

– Là, c'est vous qui ê tes grossiè re Yvonne, c'est pas faute de l'avoir connue, pourtant…

– Tu sais, les gens changent quelquefois…

– Pas elle.

– Non. Pas elle… Bon, j'y vais, je suis à la bourre…

– Au revoir, mon petit.

– Euh?

– Oui?

– Essayez de trouver un peu moins cher quand mê me…

– Je vais voir, je te dirai…

– Merci.

Il faisait si froid ce jour-là que Franck fut content de retrouver la chaleur de la cuisine et son poste de galé rien. Le chef é tait de bonne humeur. On avait encore refusé du monde et il venait d'apprendre qu'il aurait une bonne critique dans un magazine de bourges.

– Avec ce temps, mes enfants, on va en dé poter du foie gras et des grands crus ce soir! Ah, c'est fini les salades, les chiffonnades et toutes ces conneries! C'est bien fini! Je veux du beau, je veux du bon et je veux que les clients ressortent d'ici avec dix degré s de plus! Allez! Mettez-moi le feu, mes petits gars!


Camille eut du mal à descendre les escaliers. Elle é tait percluse de courbatures et souffrait d'une migraine é pouvantable. Comme si quelqu'un lui avait enfoncé un couteau dans l'œ il droit et s'amusait à tourner dé licatement la lame au moindre de ses mouvements. Arrivé e dans le hall, elle se tint au mur pour retrouver l'é quilibre. Elle grelottait, elle é touffait. Elle songea un moment à retourner se coucher mais l'idé e de remonter ses sept é tages lui parut moins surmontable encore que celle d'aller travailler. Au moins, dans le mé tro, elle pourrait s'asseoir…

Au moment où elle franchissait le porche, elle buta contre un ours. C'é tait son voisin vê tu d'une longue pelisse.

– Oh pardon monsieur, s'excusa-t-il, je… Il leva les yeux.

– Camille, c'est vous?

N'ayant pas le courage d'assurer la moindre causette, elle fila sous son bras.

– Camille! Camille!

Elle piqua du nez dans son é charpe et accé lé ra le pas. Cet effort l'obligea bientô t à s'appuyer sur un horodateur pour ne pas tomber.

– Camille, ç a va? Mon Dieu, mais… Qu'avez-vous fait à vos cheveux? Oh, mais quelle mine, vous avez… Quelle mine é pouvantable! Et vos cheveux? Vos si beaux cheveux…

– Je dois y aller, là, je suis dé jà en retard…

– Mais il fait un froid de gueux, mon amie! Ne marchez pas tê te nue, vous risqueriez de mourir… Tenez, prenez ma chapka au moins…

Camille fit un effort pour sourire.

– Elle appartenait à votre oncle aussi?

– Diantre, non! Plutô t à mon bisaï eul, celui qui a accompagné ce petit gé né ral dans ses campagnes de Russie…

Il lui enfonç a son chapeau jusqu'aux sourcils.

– Vous voulez dire que ce truc-là a fait Austerlitz? se forç a-t-elle à plaisanter.

– Parfaitement! La Berezina aussi, hé las… Mais vous ê tes toute pâ le… Vous ê tes sû re que vous vous sentez bien?

– Un peu fatigué e…

– Dites-moi, Camille, vous n'avez pas trop froid là -haut?

– Je ne sais pas… Bon, je… J'y vais là … Merci pour la toque.

Engourdie par la chaleur de la rame, elle s'endormit et ne se ré veilla qu'au bout de la ligne. Elle s'assit dans l'autre sens et enfonç a son bonnet d'ours sur ses yeux pour pleurer d'é puisement. Oh, ce vieux truc puait affreusement…

Quand, enfin, elle sortit à la bonne station, le froid qui la saisit fut si cinglant qu'elle dut s'asseoir sous un Abribus. Elle se coucha en travers et demanda au jeune homme qui se trouvait prè s d'elle de lui happer un taxi.

