|
|||
DEUXIÈME PARTIE 29 страница
Cette conception des né vroses, qui semble vague, parce que le groupe lui-mê me des né vroses, en gé né ral, a des limites fort vagues, me paraî t avoir au moins autant de valeur que les dé finitions pré cé dentes, car elle renferme é videmment les caractè res exacts auxquels les pré cé dentes dé finitions faisaient allusion. En rattachant les né vroses au dé veloppement individuel et social, qui est si peu connu, on donne suffisamment satisfaction à ce sentiment d’é tonnement qui poussait les premiers auteurs à considé rer les né vroses comme extraordinaires. En parlant des parties les plus é levé es de chaque fonction, de celles qui sont encore en transformation, on sous-entend qu’il s’agit de phé nomè nes sié geant surtout dans le systè me nerveux, car c’est dans le systè me nerveux que s’é laborent et se perfectionnent les fonctions nouvelles des ê tres vivants. Ensuite, on explique, à mon avis, assez bien pourquoi ces troubles du systè me nerveux sont mal localisé s et sont difficilement perceptibles pour l’anatomiste. L’anatomie, en effet, é tudie surtout et né cessairement les organes anciens, bien dé limité s, identiques chez tous les hommes, en un mot, les organes des fonctions parvenues à l’é tat stable; elle ne peut pas connaî tre les organes futurs, ceux qui n’existent encore qu’en germe, en formation, et qui, par consé quent, ne sont ni nettement perceptibles, ni bien dé limité s, ni identiques chez tous les hommes. L’anatomiste ne sait pas toujours donner la raison des arrê ts de dé veloppement, surtout lorsqu’il n’é tudie qu’on organe isolé; il ne peut pas toujours dire pourquoi tel individu est resté petit et pourquoi tel autre est devenu grand. Enfin ces troubles né vropathiques sont souvent accompagné s de perturbations psychologiques, comme nous l’avons vu dans les derniè res dé finitions. Cela est encore tout naturel, puisque par dé finition la conscience accompagne les phé nomè nes encore nouveaux, mal organisé s, avant qu’ils ne deviennent des ré flexes automatiques. En un mot, toutes les idé es inté ressantes, contenues dans les dé finitions pré cé dentes des né vroses, trouvent é galement leur expression dans la conception que je propose.
Je crois qu’en plus cette conception gé né rale ne pré sente pas les mê mes inconvé nients, n’est pas exposé e aux mê mes objections que les dé finitions pré cé dentes. Un symptô me né vropathique n’est plus un symptô me merveilleux en lui-mê me et isolé ment, ce qui n’é tait guè re scientifique, il participe simplement au caractè re mysté rieux de tout un groupe de faits biologiques, comme cela arrive dans toutes les explications des sciences. Les né vroses ne sont plus non plus des maladies sans lé sions d’une maniè re absolue et dé finitive; on dé couvrira peut-ê tre quelque jour des modifications de certains organes dont dé pendent les arrê ts de dé veloppement. Dé jà maintenant, comme je le disais, l’anatomie n’est tout à fait impuissante sur ce point que si elle considè re isolé ment l’organe arrê té dans son é volution; dé jà on rattache, dans certains cas, quelques troubles de l’é volution à des modifications des organes sexuels ou des glandes à sé cré tion interne. Si une dé couverte de ce genre donnait l’explication de l’hysté rie, cette dé couverte ne supprimerait pas la maladie, ne dé truirait pas la sé paration que nous avons é tablie entre les né vroses et les affections organiques. Ces autres affections seraient dé terminé es par une lé sion propre atteignant l’organe ancien de la fonction, les né vroses seraient dé terminé es par une autre caté gorie de lé sions portant souvent sur des organes é loigné s et dé terminant par contre-coup l’arrê t de l’é volution de la fonction.
