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CINQUIÈME PARTIE 2 страница



Philibert, lui, donnait des cours de rattrapage à ces mé cré ants qui ne savaient rien d'Henri IV à part sa poule au pot, son Ravaillac et sa cé lè bre bite dont il ignoroit qu'elle ne fut point un os…

- Henri IV est né à Pau en 1553 et est mort à Paris en 1610. Il est le fils d'Antoine de Bourbon et de Jeanne d'Albret. Une de mes lointaines cousines entre parenthè ses. En 1572, il é pouse la fille d'Henri II, Marguerite de Valois, une cousine de ma mè re, elle. Chef du parti calviniste, il abjurera le protestantisme pour é chapper à la Saint-Barthé lé my. En 1594, il se fait sacrer à Chartres et entre dans Paris. Par l'é dit de Nantes en 1598, il ré tablit la paix religieuse. Il é tait trè s populaire. Je vous passe toutes ses batailles, vous vous en fichez bien, j'imagine… Mais il est important de se souvenir qu'il fut entouré, entre autres, de deux grands hommes: Maximilien de Bé thune, duc de Sully, qui assainit les finances du pays et Olivier de Serres qui fut une bé né diction pour l'agriculture de l'é poque…

Camille, elle, ne voulait rien raconter.

– Je ne sais rien, disait-elle, et ce que je crois, je n'en suis pas sû re…

– Parle-nous de peintres! l'encouragè rent-ils. De mouvements, de pé riodes, de tableaux cé lè bres, ou mê me de ton matos si tu veux!

– Non, je sais pas dire, tout ç a… J'aurais trop peur de vous tromper…

– C'est quoi ta pé riode pré fé ré e?

― La Renaissance.

― Pourquoi?

― Parce que… Je ne sais pas… Tout est beau. Partout… Tout…

– Tout quoi?

– Tout.

– Bon… plaisanta Philibert, merci. C'é tait on ne peut plus concis. Pour ceux qui voudraient en savoir plus, je tiens à signaler que l'Histoire de l'Art d'É lie Faure se trouve dans nos water-closets derriè re le spé cial Enduro 2003.

– Et dis-nous qui tu aimes… ajouta Paulette.

– Comme peintres?

– Oui.

– Euh… Dans n'importe quel ordre, alors… Rembrandt, Durer, Vinci, Mantegna, Le Tintoret, La Tour, Turner, Bonington, Delacroix, Gauguin, Vallotton, Corot, Bonnard, Cé zanne, Chardin, Degas, Bosch, Vé lasquez, Goya, Lotto, Hiroshige, Piero dé lia Francesca, Van Eyck, les deux Holbein, Bellini, Tiepolo, Poussin, Monet, Chu Ta, Manet, Constable, Ziem, Vuillard euh… C'est horrible, je dois en oublier plein…

– Et tu ne peux pas nous dire quelque chose sur l'un de ces types?

– Non.

– Au hasard… Bellini… Pourquoi tu l'aimes celui-là?

– À cause de son portrait du doge Leonardo Loredan…

– Pourquoi?

– Je ne sais pas… Il faut aller à Londres, à la National Gallery si je me souviens bien, et regarder ce tableau pour avoir la certitude que l'on est… C'est… C'est… Non, j'ai pas envie de mettre mes grosses paluches là -dessus…

– Bon… se ré signè rent-ils, ce n'est qu'un jeu aprè s tout… On ne va pas t'obliger…

– Ah! Je sais ce qui me manquait! exulta Franck. le collier bien sû r! Ou collet, c'est comme on veut… On met ç a dans la blanquette…

Là Camille se dé doublait, c'est clair.

Un lundi soir pourtant, dans les embouteillages aprè s le pé age de Saint-Arnoult, alors qu'ils é taient tous fatigué s et ronchons, elle dé clara soudain:

― J'ai trouvé!

– Pardon?

– Mon savoir! Mon seul savoir que j'aie! En plus, je le connais par cœ ur depuis des anné es!

– Vas-y, on t'é coute…

– C'est Hokusaï, un dessinateur que j'adore… Vous savez, la vague? Et les vues du Mont Fuji? Mais siiiii… La vague turquoise bordé e d'é cume? Alors lui… Quelle merveille… Si vous saviez tout ce qu'il a fait, c'est inimaginable…

– C'est tout? À part «Quelle merveille…» T'as rien d'autre à ajouter?

