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La clef. Le carnet de poèmes



2.

La clef

À l’arrê t du train à Narbonne, mes sœ urs et moi n’é tions pas seules. Un bon quart des voyageurs descendait là. C’é tait ré confortant. Mais la plupart des gens s’é cartaient sur notre passage. On nous regardait comme des bê tes curieuses, ou bien des opportunistes, je n’en sais rien. Je comprends. Un peu. Ce doit ê tre effrayant d’apprendre que quatre cent mille bouches à nourrir dé barquent sur ton sol.

Je ne retins que la sonorité de deux phrases que je ne compris pas sur le coup mais dont la ré currence dans la bouche des Fran§ais me marqua les premiers temps. Tantô t hurlé es, tantô t à demi-voix: « Espagnols de merde. Ils sont sales, ils puent. » Autant te dire que nous avons vite su traduire ces mots, et vite compris que la vie de patachon au bord de la mer que nous avaient vendue nos parents, ce ne serait pas pour tout de suite.

Mais enfin, il restait le tí o Pepe. Pourvu qu’il soit comme ses deux frè res, me disais-je, on pourrait bien rigoler. Sauf que le tí o Pepe é tait fran§ais dé sormais, plus ou moins notable, et qu’il comptait bien se passer de la mauvaise publicité d’ê tre vu avec nous, ou pire encore, de nous hé berger. Il nous conduisit dans ce que l’on appelle le quartier gitan à Narbonne, tu sais, en face du marché aux fripes. Il siffla en bas d’un immeuble dé labré, le plus haut du voisinage, et une madone


quadragé naire apparut à la fenê tre du cinquiè me é tage. Il n’eut pas à prononcer un mot. La femme cria:

¡ A ver si me queda algo! (Je vais voir s’il me reste quelque chose. ) Elle ré apparut quelques minutes plus tard.

¡ Sube! (Monte. )

Quand je dé collai le nez du ciel, enfin de la fenê tre, le tí o Pepe s’é tait envolé, ne laissant derriè re lui qu’une petite clef qui luisait sur le sol. Je la ramassai discrè tement avant de suivre mes sœ urs dans l’immeuble. Je ne sus jamais ce qu’elle ouvrait. Ou plutô t si. Elle ouvrait le dé but de ce qu’allait devenir ma vie, et mettait sous scellé s ce qu’elle avait é té jusqu’à ce jour. Elle trouva naturellement une place autour de la chaî ne de ma mé daille de baptê me, la cognant ou la caressant en fonction de l’empressement de mon pas. Comme la vie le faisait avec moi, me rappelant que mon impatience é tait mon ennemie.

 

Ay, Dios, à chaque entre-é tage, j’avais l’impression que nous allions traverser le plancher et nous retrouver sur le perron. Je serrais ma mé daille pour me donner du courage. Ç a grouillait là -dedans. Le pas de ceux que nous croisions é tait toutefois assuré, comme si rien ne pouvait leur arriver. On ne chô mait pas dans l’immeuble. « ¡ Hola amores! » balan§a une voix. É changes de regards interrogatifs. Gar§on? Fille? Un peu les deux, sû rement. Les seins, le maquillage et la coiffure é taient bien ceux d’une femme, mais ces mains et ces pieds é normes racontaient autre chose. « ¡ Hola! Vous avez pu prendre des jouets en partant, vous? » Une adorable tê te blonde emboî ta notre pas avec un objectif bien clair pour son jeune â ge. Tu parles, des jouets! pensais-je. On n’est pas arrivé es confortablement installé es dans une belle auto avec de belles malles en cuir pour y mettre nos belles vies! Je pestais inté rieurement contre cette pitchoune quand je notai tout à coup les nombreuses cicatrices sur son visage, dans son cou, sur ses bras. J’appris plus tard que cette petite chose, Louisa, n’avait que six ans quand elle s’é tait enfuie du camp d’endoctrinement d’Alicante. Aprè s avoir é té rattrapé e et mutilé e, elle avait ré ussi à s’é chapper encore. Personne ne sut jamais comment elle avait atterri à moitié nue et à moitié morte devant cet immeuble.


