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DEUXIÈME PARTIE 6 страница



 

Quelquefois, le trouble é motionnel porte plus particuliè rement sur les organes de la parole ou de la respiration, car le mutisme survient aprè s des maladies de la gorge ou de la poitrine. Dans certains cas, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’accidents qui ont porté sur le cô té droit du corps. Un jeune homme de dix-huit ans fait une chute de cheval sur le genou droit, il a, à la suite, une hé miplé gie vraiment hysté rique du cô té droit et du mutisme. Une jeune femme employé e dans un dé bit de vin se blesse la main droite avec une bouteille cassé e, elle a d’abord une paralysie du bras droit et cette paralysie semble s’é tendre à la gorge, car elle perd la parole. On comprend que ces derniers cas ont de l’importance à propos de l’association des paralysies du cô té droit et des aphasies. Enfin, je tiens à rappeler un autre cas curieux, celui de cette femme, grand mé dium spirite, qui, aprè s avoir abusé de l’é criture automatique, pré sente du mutisme hysté rique; ce fait, où l’on voit l’association du mutisme avec l’é criture subconsciente, est encore inté ressant pour l’interpré tation.

 

Quoi qu’il en soit, quand ce mutisme est constitué, il se pré sente à peu prè s toujours de la mê me maniè re dont Charcot a donné une peinture trè s vivante et cé lè bre. Le malade, sauf dans des cas exceptionnels, semble bien portant et n’est pas paralysé. Il n’a pas cet air malade et affaibli des hé miplé giques organiques aprè s une hé morragie cé ré brale. Il n’a pas non plus d’affaiblissement intellectuel bien visible, il n’a pas leur air hé bé té, il semble, au contraire, intelligent et vif. Il s’avance au-devant de vous avec une figure expressive, il comprend tout ce qu’on lui dit, mais c’est quand il s’agit de ré pondre qu’il prend une attitude singuliè re. Le fait caracté ristique, disait Charcot, c’est qu’il n’essaye pas de ré pondre, il ne fait pas ces efforts que fait un individu aphasique ou que fait tout simplement un é tranger qui cherche à s’exprimer dans une langue qu’il connaî t mal. Il n’a pas l’air de croire que l’on puisse ré pondre par la parole, il n’ouvre pas la bouche, ne fait entendre aucun son, il ré pond par é crit. En un mot, il n’y a pas là une parole imparfaite, il n’y a pas là de parole du tout et il semble mê me que ce malade n’a plus l’idé e ni le dé sir de la parole. Le sujet semble avoir oublié cet usage qu’à tort ou à raison les hommes ont fait de leur bouche. J’insiste sur ce caractè re parce que tous les auteurs, avec beaucoup d’exagé ration à mon avis, en font un signe distinctif entre l’aphasie organique et le mutisme hysté rique.

 

