Хелпикс

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Épilogue



Je suis assise sur le sol, au milieu du merveilleux dé sordre que forment les tiroirs de la commode autour de moi. Certains garderont leur mystè re, d’autres ont tout balancé. J’entends piailler les oiseaux dehors. Je suis lessivé e. Perplexe et heureuse à la fois que la petite mise en scè ne é laboré e par l’Abuela m’ait permis de prolonger sa pré sence aprè s sa mort.

Il a dû lui en falloir du courage pour revivre ces moments-clefs afin de me les retranscrire. Il va m’en falloir des cojones pour tout accepter, sans juger ni essayer de refaire l’histoire. Elle dirait que je vais y arriver, que nous sommes du mê me bois. De celui que rien ne rompt.

Je ne suis pas comme elle. Je n’ai pas sa force, sa beauté, son courage, sa mauvaise foi. Pas son 95C de tour de poitrine non plus, hé las. Non Abuela, nous ne sommes pas du mê me bois. Tu as dû lutter et moi je n’ai eu qu’à recevoir.

Je dois avouer qu’au lever du jour, face au dernier tiroir, é puisé e par cette nuit à voyager dans la DeLorean, je me sens diffé rente. Plus forte. L’Abuela et ses histoires de commode en guise de gilet pare-balles. Je voulais cette liberté, jouir de mon droit de savoir, quelles qu’en soient les consé quences. L’Abuela aura fini par me l’offrir. Elle a livré nos secrets de famille pour que je remplisse à mon tour la page suivante. Une page blanche, lavé e des non-dits, tous les placards vidé s de leurs cadavres.


Cette page est resté e immaculé e moins de deux ans. Comme s’il é tait iné vitable que je mente à mon tour. Comme si j’avais seulement retenu de leur histoire la le§on de liberté que mes aï eules m’ont transmise. Libre de mettre dans la commode mon plus joli mensonge. Pour toi Nina, mi niñ a, mi amor, mi cielo, mi vida, mi mañ ana.

Je n’aurais jamais pensé que cette histoire finirait aussi bien d’ailleurs. J’ai mê me retrouvé le plaisir de danser. Et mon grand-pè re le sourire. Enfant, je dansais pour lui. L’Abuela, elle, dansait pour empê cher les cavaliè res potentielles de trouver les bras de Papi disponibles au bal. Je crois qu’elle n’aimait pas §a. Ou c’est parce que cela lui rappelait ma mè re. Ou parce que Papi André la regardait plus comme une sœ ur que comme une amante depuis si longtemps qu’elle ne savait plus faire vibrer son corps. L’Abuela é tait peut-ê tre jalouse du lien que la danse cré ait entre mon grand-pè re et ma mè re, entre lui et moi, aussi.

Papi est de ces hommes au regard dur et per§ant qu’on voit dans les spectacles de tango ou de flamenco. Un mè tre quatre-vingt-cinq et quatre-vingt-dix kilos de muscles en mouvement, §a impressionne. La gravité dans ses gestes et ses mots les rend solennels. Quand Papi parle, tout le monde se tait. À l’exception de l’Abuela, bien é videmment. Aprè s sa mort, tout a changé. Il s’é teignait. Nous nous sommes serré s pourtant tous les deux, plus que jamais. Mais je ne pouvais pas rester à Marseillette. Le destin m’avait prise dans ses bras. J’avais trouvé un poste de psychologue à Paris dans une association qui aidait des migrants mineurs isolé s. L’occasion de rendre hommage à mon hé ritage. Je devais bien §a à cette ligné e de femmes ayant forcé le destin pour m’offrir cette pré cieuse liberté. Cette place é tait la mienne. Mal payé e. Horaires impossibles. Peu importait. La culpabilité d’ê tre partie resta devant ma porte, mais le chagrin et le manque s’imposè rent dans mon appartement. Par chance, cela ne dura que quelques mois, oui, jusqu’à l’entré e tonitruante de Lola dans notre famille.

Quel phé nomè ne cette Lola! Elle a dé barqué dans nos vies comme une tornade, balayant tout sur son passage. Elle a nettoyé le cœ ur de Papi de sa solitude, le mien de mon inquié tude pour lui, puis elle a mis de la lumiè re partout. Lola dit qu’on é crit son destin, qu’il faut juste trouver la bonne encre pour que ni la pluie ni le vent n’effacent l’histoire que l’on a dé cidé de vivre. Elle dit que la psychogé né alogie, c’est des conneries, et


qu’il faut que j’arrê te d’essayer de tout analyser. Elle dit que je dois penser à moi maintenant que je l’ai trouvé e pour prendre soin de Papi. Mais j’ai tout à apprendre de ce point de vue-là.

