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CINQUIÈME PARTIE 3 страница



Camille broyait la main de Franck.

– Ah! Encore une chose… Quand il s'est pré senté la premiè re fois, il m'a dit: «Philibert de la Durbelliè re» alors, moi, normale, polie, je lui ai ré pondu pareil, gé ographiquement: «Suzy… euh… de Belle-ville…» «Ah! s'est-il exclamé, vous ê tes une descendante de Geoffroy de Lajemme de Belleville qui combattit les Habsbourg en 1672? » Ouh là! «Nan, j'ai bafouillé, de… de Belleville de… de Paris quoi…» Eh bien vous savez le pire? Il n'é tait mê me pas dé ç u…

Elle sautillait.

– Alors voilà, tout est là, tout est dit. Et je vous demande de l'applaudir trè s fort…

Franck siffla entre ses doigts.

Philibert entra pesamment. En armure. Avec la cotte de mailles, l'aigrette au vent, la grande é pé e, le bouclier et toute la quincaille.

Frissons dans l'assistance.

Il se mit à parler mais on ne comprenait rien.

Au bout de quelques minutes, un gamin s'est approché avec un tabouret pour lui soulever sa visiè re.

L'autre, imperturbable, devint enfin audible.

Esquisses de sourires.

On ne savait pas encore si c'é tait du lard ou du cochon…

Philibert commenç a alors un strip-tease gé nial. À chaque, fois qu'il retirait un morceau de ferraille, son petit page le nommait bien fort:

– Le casque… Le bassinet… Le gorgerin… Le colletin… Le plastron… La pansiè re… Les cubitiè res… Le gantelet… Les cuissards… Les genouillè res… Les jambiè res…

Complè tement dé sossé, notre chevalier finit par s'affaisser et le gosse lui retira ses «chaussures».

– Les solerets, annonç a-t-il enfin, en les soulevant au-dessus de sa tê te et en se bouchant le nez.

Vrais rires cette fois.

Rien ne vaut un bon gros gag pour chauffer une salle…

Pendant ce temps, Philibert, Jehan, Louis-Marie, Georges Marquet de la Durbelliè re dé taillait, d'une voix monocorde et blasé e, les branches de son arbre gé né alogique en é numé rant les faits d'armes de sa prestigieuse ligné e.

Son papy Charles contre les Turcs avec Saint Louis en 1271, son pé pé Bertrand dans les choux à Azincourt en 1415, son tonton Bidule à la bataille de Fontenoy, son pé pé Louis sur les berges de la Moine à Cholet, son grand-oncle Maximilien aux cô té s de Napolé on, son arriè re-grand-pè re sur le Chemin des Dames et son grand-pè re maternel prisonnier des boches en Pomé ranie.

Avec moult et moult dé tails. Les gosses ne pipaient pas mot. L'Histoire de France en 3 D. Du grand art.

– Et la derniè re feuille de l'arbre, conclut-il, la voilà.

Il se releva. Tout blanc et tout maigrelet, seulement vê tu d'un caleç on imprimé de fleurs de lys.

– C'est moi, vous savez? Celui qui compte ses cartes postales…

Son page lui apporta une capote militaire.

– Pourquoi? les interrogea-t-il. Pourquoi, diantre, le dauphin d'un tel convoi compte et recompte des bouts de papier dans un lieu qu'il abhorre? Eh bien, je vais vous le dire…

Et là, le vent tourna. Il raconta sa naissance cafouilleuse parce qu'il se pré sentait mal, «dé jà …», soupira-t-il, et que sa mè re refusait d'aller dans un hô pital où l'on pratiquait des avortements. Il raconta son enfance coupé e du monde pendant laquelle on lui apprenait à garder ses distances d'avec le petit peuple. Il raconta ses anné es de pensionnat avec son Gaffiot comme fer de lance et les innombrables mesquineries dont il fut la victime, lui qui ne connaissait des rapports de force que les mouvements lents de ses soldats de plomb…

Et les gens riaient.