Enfin, cette conception me paraî t surtout remé dier aux lacunes de la dé finition purement psychologique des né vroses. Elle admet fort bien, comme on l’a vu, l’importance de ce caractè re psychologique, mais elle n’é carte pas a priori du cadre des né vroses des troubles d’é volution qui ne seraient pas en rapport avec des phé nomè nes de conscience. Elle a surtout l’avantage de permettre une distinction facile entre les né vroses et les maladies psychologiquement qui ne sont pas né vropathiques. Tout les faits psychologiques ne sont pas constitué s par des opé rations de volonté pré sente, de croyance, d’attention à des perceptions nouvelles, en un mot, par ces phé nomè nes supé rieurs dont nous parlons sans cesse. Il y a des mé canismes psychologiques comme des mé canismes organiques, anciennement organisé s et assez stables, des souvenirs anciens, des associations d’idé es, des habitudes, des tendances, des sentiments, des instincts. Trè s souvent les troubles mentaux portent sur ces mé canismes psychologiques anciens, effaç ant les souvenirs d’une maniè re dé finitive, dé truisant les habitudes, les sentiments, les instincts et ne permettant jamais leur ré apparition dans aucune circonstance, ni sous aucune forme subconsciente ou automatique. C’est ce qui, si je ne me trompe, est caracté ristique des é tats dé mentiels. Un paralytique gé né ral, un dé ment pré coce ne sont pas complè tement arrê té s dans leur dé veloppement, ils continuent à percevoir et mê me à vouloir, au moins dans certains cas; mais ils pré sentent des lacunes profondes et irré mé diables dans leurs associations d’idé es, leurs jugements, leurs sentiments, leur conduite. Sans doute, le diagnostic peut ê tre difficile dans tel ou tel cas particulier; mais au point de vue thé orique, on conç oit trè s bien la diffé rence qui existe entre les dé té riorations des fonctions anciennes caracté ristiques des dé mences et les arrê ts d’é volution caracté ristiques des né vroses. Au moins un certain nombre d’objections, celles que nous venons de faire aux dé finitions anciennes, peuvent ê tre é vité es, en considé rant les né vroses à ce point de vue.
Comme conclusion de ces ré flexions, je puis donc dire que le groupe des né vroses, malgré les diverses aventures qu’il a traversé es, n’est pas absolument arbitraire et inutile. Sans doute le progrè s de la science en modifiera souvent la composition et lui rattachera ou lui enlè vera tour à tour divers symptô mes: mais il restera un groupe de phé nomè nes qui conservera une unité particuliè re et qui formera longtemps encore soit une maladie unique, soit des maladies voisines les unes des autres. Les né vroses sont des maladies portant sur les diverses fonctions de l’organisme, caracté risé es par une alté ration des parties supé rieures de ces fonctions, arrê té es dans leur é volution, dans leur adaptation au moment pré sent, à l’é tat pré sent du monde exté rieur et de l’individu et par l’absence de dé té rioration des parties anciennes de ces mê mes fonctions qui pourraient encore trè s bien s’exercer d’une maniè re abstraite, indé pendamment des circonstances pré sentes. En ré sumé, les né vroses sont des troubles des diverses fonctions de l’organisme, caracté risé s par l’arrê t du dé veloppement sans dé té rioration de la fonction elle-mê me.
Ces notions gé né rales sur l’ensemble des né vroses sont plus philosophiques que mé dicales; dè s qu’il s’agit de diagnostiquer et de traiter un symptô me né vropathique pré cis, il est né cessaire de revenir à son analyse psychologique. Il me semble seulement indispensable de ne pas se laisser é garer par ces caracté ristiques psychologiques qui deviennent essentiels dans telle ou telle né vrose particuliè re jusqu’à faire de ces maladies des rê veries et des caprices du sujet et jusqu’à oublier leur vé ritable aspect pathologique. Les né vroses sont avant tout des maladies de tout l’organisme arrê té dans son é volution vitale; c’est ce que le mé decin ne doit jamais mé connaî tre. Sans doute, elles ne dé truisent que rarement la vie du sujets, mais elles la diminuent certainement. Cette diminution de la vie, dé jà manifeste chez l’individu, devient é vidente dans la famille qui, par l’intermé diaire des né vroses, marche à la dé gé né rescence et à la disparition. Ce caractè re pathologique des né vroses apparaî t aussi dans leur origine; l’hé ré dité, sous la forme d’athristisme ou d’intoxication diverses, ou de dé gé né rescence mentale des parents, en est le plus souvent le point de dé part. La mauvaise hygiè ne physique et morale de l’enfance, les infections diverses, les intoxications alimentaires, les é puisements dé terminé s par divers surmenages, les é motions qui ne sont que des surmenages causé s par des adaptations imparfaites et trop rapides à des circonstances difficiles qui provoquent l’apparition des né vroses sont aussi des causes trop ré elles d’affaiblissement de la vitalité de l’individu.