Je ne sais plus vraiment ce qui m’a donné cette idé e totalement folle… Oh mon Dieu, si! Ç a y est, je sais, je sais, je me souviens.

 

Ce jour-là, je l’avais trouvé fatigué. Il é tait dans cet é tat morose, pas la fatigue d’une bonne grippe, non, la fatigue du cafard, ce spleen si fort qu’il nous é crase les é paules et nous rend marshmallow.

Je lui ai demandé pourquoi il n’allait pas plus souvent voir ses copains de Tuchan, son village natal, et il m’a ré pondu:

— Ils sont tous morts.

Le niveau d’eau de ses yeux s’est mis subitement à monter.

Il est devenu hypersensible depuis la mort de l’Abuela. AVC, arrê ts cardiaques et longues semaines de coma… Je me rappelle m’ê tre dit:

« Dé cidé ment, ils aiment bien crever par deux dans cette famille! » Puis je m’y suis opposé e. Mon grand-pè re ne m’aurait jamais abandonné e. Lui, il é tait courageux, vraiment, et se foutait que son sang coule dans mes veines ou pas. Il m’aimait sincè rement et plus que tout le reste. Quelques lé sions au cerveau, probablement, ont transformé mon papi pour toujours. À quatre-vingt-deux ans, l’ours mal lé ché a commencé à ré agir aux mots doux et aux contrarié té s comme une fillette de dix ans.

On n’aurait jamais cru §a de Papi. Chaque fois que je lui disais que je l’aimais, il pleurait. Alors je le consolais, il me sortait le vermouth, son vin cuit fé tiche, et on picolait pour penser à autre chose.

Je suis remonté e à Paris le cœ ur ramolli, laissant mon grand-pè re assis dans sa cuisine à é couter la radio, les yeux dans le vide. Laissant Papi attendre la fin.

Dans le train du retour, je songeais à ceux de la famille qui é taient loin. Le temps des immenses tablé es où il fallait hurler pour se faire entendre é tait derriè re moi. Derriè re nous. Plus un bruit. Plus une odeur. Ni celle de l’eau de Cologne espagnole bon marché que l’Abuela passait dans ses cheveux et les nô tres, ni celle du flan au caramel qui s’é chappait de sa cuisine. J’ai essayé de le refaire des dizaines de fois depuis qu’elle est


morte, ce foutu flan. Le meilleur, ce sont les petits trous qui se forment à la cuisson. Je n’ai jamais ré ussi à les faire apparaî tre.

Ma fille dormait sur mes genoux dans le TGV. Nous é tions assises à cô té d’un trè s vieux monsieur. Je l’examinais du coin de l’œ il en train de dé baller son attirail, amusé e et curieuse. Pour les trois heures trente qui sé parent Montpellier de Paris, il avait pré vu son sandwich fait maison, sa gourde de gnô le, son couteau suisse, L’Indé pendant, et… un Playboy dé guisé avec soin en Té lé 7 jours qui venait de glisser insidieusement entre nos deux siè ges. La crapule! Le vieux coquin ramassa le magazine à toute blinde pour le dissimuler dans son innocent sac à dos.

Mes joues se mirent à picoter, donnant à mon visage la couleur d’une belle tomate d’aoû t gorgé e de soleil. Mes mé ninges, elles, s’agitaient à un rythme fré né tique. Et la libido de mon Papi, fré tillait-elle encore? Pourquoi ne pas lui trouver une fiancé e? Pendant le trajet, mon idé e eut le temps de germer. Comment procé der? Sur Internet? Par petite annonce? Mais qui voudrait d’un monsieur de quatre-vingt-deux ans qui pleure dè s qu’un proche lui dit des mots doux? Et si §a ne marchait pas? Il ne se remettrait pas d’un chagrin d’amour.

C’é tait trop risqué. Il lui faudrait une amoureuse avec qui il pourrait discuter, prendre du bon temps, sans trop s’impliquer quand mê me. Lumiè re divine au-dessus de ma tê te: une prostitué e.

Voilà ce qu’il fallait à Papi! Mais une pute bien sous tous rapports, aimante et à l’é coute. C’é tait dé cidé, j’allais partir à la recherche d’une pute au grand cœ ur pour mon grand-pè re.