Au quatriè me, l’ambiance semblait moins studieuse. À gauche, porte grande ouverte, six papis tapaient le carton en se criant dessus, passionné s par la partie en cours. À droite, porte grande ouverte aussi, une femme quittait un homme. Enfin le mettait dehors, plutô t. Il me fallut peu de temps pour noter que Josefa et Miguel se sé paraient au moins une fois par semaine, mais qu’ils retrouvaient toujours leur amour encore plus grand au bout de douze heures. Un é quilibre comme un autre.

Au cinquiè me, la jolie Madrina nous attendait en tricotant et en mâ chant du chewing-gum, nonchalamment avachie contre le mur. Elle é tait vraiment jolie. Pas simplement jolie. Puissante. Comme ma mè re. Elle nous amena dans une chambre é quipé e d’un lavabo, d’un grand lit et d’un petit lit, d’un bureau et de deux chaises. Certes, c’é tait dé labré et il fallait pomper comme un Chinois avec son pied pour obtenir un filet d’eau, mais la piè ce faisait bien quinze mè tres carré s, c’é tait confortable. Et grâ ce à cela, nous avions les plus beaux mollets du quartier, mes sœ urs et moi.

— Est-ce que vous savez coudre?

Nous sommes resté es aussi muettes et bien rangé es que trois sardines dont on ouvre la boî te. Bien sû r que nous savions coudre! Mê me Carmen avait dé jà appris. Quelle mè re n’enseigne pas à ses filles les quelques bases qui permettent de trouver un mari? Cocina, costura, limpieza. Cuisine, couture, mé nage. C’est un peu comme le trousseau, §a fait partie du minimum à fournir au futur é poux avec la promise. Et ma mè re avait fait de nous de bons petits soldats prê ts à combattre, mais aussi à s’adapter à toutes les situations.

Madrina maniait l’é conomie de mots avec panache. Nos travaux manuels paieraient le loyer et le couvert. Carmen et moi pouvions ne travailler que le week-end et inté grer l’é cole catholique du quartier, qui tolé rait les immigré s espagnols, à condition que Leonor, elle, soit à plein temps. Pour les repas, c’é tait Madrina la cantiniè re. À midi et dix-neuf heures, service pour les habitants du premier é tage. À midi quinze et dix- neuf heures quinze, service pour les habitants du deuxiè me é tage. Et ainsi de suite. Nous, nous dé jeunerions au sixiè me é tage tous les jours à treize heures et y dî nerions tous les soirs à vingt heures. Retard non accepté. Au moins, nous n’avions pas que quinze minutes chronomè tre en main pour tout avaler et laver notre vaisselle, contrairement à nos voisins du


dessous. Quand Madrina ne venait pas nous couper pour ranger, on traî nait à table à discuter des nouvelles du jour en rê vassant, ou en faisant de la petite philosophie, histoire d’é viter de parler de l’essentiel. C’é tait notre sas de dé compression, cette cantine. Personne ne nous y dé rangeait, alors qu’il é tait impossible d’ê tre tranquille dans notre chambre avant vingt-deux heures. Ç a frappait pour un oui ou pour un non. C’é tait un lieu d’autogestion, ce qui né cessitait une entraide permanente. Rassurante au dé but. Pesante à la fin.

L’immeuble, c’é tait dé jà quelque chose, mais alors l’é cole, mi amor… Comment t’expliquer ce que §a fait d’arriver dans une é cole dont tu ne parles pas la langue? C’est comme ê tre saoul, ou plutô t comme ê tre sourd-muet. Enfin j’imagine. La langue n’a pas é té longtemps une barriè re, je crois, mê me si en dehors de la classe nous parlions exclusivement espagnol. La plupart des enfants fran§ais avaient re§u comme ordre de leurs parents de ne pas nous approcher – les odeurs, les poux, la crasse, tout le toutim. Pourtant, je t’assure que nous avions une hygiè ne irré prochable et que nous n’avons jamais eu de poux. Les cheveux noirs comme de l’é bè ne et é pais comme de la corde, les poux n’ont jamais aimé §a, c’est connu, ils ne s’y retrouvent pas.

Nous aimions nous coiffer en file indienne avec mes sœ urs. Leonor me peignait pendant que je peignais Carmen. Un jour, j’ai confié à Madrina que c’é tait dans ces moments-là que je ré ussissais à retrouver ma mè re, dans cette sensation à la fois douce et brutale que provoquait le peigne, glissant ou luttant contre les nœ uds. Le lendemain, Madrina s’est trè s naturellement invité e à notre pré paration matinale. Elle s’est raccordé e à Leonor comme le wagon manquant pour lui coiffer les cheveux. Les Dalton.