Elle remonta chez elle sur les genoux et tomba de tout son long sur son matelas. Elle n'eut pas le courage de se dé shabiller et songea, l’espace d'une seconde, à mourir sur-le-champ. Qui le saurait? Qui s'en soucierait? Qui la pleurerait? Elle grelottait de chaleur et sa sueur l'enveloppa d'un linceul glacé.


20
Philibert se releva vers deux heures du matin pour aller boire un verre d'eau. Le carrelage de la cuisine é tait gelé et le vent cognait mé chamment contre les carreaux de la fenê tre. Il fixa un moment l'avenue dé solé e en murmurant des bribes d'enfance… Voici venir l'hiver, tueur des pauvres gens… Le thermomè tre exté rieur affichait moins six et il ne pouvait s'empê cher de penser à ce petit bout de femme là -haut. Dormait-elle, elle? Et qu'avait-elle fait de sa chevelure, la malheureuse?

Il devait faire quelque chose. Il ne pouvait pas la laisser comme ç a. Oui, mais son é ducation, ses bonnes maniè res, sa discré tion enfin, l'emberlificotaient dans d'infinies palabres…

É tait-ce bien convenable de dé ranger une jeune fille en pleine nuit? Comment allait-elle le prendre? Et puis, peut-ê tre qu'elle n'é tait pas seule aprè s tout? Et si elle é tait nue? Oh, non… Il pré fé rait ne pas y songer… Et comme dans Tintin, l'ange et le dé mon se chamaillaient sur l'oreiller d'à cô té.

Enfin… Les personnages é taient un peu diffé rents…

Un ange frigorifié disait: «Voyons, mais elle meurt de froid cette petite…» et l'autre, les ailé s pincé es, lui ré torquait: «Je sais bien mon ami, mais cela ne se fait pas. Vous irez prendre de ses nouvelles demain matin. Dormez maintenant, je vous prie. »

Il assista à leur petite querelle sans y prendre part, se retourna dix fois, vingt fois, les pria de se taire et finit par leur voler leur oreiller pour ne plus les entendre.

À trois heures cinquante-quatre, il chercha ses chaussettes dans le noir.

Le rai de lumiè re qui filtrait sous sa porte lui redonna du courage.

– Mademoiselle Camille? Puis, à peine plus fort:

– Camille? Camille? C'est Philibert… Pas de ré ponse. Il essaya une derniè re fois avant de rebrousser chemin. Il é tait dé jà au bout du couloir quand il entendit un son é touffé.

– Camille, vous ê tes là? Je me faisais du souci pour vous et je… Je…

– … porte… ouverte… gé mit-elle.

La soupente é tait glacé e. Il eut du mal à entrer à cause du matelas et buta contre un tas de chiffons. Il s'agenouilla. Souleva une couverture, puis une autre, puis une couette et tomba enfin sur son visage. Elle é tait trempé e.

Il posa sa main sur son front:

– Mais vous avez une fiè vre de cheval! Vous ne pouvez pas rester comme ç a… Pas ici… Pas toute seule… Et votre cheminé e?

– … pas eu le courage de la dé placer…

– Vous permettez que je vous emmè ne avec moi?

– Où?

– Chez moi.

– Pas envie de bouger…

– Je vais vous prendre dans mes bras.

– Comme un prince charmant?

Il lui sourit:

– Allons bon, vous ê tes si fié vreuse que vous dé lirez à pré sent…

Il tira le matelas au milieu de la piè ce, lui dé fit ses grosses chaussures et la souleva aussi peu dé licatement que possible.

– Hé las, je ne suis pas aussi fort qu'un vrai prince… Euh… Vous pouvez essayer de passer vos bras autour de mon cou, s'il vous plaî t?

Elle laissa tomber sa tê te sur son é paule et il fut dé routé par l'odeur aigre qui é manait de sa nuque.