– Si, si… Je me concentre…

Et dans la pé nombre de cette banlieue sans surprise, entre un Usine Center à gauche et une Foirfouille à droite, entre le gris de la ville et l'agressivité du troupeau qui rentrait au bercail, Camille prononç a lentement ces quelques mots:

Depuis l'â ge de six ans, j'avais la manie de dessiner la forme des objets.

Vers cinquante ans, j'avais publié une infinité de dessins, mais tout ce que j'avais produit avant l'â ge de soixante-dix ans ne vaut pas la peine d'ê tre compté.

C'est à l'â ge de soixante-trois ans que j'ai compris peu à peu la structure de la nature vraie, des animaux, des arbres, des oiseaux et des insectes.

Par consé quent, à l'â ge de quatre-vingts ans, j'aurai fait encore plus de progrè s; à quatre-vingt-dix ans, je pé trerai le mystè re des choses; à cent ans, je serai dé cidé ment parvenu à un degré de merveille et quand j'aurai cent dix ans, chez moi, soit un point, soit une ligne, tout sera vivant.

Je demande à ceux qui vivront autant que moi de voir si je tiens ma parole.

É crit à l'â ge'de soixante-quinze ans par moi, Hokusaï, le vieillard fou de peinture.

«Soit un point, soit une ligne, tout sera vivant… » ré pé ta-t-elle.

Chacun ayant probablement trouvé là de quoi alimenter son pauvre moulin, la fin du trajet demeura silencieuse.


7


Pour Pâ ques, ils furent invité s au châ teau.

Philibert é tait nerveux.

Il avait peur de perdre un peu de son prestige…

Il vouvoyait ses parents, ses parents le vouvoyaient et se vouvoyaient entre eux.

– Bonjour, Pè re.

– Ah, vous voilà, mon fils… Isabelle, allez pré venir votre mè re, je vous prie… Marie-Laurence, vous savez où se trouve la bouteille de whisky? Impossible de remettre la main dessus…

– Priez saint Antoine, mon ami!

Au dé but, ç a leur faisait bizarre et puis ils n'y firent plus attention.

Le dî ner fut laborieux. Le marquis et la marquise leur posaient des tas de questions mais n'attendaient pas leur ré ponse pour les juger. En plus, c'é tait des questions un peu chaudes, du genre:

― Et que fait votre pè re?

― Il est mort.

– Ah, pardon.

― Je vous en prie…

― Euh… Et le vô tre?

― Je ne l'ai pas connu…

– Trè s bien… Vous… Vous reprendrez un peu de macé doine peut-ê tre?

– Non merci.

Convoi d'anges dans la salle à manger lambrissé e…

– Et donc vous… Vous ê tes cuisinier, n'est-ce pas?

– Eh, oui…

– Et vous?

Camille se tourna vers Philibert.

– C'est une artiste, ré pondit-il à sa place.

– Une artiste? Comme c'est pittoresque! Et vous… Vous en vivez?

– Oui. Enfin… Je… Je crois…

– Comme c'est pittoresque… Et vous vivez dans le mê me immeuble, c'est cela?

– Oui. Juste au-dessus.

– Juste au-dessus, juste au-dessus…

Il cherchait mentalement dans le disque dur de son bottin mondain.

– … vous ê tes donc une petite Roulier de Morte-mart!

Camille paniquait.

– Euh… Je m'appelle Fauque…

Elle sortit tout ce qu'elle avait en magasin:

– Camille, Marie, Elisabeth Fauque

– Fauque? Comme c'est pittoresque… J'ai connu un Fauque autrefois… Un trè s brave homme, ma foi… Charles, je crois… Un parent à vous, peut-ê tre?

– Euh… Non…

Paulette n'ouvrit pas la bouche de la soiré e. Pendant plus de quarante ans, elle avait servi à table chez des gens de cet acabit et elle é tait trop mal à l'aise pour mettre son grain de sel sur leur nappe brodé e.

Le café fut laborieux lui aussi…

Cette fois, c'est Philou qui prit sa place dans le ball-trap:

– Alors, mon fils? Toujours dans les cartes postales?

– Toujours, pè re…

– Passionnant, n'est-ce pas?