Elle savait, Madrina. Elle savait tout. Elle savait que Leonor avait besoin elle aussi de retrouver cette sensation. Pour se nourrir du souvenir que l’on ranime avec un geste, une position, un contact.

J’adorais parler le fran§ais, je me sentais toute neuve en le pratiquant; mais les occasions manquaient. Parfois, j’allais faire les commissions aux halles. C’é tait un peu plus cher qu’au marché, mais ces moments où je commandais une grenadine avec un parfait accent fran§ais et où l’on me ré pondait sans remarquer ma diffé rence é taient un bol d’air. Alors je poussais le bouchon jusqu’à engager la conversation, pour voir combien


de temps mon petit jeu pouvait durer. Je me sentais tellement libre. J’é tais leur é gale. Je n’é veillais plus ni pré jugé s, ni ré flexe de rejet. Le ciel s’ouvrait, pour me donner la chance d’inventer un avenir ambitieux. Mais je pouvais suer sang et eau, je restais une paria d’Espagnole qui avait dé barqué chez eux avec ses quatre cent mille cousins. Il ne pourrait rien m’arriver de grand. Je survivrais, au mieux. Moi, je voulais un peuple. Un peuple face auquel je n’aurais pas honte et qui n’aurait pas honte de moi.

Il y avait bien André, un gar§on fran§ais de mon â ge qui ne savait pas quoi inventer pour me donner le sourire. Il habitait en face de l’immeuble. Il cousait comme un dieu, ce qui n’é tait pas courant pour un homme à l’é poque, du coup il passait son temps à traî ner chez nous pour regarder les femmes à l’œ uvre et les aider. Il me glissait des journaux fran§ais sous la porte, parfois un roudoudou qu’il avait pris soin de vê tir d’un ruban. En mê me temps, les rubans, ce n’est pas ce qui manquait dans l’immeuble. Il accourait dè s qu’il m’entendait appeler à la fenê tre, et me parlait exclusivement en fran§ais, quitte à se faire envoyer paî tre par sa mè re qui ne comprenait pas cet excè s de zè le alors qu’il parlait espagnol. J’aimais discuter en fran§ais de l’Espagne avec lui. Ma place dans le monde prenait une autre tournure. Je n’é tais plus de nulle part. J’é tais d’ici et de là -bas. Et cela n’avait rien d’une tare, rien d’anormal pour André.

J’aimais faire le clown pour le dé rider, car c’é tait un gar§on plutô t sé rieux. S’abandonner lui donnait beaucoup de charme. C’é tait rare. Si j’avais dé jà un terrifiant besoin de contrô le, les fortifications d’André l’emmuraient lui aussi. Il observait plus qu’il ne parlait, ne s’é tendait ni ne s’é panchait jamais. Il semblait moins maî tre de lui sous mon regard. Pas moi. Je l’aimais bien, mais je trouvais mes rê ves beaucoup trop grands pour lui. Cela annihilait toute ambiguï té dans nos rapports, malgré le rosissement de ses joues dè s que nous nous effleurions.

Madrina respectait le jeune homme pour son sens du travail. Et Dieu sait qu’il en fallait avant d’ê tre adoubé par la tauliè re. Alors avec une lourdeur qui nous mettait trè s mal à l’aise, elle plaisantait sur ce qu’il devrait lui payer s’il voulait s’envoler avec moi dans quelques anné es. Oui, elle monnayait tout, Madrina. Mê me ce qui ne lui appartenait pas. Souvent, j’é coutais ses conversations depuis la fenê tre de notre chambre.


Elle recevait toutes sortes de gens, des ouvriers, des mamies, des adolescents, des prostitué es, et elle finissait toujours par essayer d’en obtenir quelque chose. Elle n’en é tait pas arrivé e là par hasard, elle avait la dent longue, Madrina. En revanche, si on la touchait au cœ ur…

Nous avons mis de longs mois à prouver quelles vaillantes petites mains nous é tions avant d’obtenir les premiers signes de son amour et de sa confiance. La main de fer a mis longtemps à se vê tir de son gant de velours. Cette femme é tait si dé cousue. Elle é tait militaire, bourrue et violente, rapide, implacable. Pourtant, chacun de ses gestes racontait le respect, la bienveillance et la fraternité qu’elle avait à offrir. Elle é tait franche mais totalement mysté rieuse, et dirigeait sa micro-socié té avec brio. Elle avait quatre chats, une perruche, enfin un oiseau coloré qui parlait, et un beauceron. Cette animalerie meublait les vastes vingt-cinq mè tres carré s que la veinarde possé dait pour elle toute seule. Elle n’autorisait aucun de ses locataires à manquer un repas. C’é tait une rè gle incontournable. Je me demandais pourquoi. Sauter un repas n’avait jamais empê ché quelqu’un de coudre tout un aprè s-midi.

