Хелпикс

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PREMIÈRE PARTIE 4 страница



Il ne ré agissait pas.

Oups, se dit-elle, j'ai dû faire une gaffe, là …

Quand sa petite-niè ce revint de la cuisine, il poussa une longue plainte douloureuse.

– Je suis dé solé e, dit Camille, je croyais que… Elle fit un geste pour l'interrompre, alla chercher une grosse paire de lunettes derriè re le comptoir et les glissa sous la casquette. Il se pencha cé ré monieusement et se mit à rire. Un rire d'enfant, cristallin et gai. Il pleura aussi et rit de nouveau en se balanç ant et en croisant ses bras sur sa poitrine.

– Il veut boire du saké avec vous.

– Super…

Elle apporta une bouteille, il hurla, elle soupira et repartit en cuisine.

Elle revint avec un autre flacon, suivie du reste de la famille. Une dame mû re, deux hommes d'une quarantaine d'anné es et un adolescent. Ce ne fut que rires, cris, courbettes et effusions en tout genre. Les hommes lui tapaient sur l'é paule et le gamin lui claquait la paume de la main à la maniè re des sportifs.

Chacun retourna ensuite à son poste et la jeune fille dé posa deux petits verres devant eux. Le vieux la salua puis vida sa coupe avant de la remplir de nouveau.

– Je vous pré viens, il va vous raconter sa vie…

– Pas de problè me, fit Camille, Houuuh… c'est fort, non?

L'autre s'é loigna en riant.

Ils é taient seuls à pré sent. L'ancê tre jacassait et Camille l'é coutait gravement en opinant seulement du nez à chaque fois qu'il lui pré sentait la bouteille.

Elle eut du mal à se relever et à ré cupé rer ses affaires. Alors qu'elle se tenait prè s de la sortie, aprè s s'ê tre maintes et maintes fois courbé e pour prendre congé du bonhomme, la jeune fille vint vers elle pour l'aider à tirer la poigné e de la porte qu'elle s'obstinait à pousser en riant bê tement depuis un bon moment.

– Vous ê tes ici chez vous, d'accord? Vous pouvez venir manger quand vous voulez. Si vous ne venez pas, il sera fâ ché … Et triste aussi…

Quand elle arriva au boulot, elle é tait complè tement pé té e.

Samia s'excitait:

– Oh, toi, t'as trouvé un mec?

– Oui, avoua Camille, penaude.

– C'est vrai?

– Oui.

– Nan… C'est pas vrai… Il est comment? Il est mignon?

– Super mignon.

– Nan, trop cool, ç a… Il a quel â ge?

– Quatre-vingt-douze ans.

– Arrê te tes conneries, idiote, il a quel â ge?

– Bon, les filles… C'est quand vous voulez, hein! La Josy indiquait le cadran de sa montre.

Camille s'é loigna en gloussant et en se prenant les pieds dans le tuyau de son aspirateur.

 

Plus de trois semaines s'é taient é coulé es. Franck, qui travaillait tous les dimanches comme extra dans un autre restaurant sur les Champs, se rendait chaque lundi au chevet de sa grand-mè re.

Elle se trouvait dé sormais dans une maison de convalescence à quelques kilomè tres au nord de la ville et guettait son arrivé e dè s le lever du jour.

Lui, par contre, é tait obligé de ré gler son ré veil. Il descendait comme un zombi jusqu'au troquet du coin, buvait deux ou trois café s d'affilé e, enfourchait sa moto et venait se rendormir auprè s d'elle sur un affreux fauteuil en skaï noir.

Quand on lui amenait son plateau-repas, la vieille dame posait son index sur sa bouche et indiquait, d'un mouvement de tê te, le gros bé bé enroulé sur lui-mê me qui lui tenait compagnie. Elle le couvait du regard et veillait à ce que son blouson reste bien en place sur sa poitrine.

Elle é tait heureuse. Il é tait là. Bien là. Rien qu'à elle…

Elle n'osait pas appeler l'infirmiè re pour lui demander de remonter son lit, saisissait sa fourchette dé licatement et mangeait en silence. Elle cachait des choses dans sa table de nuit, des morceaux de pain, sa portion de fromage et quelques fruits pour les lui donner quand il se ré veillerait. Ensuite, elle repoussait la tablette tout doucement et croisait ses mains sur son ventre en souriant.