Quand nous cherchons à nous rendre compte de la raison de ce silence qui se prolonge ainsi depuis des mois, nous examinons les diffé rents organes pé riphé riques de la parole et nous remarquons alors le second caractè re de cette affection, c’est-à -dire l’absence à peu prè s totale de phé nomè nes paralytiques. Les lè vres, les joues, la langue, le voile du palais se remuent trè s bien et de la faç on la plus correcte. Le malade, qui comprend tout, fait tout ce qu’on lui demande, remue ses lè vre de tous les cô té s, dé couvre les dents, sourit, exé cute tous les mouvements de la langue et tout cela sans difficulté. Sans doute, dans certains cas, je crois qu’il faut faire quelques ré serves sur cette description un peu thé orique de Charcot; on observe trè s souvent, chez ces muets, certains petits troubles du mouvement localisé s de tel ou tel organe, par exemple des petites contractures de tel ou tel muscle de la langue ou des lè vres: il est mê me bon de les rechercher avec soin, car il est important de les faire disparaî tre avant de rechercher à ramener la parole. On remarquera aussi que les mouvements de la bouche et de la face ne sont pas aussi parfaits que le disait Charcot, il n’y a pas de paralysie proprement dite, mais il y a souvent de la maladresse, de la gaucherie, de la laideur. Oui, de la laideur, ces sujets dont l’esprit ré trograde, à mon avis, perdent souvent la dé licatesse, la perfection de certaines fonctions supé rieures et on peut trè s bien noter, chez eux, une certaine vulgarité dans l’expression et dans les mouvements dé licats. Cependant, je reconnais volontiers que ces alté rations motrices sont lé gè res, et tout à fait incapables de rendre compte de l’é norme paralysie du langage qu’on observe. Si on va plus loin, si on cherche à é tudier l’é tat des cordes vocale (cette é tude, commencé e à l’é poque de Charcot, est ré sumé e dans la thè se de M. Cartaz) on constate qu’il n’y a pas, en ré alité, de grands troubles dans les cordes vocales. Certains auteurs ont observé un certain degré de paré sie dans l’adduction, mais je crains qu’ils ne se soient fait illusion. Nous ne savons dé terminer le rapprochement des cordes vocales qu’en demandant au sujet de crier ou de prononcer un son. Or, il s’agit justement de sujets qui ne savent ni parler, ne crier, et qui, par consé quent, ne pourront pas produire le mouvement des cordes vocales que nous leur demandons: l’immobilité des cordes vocales que nous constatons ne prouvent pas leur paralysie vé ritable et il est probable qu’il n’y a ici, comme dans tout le reste, que des troubles proprement psychiques.

 

Le tableau que Charcot a tracé du mutisme hysté rique et que je viens de ré sumer est trè s saisissant, mais sa pré cision est un peu exagé ré e: le trouble peut ê tre plus complexe et il peut aussi ê tre moins complet et moins net. Le mutisme peut se compliquer par l’addition d’autre symptô mes, d’abord par l’addition de diverses paralysies sié geant sur les organes mê mes qui jouent un rô le dans le langage. Il est trè s souvent associé avec les troubles respiratoires dont nous aurons à parler plus loin et c’est là une association fort inté ressante. Il se com­plique trè s souvent de certaines paralysies ou de certaines contractures dans les muscles de la face ou dans les muscles du cou. Beaucoup de sujets en mê me temps que les mouvements de la parole ont perdu les mouvements dé licats des lè vres, ils ne peuvent plus sucer, ni diriger le souffle, ni embrasser, d’autres ont des troubles dans les mouvements de la langue qu’ils ne peuvent pas tirer lorsqu’on leur demande. Enfin, et c’est là un fait extrê mement remarquable, les muets hysté riques ont trè s souvent une paralysie soit complè te, soit partielle des membres du cô té droit du corps. J’ai beaucoup insisté sur ce fait que l’association de l’hé miplé gie droite avec les troubles du langage est tout aussi ré guliè re quand il s’agit d’hysté rie que lorsqu’il s’agit des accidents organiques.

 

Le mutisme se complique aussi de certains troubles de la sensation ou plutô t de la perception que nous aurons à analyser plus tard et qu’il suffit de signaler ici. Le muet hysté rique sent mal les mouvements de sa poitrine, de sa langue ou de ses lè vres. Certains malades ne distinguent pas les impressions de contact faites sur ces diffé rents organes et semblent avoir la face et le cou plus ou moins insensibles. Enfin, il ne faut pas oublier que des troubles de l’audition accompagnent trè s souvent ces troubles de la parole: il y aune surdi-mutité hysté rique qui est trè s fré quente. À cô té de ces phé nomè nes, il faudrait dé crire des troubles plus complexe, comme une sorte d’incapacité de comprendre la parole, quoiqu’elle soit cependant entendue, qui se rapproche de la surdité verbale.