À ce moment et à ce moment seulement, aprè s ces alté rations physiologiques gé né rale, se manifestent des troubles psychologiques, parce que les fonctions psychologiques sont les plus é levé es et les plus sensibles de l’organisme. Le premier aspect de cette diminution vitale est une né vrose peu grave encore et fort banale que l’on peut dé signer par le terme vague de neurasthé nie ou, si l’on veut é viter certains malentendus, de nervosisme. Dans le nervosisme, certaines opé rations supé rieures, certains actes, certaines perceptions sont dé jà supprimé es ou alté ré es; mais ces suppressions sont irré guliè res, elles apparaissent tantô t à propos d’une opé ration psychologique, tantô t à propos d’une autre, suivant que ces opé rations deviennent momentané ment les plus difficiles. À la place de ces opé rations supé rieures se dé veloppent de l’agitation physique et mentale, et surtout de l’é motivité. Celle-ci n’est, comme j’ai essayé de le dé montrer, que la tendance à remplacer les opé rations supé rieures par l’exagé ration de certaines opé rations infé rieures et surtout par de grossiè res agitations viscé rales.
Si la maladie se dé veloppe, elle prend diverses formes particuliè res, suivant que certaines opé rations supé rieures sont plus ré guliè rement et plus constamment supprimé es que certaines autres. Nous n’avons é tudié, dans cet ouvrage, que deux exemples des formes que peuvent prendre les diverses né vroses. L’une nous a paru ê tre la psychasté nie, quand la dé pression accompagné e d’agitation portait surtout sur la volonté, sur l’attention, sur la fonction du ré el; l’autre é tait l’hysté rie, quand l’insuffisance accompagné e de dé rivations portait surtout sur la perception personnelle, sur la construction de la personnalité. Pour comprendre ces formes particuliè res que prennent les né vroses, pour essayer de les transformer, il devient alors né cessaire de dé crire avec soin les symptô mes psychologiques, de les distinguer les une des autres et de leur donner des noms pré cis. C’est à ce point de vue que je me place pour tirer la conclusion la plus inté ressante des é tudes encore bien insuffisantes qui ont é té faites sur les né vroses. Si le cô té mé dical de ces maladies ne doit pas ê tre né gligé, les symptô mes psychologiques doivent aussi ê tre analysé s avec autant de soin et de pré cision que les symptô mes physiologiques. Tous les observateurs sont aujourd’hui convaincus qu’il faut distinguer avec pré cision des ré flexes cutané s ou tendineux, des ré flexes infé rieurs ou supé rieurs, qu’il est pué ril de confondre sous le mê me nom des amaigrissements et des atrophies, des tics et des spasmes, des secousses é motives et du clonus; il faut se dé cider à comprendre qu’on ne doit pas davantage employer à tort et à travers les mots « dé monstration, persuasion, suggestion, association, idé e fixe, obsession, etc, », qu’il faut distinguer dans les troubles de l’esprit les idé es fixes de telle ou telle espè ce, les diverses formes de la conscience, les divers degré s de la dissociation psychologique.
Cette pré cision du langage permettra seule de reconnaî tre nos erreurs iné vitables, de comprendre mieux les malades, et de faire faire à la psychiatrie des progrè s analogues à ceux qu’ont accomplis les é tudes de neurologie. C’est cette analyse psychologique qui sera le point de dé part des mé thodes de psychothé rapie, seules applicables au traitement des né vroses, auxquelles j’espè re pouvoir consacrer un prochain volume.
Fin du livre.
É dition numé rique ré alisé e grâ ce à l’effort soutenu de Madame Janick Gilbert, bé né vole, interprè te en langage des signes au Cé gep de Chicoutimi, qui a patiemment retapé chacune des lignes de texte de ce volume prê té par Madame Isabelle Saillot, pré sidente de l’Institut Pierre-Janet.