Ils riaient parce que c'é tait drô le. Le coup du verre de pipi, les railleries, les lunettes jeté es dans les cabinets, les provocations à la branlette, la cruauté des petits paysans de Vendé e et les consolations douteuses du surveillant. La blanche colombe, les longues priè res du soir pour pardonner à ceux qui nous avaient offensé s et ne pas nous soumettre à la tentation et son pè re qui lui demandait chaque samedi s'il avait su tenir son rang et faire honneur à ses ancê tres pendant qu'il se tré moussait parce qu'on lui avait encore passé la bis-touquette au savon noir.

Oui, les gens riaient. Parce qu'il en riait, lui, et qu'on é tait avec lui dé sormais.

Tous des princes…

Tous derriè re son panache blanc…

Tous é mus.

Il raconta ses TOC. Troubles obsessionnels compulsifs. Son Lexo, ses feuilles de sé cu où son nom ne tenait jamais, ses bé gaiements, ses cafouillages, quand sa langue s'embourbait dans son trouble, ses crises d'angoisse dans les lieux publics, ses dents dé vitalisé es, son crâ ne dé garni, son dos un peu voû té dé jà et tout ce qu'il avait perdu en cours de route pour ê tre né sous un autre siè cle. É levé sans té lé vision, sans journaux, sans sorties, sans humour et surtout sans la moindre bienveillance pour le monde qui l'entourait.

Il donna des cours de maintien, des rè gles de savoir-vivre, rappela les bonnes maniè res et autres usages du monde en ré citant par cœ ur le manuel de sa grand-mè re:

«Les personnes gé né reuses et dé licates ne se servent jamais, en pré sence d'un domestique, d'une comparaison qui peut ê tre injurieuse pour lui. Par exemple: " Untel se conduit comme un laquais. " Les grandes dames d'autrefois ne se piquaient pas d'une telle sensibilité, allez-vous dire et je sais en effet, qu'une duchesse du xviiie siè cle avait coutume d'envoyer ses gens en place de Grè ve à chaque exé cution en leur disant crû ment: " Allez à l'é cole! "

«Nous mé nageons mieux aujourd'hui la dignité humaine et la juste susceptibilité des petits et des humbles; c'est l'honneur de notre temps…

«Mais tout de mê me! renché rit-il, la politesse des maî tres envers les serviteurs ne doit pas dé gé né rer en familiarité basse. Par exemple, rien n'est aussi vulgaire que d'é couter les cancans de ses gens… »

Et l'on souriait encore. Mê me si cela ne nous faisait pas rire.

Enfin, il parla le grec ancien, ré cita des priè res en latin à tire-larigot et avoua qu'il n'avait jamais vu La Grande Vadrouille car l'on s'y moquait des religieuses…

– Je crois que je suis le seul Franç ais qui n'ait pas vu La Grande Vadrouille, non?

Des voix gentilles le rassuraient: Nan, nan… T'es pas le seul…

– Heureusement je… Je vais mieux. Je… j'ai descendu le pont-levis, je crois… Et je… J'ai quitté mes terres pour aimer la vie… J'ai rencontré des gens beaucoup plus nobles que moi et je… Enfin… Certains sont dans la salle et je ne voudrais pas les mettre ma… mal à l'aise mais…

Comme il les regardait, tous se retournè rent vers Franck et Camille qui essayaient dé sespé ré ment de rrr… hum… de ravaler la boule qu'ils avaient dans la gorge.

Parce que ce type qui parlait, là, ce grand é chalas qui les faisait tous marrer en racontant ses misè res, c'é tait leur Philou à eux, leur ange gardien, leur Super-Nesquick venu du ciel. Celui qui les avait sauvé s en refermant ses grands bras maigrichons sur leurs dos dé couragé s…

Pendant que les gens l'applaudissaient, il finissait de se rhabiller. Il é tait dé sormais en queue-de-pie et chapeau claque.

– Eh bien voilà … Je crois que j'ai tout dit… J'espè re ne pas vous avoir trop importuné s avec ces breloques poussié reuses… Si c'é tait le cas, hé las, je vous prie de m'excuser et de pré senter vos dolé ances à cette demoiselle Loyale en cheveux roses car c'est elle qui m'a forcé à me tenir devant vous ce soir… Je vous promets que je ne recommencerai pas, mais euh…

Il agita sa canne en direction des coulisses et son page revint avec une paire de gants et un bouquet de fleurs.

