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DEUXIÈME PARTIE 26 страница
Dans cette nouvelle né vrose comme dans l’hysté rie ces alté rations de diverses fonctions ne sont ni dé finitives ni profondes. Elles ne suppriment pas complè tement la possibilité d’exercer la fonction: elles ne gê nent qu’une partie de l’exercice de la fonction et ne la troublent que dans certaines conditions. En effet, les troubles psychasté niques semblent toujours à peu prè s les mê mes, quelle que soit la fonction considé ré e, et peuvent se ramener à un petit nombre de formes. Il y a d’abord des agitations de la fonction qui s’exerce d’une faç on exagé ré e, inutile, sans que la volonté du sujet puisse l’arrê ter ni la diriger. En second lieu on constate dans toutes fonctions des phé nomè nes inverses, des arrê ts, des insuffisances : la pensé e ne peut pas parvenir à la certitude, à la croyance, l’acte ne peut pas arriver à l’exé cution complè te, il disparaî t quand il y a des té moins, quelquefois il disparaî t toutes les fois que le sujet dé sire l’accomplir avec attention. Si la fonction semble s’accomplir encore correctement, elle s’exé cute cependant d’une maniè re imparfaite car le sujet é prouve à son propos toute espè ce de sentiments d’incomplé tude.
On voit trè s bien ce mé lange des phé nomè nes d’agitation et des phé nomè nes d’insuffisance dans les crises que pré sentent ces malades. Les circonstances les forcent à essayer d’exé cuter une action, à accepter ou à nier une opinion ou simplement à é prouver un sentiment dé terminé qui devrait s’é veiller à propos de la situation pré sente. Il semble que dans ces circonstances la fonction excité e, ré clamé e par la situation ne peut s’exercer ou ne la fait que d’une maniè re trè s incomplè te et c’est à ce moment que l’agitation commence, qu’elle s’ajoute à ce fonctionnement incomplet. Le sujet qui ne peut agir, croire ou sentir sent que son esprit est envahi par des manies de pré cision ou de serment, il a des tics ou des angoisses varié es. Les choses ne se passent pas ainsi pendant toute la vie du sujet, mais pendant certaines pé riodes plus ou moins longue, qui ont commencé aprè s une maladie organique, aprè s une fatigue ou bien aprè s une maladie organique, aprè s une fatigue ou bien aprè s certaines é motions. Quand un certain temps est é coulé le sujet semble reprendre une activité presque normale; mais le plus souvent il retombe bientô t de la mê me maniè re que pré cé demment. Tels sont les faits principaux qui peuvent ré sumer dans une description rapide les troubles si varié s que nous avons rapporté s à la né vrose psychasté nique.
2. – La thé orie intellectuelle et la thé orie
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Il est malheureusement incontestable que l’on ne peut aujourd’hui donner aucune explication anatomique ou physiologique de ces troubles curieux. Sans doute des symptô mes physiologiques les accompagnent presque toujours, mais ce sont des symptô mes d’une grande banalité qui se retrouvent dans la plupart des troubles arthritiques, dans un grand nombre de maladies physiques et morales; il est impossible de se servir de ces troubles physiologiques pour interpré ter des accidents trè s spé ciaux. Une thé orie physiologique ne pourrait ni les ré sumer, ni les distinguer des autres maladies de l’esprit dont le pronostic est fort diffé rent, ni en pré voir l’é volution, ni en indiquer le traitement. Il est né cessaire, ici comme dans l’é tude de l’hysté rie, de pré ciser d’abord l’interpré tation psychologique qui seule pourra pré parer et rendre plus tard possible une interpré tation physiologique.
Autrefois les premiers observateurs ont pré senté des thé ories intellectuelles des symptô mes pré cé dents, c’est-à -dire qu’ils mettaient au premier rang surtout l’obsession, l’idé e qui tourmentait le sujet; ils essayaient de considé rer les autres troubles intellectuel. Cette conception plus ou moins modifié e se retrouve chez Delasiauve et Peisse, 1854; Griesinger, 1868; Westphal, Meynert, 1877; Buccola, Tamburini, 1880; Hack Tuke, 1894, et plus ré cemment dans les travaux de MM. Magnan et Legrain, 1895. Cette opinion ne semble pas en faveur aujourd’hui et elle a é té fortement battue en brè che dans le mé moire de MM. Pitres et Ré gis, 1907. Cette thé orie semblait admettre dans tous les cas la priorité de l’idé e obsé dante; or, ce fait est cliniquement inexact. Chez beaucoup de sujets on observe pendant longtemps des tics, des agitations mentales, des angoisses, des sentiments varié s d’incomplé tude et non des idé es obsé dants proprement dites. Celles-ci ne viennent que beaucoup plus tard et suivent le plus souvent les autres symptô mes au lieu de les pré cé der. D’ailleurs ces thé ories é taient le plus souvent fort vagues, elles ne nous apprenaient rien sur la nature de ce trouble intellectuel ni sur son mé canisme.