Le taxi m’a dé posé e dans le bois de Boulogne. Ma fille dormait toujours dans mes bras. Les heures de cueillette de champignons dans la forê t avec Papi avant le dé part l’avaient exté nué e, la discussion en espagnol avec la fille du wagon-restaurant de la Renfe l’avait achevé e. Il me restait deux heures trente avant la tombé e de la nuit. Le chauffeur nous a regardé es avec compassion, la petite et moi, quand je suis descendue de sa voiture. Ç a m’a fait marrer.

J’ai bien dû auditionner quarante putes avant de voir se dessiner à quelques mè tres de moi la silhouette de Lola. Avec une princesse assoupie dans les bras, la conversation s’engage beaucoup plus facilement. Dè s que je l’ai aper§ue, j’ai su qu’elle serait parfaite. Beaucoup de chair, §a rassure les hommes, et une once de vulgarité, §a


les excite. Dans les cheveux, une fleur en plastique. Pas n’importe laquelle. Un tournesol. Je n’en pouvais plus avec la petite et ma valise à traî ner, il é tait temps d’é couter les signes, de foncer.

En avan§ant vers Lola je sentis monter en moi le mê me é tat d’é merveillement que Cendrillon voyant apparaî tre sa marraine. Ou celui du nomade qui trouve un puits d’eau fraî che en plein dé sert. Ses boucles brunes flirtaient avec ses é paules, le velours dé suet de sa robe avec ses cuisses charnues. Elle portait sa cinquantaine avec la grâ ce d’une jeune ballerine, contraste foudroyant avec le tempé rament de feu qui avait l’air d’ê tre le sien. Je pressentais que Lola é tait la ré ponse à la solitude de mon grand-pè re et à mes inquié tudes. Je savais que c’é tait elle avant mê me qu’elle ne me bouscule avec ses questions:

— Hé gamine, faut pas traî ner là tu sais, sinon, attention à tes petites fesses. Qu’est-ce que tu viens trafiquer ici?

J’é tais é blouie, j’en perdais mon latin, alors les autres filles ré pondirent pour moi.

— Mademoiselle fait un casting sauvage pour trouver ici « La dé esse » qu’elle offrira à son papi quelques week-ends. C’est drô le, non? Et encore, j’te passe les dé tails! Regarde la gosse, cette gueule d’amour… Tente ta chance, Lola… Nous, on a toutes é té recalé es.

Je me lan§ai:

— Vous aimez voyager? Le sud de la France, vous connaissez? Le soleil, les cigales, les vins fruité s, tout §a, vous aimez?

— J’aime tout ce qui peut m’é loigner de cette ville de merde et de son air irrespirable.

— Vous connaissez-vous des talents de comé dienne? Savez-vous mentir à la perfection?

— Toute ma vie, j’ai dû mentir pour sauver ma peau ou é viter de blesser les gens que j’aimais. Pour faire le bien, ou faire du bien, je peux mentir droit dans les yeux. Ton grand-pè re est SM? Fé tichiste? C’est quoi, le plan?

— Mon grand-pè re est tendre et dé licat, il aime discuter de longues heures en buvant du vin cuit, il est extrê mement sensible et il radote un peu. Pour le reste, je ne sais pas trop, je vous laisserai voir avec lui…


— Ex-trê -me-ment sensible?

— Oui. Chaque fois que je lui dis que je l’aime, il pleure. Les filles firent sourire un silence.

L’entretien d’embauche improvisé se dé roulait sans heurts. Lola donnait d’excellentes ré ponses à toutes les questions cruciales que je lui posais et en dé jouait les piè ges avec l’agilité d’un singe de poche. Dé cidé ment, elle é tait é tonnante.

Contre un billet de vingt euros elle accepta de venir prendre un café à la maison afin d’é tablir ensemble les conditions et le tarif de sa prestation. J’aurais pu ê tre terrifié e à l’idé e de me retrouver seule chez moi avec elle et la petite, craindre qu’elle me vole ou m’agresse puisqu’elle faisait deux tê tes de plus que moi et environ le double de mon poids plume, mais elle dé gageait tant de bonté sous ses faux airs de pute punk que j’é tais sereine. L’inté rê t qu’elle prê tait à mon histoire laissait penser qu’elle prendrait sa mission à cœ ur si elle l’acceptait.

On choisit ensemble l’identité qu’elle allait devoir endosser. Je ne pouvais dé cemment pas dire à mon grand-pè re que je lui offrais une prostitué e. Elle serait aide à domicile et viendrait un week-end par mois lui mijoter de bons petits plats, faire un brin de mé nage et l’aider à vider son poussié reux grenier afin de le transformer en appartement à louer. Je prendrais en charge son voyage, les cent cinquante euros par jour qu’elle demandait, et je me rembourserais dè s que le studio serait en location. Si Papi acceptait les avances de Lola, ce serait cinquante euros de plus par rapport sexuel. Je priais dé jà pour que la santé libidinale de Papi ne lui permette pas de faire l’amour plus d’une fois dans la semaine, sinon mon compte en banque ne tiendrait pas le choc. J’accompagnerais Lola dè s le week-end suivant, pour la premiè re rencontre.