― Notez la couleur… ajouta-t-il en les enfilant, beurre frais… Mon Dieu… Je suis d'un classicisme indé crottable… Ou en é tais-je dé jà? Ah, oui! Les cheveux roses… Je… Je… sais que monsieur et madame Martin, les parents de mademoiselle de Belleville, sont dans la salle et je… je… je… je…

Il s'agenouilla:

– Je… je bé gaye, n'est-ce pas?

Rires.

– Je bé gaye et c'est bien normal pour une fois puisque je viens vous demander la main de votre fi…

À ce moment-là, un boulet de canon traversa la scè ne et vint le faire tré bucher. Son visage disparut alors sous une corolle de tulle et l'on entendit:

– Hiiiiiiiiiiiiii, je vais ê tre marquiiiiiiiiiiiiii-seu!!!!

Les lunettes de travers, il se releva en la portant dans ses bras:

– Fameuse conquê te, vous ne trouvez pas?

Il souriait.

– Mes ancê tres peuvent ê tre fiers de moi…


11


Camille et Franck n'assistè rent pas au pot de fin d'anné e de la troupe car ils ne pouvaient se permettre de louper le Zack de 23: 58.

Ils é taient assis l'un à cô té de l'autre cette fois et ne furent guè re plus bavards qu'à l'aller.

Trop d'images, trop de secousses…

– Tu crois qu'il va rentrer ce soir?

– Mmm… N'a pas l'air trop à cheval sur l'é tiquette cette jeune fille…

– C'est fou, hein?

– Complè tement fou…

– T'imagines la gueule de la Marie-Laurence quand elle va dé couvrir sa nouvelle belle-fille?

– À mon avis, ce n'est pas pour demain…

– Pourquoi tu dis ç a?

– Je ne sais pas… Intuition fé minine… L'autre jour, au châ teau, quand on se promenait aprè s le dé jeuner avec Paulette, il nous a dit en tremblant de rage: «Vous vous rendez compte? C'est Pâ ques et ils n'ont mê me pas caché d'œ ufs pour Blanche…» Je me trompe peut-ê tre mais j'ai eu l'impression que c'é tait la goutte d'eau qui venait de couper le cordon… À lui, ils ont tout fait subir sans qu'il en prenne ombrage plus que ç a, mais là … Ne pas cacher d'œ ufs pour cette petite fille, c'é tait trop lamentable… Trop lamentable… J'ai senti qu'il é vacuait sa colè re en prenant de sombres dispositions… Tant mieux, tu me diras… C'est toi qui as raison: ils ne le mé ritaient pas…

Franck hocha la tê te et ils en restè rent là. En allant plus loin, ils auraient é té obligé s de parler du futur au conditionnel (Et s'ils se marient, où vont-ils vivre? Et nous, où allons-nous vivre? etc. ) et ils n'é taient pas prê ts pour ce genre de discussion… Trop risqué e… Trop casse-gueule…

Franck paya madame Perreira pendant que Camille racontait la nouvelle à Paulette puis ils mangè rent un morceau dans le salon en é coutant de la techno supportable.

– C'est pas de la techno, c'est de l'é lectro.

– Ah, excuse…

En effet, Philibert ne revint pas cette nuit-là et l'appartement leur sembla affreusement vide… Ils é taient heureux pour lui et malheureux pour eux… Un vieil arriè re-goû t d'abandon leur remontait en bouche…

Philou…

Ils n'eurent pas besoin de s'é pancher pour se dire leur dé sarroi. Pour le coup, ils se recevaient cinq sur cinq.

Ils prirent le mariage de leur ami comme pré texte pour taper dans les alcools forts et trinquè rent à la santé de tous les orphelins du monde. Il y en avait tant et tellement qu'ils conclurent cette soiré e mouvementé e par une cuite magistrale.

Magistrale et amè re.