– Je ne vous le fais pas dire…

– Ne soyez pas ironique, je vous prie… L'ironie est la parade des cancres, ce n'est pas faute de vous l'avoir ré pé té, il me semble…

– Oui, pè re… Citadelle de Saint-Ex…

– Pardon?

– Saint-Exupé ry.

L'autre ravala son cachou.

Quand enfin, ils purent quitter cette piè ce glauque où tous les animaux du coin é taient empaillé s au-dessus de leurs tê tes, mê me un faon putain, mê me Bambi, Franck porta Paulette jusqu'à sa chambre. «Comme une jeune marié e», lui chuchota-t-il à l'oreille et il secoua tristement la tê te quand il comprit qu'il allait dormir à mille milliards de kilomè tres de ses princesses, deux é tages plus haut.

Il s'é tait retourné et tripotait une patte de sanglier tressé e pendant que Camille la dé shabillait.

– Nan, mais j'y crois pas… Vous avez vu comme on a mal bouffé? C'est quoi ce dé lire? C'é tait dé gueulasse! Jamais j'oserais servir un truc pareil à mes hô tes! Dans ce cas-là, il vaut mieux faire une omelette ou des panzani!

– Ils n'ont peut-ê tre pas les moyens?

– Putain mais tout le monde a les moyens de faire une bonne omelette baveuse, non? Je comprends pas, là … Je comprends pas… Bouffer de la merde avec des couverts en argent massif et servir une infâ me piquette

dans une carafe en cristal, je dois ê tre con mais y a un truc qui m'é chappe… En vendant un seul de leurs quarante-douze chandeliers ils auraient de quoi bouffer convenablement pendant un an…

– Ils ne voient pas les choses de cette maniè re, j'imagî ne… L'idé e de vendre un seul cure-dent de famille doit leur sembler aussi incongrue que le serait pour toi celle de servir de la macé doine en boî te à tes invité s…

– Putain, c'é tait mê me pas de la bonne en plus! J'ai vu la boî te vide dans la poubelle… C'é tait du Leader Price! T'y crois, toi? Habiter dans un châ teau pareil avec des douves, des lustres, des milliers d'hectares et tout le bordel et bouffer du Leader Price! Je comprends pas, là … Se faire appeler monsieur le marquis par le garde et te foutre de la mayo en tube sur de la macé doine de pauvre, je te jure, j'imprime pas…

– Allez, calme-toi… C'est pas si grave…

– Si, c'est grave, putain! Si, c'est grave! Qu'est-ce que ç a veut dire transmettre le patrimoine à tes gamins quand t'es mê me pas capable de leur parler gentiment! Nan, mais t'as vu comment il lui parle à mon Philou? T'as vu sa petite lè vre qui se rebique, là … «Toujours dans les cartes postales, mon fils? », sous-entendu «mon gros con de fils? ». Je te jure, j'avais trop envie de lui foutre un coup de boule… C'est un dieu mon Philou, c'est le plus merveilleux ê tre humain que j'aie jamais rencontré de ma vie et l'autre qui lui chie dessus, ce cré tin…

– Putain, Franck, cesse de jurer, bordel, se dé sola Paulette.

Scotché, le roturier.

– Pff… En plus je dors à Cacahouette-les-Bains… Hé, je vous pré viens que j'y vais pas à la messe demain, moi! Tttt, rendre grâ ce pour quoi d'abord? Que ce soit toi, Philou ou moi, on aurait mieux fait de se rencontrer dans un orphelinat, tiens…

– Oh, oui! Dans la maison de mademoiselle Pony!

– De quoi?

– Rien.

– T'y vas à la messe, toi?

– Oui, j'aime bien…

– Et toi, mé mé?

― …

– Toi tu restes avec moi. On va leur montrer ce que c'est qu'un bon repas à ces ploucs… Puisqu'ils ont pas les moyens, on va les nourrir, nous!

– Je ne suis plus bonne à grand-chose, tu sais…

– La recette de ton pâ té de Pâ ques, tu t'en souviens?

– Bien sû r.

– Eh ben, ç a va pas traî ner, je te le dis! À la lanterne, les aristos! Bon, j'y vais sinon je vais me retrouver au cachot, moi…

Et le lendemain, quelle ne fut pas la surprise de Mâ rie-Lô rance quand elle descendit dans sa cuisine à huit heures. Franck é tait dé jà revenu du marché et orchestrait son invisible valetaille.