Papi é tait rose de timidité quand il ouvrit la porte sur la flamboyante Lola. Je la regardais se mouvoir comme si j’é tais au spectacle, et la transformation é tait surprenante. Elle é tait douce, n’employait que des mots choisis et brodait avec fluidité autour du squelette de l’histoire que nous lui avions inventé e. Une jolie complicité s’immis§ait dans la maisonné e entre Papi et sa pute personnelle. Ses yeux é taient caressants quand elle les posait sur lui. La magie opé rait avant mê me que Lola ait usé de son sortilè ge plus puissant. C’est qu’elle avait plus d’un tour dans


son sac à main en vinyle panthè re. Elle voulut nous le prouver le soir mê me en enfilant un tablier pour passer derriè re les fourneaux.

— Avez-vous des rosiers, mon cher André ? Non traité s, de pré fé rence?

Sans le savoir, Lola venait de mettre le doigt sur une des grandes fierté s du grand-pè re: son superbe jardin botanique biologique.

— Bien sû r! Que vous manque-t-il? J’ai du basilic, de la sarriette, du thym, un peu de persil…

— Non, j’ai juste besoin d’une vingtaine de pé tales de rose. Rouges, de pré fé rence.

Sous les yeux et les papilles dé licieusement é berlué s de Papi fondaient, une poigné e de minutes plus tard, des cailles aux pé tales de rose. Lola se ré gala de nous voir dé guster le ré sultat de sa chimie culinaire et je les abandonnai quand vint l’heure privilé gié e de la camomille. Chez Papi, la tisane sous le figuier qui embaume la nuit tombante é tait l’amorce des jolis rê ves, le temps des confidences avant l’oreiller. J’aurais vendu ma propre mè re pour assister en catimini à leur premier tê te-à -tê te, mais je dus me ré soudre à attendre le lendemain matin pour tenter d’en savoir plus. Sur le montant du chè que à é mettre, notamment.

J’entrai dans la maison à treize heures, pensant les trouver en train de dé jeuner.

— Papi? Lola? C’est moi!

L’idé e m’effleura que j’arrivais peut-ê tre au moment le plus inopportun et je faillis m’enfuir, quand j’aper§us dehors les volants de la robe de Lola qui jouaient avec la brise. Elle é tait en train d’é tendre du linge, Papi, lui, regonflait les pneus du vé lo, et les rayons du soleil transper§aient le figuier pour tacheter leurs visages de lumiè re. J’embrassai mon grand-pè re puis me dirigeai gaiement vers Lola quand je vis ses jambes abî mé es.

— Que t’est-il arrivé, Lola?

— Un accident de course aux asperges, ma chè re… Si tu savais les heures qu’André et moi venons de vivre!

La seule chose qui m’inté ressait é tait la teneur en croustillant de leur nuit, mais je dus me taire et é couter. Ils me contè rent leur bucolique


promenade sur le mont Alaric et Papi mima la cascade digne de Ré my Julienne qu’avait exé cuté e Lola. Je finis par apprendre que Papi avait fait le coup du vermouth à Lola, qu’ils avaient passé la nuit à boire et à discuter avant de dé cider de partir à la cueillette des asperges (sport favori du vieux), finement bourré s, au petit matin.

L’histoire ne dit pas comment Papi et Lola fê tè rent leur premiè re ré colte ce soir-là. Quand je partis, la joie bondissante avait laissé place au doux ronronnement de la vie. Lola faisait la lecture à Papi, et il ré cupé rait chaque miette de mot du bout des doigts, comme ces gens qui ont connu la guerre et continuent des anné es aprè s de ne rien laisser. En partant, je trouvai un mot dans mon sac:

« Je te fais les deux premiè res semaines au prix d’une, je n’arriverai jamais à m’acclimater si je pars dé jà. Mais c’est exceptionnel, je t’avertis. Change mon billet de train, gamine, moi je m’occupe de ton papi. Lola. »