Elle fermait les yeux et somnolait, bercé e par le souffle de son petit homme et les dé bordements du passé. Elle l'avait perdu tant de fois dé jà … Tant de fois… Il lui semblait qu'elle avait passé sa vie à aller le chercher… Au fond du jardin, dans les arbres, chez les voisins, caché dans des é tables ou affalé devant leur té lé vision, puis au café bien sû r, et maintenant sur des petits bouts de papier où il lui avait griffonné des numé ros de té lé phone qui n'é taient jamais les bons…

Elle avait fait tout ce qu'elle avait pu pourtant… Elle l'avait nourri, embrassé, câ liné, rassuré, houspillé, puni et consolé, mais tout cela n'avait servi à rien… À peine sut-il marcher ce gamin-là, qu'il prit la poudre d'escampette et quand il eut trois poils au menton, c'é tait fini. Il é tait parti.

Elle grimaç ait parfois au milieu de ses rê veries. Ses lè vres tremblaient. Trop de chagrins, trop de gâ chis, et tellement de regrets… Il y avait eu des moments si durs, si durs… Oh, mais non, il ne fallait plus y penser, d'ailleurs il se ré veillait, les cheveux en bataille et la joue balafré e par la couture du fauteuil:

– Il est quelle heure?

– Bientô t cinq heures…

– Oh, putain, dé jà?

– Franck, pourquoi tu dis toujours putain?

– Oh, saperlipopette, dé jà?

– Tu as faim?

– Ç a va, soif plutô t… Je vais aller faire un tour… Et voilà, songea la vieille dame, voilà …

– Tu t'en vas?

– Mais non, j'm'en vais pas, pu… perlipopette!

– Si tu croises un monsieur roux avec une blouse blanche, tu pourras lui demander quand est-ce que je sors d'ici?

– Ouais, ouais, fit-il en passant la porte.

– Un grand avec des lunettes et une… Il é tait dé jà dans le couloir.

– Alors?

– Je l'ai pas vu…

– Ah?

– Allez mé mé … lui dit-il gentiment, tu vas pas te remettre à chialer quand mê me?

– Non, mais je… Je pense à mon chat, à mes oiseaux… Et puis il a plu toute la semaine et je me fais du mouron pour mes outils… Comme je ne les ai pas rangé s, ils vont rouiller, c'est sû r…

– Je passerai à la maison en repartant et j'irai les mettre à l'abri…

– Franck?

– Oui?

– Emmè ne-moi avec toi…

– Oh… Me fais pas ce coup-là à chaque fois… J'en peux plus…

Elle se reprit:

– Les outils…

– Quoi?

– Il faudrait les passer à l'huile de pied de bœ uf… Il la regarda en gonflant ses joues:

– Hé, si j'ai le temps, hein? Bon, c'est pas le tout, mais on a notre cours de gym, nous… Il est où ton dé ambulateur?

– Je ne sais pas.

– Mé mé …

– Derriè re la porte.

– Allez, debout la vieille, je vais t'en montrer des oiseaux, moi!

– Pfff, y en a pas ici. Y a que des vautours et des charognards…

Franck souriait. Il aimait bien la mauvaise foi de sa grand-mè re.

– Ç a va?

– Non.

– Qu'est-ce qui cloche encore?

– J'ai mal.

– T'as mal où?

– Partout.

– Partout, ç a se peut pas, c'est pas vrai. Trouve-moi un endroit pré cis.

– J'ai mal dans ma tê te.

– C'est normal. On en est tous là va… Allez, montre-moi plutô t tes copines…

– Non, tourne. Celles-ci je ne veux pas les voir, je ne peux pas les souffrir.

– Et lui, là, le vieux avec son blazer, il est pas mal, non?

– Ce n'est pas un blazer, gros bê ta, c'est son pyjama, en plus il est sourd comme un pot… Et pré tentieux avec ç a…

Elle posait un pied devant l'autre et disait du mal de ses petits camarades, tout allait bien.