Dè s l’origine de ces é tudes une autre interpré tation s’est opposé e aux thé ories intellectuelles. L’une des premiè res descriptions des obsessions a é té donné e par Morel en 1866 sous le nom de dé lire é motif, ce qui indique bien le point de vu auquel cet auteur se plaç ait. Jastrowicz, Sander, 1877; Berger, Legrand du Saulle, 1880; Wernicke, Kraft Ebing, Friedenreich, 1887; Gans Kaan, Schule, Fé ré, 1892; Dallemagne, Sé glas, Ballet, Freud, Pitres et Ré gis, 1897, admettent que des perturbations de la vie affective, des troubles é motionnels doivent ê tre ici primitifs et doivent dé terminer les troubles intellectuels.
L’é motion pour la plupart de ces auteurs est dé finie à peu prè s de la mê me maniè re que dans la thé orie de Lange et de W. James. Elle est constitué e par la conscience des variations de la circulation, par la conscience des modifications viscé rales varié es qui accompagnent certains faits psychologiques. L’é motivité serait le premier degré de la maladie et ce phé nomè ne si remarquable ne serait pas autres chose qu’une aptitude particuliè re à pré senter de grandes modifications viscé rales et de grands changements circulatoire à propos de la plupart des faits psychologiques et qu’une aptitude à sentir trè s vivement ces modifications. C’est cette é motivité ainsi entendue qui produit l’angoisse, laquelle est d’abord diffuse et naî t à propos d’une foule de pensé es. La panophobie serait une sorte de stade pré paratoire, une pé riode d’é motivité non diffé rencié e: le hasard, un choc brusque lui donne l’orientation et la fixe dans une direction dé terminé e. L’é motivité est alors concentré e et incarné e dans une seule pensé e qui devient une obsession.
On est frappé du progrè s de cette thé orie sur la pré cé dente: la mé thode est juste car on explique la conception, l’idé e par des phé nomè nes psychologiques plus simple comme l’é motion diffuse. L’angoisse d’ailleurs est un phé nomè ne fré quent et important et l’é motivité est bien en ré alité un caractè re important que l’on retrouve chez un grand nombre de malades psychasté niques. Il semblerait donc que nous pourrions trouver dans l’é motion exagé ré e, dans une é motivité pathologique, le caractè re commun qui ré unirait ces phé nomè nes morbides et qui les distinguerait des autres maladies.
J’ai é té amené cependant à discuter longuement cette conception si simple qui me semble beaucoup trop vague et trop gé né rale et qui est en mê me temps trop restreinte et incomplè te [59]. Est-il un concept plus vague que celui de l’é motion en gé né ral et celui de l’é motivité? On se retrouve ici en pré sence des mê mes difficulté s que nous avons rencontré es à propos des explications de l’hysté rie par la suggestion. Tout dé pend de la faç on dont les diffé rents auteurs entendent ce mot: la discussion de certains auteurs est impossible parce que le mot « é motion » dé signe chez eux des phé nomè nes psychologiques quelconques exactement comme chez d’autres le mot « suggestion ». On ne peut discuter que ceux qui donnent à ce mot un sens à peu prè s pré cis et qui en font, comme nous l’avons dit, la conscience d’une certaine agitation viscé rale.
Cette é motion limité e aux palpitations de cœ ur, aux respirations irré guliè res, aux bouffé es de rougeur va se retrouver exactement la mê me dans les é motions plus normales. Or, l’angoisse du malade, j’ai essayé de le montrer, est un é tat pathologique tout spé cial, ce serait une grosse erreur que de la confondre avec une é motion quelconque. Les sujets sont les premiers à nous avertir « qu’ils n’é prouvent pas une peur naturelle, que leur angoisse toujours la mê me supprime et remplace la peur naturelle ». Comment pourra-t-on dans cette interpré tation rendre compte de cette diffé rence considé rable entre l’é motion normale et l’angoisse?