Marquet de la Durbelliè re, Philibert, Jehan, Louis-Marie, Georges, né le 27 septembre 1967 à La Roche-sur-Yon (Vendé e), é pousa Martin, Suzy, né e le 5 janvier 1980 à Montreuil (Seine-Saint-Denis) à la mairie du XXe arrondissement de Paris le premier lundi du mois de juin 2004 sous l'œ il é mu de ses té moins Lestafier, Franck, Germain, Maurice, né le 8 aoû t 1970 à Tours (Indre-et-Loire) et Fauque, Camille, Marie, Elisabeth né e le 17 fé vrier 1977 à Meudon (Hauts-de-Seine) et en pré sence de Lestafier Paulette qui refuse de dire son â ge.

É taient aussi pré sents les parents de la marié e ainsi que son meilleur ami, un grand garç on aux cheveux jaunes à peine plus discret qu'elle…

Philibert portait un costume en lin blanc magnifique avec une pochette rose à pois verts.

Suzy portait une minijupe rose à pois verts magnifique avec un faux cul et une traî ne de plus de deux mè tres de long. «Mon rê ve! » ré pé tait-elle en riant.

Elle riait tout le temps.

Franck portait le mê me costume que Philibert en plus caramel. Paulette portait un chapeau confectionné par Camille. Une sorte de petit bibi-nid avec des oiseaux et des plumes dans tous les sens et Camille portait l'une des chemises de smoking blanches du grand-pè re de Philibert qui lui descendait jusqu'aux genoux. Elle avait noué une cravate autour de sa taille et é trennait d'adorables sandales rouges. C'é tait la premiè re fois qu'elle se mettait en jupe depuis… Pff plus que ç a encore…

Ensuite tout ce beau monde alla pique-niquer dans les jardins des Buttes-Chaumont avec le grand panier de la Durbelliè re comme traiteur et en rusant pour ne pas se faire voir des gardiens.

Philibert dé mé nagea 1/100 000e de ses livres dans le petit deux-piè ces de son é pouse qui n'imagina pas une seconde quitter son quartier adoré pour un enterrement de premiè re classe de l'autre cô té de la Seine…

C'est dire si elle é tait dé sinté ressé e et c'est dire s'il l'aimait…

Il avait gardé sa chambre cependant et ils y dormaient à chaque fois qu'ils venaient dî ner. Philibert en profitait pour ramener des livres et en prendre d'autres et Camille en profitait pour continuer le portrait de Suzy.

Elle ne le sentait pas… Encore une qui ne se laisserait pas prendre… Hé! Les risques du mé tier…

Philibert ne bé gayait plus mais cessait de respirer dè s qu'elle sortait de son punctum.

Et quand Camille s'é tonnait de la rapidité avec laquelle ils s'é taient engagé s, ils la regardaient bizarrement. Attendre quoi? Pourquoi perdre du temps sur le bonheur? C'est complè tement idiot ce que tu dis là …

Elle secouait la tê te, dubitative et attendrie, pendant que Franck la regardait en tapinois…

Laisse tomber, tu peux pas comprendre, toi… Tu peux pas comprendre ç a… T'es tout en nœ uds… Y a que tes dessins qui sont beaux… T'es toute ré tracté e à l'inté rieur de toi… Quand je pense que j'ai cru que t'é tais vivante… Putain, fallait vraiment que je sois accro ce soir-là pour me foutre le doigt dans l'œ il à ce point… Je croyais que t'é tais venue me faire l'amour alors que t'é tais juste affamé e… Quel gros niais, je te jure…

Tu sais c'qu'y faudrait? Y faudrait te purger la tê te comme on vide un poulet et te sortir toute la merde que t'as là -dedans une bonne fois pour toutes. Y sera fortiche, le mec qu'arrivera à te dé plier… Pas sû r qu'il existe d'ailleurs… Philou me dit que c'est parce que t'es comme ç a que tu dessines bien, eh ben putain, c'est cher payé …

– Alors mon Franck? le secouait Philibert, tu as l'air tout chose à pré sent…

– Fatigué …

– Allez… C'est bientô t les vacances…

– Pff… Encore tout le mois de juillet à tirer… D'ailleurs je vais aller me coucher parce que je me lè ve tô t demain: je mets ces dames au vert…

Aller passer l'é té à la campagne… C'é tait une idé e de Camille et Paulette n'y voyait pas d'inconvé nients… Pas plus excité e que ç a, la mé mé … Mais partante. Partante pour tout du moment qu'on ne la forç ait à rien…

Quand elle lui annonç a son plan, Franck commenç a enfin à se faire une raison.