L'enlè vement fut dé sastreux. Il cognait sa belle dans les tournants et manquait de tomber à chaque marche. Heureusement, il avait pensé à prendre la clef de la porte de service et n'eut que trois é tages à descendre. Il traversa l'office, la cuisine, faillit la faire tomber dix fois dans le corridor et la dé posa enfin sur le lit de sa tante Edmé e.

– É coutez-moi, je dois vous dé couvrir un peu, j'imagine… Je… Enfin, vous… Enfin, c'est trè s embarrassant, quoi…

Elle avait fermé les yeux.

Bon.

Philibert Marquet de la Durbelliè re se trouvait là dans une situation fort critique.

Il songea aux exploits de ses ancê tres mais la Convention de 1793, la prise de Cholet, le courage de Cathelineau et la vaillance de La Rochejaquelein lui semblè rent bien peu de chose tout à coup…

L'ange courroucé é tait maintenant perché sur son é paule avec son guide de la Baronne Staffe sous le bras. Il s'en donnait à cœ ur joie: «Eh bien, mon ami, vous ê tes content de vous, n'est-ce pas? Ah! Il est bien, là, notre preux chevalier! Mes fé licitations, vraiment… Et maintenant? Qu'est-ce qu'on fait, à pré sent? » Philibert é tait totalement dé sorienté. Camille murmura:

– … soif…

Son sauveur se pré cipita dans la cuisine, mais l'autre rabat-joie l'attendait au bord de l'é vier: «Mais, oui! Mais continuez… Et le dragon alors? Vous n'y allez pas, combattre le dragon? », «Oh, toi, ta gueule! » lui ré pondit Philibert. Il n'en revenait pas et repartit au chevet de sa malade le cœ ur plus lé ger. Finalement ce n'é tait pas si compliqué. C'est Franck qui avait raison: quelquefois un bon juron valait mieux qu'un long discours. Ainsi ragaillardi, il la fit boire et prit son courage à deux mains: il la dé shabilla.

Ce ne fut pas facile car elle é tait plus couverte qu'un oignon. Il lui ô ta d'abord son manteau, puis sa veste en jean. Vint ensuite un pull, un deuxiè me, un col roulé et enfin, une espè ce de liquette à manches longues. Bon, se dit-il, je ne peux pas la lui laisser, on pourrait presque l'essorer… Bon, tant pis, je verrai son… Enfin son soutien… Horreur! Par tous les saints du ciel! Elle n'en portait pas! Vite, il rabattit le drap sur sa poitrine. Bien… Le bas maintenant… Il é tait plus à l'aise car il pouvait manœ uvrer à tâ tons en passant par-dessous la couverture. Il tira de toutes ses forces sur les jambes de son pantalon. Dieu soit loué, la petite culotte n'é tait pas venue avec…

– Camille? Vous avez le courage de prendre une douche?

Pas de ré ponse.

Il secoua la tê te de dé sapprobation, alla dans la salle de bains, remplit un broc d'eau chaude dans lequel il versa un peu d'eau de Cologne et s'arma d'un gant de toilette.

Courage, soldat!

Il dé fit le drap et la rafraî chit du bout du gant d'abord, puis plus vaillamment.

Il lui frotta la tê te, le cou, le visage, le dos, les aisselles, les seins puisqu'il le fallait, et pouvait-on appeler cela des seins, d'ailleurs? Le ventre et les jambes. Pour le reste, ma foi, elle verrait… Il essora le gant et le posa sur son front.

Il lui fallait de l'aspirine à pré sent… Il empoigna si fort le tiroir de la cuisine qu'il en renversa tout le contenu sur le sol. Fichtre. De l'aspirine, de l'aspirine…

Franck se tenait sur le pas de la porte, le bras passé sous son tee-shirt en train de se gratter le bas-ventre:

– Houâ â â, fit-il en bâ illant, qu'est-ce qui se passe ici? C'est quoi tout ce merdier?

