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DEUXIÈME PARTIE 4 страница



 

Il en est de mê me si on l’interroge sur un des é vé nements quelconques qui ont empli les trois derniers mois avant la mort: la maladie, les accidents, les veilles, les soucis d’argent, les querelles avec le pè re ivrogne, tout cela a absolument disparu de son esprit. Si nous avions le temps d’y insister, il y a, dans ce cas, bien des choses curieuse: les sentiment filiaux, les sentiments d’affection qui ressemblent à ceux qu’elle é prouvait pour sa mè re ont tous disparu. On dirait qu’il y a une lacune dans les sentiments comme dans la mé moire. Mais je n’insiste que sur un point, l’oubli ne porte pas seulement, comme on le croit d’ordinaire, sur la pé riode du somnambulisme, sur la scè ne dé lirante, l’oubli porte aussi sur l’é vé nement qui a donné naissance à ce dé lire, sur tous les faits qui s’y rattachent, sur les sentiments qui en dé pendent.

 

Cette remarque trè s importante peut ê tre faite sur la plupart des autres cas. He… qui a le dé lire de la lionne, a non seulement oublié cette pé riode de somnambulisme, mais encore sa promenade au Jardin des Plantes qui lui a donné naissance. Sm., qui emporte son oreiller sur le toit en croyant sauver son enfant des griffes d’une belle-mè re, ne se souvient plus de ses querelles avec cette femme, querelles qui sont pourtant le point de dé part de cette maladie actuelle. J’ai recueilli à ce propos une observation singuliè re, où cette amné sie ré trograde accompagnant le somnambulisme est bien mise en é vidence. Une jeune fille de dix-neuf, L…, a des crises de somnambulisme dans lesquelles elle parle d’argent, de voleurs, d’incendie, et dans lesquelles elle appelle à son secours un certain Lucien. Ré veillé e, elle ne sait pas du tout ce que cela veut dire, et pré tend que, dans sa vie, il n’y a aucun é vé nement dans lequel il soit question de voleurs, d’incendie et de Lucien. Comme elle est venue seule à l’hô pital, nous n’avons pas d’autres renseignements et nous sommes forcé s de croire qu’il s’agit là d’un dé lire imaginaire. Six mois aprè s seulement, des parents viennent de province pour la voir, et nous racontent un é vé nement survenu il y a trois ans, qui a é té le point de dé part de ses crises nerveuses. Elle é tait domestique dans un châ teau qui a é té une nuit volé et incendié et elle a é té sauvé e par un jardinier nommé Lucien. Comment cette jeune fille a-t-elle oublié un é vé nement aussi grave, et n’a-t-elle jamais pu en parler quand elle racontait sa vie, et comment un oubli si singulier coï ncide-t-il justement avec le dé veloppement de cette mé moire extraordinaire sur le mê me sujet qui remplit le somnambulisme? C’est là, croyons-nous, le fait essentiel.

 

Ce qui caracté rise ce premier groupe d’amné sies, c’est qu’elles ne portent pas sur une caté gorie de souvenirs bien distincte, comme le seraient les images d’un sens dé terminé, les images auditives ou les images visuelles. L’oubli porte sur des images trè s varié es se rattachant à un mê me é vé nement, collaborant, comme disait M. Paulhan, a une fin commune; ce qui est oublié, c’est un systè me d’images, et c’est pourquoi on peut dé signer ce premier groupe sous le nom d’amné sie systé matique. Nous aurons l’occasion de revoir un grand nombre d’amné sies de ce genre à propos des diverses paralysies; il suffit de constater ici leur existence.

 