On ne peut ré pondre qu’en allé guant une diffé rence de quantité dans ces phé nomè nes viscé raux dont le contre-coup dé termine dans la conscience les é motions et les angoisses. Ce sera leur exagé ration qui leur donnera leur caractè re pathologique et qui distinguera l’obsession de la colè re ou de la peur. N’y a-t-il pas de grandes colè res, des é lans d’enthousiasme, de grandes terreurs qui s’accompagnent de grandes modifications viscé rales et qui cependant restent des colè res, des enthousiasmes, des peurs, sans devenir des phobies et des obsessions? N’y a-t-il pas infiniment d’autres é tats pathologiques dans les maladies cardiaques ou pulmonaires qui s’accompagnent de grandes modifications viscé rales du mê me genre, sans ê tre identiques à des crises d’obsession? Quel que soit le problè me considé ré, on est toujours forcé dans cette thé orie é motionnelle de rester dans de grandes gé né ralité s vagues.
Inversement, cette thé orie est trop restreinte: tous les symptô mes que nous avons é numé ré s sont loin de se ramener à des troubles é motionnels de ce genre. Quelques obsessions seulement dé rivent d’angoisses pré alables, mais beaucoup d’autres se sont dé veloppé es à la suite de troubles intellectuels trè s diffé rents, d’agitations mentales, de manies des recherches, de manies des pactes, à la suite de sentiments pathologiques, comme le besoin de direction, le besoin d’ê tre aimé, le sentiment du doute ou le sentiment de l’é trangeté. Toutes ces agitations et tous ces troubles sont loin, en ré alité, d’ê tre des angoisses ou des phé nomè nes d’é motivité. On peut en dire autant à propos des tics, des rê veries, des besoins de vivre dans le passé plus que dans le pré sent, des aboulies. Tous ces troubles se confondent si peu avec l’agitation viscé rale de l’é motion qu’ils lui sont souvent tout à fait opposé s. Il y a des malades qui, loin d’ê tre des é motifs, sont des indiffé rents, des apathiques, et qui deviennent malades et obsé dé s pré cisé ment parce qu’ils se sentent incapable de l’é motion.
Ces ré flexions, que l’on pourrait indé finiment multiplier, suffisent à montrer que l’é motivité, d’ailleurs fort mal comprise, est un phé nomè ne fort banal qui ne servirait pas à distinguer les troubles psychasté niques des autres et qui, d’ailleurs, est loin de se retrouver dans tous ces troubles.
3. – La perte de la fonction du ré el.
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Le sentiment de ces difficulté s m’a poussé à chercher un caractè re psychologique plus pré cis appartenant mieux en propre aux groupes de symptô mes que nous considé rons, et en mê me temps plus gé né ral, susceptible de jouer un rô le dans la plupart d’entre eux. Je ne crois pas que l’on puisse parler, à ce propos, des phé nomè nes psychologiques qui tenaient la plus grande place dans l’hysté rie; il ne me semble pas que l’on retrouve chez les psychasté niques de faits comparables au ré tré cissement du champ de la conscience et à la dissociation de la personnalité. On ne constate chez ces malades ni la suggestion proprement dite, ni les phé nomè nes d’amné sie, d’anesthé sie, de paralysie, ni les mouvements subconscients qui sont en rapport avec ce ré tré cissement et cette dissociation. Jamais le dé veloppement de cette né vrose n’aboutit au somnambulisme proprement dit, à l’é criture automatique des mé diums, à la double personnalité que l’on trouve au terme de l’hysté rie. En un mot, la né vrose psychasté nique n’est pas essentiellement, comme l’hysté rie, une maladie de la personnalité.
Quel soit le symptô me que l’on considè re, le trouble essentiel paraî t plutô t consister dans l’absence de dé cision, de ré solution volontaire, dans l’absence de croyance et d’attention, dans l’incapacité d’é prouver un sentiment exact en rapport avec la situation pré sente.