 

Madrina prô nant les vertus de la courte sieste, le travail ne reprenait qu’à quatorze heures trente.

Elle s’inquié tait de notre bon sommeil et aussi du manque de sorties de Leonor, toute à son rô le de maman de substitution. Elle s’en est tant inquié té e qu’elle a tout fait pour que Leonor rencontre le fils Garré, du deuxiè me. Il é tait gentil avec Carmen et moi depuis notre arrivé e. Il nous avait dessiné à la craie une marelle avec des chiffres en forme d’animaux devant l’immeuble. Il nous donnait des pommes et nous avait montré comment se faire un dé guisement avec le filet. Mais Leonor é tant toujours fourré e là -haut à repriser, il a fallu un stratagè me de Madrina pour provoquer la rencontre:

— Roberto, j’ai les jambes lourdes comme deux poteaux é lectriques aujourd’hui. Monte-moi §a au cinquiè me droite, s’il te plaî t, et ne redescends qu’avec la liste de ce dont la fille, Leonor, a besoin au marché des coupons. Qu’elle te fasse du café pour patienter pendant qu’elle te la ré dige! ¡ Anda!

Ils sont redescendus quinze timides minutes plus tard, le teint rose bonbon, les yeux comme humides, avec ce dé licieux et pathé tique sourire


qu’on reconnaî t chez ceux que l’amour ré veille subrepticement. Ils parlaient pendant des heures devant notre chambre, et leur pudeur me faisait perdre patience. Collé e à la porte, je vibrais au rythme de leurs mots comme on fré mit devant une telenovela. Leur premier baiser a é té dé sespé ré ment long à arriver. En revanche, ensuite, ils se sont sacré ment rattrapé s. Mon irré prochable grande sœ ur rentrait à pas feutré s au petit matin, et Carmen et moi faisions semblant de ne pas l’entendre. Nous nous sentions moins coupables de la voir se laisser aller à des pré occupations de son â ge.

Ma ché rie, le fils Garré, tu le connais. C’est ton tí o Roberto. Oui, oui, il fut son premier et son dernier. Sans é cart. Tu sais ce que c’est, une â me sœ ur? Mê me dans un film, on n’y croirait pas au coup de la fille qui rencontre l’homme avec qui elle va partager soixante ans de passion amoureuse et d’idé ologies, juste trois planchers sous ses pieds! Ils se sont aimé s pour nos trois ans dans l’immeuble, et marié s deux ans plus tard. Ils ont dé mé nagé aprè s les noces et ont emmené Carmen avec eux. Moi, j’é tais trop compliqué e. Trop en colè re. Ingé rable. Je voulais savoir. Tout savoir. Et à ma grande incompré hension, en tê te de nos lois trô nait celle du silence. À quinze ans, j’é tais trop jeune pour comprendre. Mais en grandissant, j’ai fait les mê mes erreurs. J’ai caché, j’ai menti pour proté ger, ou plutô t j’ai caché en pensant proté ger. J’en suis revenue. À l’é poque, j’interpré tais le flou des ré ponses à mes questions comme un manque de considé ration. Mê me Madrina avait l’air d’en savoir plus que moi sur ma propre histoire… Cela dit, vu la fa§on dont elle se mê lait de tout, ce n’é tait pas difficile. Elle é tait peut-ê tre un peu clairvoyante aussi. Ou alors c’est moi qui é tais moins finaude que je ne le croyais. Si j’é tais é moustillé e par un jeune homme, elle ne transigeait pas:

— Pas lui. Tu es trop jeune et puis il trempe sa nouille partout, n’y pense mê me pas.

Quand je sortais faire la Fran§aise hors du quartier, si je la croisais, elle me ramenait illico.

— Mê me pas en rê ve, cariñ o. C’é tait fascinant. Et aga§ant.