Amné sies localisé es. ¾ Chez les mê mes sujets, dans des circonstances à peu prè s semblables, on peut observer plus facilement peut-ê tre des amné sies un peu diffé rentes. Celles-ci ne portent pas uniquement sur un systè me d’idé es ou d’é vé nements, mais elles portent sur toute une é poque, sur toute une mê me pé riode de temps, quels que soient les é vé nements qui l’aient remplie. Les anciens magné tiseurs, comme Despine d’Aix, en 1840, avaient dé jà souvent observé le fait. « Il lui arrivait souvent, dit ce dernier auteur en parlant d’Estelle, de faire ou d’entendre une lecture, une conversation qui semblait l’avoir vivement inté ressé e, et peu d’instants aprè s l’enfant ne paraissait pas en conserver le moindre souvenir. On la portait à la promenade, elle voyait tout ce qui se passait autour d’elle, y prenait inté rê t, en causait, etc., et, au retour, elle semblait avoir tout oublié; on aurait dit un rê ve qui s’enfuyait ». De telles amné sies portant sur un temps donné sont aujourd’hui trè s connues. Nous venons d’en voir un exemple en constatant l’oubli qui suit les pé riodes pendant lesquelles se sont dé veloppé es les idé es fixes à forme somnambulique. On les constate souvent sans qu’il y ait eu auparavant de somnambulisme bien net, ou du moins sans qu’on se soit aperç u que la pé riode pré cé dente é tait un somnambulisme. Une de ces personnes va au thé â tre, paraî t s’y amuser, et, au retour, semble convaincue qu’elle n’a pas bougé de chez elle. Telle autre fait un grand travail de broderie et, retrouvant cet ouvrage, demande naï vement qui l’a fait. On voit de ces amné sies qui s’é tendent sur d’assez longs laps de temps, plusieurs jours ou quelquefois plusieurs mois, nous apprenant ainsi que ces pé riodes ont eu un caractè re anormal, ce qui n’avait pas toujours é té remarqué. Il n’est pas rare qu’au moment de la gué rison des hysté riques on constate ainsi des amné sies portant sur de longues pé riodes de la maladie. L’é tude de ces amné sies localisé es est des plus importantes pour nous renseigner sur les diverses modifications de la maladies du sujet.

 

Parmi les amné sies localisé s, il faut faire une place à part à cette forme particuliè rement remarquable qui a é té dé crite sous le nom d’amné sie ré trograde. L’oubli, dans ces cas, est dé terminé par un choc ou par une é motion violente, et il porte en arriè re sur une pé riode de temps plus ou moins longue pré cé dant immé diatement cet é vé nement. Ce sont des cas de ce genre qui ont é té l’occasion des premiè res é tudes de M. Ribot sur les Maladies de la Mé moire et qui ont joué un grand rô le dans le dé veloppement de la psychologie pathologique.

 

À propos de ces cas je voudrais rappeler une mé thode graphique qui m’a semblé fort utile pour repré senter de pareilles amné sies. On se sert souvent en mé decine de petites figures sché matiques pour repré senter les diffé rentes lé sions d’un organe ou les troubles de la sensibilité, mais il n’existait pas de sché ma de ce genre pour les troubles de la mé moire, car il y avait là une grande difficulté de repré sentation. Dans un souvenir ou dans un oubli il y a deux choses diffé rentes qu’il faut exposer simultané ment. Nous devons d’abord considé rer le moment où ce souvenir se pré sente à notre esprit; nous devons aussi considé rer la pé riode passé e sur laquelle porte le souvenir. Pour indiquer ces deux notions, je me suis servi souvent du sché ma suivant [8]: Dans la figure 2, la ligne horizontale OX de gauche à droite repré sente les diffé rentes pé riodes du cours de la vie dans leur ordre d’apparition, c’est sur cette ligne que nous inscrirons les souvenirs au moment où ils se manifestent. La ligne verticale OY, de bas en haut, repré sente les mê mes pé riodes, mais en tant que souvenirs, en tant que repré sentations. À chaque point de la ligne horizontale nous é levons une perpendiculaire repré sentant le nombre de souvenirs qu’on possè de à ce moment. Sa hauteur est dé terminé e par la hauteur à laquelle s’é lè ve sur la ligne verticale OY les souvenirs correspondants aux pé riodes é coulé es à ce moment. Comme cette hauteur s’é lè ve naturellement à mesure que s’avance le cours de la vie, la mé moire normale est thé oriquement repré senté e par ce triangle, dont l’un des cô té s est formé par la ligne horizontale OX.

 

 

Fig. 2. ¾ Sché ma d’un cas d’amné sie ré trograde

Cas de Koempfen, 1835.

 

 

l’autre par la perpendiculaire XY, et la troisiè me par la diagonale tiré e du point O. Si nous avons à repré senter des oublis, des amné sies, nous marquerons un point noir au-dessus de celui qui repré sente la date où l’amné sie apparaî t, et la grandeur de cette marque noire sera dé terminé e par la ligne parallè le qui rencontre sur la verticale OY le souvenir oublié. Cette figure, qui est assez simple, nous permet de nous repré senter les diffé rentes amné sies d’une maniè re claire et frappante. Ainsi la figure 2 repré sente un cas d’amné sie ré trograde des plus anciens et des plus typiques; le cas de Kaempfen, 1835.