– Allez, j'y vais…

– Maintenant?

– Oui, maintenant. Si tu veux que je m'occupe de ta binette… Je me lè ve tô t moi demain figure-toi et j'ai personne pour m'amener mon petit dé jeuner au lit…

– Tu me té lé phoneras? Il hocha la tê te.

– Tu dis ç a et puis tu ne le fais jamais…

– J'ai pas le temps.

– Juste bonjour et tu raccroches.

– D'accord. Au fait, je ne sais pas si je pourrai venir la semaine prochaine… Y a mon chef qui nous emmè ne en goguette…

– Où donc?

– Au Moulin-Rouge.

– C'est vrai?

– Mais non, c'est pas vrai! On va dans le Limousin rendre visite au gars qui nous vend ses bê tes…

– Quelle drô le d'idé e…

– C'est mon chef, ç a… Il dit que c'est important…

– Tu ne viendras pas alors?

– Je ne sais pas.

– Franck?

– Oui…

– Le mé decin…

– Je sais, le rouquin, j'essaye de le choper… Et tu fais bien tes exercices, hein? Parce que le kiné n'est pas trè s content à ce que j'ai pu comprendre…

Avisant la mine é tonné e de sa grand-mè re, il ajouta, facé tieux:

– Tu vois que ç a m'arrive de té lé phoner…

Il rangea les outils, mangea les derniè res fraises du potager et s'assit un moment dans le jardin. Le chat vint s'entortiller dans ses jambes en râ lant.

– T'inquiè te pas, gros pè re, t'inquiè te pas. Elle va revenir…

La sonnerie de son portable le tira de sa torpeur. C'é tait une fille. Il fit le coq, elle gloussa.

Elle proposait d'aller au ciné ma.

Il roula à plus de cent soixante-dix pendant tout le trajet en cherchant une astuce pour la sauter sans ê tre obligé de se cogner le film. Il n'aimait pas trop le ciné ma. Il s'endormait toujours avant la fin.

 

Vers la mi-novembre, alors que le froid commenç ait son mé chant travail de sape, Camille se dé cida enfin à se rendre dans un Brico quelconque pour amé liorer ses conditions de survie. Elle y passa un samedi entier, traî na dans tous les rayons, toucha les panneaux de bois, admira les outils, les clous, les vis, les poigné es de porte, les tringles à rideaux, les pots de peintures, les moulures, les cabines de douche et autres mitigeurs chromé s. Elle alla ensuite au rayon jardinage et fit l'inventaire de tout ce qui la laissait rê veuse: gants, bottillons en caoutchouc, serfouettes, grillage à poules, godets à semis, or brun et sachets de graines en tout genre. Elle passa autant de temps à inspecter la marchandise qu'à observer les clients. La dame enceinte au milieu des papiers peints pastel, ce jeune couple qui s'engueulait à propos d'une applique hideuse ou ce fringant pré retraité en chaussures TBS avec son carnet à spirale dans une main et son mè tre de menuisier dans l'autre.

Le pilon de la vie lui avait appris à se mé fier des certitudes et des projets d'avenir, mais il y avait une chose dont Camille é tait sû re: un jour, dans trè s trè s longtemps, quand elle serait bien vieille, encore plus vieille que maintenant, avec des cheveux blancs, des milliers de rides et des taches brunes sur les mains, elle aurait sa maison à elle. Une vraie maison avec une bassine en cuivre pour faire des confitures et des sablé s dans une boî te en fer-blanc caché e au fond d'un buffet. Une longue table de ferme, bien é paisse, et des rideaux de cretonne. Elle souriait. Elle n'avait aucune idé e de ce qu'é tait la cretonne, ni mê me si cela lui plairait mais elle aimait ces mots: rideaux de cretonne… Elle aurait des chambres d'amis et, qui sait? peut-ê tre des amis? Un jardin coquet, des poules qui lui donneraient de bons œ ufs à la coque, des chats pour courir aprè s les mulots et des chiens pour courir aprè s les chats. Un petit carré de plantes aromatiques, une cheminé e, des fauteuils dé foncé s et des livres tout autour. Des nappes blanches, des ronds de serviettes chiné s dans des brocantes, un appareil à musique pour é couter les mê mes opé ras que son papa et une cuisiniè re à charbon où elle laisserait mijoter de bons bœ ufs carottes toute la matiné e…