Le jour où j’ai eu mes premiè res rè gles, j’é tais à l’é cole. J’avais onze ans et demi. Je me suis enfuie pour rentrer à la maison, courant avec peine. La douleur é tait dé cuplé e par la peur, car j’ignorais ce qui se


passait. J’avais bricolé quelque chose avec du papier toilette, ce qui m’avait é vité l’humiliation, mais quand j’ai croisé Madrina sur le perron de l’immeuble, je devais ê tre livide. Cette sorciè re n’a pas pipé mot, m’a emmené e chez elle par le bras et m’a assise d’un mê me geste.

— Les femmes vivent cette tanné e une fois par mois, §a n’est pas une maladie, il n’y a rien de grave, §a veut juste dire qu’à partir de maintenant, tu dois faire attention à ce que tu fais avec ta fleur, sinon tu peux tomber enceinte.

Elle a ouvert un tiroir, en a tiré des bouts de tissu blanc. Elle en a pris un, m’a tendu les autres. En baissant sa culotte, elle a ajouté :

— Voilà, tu mets §a comme §a et dè s que l’un est sale, tu le laves.

C’est un peu technique. Ton stock n’est pas infini.

Elle m’a rendu le lange dont elle venait de se servir, puis s’est rhabillé e tout en finissant son explication. Sans dé tour.

— Allez, monte chez toi maintenant, va t’entraî ner.

J’aurais voulu que la pudeur et la dé sunion entre ma sœ ur et moi ne l’empê chent pas de me pré parer à ce choc, plutô t que me retrouver face à Madrina le minou à l’air pour un exposé de douze secondes. Leonor, elle, avait sa dé licatesse. J’aurais voulu qu’elle et Roberto m’emmè nent avec eux, mê me si notre relation s’é tait dé té rioré e au plus haut point. J’aurais voulu dompter ma fougue. J’aurais voulu ê tre moins fiè re et oser lui dire que je voulais rester prè s d’elle. J’aurais voulu qu’elle m’accepte comme j’é tais. Cela ne me faisait pas rê ver, moi, tout ce qu’elle trouvait rassurant. Un travail. Un mari. Le sens des responsabilité s. Est-ce qu’un cheval sauvage s’inquiè te d’avoir les sabots entretenus? Leonor n’avait que faire de l’instant, de nos ressentis ou de nos personnalité s, à Carmen et à moi. Que nous rentrions dans le rang, voilà ce à quoi se limitait la mission dont elle se sentait investie. Selon elle, que nous soyons travailleuses, propres, bien é levé es et à l’heure é tait beaucoup plus important que de faire de nous des enfants heureuses et é panouies.

Quelques semaines aprè s le dé part de Leonor, j’ai perdu pied. Je vendais des cigarettes de contrebande, je volais du maquillage dans les magasins et des vê tements sur le marché, je ne participais plus aux corvé es des parties communes de l’immeuble, je ne rendais pas mes ouvrages à l’heure. Madrina me fliquait jour et nuit pour me faire filer


droit. Je crois que j’essayais de voir si elle m’abandonnerait à son tour. Comme toute gosse de quinze ans, j’avais besoin d’un cadre. Le mien s’é tait fissuré de trop de non-dits. Leonor voulait me responsabiliser. Raté.

Dè s que mes sœ urs ont quitté le navire, j’ai arrê té l’é cole pour coudre à plein temps. Madrina avait proposé de me laisser é tudier jusqu’à mes dix-huit ans si je travaillais le soir en plus des week-ends. J’ai accepté cette offre bienveillante au dé but, sans y faire longtemps honneur. Je commen§ais à é touffer dans cette vie routiniè re et monotone. L’idé e d’un ailleurs titillait mon esprit. Mon imagination vagabondait au gré des premiè res publicité s collé es dans les rues. La fin de la guerre contre les Allemands approchait et l’on pouvait sentir un parfum de liberté refleurir. Il suffisait qu’un roman tombe entre mes mains pour que je rê ve de partir à nouveau. Partir, oui, mais où ? Il fallait que je commence par é conomiser davantage et que j’é labore mé ticuleusement mon plan avant de le mettre à exé cution. C’est pour §a que j’ai dé cidé d’arrê ter l’é cole et de travailler à plein temps. Je n’en pouvais plus de ces Espagnols selon lesquels il fallait ab-so-lu-ment s’inté grer. Ç a veut dire quoi, s’inté grer? On est qui, nous, pour avoir besoin de s’inté grer à eux? On n’est pas de chair, de sang et d’os comme eux? Mê me notre Dieu est le mê me, nous n’avons presque rien à nous dire tant nous sommes similaires! Je parlais et é crivais leur langue mieux qu’eux, et il fallait que je me rapetisse pour que l’on me voie et m’entende le moins possible? Certainement pas. Puisque la France ne voulait pas de nous, et que de toute fa§on je n’avais plus de « Nous », je me suis juré que dè s que j’aurais ré uni l’argent né cessaire, je ferais mes adieux à Rita Monpean Carreras. Je deviendrais José phine Blanc. José phine Blanc serait une Fran§aise de souche, comme ceux qui font l’unanimité ici. Un doux pré nom comme José phine, §a atté nuerait mon tempé rament de feu, §a me franciserait.