 

Ces amné sies ré trogrades ont é té observé es dans des cas trè s varié s: aprè s des chutes de cheval, des tentatives de suicide, aprè s des empoisonnements, elles sont surtout fré quente aprè s des é motions. Je ne discute pas ici pour savoir si ce symptô me peut se pré senter en dehors de l’hysté rie, mais je crois pouvoir dire que la plupart des cas remarquables et bien typiques ont é té observé s chez des hysté riques.

 

Amné sies continues. ¾ Comme on peut le voir par le graphique pré cé dent, l’amné sie dé terminé e par le choc é motionnel n’est pas uniquement ré trograde. La tache noire s’é tend aussi en avant sur le souvenir des é vé nement posté rieurs à l’é motion; c’est ce que Charcot appelait l’amné sie anté rograde et ce que j’ai dé signé moi-mê me sous le nom d’amné sie continue. Le trouble ne semble pas se borner à supprimer des souvenirs anciennement acquis, mais il semble rendre le modè le incapable d’en acqué rir de nouveaux.

 

Le cas typique de ce genre est la cé lè bre Mme D…, le sujet d’une des derniè res leç ons de Charcot, à laquelle j’ai consacré une longue é tude [9]. Cette femme, à l’â ge de trente ans, avait é té la victime d’une mauvaise plaisanterie: un individu, entré brusquement chez elle, lui avait crié : « Madame D…, pré parez un lit, car on rapporte votre mari qui est mort ». La pauvre femme eut à la suite une grande crise convulsive et dé lirante de quarante-huit heures. Quand elle revint à elle, on constata d’abord qu’elle avait oublié et l’incident malheureux et les trois mois pré cé dents. Mais, en outre, elle pré sentait une attitude extrê mement bizarre, car elle ne se souvenait de rien de ce qui se passait devant elle; les jours ne s’é coulaient pas pour elle; elle croyait toujours ê tre au lendemain du 14 Juillet et ne savait jamais qu’une personne venait de lui parler ou qu’elle avait fait quelque chose. De grave é vé nements, une morsure par un chien enragé, le voyage à Paris, les injections à l’Institut Pasteur, les examens à Salpê triè re, rien ne laissait la moindre trace dans son esprit. Cette observation paraî tra encore plus remarquable si j’ajoute que ce trouble é trange a é té complet pendant plus de quatre ans, et qu’aujourd’hui, aprè s plus de quinze ans, il n’est pas complè tement disparu. La malade a conservé l’habitude é trange de ne pas pouvoir retrouver le souvenir des é vé nements tout à fait ré cents. Ainsi elle ne sait rien de ce qu’elle a fait hier et les souvenirs de la journé e d’hier ne pourront ê tre des é lé ments de sa conscience que dans quelques jours, tandis que les é vé nements de ces nouvelles journé es seront eux-mê mes oublié s. C’est là un fait curieux que j’ai appelé la mé moire retardante et qui se rattache à toutes sortes de phé nomè nes curieux de la pathologie mentale. La figure 3 montre les modifications de cette é trange amné sie pendant une pé riode de quatre anné es.

 

Sans doute, tous les cas d’amné sie continue sont loin d’ê tre aussi remarquables, mais ce trouble dans l’acquisition des souvenirs nouveaux est cependant fré quent, et on peut observer chez beaucoup d’hysté riques. Ces malades cessent de s’instruire, n’ajoutent plus de souvenir nouveaux à leur capital intellectuel et ne conservent en ré alité qu’une mé moire trè s vague des é vé nements qui se passent sous leurs yeux.

 

 

2. - Les doutes psychasté niques.