Elle é tait estomaqué e:

– Mon Dieu, mais…

– Tout va trè s bien Mada-meu la Marquise. Tout va trè s bien, trè s bien, trrrè s bien! chantait-il en ouvrant tous les placards. Ne vous occupez de rien, je prends le dé jeuner en main…

– Et… Et mon gigot?

– Je l'ai mis au congé lateur. Dites-moi, vous n'auriez pas un chinois par hasard?

– Pardon?

– Non rien. Une passoire peut-ê tre?

– Euh… Oui, là, dans ce placard…

– Oh! Mais c'est formidable! s'extasia-t-il en soulevant l'engin auquel il manquait un pied. Elle est de quelle é poque celle-là? Fin du XIIe je dirais, non?

Ils arrivè rent affamé s et de bonne humeur, Jé sus é tait revenu parmi eux, et s'installè rent autour de la table en se lé chant les babines. Oups, Franck et Camille se relevè rent prestement. Ils avaient encore oublié le bé né dicité …

Le paterfamilias se racla la voix:

― Bé nissez-nous, Seigneur, bé nissez ce repas et ceux qui l'ont pré paré (clin d'œ il de Philou à son marmiton) et bla bla bla et procurez du pain à ceux qui n'en ont pas…

– Amen, ré pondit la brochette d'adolescentes en se tré moussant.

– Puisque c'est comme ç a, ajouta-t-il, nous allons faire honneur à ce merveilleux repas… Louis, allez me chercher deux bouteilles de l'oncle Hubert, s'il vous plaî t…

– Oh, mon ami, vous ê tes sû r? s'inquié ta sa douce.

– Mais oui, mais oui… Et vous, Blanche, cessez de coiffer votre frè re, nous ne sommes pas dans un salon de beauté que je sache…

On leur servit des asperges avec une sauce mousseline à tomber par terre puis vint le pâ té de Pâ ques AOC Paulette Lestafier, puis un carré d'agneau rô ti accompagné de tians de tomates et courgettes à la fleur de thym, puis une tarte aux fraises et fraises des bois avec sa chantilly maison.

– Et monté e à l'huile de coude, s'il vous plaî t…

Rarement on ne fut plus heureux autour de cette table à douze rallonges et jamais on ne rit de si bon cœ ur. Au bout de quelques verres, le marquis tomba la lavalliè re et raconta d'abracadabrantes histoires de chasse où il n'avait pas toujours le beau rô le… Franck é tait souvent en cuisine et Philibert assurait le service. Ils é taient parfaits.

– Ils devraient travailler ensemble… murmura Paulette à Camille, le petit bouillonnant aux fourneaux et le grand courtois en salle, ce serait é patant…

Ils prirent le café sur le perron et Blanche apporta de nouvelles mignardises avant de revenir s'asseoir sur les genoux de Philibert.

Ouf… Franck se posa enfin. Aprè s un service comme celui-ci, il aurait bien aimé s'en rouler un petit mais hum… Il taxa plutô t Camille…

– C'est quoi ç a? lui demanda-t-elle en avisant la corbeille sur laquelle tout le monde se jetait.

– Des pets-de-nonne, ricana-t-il, c'é tait plus fort que moi, j'ai pas pu m'en empê cher…

Il descendit d'une marche et s'adossa contre les jambes de sa belle.

Elle posa son carnet sur sa tê te.

– T'es pas bien là? lui demanda-t-il.

– Trè s bien.

– Eh ben, tu devrais y ré flé chir ma grosse…

– À quoi?

– À ç a. À comment on est, là maintenant…

– Je comprends rien… Tu veux que je t'é pouille?

– Ouais… É pouille-moi et je te ferai plein de billous.

– Franck… soupira-t-elle.

– Mais nan, c'é tait un truc symbolique! Que je me reposais sur toi et que tu pouvais travailler sur moi. Un truc dans le genre, tu vois…

– T'es grave…

– Ouais… Tiens, je vais aiguiser mes couteaux, pour une fois que j'ai le temps… Je suis sû r qu'il y a ce qu'il faut ici…

On fit le tour du domaine en fauteuil roulant et l'on se quitta sans effusions dé placé es. Camille leur offrit leur châ teau à l'aquarelle et, à Philibert, le profil de Blanche.