De bons bœ ufs carottes… n'importe quoi…

Une petite maison comme celles que dessinent les enfants, avec une porte et deux fenê tres de chaque cô té. Vieillotte, discrè te, silencieuse, envahie par la vigne vierge et les rosiers grimpants. Une maison avec des gendarmes sur le perron, ces petites bê tes noires et rouges qui vont toujours collé es deux par deux. Un perron bien chaud qui aurait emmagasiné toute la chaleur du jour et sur lequel elle s'assié rait le soir, pour guetter le retour du hé ron…

Et puis une vieille serre qui lui tiendrait lieu d'atelier… Enfin ç a, ce n'é tait pas sû r… Jusqu'à pré sent, ses mains l'avaient toujours trahie et peut-ê tre valait-il mieux ne plus compter sur elles…

Peut-ê tre que l'apaisement ne pouvait pas passer par là finalement?

Par où alors? Par où, s'angoissait-elle soudain.

Par où?

Elle se ressaisit aussitô t et interpella un vendeur avant de perdre pied. La petite chaumiè re au fond des bois, c'é tait bien joli, mais en attendant, elle se les gelait au fond d'un couloir humide et ce jeune homme en polo jaune vif serait sû rement capable de l'aider:

– Vous dites que l'air passe au travers?

– Oui.

– C'est un Velux?

– Non, un vasistas.

– Ç a existe encore ces machins-là?

– Hé las…

– Tenez, voilà ce qu'il vous faut…

Il lui tendit un rouleau de bourrelet à clouter spé cial «calfeutrage fenê tres» en mousse gainé e PVC, durable, lavable et é tanche. Un vrai bonheur.

– Vous avez une agrafeuse?

– Non.

– Un marteau? des clous?

– Non.

Elle le suivait comme un petit chien dans tout le magasin pendant qu'il remplissait son panier.

– Et pour me chauffer?

– Qu'est-ce que vous avez pour le moment?

– Un radiateur é lectrique qui saute pendant la nuit et qui pue en plus!

Il prit son rô le trè s au sé rieux et lui fit un cours magistral.

D'un ton docte, il vanta, commenta et compara les mé rites des soufflants, des rayonnants, des infrarouges, des cé ramiques, des bains d'huile et des convecteurs. Elle en eut le tournis.

– Qu'est-ce que je prends alors?

– Ah, ben ç a, c'est vous qui voyez…

– Mais justement… Je ne vois pas.

– Prenez un bain d'huile, c'est pas trop cher et ç a chauffe bien. Le Olé o de Calor, il est pas mal…

– Il a des roulettes?

– Euh… hé sita-t-il en inspectant la fiche technique… thermostat mé canique, range-cordon, puissance modulable, humidificateur inté gré, blablabla, roulettes! Oui mademoiselle!

– Super. Comme ç a je pourrais le mettre prè s de mon lit…

– Euh… Si je puis me permettre… Vous savez, un garç on c'est bien aussi… Dans un lit, ç a ré chauffe…

– Oui, mais ç a n'a pas de range-cordon…

– Hé non… Il souriait.

En l'accompagnant vers son guichet pour le bon de garantie, elle aperç ut une fausse cheminé e avec de fausses braises, des fausses bû ches, de fausses flammes et de faux chenets.

– Oh! Et ç a? C'est quoi?

– Une cheminé e é lectrique, mais je ne vous la conseille pas, c'est de l'arnaque…

– Si, si! Montrez-moi!

C'é tait la Sherbone, un modè le anglais. Il n'y avait qu'eux pour inventer une chose aussi laide et aussi kitsch. Selon l'allure de chauffe (1 000 ou 2 000 watts) les flammes montaient plus ou moins haut. Camille é tait aux anges:

– C'est gé nial, on dirait une vraie!

– Vous avez vu le prix?

– Non.