C’est pour ré sumer ces troubles que j’ai essayé d’é tudier un caractè re remarquable de la plupart de nos opé rations mentales, que j’ai proposé de baptiser la fonction du ré el. Les psychologues semblent admettre le plus souvent qu’une fonction mentale reste toujours la mê me, quel que soit l’objet sur lequel elle s’exerce; qu’un raisonnement, par exemple, ou la recherche d’un souvenir garde toujours le mê me caractè re, quel que soit le problè me ou le souvenir considé ré. Je crois, pour ma part, qu’il y a une trè s grande diffé rence dans les opé rations psychologiques suivant qu’elles s’exercent sur des objets imaginaires ou abstraits, ou bien qu’elles s’exercent à propos de choses ré elles qui existent, aujourd’hui mê me, devant nous, qu’il s’agit de percevoir, de modifier, ou dont il s’agit de se dé fendre. Il y a, à mon avis, une fonction du ré el qui consiste dans l’appré hension de la ré alité par la perception ou par l’action qui modifie considé rablement toutes les autres opé rations suivant qu’elle doit s’y ajouter ou qu’elle ne s’y ajoute pas.
Quelle que soit la solution donné e à ce problè me, dans l’é tude de la psychologique normale, il me semble incontestable que, dans la plupart des symptô mes psychasté niques, on peut observer des troubles de cette fonction du ré el. Nous avons vu qu’un trè s grand nombre de ces troubles consistent en sentiments d’incomplé tudes, c’est-à -dire en sentiments d’inachè vement, en sentiments d’absence de terminaison à propos de la plupart des opé rations. Or, quel est le dé faut, quelle est la lacune que le sujet croit constater dans tout ce qu’il fait? Quand le sujet nous dit qu’il ne peut parvenir à faire un acte, que cet acte est devenu impossible, on peut remarquer qu’il ne sent plus que cet acte existe, ou peut exister, qu’il a perdu le sentiment de la ré alité de cet acte. Quand d’autre nos disent qu’ils agissent en rê ve, comme des somnambules, qu’ils jouent la comé die, c’est encore la ré alité de l’acte par opposition au simulacre de l’acte dans les songes et dans les comé dies qu’ils sont devenus incapables d’appré cier. Quand ils disent qu’ils ont perdu leur moi, qu’ils sont à moitié vivants, qu’ils sont morts, qu’ils ne vivent plus que maté riellement, que leur â me est sé paré e de leur corps, qu’ils sont é tranges, drô le, transporté s dans un autre monde, c’est encore le mê me sentiment fondamental qu’ils expriment; ils ont conservé toutes les fonctions psychologiques, mais ils ont perdu le sentiment fondamental qu’ils expriment; ils ont conservé toutes les fonctions psychologiques, mais ils ont perdu le sentiment que nous avons toujours, à tort ou à raison, de faire partie de la ré alité actuelle, du monde pré sent.
Il me semble qu’il en est de mê me quand les sujets parlent des objets du monde exté rieur. Le sentiment d’absence de ré alité psychologique dans les ê tres exté rieurs leur fait dire que les animaux et les hommes, placé s devant eux, sont des morts, c’est le mê me sentiment relatif à la disparition de la ré alité pré sente, qui se trouve dans les mots « irré el, rê ve, é trange, jamais vu », et, à mon avis aussi, dans les termes qui expriment le « dé jà vu ». Sous toutes ces expressions varié es, le malade dit toujours la mê me chose: « Il me semble que la pensé e de ces hommes n’existe pas au moment où nous sommes, il me semble que ces objets ne sont pas ré els, il me semble que ces é vé nements ne sont pas actuels, ne sont pas pré sents ». L’essentiel du « dé jà vu » est beaucoup plutô t la né gation du pré sent que l’affirmation du passé [60].