 

Plus souvent encore, le mutisme hysté rique, au lieu de se compliquer, se dé compose: il n’est plus complet, le trouble ne porte plus sur tout le langage, mais seulement sur quelques parties dissocié es de la fonction du langage. Un cas bien typique explique cette simplification, le sujet qui avait à sa disposition plusieurs langages perd une de ses langues, une langue é trangè re ou sa langue maternelle. Cette observation du mé decin autrichien Freud, 1893, est tout à fait typique et caracté rise bien l’hysté rie. Une fillette de treize ans parlait couramment l’allemand, sa langue maternelle et l’anglais. Une nuit, elle est bouleversé e par une terreur et veut se recommander à Dieu: elle ne trouve, dans sa mé moire, aucune priè re en allemand, mais seulement une petite priè re en vers anglais qu’elle venait d’apprendre, c’est cette priè re en anglais qu’elle ré cite. Le ré sultat est bien surprenant: au ré veil, elle ne peut plus parler qu’anglais, elle ne peut plus prononcer un mot de sa langue maternelle, elle est devenue muette en allemand.

 

Cette dissociation nous permet de comprendre la suivante beaucoup plus fré quente, je veux parler de l’aphonie hysté rique. Le sujet ne peut plus parler à haute voix, mais il n’a pas tout à fait perdu le langage, il peut s’exprimer à voix basse. On peut dire que nous avons à notre disposition plusieurs langages diffé rents; le langage du confé ­rencier n’est pas le mê me que le langage familier, le langage à haute voix n’est pas le mê me que le langage chuchoté, c’est l’un de ces langages qui disparaî t tandis que l’autre persiste.

Peut-ê tre pourrais-je expliquer de la mê me maniè re d’autres troubles: nous avons un langage calme et un langage é motionnel quand la voix est entrecoupé e par des soupirs ou des sanglots, quand l’é motion la fait trembler. Le bé gaiement hysté rique qu’il ne faut pas confondre avec le bé gaiement qui se dé veloppe depuis l’enfance me semble ê tre la conservation d’une forme infé rieure du langage, le langage é motif à la place du langage calme et complet. Il est impossible, d’ailleurs, d’é numé rer les complications, les dissociations bizarres que l’on peut observer dans tous ces phé nomè nes. Des sujets prennent des voix é tranges, rauques, nasonné es, aiguë s, bredouillantes, ou simplement vulgaires. Un sujet é tait aphone quand il é tait debout et avait besoin de s’é tendre tout de son long par terre pour retrouver une voix haute et claire. Il y a là toutes sortes de complications du mutisme avec d’autres phé nomè nes.

 

Je crois aussi que si on voulait faire une é tude complè te des troubles du langage chez l’hysté rique, il faudrait é tudier les troubles de l’é criture plus fré quents qu’on ne le croit. On ne cite d’ordinaire que l’é criture automatique, qui est une sorte d’agitation graphique; il faudrait signaler l’é criture en miroir, si inté ressante et si difficile à comprendre. L’é criture est renversé e, elle se fait de droite à gauche et donne l’aspect de l’é criture normale vue dans un miroir. Nous retrouverons ce problè me à propos de certains troubles de la perception. Il faudrait aussi parler de l’agraphie proprement dite ou perte de l’é criture. J’ai souvent dé crit des sujets qui oublient l’é criture comme ils oubliaient la parole vocale. Ce qui me semble trè s curieux, c’est que, dans certains cas, il n’y a pas perte complè te, mais, en quelque sorte, ré trogradation de l’é criture : le sujet qui é crivait rapidement et correctement se met à é crire lentement, lourdement. Dans certains cas, j’ai pu me procurer des fragments de cahiers d’é criture de la mê me personne dans son enfance et j’ai pu mettre en é vidence la similitude de ces é critures enfantines qui existaient dix ans auparavant avec l’é criture qui ré apparaî t aujourd’hui sous l’influence de la maladie.