– 532 euros, c'est n'importe quoi… Un gadget dé bile… Ne vous faites pas avoir…

– De toute faç on, en euros je comprends rien…

– C'est pas difficile pourtant, comptez presque 3 500 balles pour un truc qui vous chauffera moins bien que le Calor à moins de 600 francs…

– Je le veux.

Ce garç on é tait plein de bon sens et notre cigale ferma les yeux en tendant sa carte bleue. Au point où elle en é tait, elle s'offrit aussi le service de livraison. Quand elle annonç a qu'elle vivait au septiè me sans ascenseur, la dame la regarda de travers et la pré vint que ce serait dix euros de plus…

– Sans problè me, ré pondit-elle en serrant les fesses.

Il avait raison. C'é tait n'importe quoi.

Oui, c'é tait n'importe quoi, mais l'endroit où elle vivait ne valait guè re mieux. Quinze mè tres carré s sous les toits, ce qui lui en laissait donc six pour se tenir debout, un matelas posé à mê me le sol, un minuscule point d'eau dans un angle qui é voquait plutô t une pissotiè re et qui lui seryait d'é vier et de salle de bains. Un portant pour penderie et deux cartons empilé s en guise d'é tagè res. Une plaque é lectrique posé e sur une table de camping. Un mini-Frigidaire qui jouait aussi le rô le de plan de travail, de salle à manger et de table basse. Deux tabourets, un halogè ne, un petit miroir et un autre carton comme placard de cuisine. Quoi d'autre encore? La valise é cossaise où elle avait entreposé le peu de maté riel qui lui restait, trois cartons à dessin et… Non, c'é tait tout. Voilà pour le tour du proprié taire.

Les chiottes é taient à la turque au bout du couloir à droite et la douche é tait au-dessus des chiottes. Il suffisait juste de poser sur le trou le caillebotis moisi pré vu à cet usage…

Pas de voisins ou peut-ê tre un fantô me puisqu'elle entendait parfois des murmures derriè re la porte n° 12. Un cadenas sur la sienne et le nom de l'ancienne locataire en jolies lettres violettes punaisé sur le chambranle: Louise Leduc.

Petite bonne du siè cle pré cé dent…

Non, Camille ne regrettait pas sa cheminé e bien que son prix repré sentâ t presque la moitié de son salaire… Ah! quand mê me… Bah… pour ce qu'elle en faisait de son salaire… Elle rê vassait dans l'autobus en se demandant qui elle pourrait bien inviter pour l'inaugurer…

Quelques jours plus tard, elle tenait son lascar:

– Vous savez, j'ai une cheminé e!

– Pardon? Ah! Oh! C'est vous… Bonjour mademoiselle. Triste temps, n'est-ce pas?

– Vous l'avez dit! Et pourquoi vous enlevez votre bonnet alors?

– Eh bien euh… Je… Je vous saluais, n'est-ce pas?

– Mais non voyons, remettez-le! Vous allez attraper la crè ve! Je vous cherchais justement. Je voulais vous inviter à dî ner au coin du feu un de ces soirs…

– Moi? s'é trangla-t-il.

– Oui! Vous!

– Oh, non, mais je… euh… Pourquoi? Vraiment c'est…

– C'est quoi? lâ cha-t-elle soudain fatigué e, alors qu'ils é taient tous les deux en train de grelotter devant leur é picerie pré fé ré e.

– C'est… euh…

– C'est pas possible?

– Non, c'est… C'est trop d'honneur!

– Ah! s'amusait-ellè, c'est trop d'honneur… Mais non, vous verrez, ce sera trè s simple. C'est d'accord alors?

– Eh bien, oui… je… je serais ravi de partager votre table…

– Euh… Ce n'est pas vraiment une table, vous savez…

– Ah bon?

– Plutô t un pique-nique… Un petit repas à la bonne franquette…

– Trè s bien, j'adore les pique-niques! Je peux mê me venir avec mon plaid et mon panier, si vous voulez…

– Votre panier de quoi?

– Mon panier de pique-nique!

– Un truc avec de la vaisselle?

– Des assiettes en effet, des couverts, une nappe, quatre serviettes, un tire-bou…

– Oh oui, trè s bonne idé e! Je n'ai rien de tout cela! Mais quand? Ce soir?