 

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Tous les né vropathes sont loin de pré senter des amné sies aussi caracté ristiques que celles des hysté riques. Les malades qui nous ont pré senté des obsessions et des impulsions ré pè tent sans doute à chaque instant qu’ils n’ont aucune mé moire, qu’ils oublient tout. Mais il ne faut pas les croire sur parole, nous savons qu’ils sont tourmenté s par un perpé tuel mé contentement d’eux-mê mes et qu’ils se croient incapables de faire aucune opé ration correcte. Quand on les interroge avec patience, on constate qu’ils ont en ré alité conservé tous les souvenirs. La plupart de mes malades ont pu me raconter leurs crises d’obsessions elles-mê mes avec un luxe de dé tails inouï. Les malentendus sur ce point dé pendent de deux choses, c’est que le malade a besoin d’un certain calme pour retrouver ses souvenirs et qu’ensuite il est si absorbé par ses propres obsessions qu’il accorde trè s peu d’importance aux é vé nements exté rieurs. Cette distraction dé termine un certain degré d’amné sie continue, c’est-à -dire un certain oubli d’une partie des é vé nements ré cents, mais on n’observe pas là la netteté des amné sies hysté riques portant sur tous les faits d’une pé riode dé terminé e.

 

 

 

Fig. 3. ¾ Sché ma d’un cas d’amné sie ré trograde et continue,

celui de Mme D.., pendant quatre ans.

 

 

Si ces malades ne pré sentent pas les amné sies pré cé dentes, on peut se demander s’il y a chez eux un symptô me correspondant à l’amné sie des hysté riques, s’ils y a une insuffisance intellectuelle analogue se manifestant sous une autre forme. Je crois qu’il y a chez ces malades un phé nomè ne trè s important qui correspond exactement à l’amné sie: c’est le doute. Dé jà, dans la crise d’obsession, le doute apparaissait, comme pré cé demment l’amné sie accompagnait les idé es fixes. L’obsé dé, disions-nous, n’accepte pas complè tement son idé e dé lirante, il n’obé it pas à l’impulsion, il n’est pas halluciné, il est tout prê t à dé clarer son obsession ridicule; mais tout cela n’empê che pas qu’il s’en pré occupe, qu’il y pense sans cesse. Il y croit donc d’une certaine maniè re, mais il n’y croit pas complè tement; il est à son propos dans un é tat de doute des plus pé nibles.

 

Le doute s’é tend beaucoup plus loin, il dé termine une foule de troubles mentaux que l’on pourrait rattacher aux pré cé dents, comme une forme d’obsession incomplè te, mais qu’il est plus inté ressant de ré unir ici avec tout ce qui concerne le doute. Ce sont des agitations de la pensé e, des tics intellectuels, comme les appelait Azam, ou simplement  des manies mentales,  suivant l’expression du vulgaire qui me semble suffisamment claire. Ce sont des opé rations intellectuelles interminables à propos de trè s petites choses qui occupent dans l’esprit du sujet une place tout à fait disproportionné e avec leur importance ré elle [10].

 

Les premiè res et les plus typiques de ces manies mentales que le dé faut de croyance nous faisait pré voir sont les manies de l’oscil­lation. L’esprit n’arrive pas à une conviction formelle, mais il ne se repose pas dans cet é tat de doute que Montaigne appelait un mol oreiller pour les tê tes bien faites et qui n’est pour ces tê tes-là qu’un instrument de torture. Les uns appliqueront la manie de l’interrogation à leurs souvenirs: Ls… a-t-elle voué son enfant au bleu? Il serait essentiel de le savoir; certaines circonstances la poussent à croire que oui, certaines autres que non. Dè s que la considé ration des unes l’incline à une opinion, les autres se pré sentent avec plus de force et le balancement continue pendant des heures. Les autres s’interrogent sur leurs sentiments. Fa… se demande perpé tuellement si elle trouve d’autres hommes mieux que son mari et Re… cherche avec angoisse si oui ou non elle aime son fiancé.

 