Je n’emporterais rien. Juste ma mé daille, la clef et quelques vê tements. Mes parents m’avaient confié e à ma sœ ur, qui m’avait confié e à Madrina. Mes grands-parents m’avaient confié e à Dieu, et lui au moins, il é tait toujours là. Enfin toujours pas là, donc il ne me manquerait pas si je me confiais à lui en attendant. C’est la raison pour laquelle j’avais dé cidé de conserver cette mé daille. Pas pour rester lié e aux miens ou à mon histoire. Pas parce que je pensais qu’elle avait de la valeur – j’avais atterri depuis longtemps à ce sujet en essayant de la vendre. Non, je la


conserverais comme un grigri pour ne pas ê tre toute seule. Je laisserais tout, pour que rien ne puisse trahir d’où je viens ni qui je suis. Ni qui j’é tais, plutô t. En ré alité, tu vois, j’ai gardé la chaî ne qui supporte à la fois cette mé daille et la clef rouillé e. Ma mé daille pour l’isolement, et ma clef pour que rien ne m’empê che d’accé der à un avenir. Pas n’importe lequel. Un bel avenir. Mon bel avenir. Un avenir où c’est moi qui gagne à la fin. Pas comme eux. Moi, j’avais ma clef, d’ailleurs mon â me courageuse en fabriquerait d’autres, autant que né cessaire pour qu’aucune porte n’entrave mon chemin.


 

3.

Le carnet de poè mes

J’entends battre mon cœ ur dans mon ventre en ouvrant ce grimoire et en relisant ces lignes. L’é rotisme de certains poè mes me fait hé siter à lui trouver bonne place dans la commode. Pas longtemps. Il s’agit d’amour aprè s tout. Tu n’as pas eu Nina par l’opé ration du Saint-Esprit que je sache. Il y a tout un fatras de babioles dans ce tiroir, mais oublie le noyau de litchi, le bracelet, la mè che de cheveux, le jeu de cordes de guitare et le reste. C’est surtout ce carnet le té moin de ma fé minité naissante et de mon plus grand amour.

J’ai pourtant les viscè res noué s quand je tombe sur Rafael pour la premiè re fois. Je viens de tout quitter. J’ai une envie fé roce. J’ai l’impression que la vie m’appartient, mais j’ai des scrupules à ê tre partie sans mot dire. Et puis je ne sais pas par où commencer.

Rafael apparaî t, sortant d’un bistrot. Il s’arrê te pour allumer une cigarette. Il fixe ses pieds alors j’en profite pour le regarder. Oh mon Dieu! Il va me prendre pour une pauvrette, assise ainsi par terre devant la gare de Toulouse. C’est que je suis resté e debout pendant tout le trajet, de Narbonne jusqu’ici, j’avais pris le billet le moins cher. Je me lè ve. Juste pour qu’il ne me voie pas s’il hausse le regard. Ou justement pour qu’il me voie, je ne sais pas. Dans ma tê te je ré pè te: viens, viens, viens, viens vers moi. Je mise tout sur la té lé pathie car je n’ose pas m’approcher


de lui. Il est trop. Trop beau. Trop viril. Trop sû r de lui. Trop fier. Il est beaucoup trop tout pour que je me sente capable d’un tel courage. Il me sourit. Je baisse les yeux. Quelle idiote! Heureusement que §a ne le dé courage pas. Il devine bien à mon attitude que je me suis levé e sans savoir où aller. Me donner une contenance. Vite vite vite. Il traverse la rue.