– Tu donnes tout, toi… Tu ne seras jamais riche…

– Pas grave.

Tout au bout de l'allé e bordé e de peupliers, il se frappa le front:

– Caramba! J'ai oublié de les pré venir…

Pas de ré action dans l'habitacle.

– Caramba! J'ai oublié de les pré venir… ré pé ta-t-il plus fort.

– Hein?

– De quoi?

– Ô h, rien… Un petit dé tail…

Bon.

Re-silence.

– Franck et Camille?

– On sait, on sait… Tu vas nous remercier parce que t'as vu ton pè re rigoler pour la premiè re fois depuis la chute du vase de Soissons…

– Pas… pas du tout.

– Qu'est-ce qu'y a?

– A… acceptez-vous d'ê … d'ê tre mes té … mes té … mes té …

– Tes té quoi? Tes tê tards?

– Non. Mes té …

– Tes teckels?

– N… non, mes té … té …

– Tes quoi? Putain!

– Mes té … moinsdemariage?

La voiture pila et Paulette se mangea l'appuie-tê te.


Il ne voulut pas leur en dire davantage.

– Je vous pré viendrai quand j'en saurai plus…

– Hein? Mais euh… Rassure-nous… T'as une copine au moins?

– Une copine, s'indigna-t-il, jamais de la vie! Une copine… Quel vilain mot… Une fiancé e, mon cher…

– Mais euh… Elle le sait, elle?

– Pardon?

– Que vous ê tes fiancé s?

– Pas encore… avoua-t-il en piquant du nez.

Franck soupira:

– Je vois le travail… Du pur concentré de Philou, ç a… Bon, ben… T'attends pas la veille pour nous inviter, hein? Que j'aie le temps de m'acheter un beau costard quand mê me…

– Et moi une robe! ajouta Camille.

– Et moi un chapeau… ré pliqua Paulette.


Les Kessler vinrent dî ner un soir. Ils firent le tour de l'appartement en silence. Deux vieux bobos sur le cul… Un spectacle trè s jouissif en vé rité.

Franck n'é tait pas là et Philibert fut exquis.

Camille leur montra son atelier. Paulette s'y trouvait dans toutes les positions, toutes les techniques et tous les formats. Un temple à sa gaieté, à sa douceur et aux remords et aux souvenirs qui lui fissuraient le visage quelquefois…

Mathilde é tait troublé e et Pierre confiant:

– C'est bien ç a! C'est trè s bien! Avec la canicule de l'é té dernier, le vieux est devenu trè s tendance, tu sais? Ç a va marcher… J'en suis sû r.

Camille é tait accablé e.

A-cca-blé e.

– Laisse… ajouta sa femme, c'est de la provocation… Il est é mu ce petit bonhomme…

– Oh! Et ç a! C'est sublime ç a!

– Ce n'est pas fini…

– Tu me le gardes hein? Tu me le ré serves?

Camille acquiesç a.

Mais non. Elle ne lui donnerait jamais parce que ce ne serait jamais fini et ce ne serait jamais fini parce que son modè le ne reviendrait jamais… Elle le savait…

Tant pis.

Tant mieux.

Cette esquisse ne la quitterait donc plus… Elle n'é tait pas finie… Elle resterait en suspens… Comme leur impossible amitié … Comme tout ce qui les sé parait ici-bas…

C'é tait un samedi matin, il y a quelques semaines… Camille travaillait. Elle n'avait mê me pas entendu le carillon de la sonnette quand Philibert toqua à sa porte:

– Camille?

– Oui?

– La… La Reine de Saba est ici… Dans mon salon…

Mamadou é tait magnifique. Elle avait mis son plus beau boubou et tous ses bijoux. Ses cheveux é taient é pilé s jusqu'aux deux tiers de son crâ ne et elle portait un petit fichu assorti à son pagne.

– Je te l'avais dit que je viendrais mais il faut teu dé pê cher parce que je vais à un mariage dans ma famille à quatre heures… C'est là que tu habites alors? C'est là que tu travailles?

– Je suis tellement contente de te revoir!

– Allez… Perds pas deu temps, je te dis…

Camille l'installa bien confortablement.

– Voilà. Tiens-toi droite.