Dans ce groupe doivent se ranger aussi les manies du pré sage ou l’interrogation du sort. Le malade ne pouvant arriver lui-mê me à la solution de la question qu’il s’est posé e s’en remet à quelque affirmation é trangè re, indiscutable parce qu’elle est incompré hensible, il dé cide d’accepter la dé cision du sort; de mê me, quand nous hé sitons entre deux actions et que nous n’avons pas l’é nergie suffisante pour reconnaî tre quelle est la meilleure, nous jouons à pile ou face. By… se tourmente pour savoir s’il croit en Dieu ou s’il n’y croit pas: « Si, dé cide-t-il, en marchant dans la rue je puis é viter de traverser l’ombre des arbres, c’est que je crois en Dieu, si je traverse l’ombre des arbres c’est que je n’y crois pas ». J. -J. Rousseau, qui, par bien des cô té s, é tait un malade tout à fait semblable à ceux que j’é tudie ici, note dans ses Confessions qu’il se sentait poussé à ré soudre les questions insolubles par un procé dé semblable. « La peur de l’enfer, dit-il, m’agitait encore souvent. Je me demandais: quel é tat suis-je? Si je mourais à l’instant mê me serais-je damné? … Toujours craintif, et flottant dans cette cruelle incertitude j’avais recours, pour en sortir, aux expé dients les plus risibles et pour lesquels je ferais volontiers enfermer un homme si je lui en voyais faire autant… Je m’avisait de me faire une espè ce de pronostic pour clamer mon inquié tude. Je me dis: je m’en vais jeter cette pierre contre l’arbre qui est vis-à -vis de moi: si je le touche, signe de salut; si je le manque, signe de damnation. Tout en disant ainsi, je jette ma pierre d’une main tremblante et avec un horrible battement de cœ ur, mais si heureusement qu’elle va frapper au beau milieu de l’arbre; ce qui vé ritablement n’é tait pas difficile, car j’avais eu soin de la choisir fort gros et fort prè s. Depuis lors je n’ai plus douté de mon salut » [11]

 

Un grand nombre d’autres manies mé ritent bien le nom de manies de l’au delà. L’esprit toujours instable veut dé passer le terme donné, y ajouter autre chose, aller au delà. Nous verrons un grand nombre de ces manies à propos des troubles de la perception; mais quelques-unes se rattachent aux trouble proprement intellectuels, par exemple les manies de la recherche et surtout de la recherche dans le passé. Pour se convaincre qu’il n’a pas accompli dans la journé e un acte criminel, Ce… s’arrê te et cherche à se rappeler exactement les diverses actions qu’il a faites, les diffé rentes phases par lesquelles a passé chaque action. Il emploie des heures à vé rifier dans sa mé moire comment il a passé d’un mouvement insignifiant à un autre aussi futile. Si par malheur, dans cette revue, il y a un instant dont le souvenir ne soit pas pré cis, le voici au comble du dé sespoir. Qu’a-t-il pu faire en cet instant? Il fait des efforts inouï s pour se convaincre que, pendant cette seconde, il n’a pas commis quelque horreur. Il y a un an, un vendredi soir, Ls… s’est-elle laissé e aller à vouer ses enfants au diable? Pour le savoir, il faut rechercher si à cette é poque elle a dé siré quelque chose assez fortement pour prier le diable de le lui accorder, si elle a cé dé à la tentation d’obtenir ce qu’elle dé sirait par le sacrifice des enfants ou si elle a su ré sister en disant la formule d’exorcisme: « Non, non, 4, 2, 1. ». Voilà un petit problè me qui n’est pas facile à ré soudre.

 

C’est à cette manie de recherche des souvenirs que se rapportent le plus souvent les faits qui ont é té dé crits par Charcot et Magnan sous le nom d’onomatomanie. Dans le cas le plus remarquable dé crit par ces auteurs, le malade a é té frappé par la lecture d’une anecdote dans le journal: une petite fille en jouant é tait tombé e dans une bouche d’é gout. Il veut, le soir, raconter ce qu’il a lu, mais il s’aperç oit qu’il a oublié le nom de la petite fille; il cherche son nom avec une angoisse terrible. La crise d’agitation physique et morale dé terminé e par cette enquê te a é té é pouvantable toute la nuit, jusqu’à ce que, le matin, il put retrouver dans un journal le nom de Georgette. Plusieurs de nos malades ne circulent pas sans un carnet sur lequel ils inscrivent les noms et les adresses de toutes les personnes qui leur parlent, afin de les retrouver sans effort.

 

Les recherches peuvent encore porter sur d’autres objets: un homme de quarante ans, quand il voyage, essaie de se remé morer l’aspect du paysage qu’il a vu; s’il ne peut y arriver, il souffre tellement qu’il refait le voyage pour combler les lacunes de sa mé moire. Parfois, il transige avec lui-mê me et se borne à envoyer un domestique pour vé rifier certaines particularité s resté es incertaines dans son esprit. Ce fait rappelle la cé lè bre anecdote de Legrand du Saulle: un malade de ce genre é tait pré occupé par la question grave de savoir si les femmes qu’il rencontrait é taient laides ou é taient jolies. Un domestique devait mê me l’accompagner pour ré pondre toujours avec pré cision et ne pas laisser la question grandir dans son esprit. Un jour, ce domestique eut l’imprudence de dire qu’il n’avait pas remarqué si la buraliste du chemin de fer é tait laide ou jolie. La crise dé terminé e par cette recherche fut telle qu’il fallut envoyer le domestique faire de nouveau le voyage.