– Je cherche de l'aspirine…

– Dans le placard…

– Merci.

– T'as mal au crâ ne?

– Non, c'est pour une amie…

– Ta copine du septiè me?

– Oui. Franck ricana:

– Attends, t'é tais avec elle, là? T'é tais là -haut?

– Oui. Pousse-toi, s'il te plaî t…

– Arrê te, j'y crois pas… Ben t'es plus puceau alors!

Ses sarcasmes le poursuivaient dans le couloir:

– Hé? Elle te fait le coup de la migraine dè s le premier soir, c'est ç a? Putain, ben t'es mal barré, mon gars…

Philibert referma la porte derriè re lui, se retourna et murmura distinctement: «Ta gueule à toi aussi…»

Il attendit que le comprimé ait rendu toutes ses bulles puis la dé rangea une derniè re fois. Il crut l'entendre chuchoter «papa…». À moins que ce ne fû t «pas… pas…» car elle n'avait probablement plus soif. Il ne savait pas.

Il remouilla le gant, tira les draps et resta là un moment.

Interdit, effrayé et fier de lui.

Oui, fier de lui.


Camille fut ré veillé e par la musique de U2. Elle crut d'abord ê tre chez les Kessler et s'assoupit de nouveau. Non, s'embrouillait-elle, non, ce n'é tait pas possible ç a… Ni Pierre, ni Mathilde, ni leur bonne ne pouvaient balancer Bono à plein volume de cette maniè re. Il y avait un truc qui ne collait pas, là … Elle ouvrit lentement les yeux, gé mit à cause de son crâ ne et attendit dans la pé nombre de pouvoir reconnaî tre quelque chose.

Mais où é tait-elle? Qu'est-ce que…?

Elle tourna la tê te. Tout son corps regimbait. Ses muscles, ses articulations et son peu de chair lui refusaient le moindre mouvement. Elle serra les dents et se releva de quelques centimè tres. Elle frissonnait et é tait de nouveau couverte de transpiration.

Son sang lui battait les tempes. Elle attendit un moment, immobile et les yeux clos, que la douleur s'apaise.

Elle rouvrit dé licatement les paupiè res et constata qu'elle se trouvait dans un lit é trange. Le jour passait à peine entre les interstices des volets inté rieurs et d'é normes rideaux en velours, à moitié dé croché s de leur tringle, pendaient misé rablement de chaque cô té. Une cheminé e en marbre lui faisait face, surplombé e d'un miroir tout piqueté. La piè ce é tait tendue d'un tissu à fleurs dont elle ne distinguait pas trè s bien les couleurs. Il y avait des tableaux partout. Des portraits d'homme et de femmes vê tus de noir qui semblaient aussi é tonné s qu'elle de la trouver là. Elle se tourna ensuite vers la table de nuit et aperç ut une trè s jolie carafe gravé e à cô té d'un verre à moutarde Scoubidou. Elle mourait de soif et la carafe é tait remplie d'eau, mais elle n'osa pas y toucher: à quel siè cle l'avait-on remplie?

Où é tait-elle bon sang, et qui l'avait amené e dans ce musé e?

Il y avait une feuille de papier plié e en deux contre un bougeoir: «Je n'ai pas osé vous dé ranger ce matin. Je suis parti travailler. Je reviens vers sept heures. Vos vê tements sont plies sur la bergè re. Il y a du canard dans le ré frigé rateur et une bouteille d'eau miné rale au pied du lit. Philibert. »

Philibert? Mais qu'est-ce qu'elle fichait dans le pieu de ce garç on?

Au secours.