– Eh bien, ce soir… enfin… je… - Vous quoi?

– C'est-à -dire que je n'ai pas pré venu mon colocataire…

– Je vois. Mais il peut venir aussi, ce n'est pas un problè me.

– Lui? s'é tonna-t-il, non… pas lui. D'abord je ne sais pas si… Enfin si c'est un garç on trè s convenable… Je… Entendons-nous, je ne parle pas de ses mœ urs, mê me si… enfin… je ne les partage pas, voyez-vous, non, je pense plutô t à … Oh, et puis il n'est pas là ce soir. Ni aucun autre soir d'ailleurs…

– Ré capitulons, s'agaç a Camille, vous ne pouvez pas venir parce que vous n'avez pas pré venu votre coloc' qui n'est jamais là de toute faç on, c'est bien ç a?

Il piquait du nez et tripotait les boutons de son manteau.

– Hé, je ne vous force pas, hein? Vous n'ê tes pas obligé d'accepter, vous savez…

– C'est que…

– C'est que quoi?

– Non, rien. Je viendrai.

– Ce soir ou demain. Parce qu'aprè s je retravaille jusqu'à la fin de la semaine…

– D'accord, murmura-t-il, d'accord, demain… Vous… Vous serez là, n'est-ce pas?

Elle secoua la tê te.

– Mais vous ê tes vraiment compliqué, vous! Bien sû r que je serai là puisque je vous invite!

Il lui sourit gauchement.

– À demain alors?

– À demain mademoiselle.

– Vers huit heures?

– A vingt heures pré cises, je le note.

Il s'inclina et tourna les talons.

– Hé!

– Pardon?

– Il faut prendre l'escalier de service. J'habite au septiè me, la porte n° 16, vous verrez, c'est la troisiè me sur votre gauche…

D'un mouvement du bonnet, il lui fit savoir qu'il avait entendu.

 

– Entrez, entrez! Mais vous ê tes magnifique!

– Oh, rougit-il, ce n'est qu'un canotier… Il appartenait à mon grand-oncle et, pour un pique-nique, j'ai pensé que…

Camille n'en croyait pas ses yeux. Le canotier n'é tait que la cerise sur le gâ teau. Il avait glissé une canne à pommeau d'argent sous son bras, é tait vê tu d'un costume clair avec un nœ ud papillon rouge et lui tendait une é norme malle en osier.

– C'est ç a, votre panier?

– Oui, mais attendez, j'ai encore quelque chose… Il alla au fond du couloir et revint avec un bouquet

de roses.

– Comme c'est gentil…

– Vous savez, ce ne sont pas de vraies fleurs…

– Pardon?

– Non, elles viennent d'Uruguay, je crois… J'aurais pré fé ré de vraies roses de jardin, mais en plein hiver, c'est… c'est…

– C'est impossible.

– Voilà! C'est impossible!

– Allons, entrez, faites comme chez vous.

Il é tait si grand qu'il dut s'asseoir tout de suite. Il fit un effort pour trouver ses mots mais pour une fois, ce n'é tait pas un problè me de bé gaiement, plutô t de… stupé faction.

– C'est… C'est…

– C'est petit.

– Non, c'est, comment dirais-je… C'est coquet. Oui, c'est tout à fait coquet et… pittoresque, n'est-ce pas?

– Trè s pittoresque, ré pé ta Camille en riant. Il resta silencieux un moment.

– Vraiment? Vous vivez là?

– Euh, oui…

– Complè tement?

– Complè tement.

– Toute l'anné e?

– Toute l'anné e.

– C'est petit, non?

– Je m'appelle Camille Fauque.

– Bien sû r, enchanté. Philibert Marquet de la Dur-belliè re annonç a-t-il en se relevant et en se cognant la tê te contre le plafond.

– Tout ç a?

– Hé, oui…

– Vous avez un surnom?

– Pas que je sache…

– Vous avez vu ma cheminé e?

– Pardon?

– Là … Ma cheminé e…

– Ah la voilà! Trè s bien… ajouta-t-il en se rasseyant et en allongeant ses jambes devant les flammes en plastique, trè s trè s bien… On se croirait dans un cottage anglais, n'est-il pas?