 

Cette manie des recherches peut s’appliquer à l’avenir, elle peut se compliquer et se transformer en manie de l’explication qu’on appelait autrefois la folie mé taphysique. J’ai pu observer chez de nombreux sujets tous les degré s de ces recherches d’explications, depuis les questions les plus humbles sur la couleur des feuilles dans les arbres jusqu’aux plus grands problè mes mé taphysiques. L’une se demande indé finiment: « Pourquoi porte-t-on un tablier? pourquoi met-on une robe? pourquoi les messieurs n’ont-ils pas de robe? » Un autre s’interroge sur la fabrication des objets: « Comment a-t-on pu faire une maison? un bec de gaz? » Celle-ci se demande toute la journé e: « Comment se fait-il qu’il tonne, qu’il y ait des é clairs, qu’il y ait un soleil, qu’il fasse jour ou nuit? Si on avait pas de riviè res et pas d’eau comment est-ce qu’on ferait pour boire, pour laver? Et si on n’avait pas d’yeux, comment est-ce qu’on ferait pour voir? » Celle-là s’é lè ve à des problè mes psychologiques: « Comment des petits points noirs sur le papier peuvent-ils contenir une pensé e? Comment les mot viennent-ils dans ma bouche en mê me temps que je pense? Comment la parole, qui est un bruit, peut-elle transporter la pensé e? Comment se fait-il que j’aime ma fille qui est en dehors de moi? » Il est curieux de remarquer que ces spé culations ne se pré sentent pas uniquement chez les personnes intelligentes et cultivé es, elles se retrouvent presque identiques chez des femmes du peuple absolument sans é ducation. Hm…, femme de vingt et un ans, ouvriè re à la campagne, qui sait à peine lire et qui ne sait pas é crire, est tourmenté e aprè s son accouchement par des idé es de ce genre: « Je ne puis pas comprendre comment cela se fait qu’il y ait du monde; pourquoi y a-t-il des arbres, des bê tes? qu’est-ce que tout cela va devenir quand tout sera fini? » Il y a là un besoin de spé culation, de travail mental, qui s’effectue indé pendamment des connaissances acquises et des capacité du sujet pour discuter les problè mes qu’il pose.

 

Ces manies de l’au delà aboutissent toutes au mê me point, Elles poussent toutes les opé rations mentales à l’extrê me, aussi loin qu’il est possible d’arriver. C’est pour cela que, dans leurs obsessions, ces malades s’imaginent toujours des remords, des hontes, des crimes, des sacrilè ges tout à fait é normes et invraisemblables. Ils veulent arriver à des choses é pouvantables, à des crimes inouï s que personne n’aurait encore faits, que personne n’aurait encore faits, que personne n’aurait encore imaginé s. Ils se torturent l’imagination pour arriver à l’abomi­nable et presque toujours ils é chouent dans le grotesque. Cet é tat d’esprit est assez bien dé crit par l’auteur de A rebours  et de Là -bas. En é coutant nos sacrilè ges, on pense à ce chanoine « qui nourrit des souris blanches avec des hosties consacré es et qui s’est fait tatouer sur la plante des pieds l’image de la croix, afin de toujours marcher sur le Sauveur [12] ». Cette manie de l’extrê me les amè ne à penser constamment à la mort, à la fin du monde. Ils ont la manie des gé né ralisations, la manie du tout ou rien, et beaucoup d’entre eux ont la manie de concevoir constamment les idé es d’infini et d’é ternité.

 

Toutes ces diverses manies mentales peuvent se ré unir, se combiner les unes avec les autres et dé terminer un é tat d’esprit bien curieux que j’ai appelé la rumination mentale [13]. C’est un singulier travail de la pensé e qui accumule les associations d’idé es, les interrogations, les questions, les recherches innombrables, de maniè re à former un inextricable dé dale. Le travail est plus ou moins compliqué, suivant l’intelligence du sujet; mais qu’il tourne en cercle ou qu’il prenne des embranchements, il n’arrive jamais à une conclusion, il ne peut jamais « tirer la barre », et s’é puise dans un travail aussi interminable qu’inutile.



  

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