– Mais je me tiens toujours droite d'abord!

Au bout de quelques croquis, elle posa son crayon sur son bloc:

― Je ne peux pas te dessiner si je ne sais pas comment tu t'appelles…

L'autre leva la tê te et soutint son regard avec un dé dain magnifique:

― Je m'appelle Marie-Anastasie Bamundela M'Bayé.

Marie-Anastasie Bamundela M'Bayé ne reviendrait jamais dans ce quartier habillé e en reine de Diouloulou, le village de son enfance, Camille en avait la certitude. Son portrait ne serait jamais fini et il ne serait jamais pour Pierre Kessler qui é tait bien incapable de deviner la petite Bouli dans les bras de cette «belle né gresse»…

À part ces deux visites, à part une sauterie où ils se rendirent tous les trois pour fê ter les trente ans d'un collè gue de Franck et où Camille se dé chaî na en hurlant j'ai plus d'appé -tiiiiit qu'un barra-couda, ba ra cou daaaa, il ne se passa rien d'extraordinaire.

Les journé es s'allongeaient, le Sunrise se culottait, Philibert ré pé tait, Camille travaillait et Franck perdait chaque jour un peu plus confiance en lui. Elle l'aimait bien mais ne l'aimait pas, elle s'offrait mais ne se donnait pas, elle essayait pourtant mais n'y croyait pas.

Un soir, il dé coucha. Pour voir.

Elle ne fit aucun commentaire.

Puis un deuxiè me, puis un troisiè me. Pour boire.

Il dormait chez Kermadec. Seul la plupart du temps, avec une fille, un soir de mort subite.

Il la fit jouir et lui tourna le dos.

– Eh ben?

– Laisse-moi.


10


Paulette ne marchait presque plus et Camille é vitait dé sormais de lui poser des questions. Elle la retenait autrement. Dans la lumiè re du jour ou sous l'auré ole des lampes. Certains jours elle n'é tait pas là et d'autres elle pé tait la forme. C'é tait é puisant.

Où s'arrê tait le respect de l'autre et où commenç ait la notion de non-assistance à personne en danger? Cette question la taraudait et, à chaque fois qu'elle se relevait la nuit, bien dé cidé e à prendre rendez-vous chez un mé decin, la vieille dame se ré veillait guillerette et fraî che comme une rose…

Et Franck qui ne parvenait plus à soutirer à l'une de ses anciennes conquê tes laborantine ses mé dicaments sans ordonnance…

Elle ne prenait plus rien depuis des semaines…

Le soir du spectacle de Philibert par exemple, elle n'é tait pas vaillante et ils durent demander à madame Perreira de lui tenir compagnie…

– Pas de problè me! J'ai eu ma belle-mè re pendant douze ans à la maison, alors, vous pensez… Les vieux, je sais ce que c'est!

La repré sentation avait lieu dans une MJC au fin fond de la ligne A du RER.

Ils prirent le Zeus de 19: 34, s'assirent l'un en face de l'autre et ré glè rent leurs comptes en silence.

Camille regardait Franck en souriant.

Garde-le ton petit sourire de merde, j'en veux pas. C'est tout ce que tu sais donner, toi… Des petits sourires pour embrouiller les gens… Garde-le va, garde-le. Tu finiras toute seule dans ton donjon avec tes crayons de couleur et ce sera bien fait pour ta gueule. Moi, je sens que je fatigue, là … Le ver de terre amoureux d'une é toile, ç a va un moment…

Franck regardait Camille en serrant les dents.

Que t'es mignon, toi, quand t'es en colè re… Que tu es beau quand tu perds les pé dales… Pourquoi je n'arrive pas à me laisser aller avec toi? Pourquoi je te fais souffrir? Pourquoi je porte un corset sous ma cuirasse et deux cartouchiè res en bandouliè re? Pourquoi je bloque sur des dé tails dé biles? Prends un ouvre-boî te, merde! Regarde dans ta mallette, je suis sû re que tu as ce qu'il faut pour me laisser respirer…

– À quoi tu penses? lui demanda-t-il.

– À ton nom… J'ai lu l'autre jour dans un vieux dictionnaire qu'un estafier é tait un grand valet de pied qui suivait un homme à cheval et qui lui tenait l'é trier…

– Ah?

– Oui.