 

Enfin, il serait juste de rattacher aux troubles du langage des observation si inté ressantes que M. Ingegnieros a pré senté es, en 1906, sous le nom d’amusie hysté rique. La musique est en bien des points une sorte de langage, destiné e à l’expression et à l’intelligence d’é motion particuliè res. Bouillaud et Charcot, en 1883, et plus ré cemment M. Ingegnieros, de Buenos-Ayres, ont montré que les hysté riques peuvent avoir des troubles de ce langage comme des autres, qu’ils peuvent perdre la capacité d’expression musicale ou mê me la capacité de reconnaî tre des airs de musique ou de les comprendre. Dans tous ces troubles, il y a toujours des pertes complè tes ou partielles de la fonction du langage, de mê me que, dans les troubles pré cé dents, nous avions vu des agitations de la mê me fonction.


 

 

3. - Les agitations verbales
psychasté niques.

 

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Les agitations de la parole sont aussi fré quentes dans le second groupe des né vropathes que dans le premier; mais elles ne se pré sentent pas tout à fait de la mê me maniè re.  Nous avons dé jà observé le bavardage qui accompagne les obsessions: le sujet raconte aux autres ou se raconte à lui-mê me les crimes et les sacrilè ges auxquels il se croit poussé. Mais ce langage n’est pas aussi inconscient que celui de l’hysté rique; le sujet s’entend lui-mê me pendant qu’il parle et il garde le souvenir de ce qu’il vient de dire.

 

Il en ré sulte, je crois, un certain nombre de consé quence: d’abord le sujet a conscience qu’il va parler, qu’il a besoin de parler, et il y a un sentiment de dé sir, d’impulser qui le tourmente, tandis que l’hysté rique s’abandonne à l’agitation verbale sans avoir eu à lui ré sister. Ce nouveau malade é prouve, à chaque instant, des besoins de profé rer des paroles dé terminé es. Par exemple, une femme F…, tourmenté e par ses besoins de pré cision et de vé rification que fait naî tre le doute et que nous é tudierons mieux, à propos des perceptions, en est arrivé e au besoin singulier de ré pé ter le nom de tous les objets devant lesquels elle passe; elle a besoin de dire tout haut: « C’est un pavé, c’est un arbre, c’est un tas d’ordures ». D’autres ont des besoins irré sistibles de compter les objets qu’ils voient ou de ré pé ter certains mots un nombre de fois dé terminé.

 

Un malade pré tend arrê ter ses troubles et ses angoisses en murmurant la phrase suivante: « Assez de phé nomè nes »; il abrè ge le mot assez par la syllabe , et il ré pè te cette syllabe quatre fois, huit fois, douze ou vingt-quatre fois, toujours par multiple de quatre, suivant la gravité des troubles contre lesquels il s’agit de lutter. Les manies dé signé es sous le nom d’onomatomanie ne consistent pas toujours, comme nous l’avons vu, à rechercher certains mots, elles consistent quelquefois dans le besoin de prononcer une phrase avec une perfection particuliè re. Pn…, homme de cinquante ans, atteint surtout d’obsessions hypocondriaques, s’est mis en tê te de chasser les pré -occupations sur sa santé par une phrase cabalistique qu’il doit ré pé ter pour se tranquilliser. Il doit dire: « C’est assez, allons dî ner, nous verrons aprè s. » Malheureusement, cette phrase n’a tout son effet que si elle est bien dite et il ne la trouve pas assez bien dite. Il la ré pè te, cela ne lui suffit pas, il la crie à tue-tê te ou la dit à voix basse, et il cherche toujours comment il pourrait la dire mieux; il prie sa femme de l’é couter, de l’aider, de la ré pé ter avec lui. Il imagine alors de descendre avec sa femme au fond de la cave, d’é teindre la lumiè re et de crier la phrase en chœ ur dans l’obscurité, et il remonte dé sespé ré, parce qu’il n’a pas encore trouvé « le moyen de la bien dire ».