Mucho gusto señ orita. ¿ Puedo ayudarle?

— Je ne parle pas l’espagnol, dé solé e.

¿ En serio?

Je ne ré ponds pas. José phine Blanc ne sait pas ce que §a veut dire, en serio.

— Euh pardon, j’aurais juré que vous é tiez…

— Non, pas du tout.

— Enchanté. Rafael, dit-il en me tendant la main.

— José phine.

— C’est joli, José phine.

— Merci.

Oh non! É videmment, au hasard, je tombe sur quelqu’un qui me ramè ne à moi, chez moi, car avec cet accent, c’est toute l’Andalousie qui se dessine sur la brique rose. Ils sont partout, dé cidé ment. Tu parles d’un dé but d’é mancipation! Voilà l’Espagne, dans ce qu’elle enfante de plus sensuel, qui me rattrape dé jà. Et je ne l’en empê che mê me pas. Surtout pas. La vie vient d’arriver dans ma vie. C’est la premiè re fois. Toute ma chair hurle mon dé sir et mon é merveillement. Je suis si troublé e que §a doit se voir comme le nez au milieu de la figure. Je me reprends. Je joue le dé tachement et tente de me souvenir de ce qui fera de moi une vraie Fran§aise. Je dois ê tre tout en retenue, un peu prude, un peu mé contente, sinon je ne collerai pas à mon personnage. Mon impulsivité et ma franchise, au placard! De ce cô té -là, §a devrait aller tout seul, aprè s cinq anné es à é tudier chez les culs bé nis de Saint-Just, je suis rodé e. Recentre- toi, Rita, c’est peut-ê tre un coup du destin. Tranquilo tranquilo tranquilo.

J’y suis. Lever mes yeux vers lui me coû te plus que de grimper le pic du Mulhacé n, mais je ne me dé gonfle pas. Je vais plonger mon regard dans le sien pour y pê cher son â me, et si elle est trop petite, trop jeune,


trop fine, je la remets à l’eau. Ay, Dios, il ne me quitte pas des yeux. J’ai le cœ ur et le ventre qui ont embarqué dans un wagon de montagnes russes, je suis secoué e, perdue, ivre d’adré naline. Enchaî ne enchaî ne enchaî ne, ma grande. Impossible. Je suis figé e comme La Pietà . Je ne force mê me pas ma timidité, elle a pris possession de tous mes moyens. Alors §a y est, je suis vraiment devenue une foutue Fran§aise? Quelle honte.

— Tu connais Toulouse? Tu veux faire une visite avec le meilleur guide de la ville? me propose Rafael.

— Pourquoi pas! Je ne connais rien ici. Je suis Narbonnaise, je viens d’arriver.

Rafael marche vite. Avec un sourire tendre, il s’est emparé de ma main pour que je tienne le rythme, sans que j’aie le temps de donner mon accord. J’aime §a aussi. Il est respectueux mais entreprenant. Un bonhomme, quoi. Un vrai. Je crois dé faillir chaque fois que je pense à sa peau contre la mienne. J’essaye de me concentrer sur autre chose, mais rien n’y fait. Un vent de fou a pris possession de la ville. Ou alors c’est l’effet de ma main dans la sienne qui dé chaî ne les é lé ments.

Le vent d’autan nous fait courber l’é chine et ralentit notre marche. Il essaie de dé faire nos mains entrelacé es, mê me si chacune d’elles lui ré siste. À nouveau, regard tendre demandant mon aval sans attendre qu’il arrive. Quand ses doigts se dé font des miens, j’ai l’impression qu’on m’arrache un membre, alors que nous marchons seulement depuis vingt minutes. Mais c’est son bras puissant qui prend le relais, s’é tire et passe dans mon dos. Sa main s’agrippe à mon é paule et nos deux corps forment un bouclier contre É ole. Je me sens vivante. Terriblement vivante. Dans les bras d’un inconnu, seule dans une ville que je ne connais pas, je n’ai pas peur. Quelle que soit l’issue de cette rencontre, il fallait qu’elle ait lieu, j’en suis sû re. C’est si naturel, c’é tait é crit.