Camille é tait contente. Elle ne s'é tait pas trompé e. C'é tait un drô le de coco, mais un ê tre parfait, ce garç on-là …

– Elle est belle, non?

– Magnifique! Elle tire bien au moins?

– Impeccable.

– Et pour le bois?

– Oh, vous savez, avec la tempê te… Il suffit de se baisser aujourd'hui…

– Hé las, je ne le sais que trop bien… Vous verriez les sous-bois chez mes parents… Un vrai dé sastre… Mais là, c'est quoi? C'est du chê ne, non?

– Bravo!

Ils se sourirent.

– Un verre de vin, ç a ira?

– C'est parfait.

Camille fut é merveillé e par le contenu de la malle. Il ne manquait rien, les assiettes é taient en porcelaine, les couverts en vermeil et les verres en cristal. Il y avait mê me une saliè re, un poivrier, un huilier, des tasses à café, à thé, des serviettes en lin brodé es, un lé gumier, une sauciè re, un compotier, une boî te pour les cure-dents, un sucrier, des couverts à poisson et une chocolatiè re. Le tout é tait gravé aux armes de la famille de son hô te.

– Je n'ai jamais rien vu d'aussi joli…

– Vous comprenez pourquoi je ne pouvais pas venir hier… Si vous saviez les heures que j'ai passé es à la nettoyer et à tout faire briller…

– Il fallait me le dire!

– Vous pensez vraiment que si j'avais pré texté: «Pas ce soir, j'ai ma malle à rafraî chir», vous ne m'auriez pas pris pour un fou?

Elle se garda bien du moindre commentaire.

Ils dé pliè rent une nappe sur le sol et Philibert Machin chose mit le couvert.

Ils s'assirent en tailleur, ravis, enjoué s, comme deux gamins qui inaugureraient leur nouvelle dî nette, faisant mille maniè res et autant d'efforts pour ne rien casser. Camille, qui ne savait pas cuisiner, é tait allé e chez Gou-betzkoï et avait choisi un assortiment de taramas, de saumons, de poissons mariné s et de confitures d'oignons. Ils remplirent consciencieusement tous les petits raviers du grand-oncle et inaugurè rent une sorte de grille-pain trè s ingé nieux, fabriqué avec un vieux couvercle et du papier d'aluminium, pour ré chauffer les blinis sur la plaque é lectrique. La vodka é tait posé e dans la gouttiè re et il suffisait de soulever le vasistas pour se resservir. Ces allé es et venues refroidissaient la piè ce, certes, mais la cheminé e cré pitait et tirait du feu de Dieu.

Comme d'habitude, Camille but plus qu'elle ne mangea.

– Ç a ne vous dé range pas si je fume?

– Je vous en prie… Par contre, j'aimerais allonger mes jambes parce que je me sens tout ankylosé …

– Mettez-vous sur mon lit…

– B… bien sû r que non, je… Je n'en ferai rien…

À la moindre é motion, il reperdait ses mots et tous ses moyens.

– Mais, si, allez-y! En fait, c'est un canapé -lit…

– Dans ce cas…

– Nous pourrions peut-ê tre nous tutoyer, Philibert?

Il devint pâ le.

– Oh, non, je… En ce qui me concerne, j'en serais bien incapable, mais vous… Vous…

– Stop! Extinction des feux là -haut! Je n'ai rien dit! Je n'ai rien dit! En plus, je trouve que c'est trè s bien le vouvoiement, c'est trè s charmant, trè s…

– Pittoresque?

– Voilà!

Philibert ne mangeait pas beaucoup lui non plus, mais il é tait si lent et si pré cautionneux que notre parfaite petite mé nagè re se fé licita d'avoir pré vu un repas froid. Elle avait aussi acheté du fromage blanc pour le dessert. En vé rité, elle é tait resté e paralysé e devant la vitrine d'un pâ tissier, totalement dé contenancé e et incapable de choisir le moindre gâ teau. Elle sortit sa petite cafetiè re italienne et but son jus dans une tasse si fine qu'elle é tait certaine de pouvoir la briser en la croquant.



  

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