Ce trouble fondamental se retrouve, à mon avis, non seulement dans les sentiments plus ou moins illusoires que le malade peut avoir à propos de ses perceptions; mais il est manifeste, mê me pour un observateur exté rieur, dans les actions et les opé rations mentales de ces personnes. Leurs fonctions psychologiques ne pré sentent aucun trouble dans les opé rations qui portent sur l’abstrait ou sur l’imaginaire, elles ne pré sentent du dé sordre que lorsqu’il s’agit d’une opé ration portant sur la ré alité concrè te et pré sente. Il est visible que le passé, comme l’imaginaire et l’abstrait, apporte dans leur esprit un é lé ment de facilité, tandis que « le pré sent fait l’effet d’un intrus ». Les troubles les plus accentué s se rencontrent dans l’acte volontaire, dans la perception attentive des objets pré sent. Les indé cisions de ces malades, leurs doutes si caracté ristiques ne sont que d’autres aspects de ce mê me phé nomè ne fondamental. Les malades agissent bien, mais a une condition, c’est que leur action soit insignifiante et n’ait aucune efficacité ré elle. Ils peuvent se promener, bavarder, gé mir devant des intimes; mais, dè s que l’action devient importante, et, par consé quent, ré elle, ils cessent de pouvoir agir, ils abandonnent peu à peu le mé tier, la lutte contre les autres, la vie au dehors, les relations sociales. On voit qu’ils mè nent une existence toute spé ciale, parfaitement insignifiants à tous les points de vue, « é trangers aux choses, é tranger à tout ». Ils ne peuvent s’inté resser à rien de pratique et ils sont quelquefois, depuis leur enfance, d’une maladresse surprenante. La famille des malades ré pè te toujours qu’ils n’ont jamais compte de leur situation ré elle, qu’ils ne savent rien organiser, rien ré ussir. Quand ils conservent quelque activité, on voit qu’ils se complaisent dans les choses qui sont les plus é loigné es de la ré alité maté rielle: ils sont quelquefois psychologues, ils aiment surtout la philosophie et deviennent de terribles mé taphysiciens. Quand on a vu beaucoup de scrupuleux, on en arrive à se demander avec tristesse si la spé culation philosophique n’est pas une maladie de d’esprit humain.
Une consé quence trè s remarquable et un peu inattendue et cet é loignement du ré el, c’est leur ascé tisme sur lequel j’ai eu l’occasion d’insister. Il n’ont qu’une seule pré occupation, c’est d’avoir à faire le moins d’efforts possible dans la vie. Comme ces efforts amè nent des dé libé rations, des scrupules, des angoisses, ils ne tiennent pas assez à la ré alité pour braver ces accidents, aussi en arrivent-ils peu à peu à se passer de tout, à renoncer à tout.
Enfin, on pourrait rattacher encore à cet é loignement du ré el les troubles que l’on constate fré quemment à propos du sens du temps. Il est é vident qu’ils ne mettent pas la mê me diffé rence que nous entre le pré sent et le passé : le pré sent n’est pas absorbant pour eux, ils accordent une importance disproportionné e à l’avenir et surtout au passé; de là, cette obsession du passé si souvent signalé e, en particulier dans les observations de Lowenfeld. Aujourd’hui se distingue d’hier par un coefficient plus é levé de ré alité et d’action, et c’est parce qu’ils sont plus é loigné s du ré el qu’ils n’ont plus le sens du pré sent.
Ces remarques sommaires sur la conduite de ces malades sont d’accord avec nos observations pré cé dentes sur les sentiments qu’ils é prouvent: c’est un trouble dans l’appré hension du ré el et du pré sent par la perception et par l’action qui me paraî t ê tre le caractè re fondamental de leurs troubles psychologiques, comme il est le fond commun de toutes les expressions qu’ils emploient eux-mê mes pour faire comprendre leur singulier é tat.
4. – L’abaissement de la tension psychologique,
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Peut-ê tre est-il possible de mieux comprendre ces troubles dans l’appré hension du ré el en les rattachant à un autre caractè re plus gé né ral des phé nomè nes psychasté niques, caractè re important qui joue un grand rô le dans une foule de phé nomè nes psychologiques. On peut, en effet, rapprocher les symptô mes psychasté niques d’un certain nombre de phé nomè nes psychologiques semi-normaux, semi-pathologiques comme ceux de la fatigue, du sommeil, de l’é motion. Dans tous ces divers é tats, on constate facilement une foule d’analogie quelquefois bien curieuses [61].
Les individus fatigué s ont de l’agitation motrice, de tics, de l’irritabilité, de la rê verie obsé dante, des troubles viscé raux. Ils se rendent compte que quelque chose d’anormal se produit en eux et ils ont conscience de certains sentiments inusité s. Galton mettait dé jà en é vidence, à ce propos, les sentiments de tristesse, d’anxié té, d’incapacité qui grandissent avec la fatigue: il faut ajouter le sentiment d’ennui qui joue ici un rô le remarquable. En mê me temps, on note une diminution dans la pré cision de l’action, dans la rapidité des ajustements moteurs, dans l’é vocation des souvenirs utiles, de vé ritables insuffisances psychologiques. Dans les rê ves du sommeil on constate les mê mes agitations mentales, avec les mê mes angoisses. On constate aussi des troubles trè s particuliers de la mé moire, l’amné sie continue, la mé moire retardante et une foule d’insuffisances psychologiques trè s comparables aux pré cé dentes.