Elle se concentra pour retrouver les bribes d'une improbable dé bauche, mais ses souvenirs n'allaient pas au-delà du boulevard Brune… Elle é tait assise, plié e en deux sous un Abribus et suppliait un grand type avec un manteau sombre de lui appeler un taxi… É tait-ce Philibert? Non, pourtant… Non, ce n'é tait pas lui, elle s'en serait souvenue…

Quelqu'un venait d'é teindre la musique. Elle entendit encore des pas, des grognements, une porte qui claquait, une deuxiè me et puis plus rien. Le silence.

Elle avait une envie pressante mais attendit encore un moment, attentive au moindre bruit et dé jà é puisé e à l'idé e de bouger sa pauvre carcasse.

Elle poussa les draps et souleva l'é dredon qui lui sembla peser aussi lourd qu'un â ne mort.

Au contact du plancher, ses orteils se recroquevillè rent. Deux babouches en chevreau l'attendaient à la lisiè re du tapis. Elle se leva, vit qu'elle é tait vê tue d'un haut de pyjama d'homme, enfila les chaussons et mit sa veste en jean sur ses é paules.

Elle tourna la poigné e tout doucement et se retrouva dans un immense couloir, trè s sombre, d'au moins quinze mè tres de long.

Elle chercha les toilettes…

Non, là, c'é tait un placard, ici une chambre d'enfant avec deux lits jumeaux et un cheval à bascule tout mité. Ici… Elle ne savait pas… Un bureau peut-ê tre? Il y avait tant de livres posé s sur une table devant la fenê tre que le jour n'entrait qu'à peine. Un sabre et une é charpe blanche é taient pendus au mur ainsi qu'une queue de cheval accroché e au bout d'un anneau en laiton. Une vraie queue d'un vrai cheval. C'é tait assez spé cial comme relique…

Là! Les toilettes!

Le battant é tait en bois ainsi que la poigné e de la chasse d'eau. La cuvette, vu son â ge, avait dû voir des gé né rations de popotins en crinolines… Camille eut quelques ré ticences d'abord, mais non, tout cela fonctionnait parfaitement. Le bruit de la chasse é tait dé routant. Comme si les chutes du Niagara venaient de lui tomber sur la tê te…

Elle avait le vertige, mais continua son pé riple à la recherche d'une boî te d'aspirine. Elle entra dans une chambre où ré gnait un bazar indescriptible. Des vê tements traî naient partout au milieu de magazines, de canettes vides et de feuilles volantes: bulletins de paye, fiches techniques de cuisine, manuel d'entretien GSXR ainsi que diffé rentes relances du Tré sor public. On avait posé sur le joli lit Louis XVI une horrible couette bariolé e et du matos à fumette attendait son heure sur la fine marqueterie de la table de nuit. Bon, ç a sentait le fauve là -dedans…

La cuisine se trouvait tout au bout du couloir. C'é tait une piè ce froide, grise, triste, avec un vieux carrelage pâ le rehaussé de cabochons noirs. Les plans de travail é taient en marbre et les placards presque tous vides. Rien, si ce n'é tait la pré sence bruyante d'un antique Frigidaire, ne pouvait laisser supposer que des gens vivaient là … Elle trouva le tube de comprimé s, prit un verre prè s de l'é vier et s'assit sur une chaise en formica. La hauteur sous plafond é tait vertigineuse et le blanc des murs retint son attention. Ce devait ê tre une peinture trè s ancienne, à base de plomb, et les anné es lui avaient donné une patine velouté e. Ni cassé, ni coquille d'œ uf, c'é tait le blanc du riz au lait ou des entremets fades de la cantine… Elle procé da mentalement à quelques mé langes et se promit de revenir un jour avec deux ou trois tubes pour y voir plus clair. Elle se perdit dans l'appartement et crut qu'elle n'allait jamais retrouver sa chambre. Elle s'é croula sur le lit, songea un instant à appeler l'autre commè re de chez Touclean et s'endormit aussitô t.


22


– Ç a va?

– C'est vous Philibert?

– Oui…

– Je suis dans votre lit, là?

– Mon lit? Mais, mais… Mais non, voyons… Jamais je…

– Je suis où?