Elle pouvait vivre loin de lui. Elle n'é tait pas amoureuse et ne le serait jamais. Elle l'avait pré venu en plus: «Merci Franck. Moi non plus. » Aprè s c'é tait son problè me s'il s'é tait cru plus fort qu'elle et plus fort que le monde entier. Eh, non, mon gars, t'es pas le plus fort… Eh non… C'est pas faute de te l'avoir fait comprendre pourtant, hein? Mais t'es tellement tê tu, tellement faraud…

T'é tais pas encore né que c'é tait dé jà du n'importe quoi ta vie alors pourquoi ç a changerait maintenant?

Qu'est-ce que tu croyais? Que parce que tu la sautais de tout ton cœ ur et que t'é tais gentil avec elle, ç a te tomberait tout cuit dans le bec, le bonheur… Pff… Quelle pitié … Regarde-le un peu, tu l'as vu ton jeu? Où tu comptais aller avec ç a, dis-moi? Où tu comptais aller? Franchement?

Elle posa son sac et la valise de Paulette dans l'entré e et vint le rejoindre dans la cuisine.

– J'ai soif.

― …

– Tu fais la gueule? Ç a t'ennuie qu'on parte?

– Pas du tout! Je vais pouvoir m'amuser un peu…

Elle se leva et le prit par la main:

– Allez, viens…

– Où ç a?

– Te coucher.

– Avec toi?

– Ben oui!

– Non.

– Pourquoi?

– J'ai pu envie… T'es tendre que si t'as un coup dans le nez… Tu fais que tricher avec moi, j'en ai marre…

– Bon…

– Tu souffles le chaud et le froid…C'est dé gueulasse comme faç on de faire…

― …

– C'est dé gueulasse…

– Mais moi je suis bien avec toi…

– «Mais moi je suis bien avec toi…» reprit-il d'une voix niaiseuse. J'en ai rien à foutre que tu sois bien avec moi. Moi je voulais que tu sois avec moi, point. Le reste, là … Tes nuances, ton flou artistique, tes petits arrangements avec ton cul et ta conscience, tu te les gardes pour un autre nigaud. Cui-ci, il a tout rendu. T'en tireras rien de plus à pré sent et tu peux laisser tomber l'affaire, princesse…

– T'es tombé amoureux, c'est ç a?

– Oh, tu fais chier, Camille! C'est ç a! Parle-moi comme si j'é tais un grand malade maintenant! Putain un peu de pudeur, merde! Un peu de dé cence! Je mé rite pas ç a'quand mê me! Allez… Tu vas te barrer et ç a va me faire du bien… Qu'est-ce que je fous aussi à me laisser emmerder par une nana qui mouille à l'idé e de passer deux mois dans un trou paumé toute seule avec une vioque? T'es pas normale comme fille et si t'é tais un minimum honnê te, t'irais te faire soigner avant d'agripper le premier couillon qui passe.

– Paulette a raison. C'est incroyable ce que tu es grossier…

Le trajet, le lendemain matin, parut hum… assez long.

Il leur laissa la voiture et repartit sur sa vieille pé trolette.

– Tu reviendras samedi prochain?

– Pour quoi faire?

– Euh… Pour te reposer…

– On verra…

– Je te le demande…

– On verra…

– On s'embrasse pas?

– Nan. Je viendrai te baiser samedi prochain si j'ai rien de mieux à faire mais je t'embrasse plus.

– Bon.

Il alla dire au revoir à sa grand-mè re et disparut au bout du chemin.

Camille retourna à ses gros pots de peinture. Elle donnait dans la dé coration inté rieure maintenant…

Elle commenç a à ré flé chir et puis non. Sortit ses pinceaux du white-spirit et les essuya longuement. Il avait raison: on verra.