 

Une observation inté ressante de M. Sé glas, sur un malade qui a sans cesse un mot sur le bout de la langue et qui ne parvient pas à le bien ré pé ter, me paraî t se rapporter à des phé nomè nes analogues. D’autres malades bien connus ont des impulsions irré sistibles à prononcer des mots obscè nes, des mots orduriers. On a raconté vingt fois ces tics de parole chez de grandes dames qui, en offrant aimablement un siè ge à leurs invité s, ne peuvent s’empê cher de laisser é chapper ces mots malsonnants: « Vache, cochon, trou du cul du pape ». Plus simplement, d’autres ont le besoin d’accompagner chacune de leurs phrases par une expression sté ré otypé e, toujours la mê me, comme: « Maman, ratan, bibi, bitaquo, je vais mourir », que ré pé tait à chaque instant un brave homme. Nous retrouvons, d’ailleurs, ces formules de conjuration à propos des troubles de l’action dans lesquels elles jouent un grand rô le.

 

Nous venons de voir que la conscience plus grande de l’agitation verbale amenait comme consé quence ce sentiment du dé sir et de l’impulsion. Il me semble aussi qu’elle transforme l’expression verbale elle-mê me: le sujet qui, comme l’hysté rique, n’a pas conscience de ce qu’il dit, ne se surveille pas, ne s’arrê te pas et parle à haute voix; le psychasté nique, qui sent l’absurdité de ses paroles, essaye de les retenir, lutte contre elles et les arrê te en partie. Il en ré sulte que ce langage est souvent chez lui incomplet, qu’il se fait à mi-voix, qu’il est souvent ré duit à une pure parole inté rieure. Beaucoup de ces malades murmurent d’une maniè re imperceptible des phrases comme celle-ci: « Le contraire de Dieu…, quatre, trois, deux, cent soixante-quinze mille ». Cela veut dire que cette personne a pensé au culte du dé mon et qu’elle a lancé la formule de ré sistance; mais cela est à peine entendu. La plupart parlent au dedans d’eux-mê mes: ils disent souvent que quelque chose parle dans leur tê te ou dans leur estomac, que c’est une inspiration é trangè re qu’ils sentent en dedans. C’est le phé nomè ne qu’on a autrefois si mal compris sous le nom d’hallu­cination psychique.

 

En ré alité, il est facile de montrer, comme l’a remarqué M. Sé glas en 1892, que c’est bien leur propre parole que sentent ces malades et qu’ils localisent à tel ou tel endroit de leur corps parce qu’ils aperç oivent plus ou moins bien quelques petits mouvements de la poitrine ou de la langue. Si on demande à ces malades de parler eux-mê mes tout haut, de compter à haute voix pendant que l’esprit parle au dedans d’eux-mê mes, ils ne peuvent y parvenir et sont tout surpris de constater que la parole inté rieure s’arrê te quand ils parlent tout haut: c’est qu’ils ne peuvent avoir à la fois deux langages diffé rent.

 

Ce bavardage inté rieur joue un grand rô le dans ce qu’on a appelé la fuite des idé es, la volé e des idé es, « Ideen flucht », dans ce que Legrand du Saulle dé signait par un mot que j’ai conservé, « la rumination mentale ». Dans cette suite interminable de raisonnements, de suppositions, de rê veries, et quelquefois de mots sans signification, il y a de l’agitation des idé es, mais il y a aussi du bavardage. On s’en aperç oit bien quand on essaye, comme je l’ai fait, d’é crire sous la dicté e des malades quelques-unes de ces longues ruminations: il faut renoncer bien souvent à comprendre le sens de ce qu’on a é crit. On retrouve encore ce bavardage inté rieur dans les crises de rê verie qui surviennent si souvent quand ces sujets veulent travailler ou quand ils essaient de dormir.