– Dans les appartements de ma tante Edmé e, Tante Mé e, pour les intimes… Comment vous sentez-vous, ma chè re?

– É puisé e. J'ai l'impression d'ê tre passé e sous un rouleau compresseur…

– J'ai appelé un mé decin…

– Oh, mais non, il ne fallait pas!

– Il ne fallait pas?

– Oh… Et puis si… Vous avez bien fait… J'aurai besoin d'un arrê t de travail de toute faç on…

– J'ai mis de la soupe à chauffer…

– Je n'ai pas faim…

– Vous vous forcerez. Il faut vous retaper un peu sinon votre corps ne sera pas suffisamment vaillant pour bouter le virus hors des frontiè res… Pourquoi vous souriez?

– Parce que vous parlez comme si c'é tait la Guerre de Cent Ans…

– Ce sera un peu moins long, j'espè re! Ah, tiens, vous entendez? Ce doit ê tre le mé decin…

– Philibert?

– Oui?

– Je n'ai rien, là … Pas de ché quier, pas d'argent, rien…

– Ne vous inquié tez pas. On s arrangera plus tard… Au moment du traité de paix…

 

– Alors?

– Elle dort.

– Ah?

– C'est un membre de votre famille?

– Une amie…

– Une amie comment?

– Eh bien, c'est euh… une voisine, enfin u… une voisine amie, s'embrouilla Philibert.

– Vous la connaissez bien?

– Non. Pas trè s bien.

– Elle vit seule?

– Oui.

Le mé decin grimaç a.

– Quelque chose vous pré occupe?

– On peut dire ç a comme ç a… Vous avez une table? Un endroit où je puisse m'asseoir?

Philibert le conduisit dans la cuisine. Le mé decin sortit son bloc d'ordonnances.

– Vous connaissez son nom?

– Fauque, je crois…

– Vous croyez ou vous en ê tes sû r?

– Son â ge?

– Vingt-six ans.

– Sû r?

– Oui.

– Elle travaille?

– Oui, dans une socié té d'entretien.

– Pardon?

– Elle nettoie des bureaux…

– On parle bien de la mê me? De la jeune femme qui se repose dans le grand lit à la polonaise tout au bout du couloir?

– Oui.

– Vous connaissez son emploi du temps?

– Elle travaille la nuit.

– La nuit?

– Enfin, le soir… quand les bureaux sont vides…

– Vous semblez contrarié? osa Philibert.

– Je le suis. Elle est à bout votre copine… À bout de forces, vraiment… Vous vous en é tiez rendu compte?

– Non, enfin si… Je voyais bien qu'elle avait une petite mine, mais je… Enfin, je ne la connais pas trè s bien vous voyez, je… Je suis juste allé la chercher la nuit derniè re parce qu'elle n'a pas de chauffage et que…

– É coutez-moi, je vais vous dire les choses franchement: é tant donné son é tat d'ané mie, son poids et sa tension, je pourrais la faire hospitaliser sur-le-champ, seulement quand j'ai é voqué cette possibilité, elle a eu l'air si paniqué e que… Enfin, je n'ai pas de dossier, vous comprenez? Je ne connais ni son passé, ni ses anté cé dents et je ne veux rien pré cipiter, mais quand elle ira mieux, elle devra se plier à une sé rie d'examens, c'est é vident…

Philibert se tordait les mains.

– En attendant, une chose est sû re: vous devez la requinquer. Vous devez absolument la forcer à se nourrir et à dormir, autrement… Bon, je l'arrê te dix jours pour le moment. Voilà aussi pour le Doliprane et la vitamine C, mais, je vous le ré pè te: tout cela ne remplacera jamais une entrecô te saignante, un bon plat de pâ tes, des lé gumes et des fruits frais, vous comprenez?



  

© helpiks.su При использовании или копировании материалов прямая ссылка на сайт обязательна.