Enfin j’ai eu souvent l’occasion de pré senter une interpré tation de l’é motion que je crois digne d’ê tre considé ré e. Quand un individu se trouve soudainement placé dans des conditions auxquelles il n’est pas dé jà adapté par une habitude anté rieure, quand il manque du temps ou de la force né cessaire pour s’y adapter lui-mê me au moment pré sent, ou qu’il ne s’y adapte que difficilement, il pré sente un grand nombre de perturbations physiques et morales qui sont dé signé es dans leur ensembles sous le nom d’é motions. Les agitations motrices de l’é motion sont bien connues, ainsi que les agitations viscé rales auxquelles on a souvent donné une trop grande importance. J’ai souvent insisté sur l’agitation mentale qui se produit dans les mê mes circonstances; j’ai mê me essayé d’expliquer par elle ce dé filé rapide de tous les souvenirs de la vie entiè re qu’on a souvent dé crit chez des individus exposé s à un grand danger. On sait aussi que les individus é motionné s ne sont pas eux-mê mes, qu’ils sont au-dessous d’eux-mê mes. Sans insister sur le dé tail des faits, je remarque seulement que l’é tat mental, l’é ducation, l’é lé vation morale d’un individu peut se modifier complè tement sous l’influence de l’é motion. On constate alors toutes sortes d’alté rations de la mé moire, toutes les formes d’amné sie, toutes sortes de troubles de la perception et de la volonté, ainsi que des sentiments d’incomplé tude tout à fait analogues à ceux de nos psychasté niques.
Tous ces phé nomè nes sont sans doute fort diffé rents les uns des autres et fort diffé rents des é tats pathologiques que l’on observe dans les né vroses. Mais il n’en est pas moins vrai qu’il est important de parvenir à quelques idé es gé né rales et de comprendre les ressemblances profondes qui existent dans tous ces é tats. Dans tous ces phé nomè nes, en effet, il est facile de remarquer qu’il y a une certaine agitation, que certains phé nomè nes sont, au moins en apparence, exagé ré s, tandis qu’il y a en mê me temps une paralysie, un amoindrissement considé rable qui porte sur d’autres fonctions. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que, dans tous les cas, on constate que les phé nomè nes susceptibles d’ê tre exagé ré s, ainsi que les phé nomè nes qui disparaissent sont à peu prè s les mê mes: 1° Les phé nomè nes conservé s ou exagé ré s sont en premier lieu des phé nomè nes physiologiques ou psychologiques isolé s, relativement simples, sans grande coordination systé matique; 2° Ce sont des phé nomè nes auxquels l’esprit accorde peu d’inté rê t et peu d’attention parce qu’ils n’ont pas un rô le utile dans l’action ré elle, parce qu’ils ne sont pas considé ré s comme des ré alité s importantes; 3° Ce sont des phé nomè nes anciens, des reproductions de systè mes psychologiques anciennement organisé s et qui ne sont é videmment pas formé es actuellement pour la situation pré sente.
Inversement, si nous considé rons les phé nomè nes né gatifs, les phé nomè nes sur lesquels portent cette ré duction, cette paralysie que nous avons toujours constaté e, nous trouvons les caractè res opposé s: 1° Ce qui disparaî t dans ces divers é tats, ce sont les phé nomè nes complexes, riches, qui ré sultent du fonctionnement harmonieux de tout un systè me, ceux dont les é lé ments sont nombreux et dont l’unité est grande; 2° Ce sont les phé nomè nes sur lesquels portent l’attention et la croyance et qui demandent le sentiment de la ré alité; 3° Ce sont surtout les phé nomè nes qu’on peut qualifier de pré sents, la volonté exactement adapté e à la situation pré sente, dans ce qu’elle a de nouveau, d’original, l’attention aux é vé nements qui viennent de survenir, qui permet de les comprendre et de s’y adapter.
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