En fin de sé jour, je fus invité e à dé jeuner. Quand Papi m’ouvrit la porte, j’eus du mal à le reconnaî tre. Il avait rajeuni de dix ans. Il sentait bon l’eau de Cologne bon marché qu’il n’avait pas sortie depuis la mort de l’Abuela exactement. Lola avait abandonné son dé guisement de soubrette des anné es quatre-vingt pour retrouver le style vestimentaire plus « boulognien » qui lui allait tant. J’é tais sur le qui-vive, à l’affû t du moindre regard ou geste amoureux, mais je compris vite qu’il é tait trop tard. Une ré elle intimité unissait dé sormais Lola et Papi. Ils jonglaient avec leur complicité, tour à tour pè re-fille, nourrice-enfant, ou simplement homme-femme, comme assoiffé s de s’enrichir l’un de l’autre. Face à ce bonheur si serein, ma curiosité s’é teignit et cé da la place à un joyeux soulagement. Moi qui avais é té si impatiente de voir ma petite note, autant par crainte – qu’elle soit salé e – que par voyeurisme, j’é tais dé sormais seulement gê né e à l’idé e qu’elle serait une vé ritable incursion dans leur vie privé e.

 

L’heure é tait venue pour Lola de retrouver ses copines de turbin. Je n’avais plus un centime pour la payer et je lui devais dé jà une somme aussi coquette qu’elle-mê me l’avait é té pour charmer Papi. Mes manigances avaient fonctionné à merveille, si bien qu’elles me prenaient à mon propre piè ge. Ils s’é taient accroché s l’un à l’autre comme deux


Velcro. J’avais rompu la solitude de Papi, qui me pesait autant qu’à lui, et il é tait fou d’une femme qui l’aimait aussi. Je bé nissais le destin d’avoir mis Lola sur notre route pour rendre le sourire à Papi, je me haï ssais d’avoir l’obligation de la lui reprendre.

J’allais devoir passer d’entremetteuse à briseuse de mé nage, mais l’é tat de mes finances ne me laissait pas d’autre choix. Effondré e, je me ré solus à me lancer. Je comprenais enfin le fameux sentimental bourreau.

— Lola, maintenant que le grenier est amé nagé … Je ne veux pas que tu travailles pour rien, tu as fait tellement ici… mais malgré tes prix plus qu’amicaux, je suis endetté e, et tu ne peux pas rester à Marseillette indé finiment… Tu reviendras passer le week-end dans un mois ou deux, le temps que je me refasse.

— Je m’attendais bien à ce que cela arrive. Mais tu sais, j’y ai longuement ré flé chi. Je ne veux pas partir d’ici, ni laisser André. Il a besoin de moi et j’ai besoin d’un vé ritable travail. J’ai tout pré vu. Contre le gî te et le couvert, je m’occuperai de lui et de la maison. Et pour mon argent de poche, j’ai vu qu’ils cherchent un tiers-temps à la boulangerie… Je vais tout dire à ton grand-pè re, il est grand temps qu’il connaisse la vé rité. J’ai confiance en lui, il me pardonnera… enfin, nous verrons.

— Hop hop hop! Minute papillon! Tu veux que je me fasse scalper par Papi? C’est toi qui me demandes une faveur, là … Tu ne vas pas en plus me balancer!?

— Bluffante, si jeune et dé jà un tel mé tier… Il doit en couler, dans ton sang ardent, des torrents d’injustices et d’amour, pour que tu aies tant de force à dé jouer le destin. Dans tous les cas bravo, car pour moi c’est vendu, gamine. File maintenant, ta fille t’attend, et avec une impatience certaine j’imagine. Enfin, si elle est comme sa mè re…

En partant j’ai regardé une derniè re fois en direction de Papi et Lola. Papi a une ultime chance de se racheter en é tant avec elle l’homme qu’il n’a pas ré ussi à ê tre avec ma grand-mè re. J’espè re qu’il le fera. Tu dois bien te marrer Abuela de là -haut, je suis devenue aussi bienveillante et manipulatrice que toi.


J’ai glissé ma rencontre avec Lola dans la commode. Et un bout de la vie que nous avions ré veillé e ensemble. Pour l’Abuela. Pour Nina. Pour le reste de la tribu. Pour ceux que le secret gangrè ne. Ceux pour qui le mouvement est l’unique ancrage. Ceux dont l’â me et l’identité se sont perdues au cours du voyage. Ceux qui ne savent pas ce que c’est que vivre une vie qui n’est pas la sienne. Ceux qui le savent trop bien.

Parce que je sais que se construire avec une histoire, mê me riche de blessures autant que de joies, d’é preuves surmonté es comme de miracles accueillis, c’est une chance.

Et parce qu’une commode bien gardé e et bien remplie, §a rend l’imagination des enfants incroyablement fertile.


 



  

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