– Un larbin, quoi…

– Franck Lestafier?

– Pré sent.

– Quand tu ne dors pas avec moi, tu dors avec qui?

― …

– Tu leur fais les mê mes choses qu'à moi? ajouta-t-elle en se mordant la lè vre.

– Non.

Ils se donnè rent la main en remontant à la surface.

La main, c'est bien.

Ç a n'engage pas trop celui qui la donne et ç a apaise beaucoup celui qui la reç oit…

L'endroit é tait un peu tristoune.

Ç a sentait son collier de barbe, ses Fanta tiè des et ses rê ves de gloire mal emboutis. Des affiches jaune fluo annonç aient la tourné e triomphale de Ramon Riobambo et son orchestre en peau de lama. Camille et Franck prirent leurs billets et n'eurent que l'embarras du choix pour trouver une place…

Peu à peu la salle se remplit tout de mê me. Ambiance kermesse et patronage. Les mamans s'é taient faites belles et les papas vé rifiaient les piles de leur camé scope.

Comme à chaque fois qu'il é tait é nervé, Franck bran-douillait du pied. Camille posa sa main sur son genou pour le calmer.

– Savoir que mon Philou va se retrouver tout seul en face de tous ces gens, ç a me tue… Je crois que je vais pas supporter… Imagine qu'il ait un trou de mé moire… Imagine qu'y se mette à bé gayer… Pff… Il sera encore bon à ramasser à la petite cuillè re…

– Chut… Tout va bien se passer…

– S'il y en a un seul qui ricane, je te jure, je lui saute dessus et je le bute…

– Du calme…

– Du calme, du calme! J'aimerais bien t'y voir, toi! T'irais faire le mariole, là, devant tous ces inconnus?

D'abord, ce fut le tour des enfants. Du Scapin, du Queneau, du Petit Prince et de la rue Broca, en voulais-tu, en voilà.

Camille n'arrivait pas à les dessiner, elle s'amusait trop.

Ensuite une grappe d'ados dé gingandé s en cours de ré nsertion expé rimentale vinrent râ per leur existentialisme en secouant de lourdes chaî nes en plaqué or.

– Yô Men, mais qu'est-ce qu'y z'ont sur la tê te? s'inquié ta Franck, des collants ou quoi?

Entracte.

Merde. Le Fanta tiè de et toujours pas de Philibert à l'horizon…

Quand l'obscurité revint, une fille insensé e fit son apparition.

Haute comme trois pommes, elle portait des Converses roses customisé es new look, des collants rayé s multicolores, une minijupe en tulle vert et un petit blouson d'aviateur recouvert de perles. La couleur de ses cheveux é tait assortie à celle de ses chaussures.

Une elfe… Une poigné e de confettis… Le genre de fofolle é mouvante que l'on aimait du premier coup d'oeil ou que l'on ne comprendrait jamais.

Camille se pencha et vit que Franck souriait bê tement.

– Bonsoir… Alors euh… Voilà … Je… J'ai beaucoup ré flé chi à la faç on dont j'allais pouvoir vous pré senter le… Le numé ro suivant et finalement, j'ai… J'ai pensé que… Le mieux serait encore de… de vous raconter notre rencontre…

– Oh, oh… ç a bé gaye. C'est pour nous, ç a… murmura-t-il

– Alors euh… C'é tait l'anné e derniè re à peu prè s…

Elle agitait ses bras dans tous les sens.

– Vous savez que j'anime des ateliers pour les enfants à Beaubourg et euh… Je l'ai repé ré parce qu'il é tait toujours en train de tourner autour de ses tourniquets pour compter et recompter ses cartes postales… À chaque fois que je passais, je m'arrangeais pour le surprendre et ç a ne ratait pas: il é tait en train de recompter ses cartes en gé missant. Que… Comme Chaplin, vous voyez? Avec cette espè ce de grâ ce qui vous prend à la gorge… Quand vous ne savez plus si vous devez rire ou pleurer… Quand vous ne savez plus rien… Quand vous restez, là, toute bê te, avec le cœ ur en aigre-doux… Un jour, je l'ai aidé et je… Je l'ai bien aimé, quoi… Vous aussi, vous verrez… On ne peut pas ne pas l'aimer… Ce garç on, c'est… C'est toutes les lumiè res de la ville à lui tout seul…



  

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