Et leur petite vie reprit. Comme à Paris mais en plus lent encore. Et au soleil.

Camille fit la connaissance d'un couple d'Anglais qui retapaient la maison d'à cô té. On s'é changea des trucs, des astuces, des outils et des verres de gin tonic à l'heure où les martinets mè nent la danse.

Elles allè rent au musé e des Beaux-Arts de Tours, Paulette attendit sous un cè dre immense (trop d'escaliers) pendant que Camille dé couvrait le jardin, la trè s jolie femme et le petit-fils du peintre Edouard Debat-Ponsan. Il n'é tait pas dans le dictionnaire celui-là … Comme Emmanuel Lansyer dont elles avaient visité le musé e à Loches quelques jours plus tô t… Camille aimait beaucoup ces peintres qui n'é taient pas dans le dictionnaire… Ces petits maî tres, comme on disait… Les ré gionaux de l'é tape, ceux qui n'avaient pour cimaise que les villes qui les avaient accueillis. Le premier restera à jamais le grand-pè re d'Olivier Debré et le second l'é lè ve de Corot… Bah… Sans la chape du gé nie et de la posté rité, leurs tableaux se laissaient aimer plus tranquillement. Et plus sincè rement peut-ê tre…

Camille é tait sans cesse en train de lui demander si elle ne voulait pas aller aux toilettes. C'é tait idiot, ce truc d'incontinence mais elle se raccrochait à cette idé e fixe pour la garder prè s du bord… La vieille dame s'é tait laissé e aller une fois ou deux et elle l'avait engueulé e copieusement:

«Ah! Non, ma petite Paulette, tout ce que vous voulez mais pas ç a! Je suis là rien que pour vous! Demandez-moi! Restez avec moi, bon sang! Qu'est-ce que ç a veut dire de se chier dessus comme ç a? Vous n'ê tes pas enfermé e dans une cage que je sache?

― …

– Hé! Ho! Paulette! Ré pondez-moi. Vous virez sourde en plus?

– Je voulais pas te dé ranger…

– Menteuse! Vous ne vouliez pas vous dé ranger! »

Le reste du temps, elle jardinait, bricolait, travaillait pensait à Franck et lisait - enfin - Le Quatuor d'Alexandrie. À voix haute quelquefois… Pour la mettre dans l'ambiance… Et puis c'é tait son tour de raconter les opé ras…

«É coutez, là, c'est trè s beau… Don Rodrigue propose à son ami d'aller mourir à la guerre avec lui pour lui faire oublier qu'il est amoureux d'Elisabeth…

«Attendez, je monte le son… Ecoutez-moi ce duo, Paulette… Dieu, tu semas dans nos â -â -â mes… fredonnait-elle en bougeant ses poignets, na ninana ninana…

«C'est beau, hein? »

Elle s'é tait assoupie.

Franck ne vint pas le week-end suivant mais elles eurent la visite des insé parables monsieur et madame Marquet.

Suzy avait posé son coussin de yoga dans les herbes folles et Philibert lisait dans un transat des guides sur l'Espagne où ils devaient se rendre la semaine suivante pour leur voyage de noces…

– Chez Juan Carlos… Mon cousin par alliance.

– J'aurais dû m'en douter… sourit Camille.

– Mais… Et Franck? Il n'est pas là?

– Non.

– En motocyclette?

– Je ne sais pas…

– Tu veux dire qu'il est resté à Paris?

– J'imagine…

– Oh Camille… se dé sola-t-il…

– Quoi, Camille? s'é nerva-t-elle, Quoi? C'est toi-mê me qui m'as dit en parlant de lui la premiè re fois qu'il é tait impossible… Qu'il avait rien lu à part les petites annonces de Motobeaufeland Magazine, que… que…

– Chut. Calme-toi. Je ne te reproche rien.

– Non, tu fais pire…

– Vous aviez l'air si heureux…

– Oui. Eh bien justement. Restons-en là. N'abî mons pas tout…

– Tu crois que c'est comme tes mines de crayon? Tu crois que ç a s'use quand on s'en sert?

– De quoi?

– Les sentiments.

– De quand date ton dernier autoportrait?

– Pourquoi tu me demandes ç a?