Courriel: postmaster@pierre-janet. com Institut Pierre Janet: http: //pierre-janet. com. [1] Dans quelques cas, à propos de faits ou de discussions importantes, je renverrai le lecteur qui dé sire plus d’informations à l’un de mes ouvrages pré cé dents où il trouvera des observations plus nombreuses ainsi que la bibliographie de la question. [2] Voir les dé tails de cette observation remarquable dans le Journal de psychologie normale et pathologique, 1904, p. 417. [3] Biaute (Nantes). Des maladies du sommeil et des crimes commis dans le somnambulisme. Annales mé dico-psychologiques, 1904, II, p. 399. [4] Né vroses et idé es fixes, 1898, I, p. 220, 227. [5] Presse mé dicale, 1er juin 1895. Né vrose et idé es fixes, 1898, I, p. 219. [6] Obsessions et psychasté nie, 1903, p. 9l [7] Automatisme psychologique, 1889, p. 55, 199. [8] Né vroses et idé es fixes, 1898, I, p. 124. [9] Né vroses et idé es fixes, 1898, I p. 116. [10] Une description complè te des manies mentales se trouve dans le premier volume de mon travail sur « les obsessions et la psychasté nis », p. 106; je ne puis donner ici que quelques exemples. [11] J-J Rousseau, Les Confessions, I, liv. 6, é dit. des oeuv., 1839, XV, p. 437. [12] Huysmans, Là -bas, p. 297. [13] Obsessions et psychaté nie, I, p. 146. [14] Ibid., I, p. 264. [15] Les Accidents mentaux des hysté riques, 1894, p. 170. [16] Beaucoup de ces ré flexions rapides sur l’impuissance sociale des psychasté niques sont dé veloppé es et discuté es dans mon travail pré cé dent, Obsessions et psychasté nie, p. 355, 375 et pass. [17] É tat mental des hysté riques, 1894, II, p. 99. [18] É tat mental des hysté riques, stigmates mentaux, 1893, I, p. 174. [19] Né vroses et idé es fixes, 1898, II, p. 332. [20] Automatisme psychologique, 1889, p. 358, 461; Né vroses et idé es fixes, 1898, I, p. 175. [21] Une Extatique, Bulletin de l’Institut psychologique, 1900, p. 209. [22] Contractures, paralysies, spasmes des muscles du tronc chez les hysté riques, Né vroses et idé es fixes, I, p. 292. [23] Contractures hysté riques, Ibid., II, p. 422. [24] Obsessions et psychasthé nie, 1903, I p. 190, II, p. 73, 171. [25] Ibid., I, p. 198. [26] Obsessions et psychasté nie, I, p. 201. [27] Automatisme psychologique, p. 347, 362; É tat mental des hysté riques, II, p. 117. [28] É tat mental des hysté riques, II, p. 122. [29] Automatisme psychologique, 1889, p. 359. É tat mental des hysté riques, II, p. 123. [30] Obsessions et psychasté nie, I, p. 264. [31] Ball. Revue scientifique, 1882, II, 43. [32] Né vroses et idé es fixes, I, p. 481 [33] Né vroses et idé es fixes, I, p. 234. [34] Communication au Congrè s de neurologie d’Amsterdam¸ 1906. [35] Né vroses et idé es fixes, I, p. 263. Presse mé dicale, 25 octobre 1889. [36] À propos du « dé jà vu », Journal de psychologie normale et pathologique, 1905, p. 289. [37] Le renversement de l’orientation ou l’allochirie des repré sentations, Journal de psychologie, 1908, p. 89; sur un cas d’allochirie, Né vroses et idé es fixes, I, p. 234. [38] Obsessions et psychasté nie, I, p. 316, 377, 432. [39] É tat mental des hysté rique, I, p. 18. [40] É tat mental des hysté rique, I, p. 21. [41] É tat mental des hysté riques, I, p. 127. [42] Obsessions et psychasté nie, 1903, I, p. 554. [43] Né vroses et idé es fixes, II, p. 352. [44] Né vroses et idé es fixes, II, p. 358, 485. [45] Accidents mentaux des hysté riques, p. 112. Né vroses et idé es fixes. II, p. 495. [46] Né vroses et idé es fixes, I, p. 430, II, p. 414. [47] Bulletin de l’Institut psychologique, 1901, p. 209. [48] Né vroses et idé es fixes, II, p. 258. [49] Sur ce problè me des somnambulismes complets qui sont simplement la reproduction artificielle de l’é tat normal, voir Automatisme psychologique, pp. 114, 136, 177, Accidents mentaux des hysté riques, p. 226, Né vroses et idé es fixes, I, pp. 50, 239, 435. [50] Obsessions et psychasté nie, p. 239. [51] Ball, Revue scientifique, 1882, II, p. 42. [52] Obsessions et psychasthé nies, p. 497. [53] Automatisme psychologique, p. 188; Stigmates mentaux des hysté riques, p. 36; Accidents mentaux, p. 273. [54] Obsessions et psychasté nie, p. 264. [55] Autonomie psychologique, 1889, p. 194. [56] É tat mental des hysté riques, 1893, I, p. 35. [57] Cabanis, Histoire des Sensations dans l’é tude des rapports physiques et du moral, oeuv. compl., 1831, III, p. 153. [58] Automatisme psychologique, 1889, p. 364. [59] Obsessions et psychasté nie, I, p. 458. [60] À propos du « dé jà vu », Journal de psychologie et pathologique, juillet 1905. [61] Cf. Obsessions et psychasté nie, p. 474. « Les Oscillations du niveau mental », Compte rendus du Ve Congrè s de psychologie, Rome, 1905, p. 110 et Revue des idé es, 15 octobre 1905. [62] Obsessions et psychasté nie, 1903, I, p. 554.
|
|||
|