 

Dans certains cas, l’agitation verbale est plus forte, plus manifeste et plus sé paré e de la rê verie proprement dite. Certains de ces malades se sentent agité s, il faut qu’ils aillent, qu’ils viennent et surtout qu’ils parlent, qu’ils parlent indé finiment et à n’importe qui, qu’ils racontent leurs peines, tout ce qu’il ne faudrait pas dire. Jean cè de à un besoin de ce genre, quand il vient chez moi et me supplie « simplement » de l’é couter pour le soulager: « Il ne peut rien dire de tout cela chez lui, cela rendrait ses parents trop malheureux, et il faut qu’il le dise ». Et pendant une heure et demie ou deux heures, il parle sans s’arrê ter un instant, sur le fou rire de la femme de chambre borgne, sur une piè ce de deux sous qu’il a en poche et qui é té touché e par une femme, ce qui met des fluides dans son pantalon, sur les timbres-poste qui font penser à la politique et au personnage qui est mort aprè s ê tre resté trois quart d’heure avec une dame, etc… » Il se sent soulagé, « dé tendu », quand il a fini: peu lui importe ce qu’il a dit, il a simplement é puisé en paroles une agitation qui ne parvenait pas à se dé penser autrement.

 

4. - Les phobies du langage.

 

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Existe-t-il chez le psychasté nique un phé nomè ne qui puisse ê tre comparé au mutisme des hysté riques? Pas pré cisé ment, car ce malade ne perd jamais complè tement le pouvoir de parler. Il sent toujours qu’il pourrait parler, s’il le voulait, et, d’ailleurs, il arrive à parler dans tous les cas. Mais il n’en est pas moins vrai qu’il ne parle pas quand il le faudrait, qu’il est quelquefois dans l’impossibilité de se servir de sa parole, ce qui, pratiquement, revient au mê me ré sultat que s’il é tait muet. C’est ce qui a lieu quand il est atteint de certains troubles que nous pouvons appeler les phobies de la parole. Ce problè me est trè s important, et la comparaison des phobies avec les phé nomè nes hysté riques correspondants est extrê mement instructive. Aussi retrouverons-nous cette é tude dans un chapitre suivant, à propos des troubles plus gé né raux du mouvement et de l’action. Ce n’est ici qu’une introduction à l’é tude des phobies à l’occasion d’un cas tout particulier.

 

Un homme de trente-huit ans, Bq.., est soigné depuis cinq ans pour de pré tendues lé sions du larynx; il a é té dans plusieurs villes d’eaux; il a subi toutes sortes de traitements. C’est que, depuis plusieurs anné es, la parole est devenue pour lui de plus en plus difficile: quand il essaye de parler, il ressent une faiblesse gé né rale, ses jambes flageolent, sa respiration s’arrê te et son corps se couvre de sueurs. Aussi n’essaye-t-il jamais de parler, car il sent qu’il tomberait par terre s’il commenç ait à parler, et il pré fè re é viter ce danger qu’il juge trè s grave. Il rattache tous ces troubles à des lé sions tuberculeuses qu’il croit avoir dans la gorge: l’examen le plus attentif, ré pé té par des spé cialistes, dé montre que le larynx est absolument sain. Un peu de pharyngite, survenue il y a des anné es, et l’inquié tude causé e par son mé tier de mé canicien, « qui l’expose aux poussiè res de charbon », ont dé terminé la localisation de cette phobie. Ce n’est qu’une peur à propos du langage; mais puisqu’il ne la surmonte pas et qu’il ne veut nous ré pondre qu’en é crivant sur un papier, il se conduit en ré alité, comme un muet.

 