– De quand?

– Longtemps…

– C'est bien ce que je pensais…

– Ç a n'a rien à voir.

– Non bien sû r…

– Camille?

– Mmm…

– Le 1er octobre 2004 à huit heures du matin…

– Oui?

Il lui tendit la lettre de Maî tre Buzot, notaire à Paris.

Camille la lut, la lui rendit et s'allongea dans l'herbe à ses pieds.

– Pardon?

– C'é tait trop beau pour durer…

– Je suis dé solé …

– Arrê te.

– Suzy regarde les annonces dans notre quartier… C'est bien aussi, tu sais? C'est… c'est pittoresque comme dirait mon pè re…

– Arrê te. Et Franck, il est au courant?

– Pas encore.

Il s'annonç a pour la semaine suivante.

– Je te manque trop? lui susurra Camille au té lé phone.

– Nan. J'ai des trucs à faire sur ma moto… Philibert t'a montré la lettre?

– Oui.

― …

– Tu penses à Paulette?

– Oui.

– Moi aussi.

– On a joué au yo-yo avec elle… On aurait mieux fait de la laisser là où elle é tait…

– Tu le penses vraiment? ajouta Camille.

– Non.


La semaine passa.

Camille se lava les mains et retourna dans le jardin rejoindre Paulette qui prenait le soleil dans son fauteuil.

Elle avait pré paré une quiche… Enfin une espè ce de tarte avec des bouts de lardons dedans… Enfin, un truc à manger, quoi…

Une vraie petite femme soumise attendant son homme…

Elle é tait dé jà à genoux en train de gratter la terre quand sa vieille compagne murmura dans son dos:

– Je l'ai tué.

– Pardon?

Misè re.

Elle dé bloquait de plus en plus ces derniers temps…

– Maurice… Mon mari… Je l'ai tué.

Camille se redressa sans se retourner.

– J'é tais dans la cuisine en train de chercher mon porte-monnaie pour aller au pain et je… Je l'ai vu tomber… Il é tait trè s malade du cœ ur, tu sais… Il râ lait, il soupirait, son visage é tait… Je… J'ai mis mon gilet et je suis partie.

«J'ai pris tout mon temps… Je me suis arrê té e devant chaque maison…Et le petit, comment ç a va? Et vos rhumatismes, ç a s'arrange? Et cet orage qui se pré pare, vous avez vu? Moi qui ne suis pas trè s causante, j'é tais bien aimable ce matin-là … Et le pire de tout c'est que j'ai joué une grille de Loto… Tu te rends compte? Comme si c'é tait mon jour de chance… Bon et puis je… Je suis rentré e quand mê me et il é tait mort.

Silence.

– J'ai jeté mon billet parce que je n'aurais jamais eu le toupet de vé rifier les numé ros gagnants et j'ai appelé les pompiers… Ou le Samu… Je ne sais plus… Et c'é tait trop tard. Et je le savais…

Silence.

– Tu ne dis rien?

– Non.

– Pourquoi tu ne dis rien?

– Parce que je pense que c'é tait son heure.

– Tu crois? la supplia-t-elle.

– J'en suis sû re. Une crise cardiaque, c'est une crise cardiaque. Vous m'avez dit un jour qu'il avait eu quinze ans de sursis. Eh ben voilà, il les avait eus.

Et pour lui prouver sa bonne foi, elle se remit à travailler comme si de rien n'é tait.

– Camille?

– Oui.

– Merci.

Quand elle se releva une bonne demi-heure plus tard, l'autre dormait en souriant.

Elle alla lui chercher une couverture.

Ensuite elle se roula une cigarette.

Ensuite elle se nettoya les ongles avec une allumette.

Ensuite elle alla vé rifier sa «quiche».

Ensuite elle coupa trois petites salades et quelques brins de ciboulette.

Ensuite elle les lava.

Ensuite elle se servit un verre de blanc.

Ensuite elle prit une douche.

Ensuite elle retourna dans le jardin en enfilant un pull.

Elle posa une main sur son é paule:

– Hé … Vous allez prendre froid ma Paulette…

Elle la secoua doucement:



  

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