Les phobies du langage n’ont pas toujours la forme pré cé dente: elles se rattachent le plus souvent à d’autres sentiments, à des sentiments de mé contentement, de timidité, de honte, à des sentiments d’infé riorité par rapport à tout le monde. Ces sentiment troublent beaucoup d’actions, en particulier celles qui doivent ê tre effectué es devant les autres hommes et principalement le langage qui est le type des phé nomè nes sociaux. Cette impuissance à agir devant les hommes, cette aboulie sociale constitue l’essentiel de la timidité. Ce trouble joue un rô le considé rable chez presque tous les malades psychasté niques; il en est bien peu qui, à un moment de leur existence et quelquefois pendant toute leur vie, n’aient pas é té rendus impuissants et surtout muets par la timidité. Ne pas pouvoir jouer du piano devant les té moins, ne pas pouvoir é crire si on vous regarde et surtout ne plus pouvoir parler devant quelqu’un, avoir la voix rauque, aiguë, ou rester aphone, ne plus trouver une seule pensé e à exprimer quand on savait si bien auparavant ce qu’il fallait dire, c’est le sort commun de toutes ces personnes, c’est l’histoire banale qu’ils racontent tous. « Quand je veux jouer un morceau de piano devant quelqu’un ou quand je veux dire quelque chose à quelqu’un, il me semble que l’action est difficile, qu’il y a des gê nes é normes, et, si je veux les surmonter, c’est un effort extraordinaire; j’ai chaud à la tê te, je me sens perdue et je voudrais que la terre s’ouvre pour m’engloutir ». Cat…, un homme de trente ans, se sauve dè s qu’il entend quelqu’un entrer; il doit renoncer à son mé tier de professeur, car il ne peut plus faire sa classe devant les é lè ves: « Je ferais si bien ma classe si j’é tais tout seul, s’il n’y avait pas d’é lè ves, si je parlais à des chaises… » Tous ré pè tent comme Si…: « Je serais parfaite, je ferais tout et surtout je parlerais trè s bien si je pouvais ê tre tout à fait seule, comme une sauvage, dans une î le dé serte: la socié té est faite pour empê cher les gens d’agir et de parler; j’ai de la volonté et du pouvoir pour tout cela, mais je n’ai cette volonté que si je suis seule. »

 

On admet d’ordinaire que ces troubles de la timidité sont des phé nomè nes é motionnels. Qu’il y ait des troubles é motionnels, des angoisses chez les timides, j’en suis convaincu. Il y a aussi chez eux de l’agitation motrice, des tics et mê me de la rumination mentale dont on ne parle pas assez; mais il ne faut pas oublier qu’il y a surtout chez eux de l’impuissance volontaire. Amiel, dans son Journal intime, le remarque trè s bien: « J’ai peur de la vie objective et je recule devant toute surprise, demande ou promesse qui me ré alise; j’ai la terreur de l’action et ne me sens à l’aise que dans la vie impersonnelle, dé sinté ressé s, subjective de la pensé e. Pourquoi cela? par timidité. ». Pourquoi hé site-t-on à expliquer par cette impuissance d’action l’essentiel de la timidité. On est frappé de ce fait que les timides, incapables de faire une action en public, la font trè s bien quand ils sont seuls. Nadia joue du piano et parle tout haut quand elle se croit seule. Cat… ferait trè s bien sa classe s’il n’avait pas d’é lè ves; on en conclut qu’ils ne sont pas impuissants à faire l’acte et qu’il faut faire appel à un trouble exté rieur à l’acte pour expliquer sa disparition dans la socié té.

 

Il y a là un malentendu, l’acte de parler quand on est tout seul et l’acte de causer ré ellement avec quelqu’un, l’acte de faire une classe imaginaire à des chaises et l’acte de faire une classe ré elle devant des é lè ves en chair et en os ne sont pas du tout les mê mes actes. Le second est bien plus complexe que le premier; il renferme, outre d’é noncé des mê mes idé es, des perceptions, des attentions complexes à des objets mouvants et variables, des adaptations innombrables à des situations nouvelles et inattendues qui transforment complè tement l’action. Pourquoi un individu sans volonté peut-il faire le premier acte et ne peut-il pas faire le second? Tout simplement, à mon avis, parce que le second acte est plus difficile que le premier. Que des é motions, des agitations motrices, des bé gaiements, des crampes des é crivains, des tics de toute espè ce viennent s’ajouter ou mieux se substituer à cet acte qui ne s’accomplit pas, c’est un grand phé nomè ne secondaire dont il faudra tenir compte; mais le fait essentiel, c’est l’incapacité d’accomplir l’acte social et, en particulier, l’acte de parler devant quelqu’un.



  

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