Je dé couvre la ville telle que Rafael l’a faite sienne depuis deux ans. Il est ré fugié lui aussi. Je fais mine de ne rien savoir de cette guerre qui a ravagé son monde, notre monde. Je l’é coute avec attention, je cache mon é motion et feins parfois la surprise. J’ai presque l’impression qu’il dé code mes petits mensonges en temps ré el et s’en amuse. Ce n’est pas possible, mon accent fran§ais est parfait, et pour me couvrir, à la fa§on de Madrina j’é conomise mes mots. Je mé nage mes effets, comme elle dit.


Notre aprè s-midi s’achè ve par la visite de son lieu de vie. Rafael loue une chambre dans une communauté d’artistes. C’est extraordinaire. Au rez- de-chaussé e vivent les Allemands. Un peintre, un metteur en scè ne et deux romanciers s’attellent à leurs travaux respectifs dans un calme olympien. Au premier é tage, §a braille en italien dans tous les sens. Un couple de sculptrices, un menuisier, un auteur de thé â tre, une danseuse, un spé cialiste de la commedia dell’arte et un chanteur é changent avec virulence. Au second é tage de la maison, des Espagnols hauts en couleur s’invectivent à n’en plus finir.

Soudain une pointe de mé lancolie vient se planter dans ma gorge. Je pense à l’immeuble. Cet endroit lui ressemble. Il me sortait par les yeux et voilà que je rê ve qu’il soit la porte à cô té. Je voudrais moi aussi entraî ner Rafael dans mon petit monde, et en ê tre fiè re comme il est fier du sien. Mais il est trop tard. Cette communauté est un leurre. Dehors, c’est toujours pareil. Dehors, on est hostile avec l’é tranger. Si chez Rafael tout le monde se respecte, ce n’est pas ré el. Les lois intra-muros ne sont pas les lois de la rue, ni des lois universelles, ce n’est pas §a la liberté. La liberté, c’est ê tre soi-mê me dedans et dehors.

Rafael et moi discutons toute la nuit qui suit notre rencontre. Nous sommes coupé s par le retour au bercail de ses deux pigeons.

— Hari, Mata, je vous pré sente celle qui a allumé la lumiè re dans la pé nombre de mon ciel aujourd’hui! Elle s’appelle José phine. José phine: voici Mata et Hari.

Il dé grafe les petits rouleaux de mé tal autour de leurs pattes et les glisse dans sa poche tout en m’encourageant à lui parler un peu de moi. Je lui dis que mes parents sont morts dans un accident et que je suis partie parce que je n’ai plus rien. Je suis succincte. Il n’insiste pas. Il me raconte les siens, son village bombardé dont il ne reste que des cendres. Il é voque l’Espagne comme si j’é tais é trangè re à cette terre. J’aime §a. Sa parole porte haut les couleurs de notre drapeau. Il s’enflamme en se replongeant dans sa mé moire pour nourrir son ré cit, et sans le savoir me brise avec ces souvenirs qui sont aussi les miens. Il parle de sa vie de vitrier avant, de la chaleur des é changes avec ses clients, du troc, des petits services. Il parle de sa vie de vitrier maintenant, des exigences inconsidé ré es, et de l’impolitesse dont les Fran§ais font preuve à son


é gard. Il aimerait jouer de la guitare et é crire des poè mes toute la journé e mais il faut bien manger.

Il ne dit pas tout. Je le sens. Et ses absences ré pé té es le confirment. Comment le blâ mer alors que je me suis moi-mê me drapé e dans un tissu de mensonges? Il prend sa guitare tout en continuant à parler. Moi, je n’entends plus ce qu’il dit. Chaque accord qu’il é grè ne sans y penser ré vè le tout ce que j’occulte. Le manque. Le manque mortel. Des miens, de mon pays, de toute cette vie qui n’est plus. Je ne veux pas entendre cette musique, je ne suis pas apte à soigner la petite fille que j’é tais, juste à l’enterrer provisoirement pour ré ussir à vivre.

Je me rapproche et pose ma main sur les cordes de sa guitare pour les faire taire avant qu’une larme dans mes yeux ne se dé croche. Rafael prend ce geste pour une invitation à m’embrasser. C’est le plus merveilleux malentendu, le plus extraordinaire et le plus doux accident que la vie m’ait donné de vivre. Je ne ré siste pas, je m’abandonne, je m’offre. Je succombe sans retenue à ses baisers, puis à ses caresses, puis à tout son ê tre m’enveloppant comme de la soie. Ç a ne ressemble pas à une premiè re fois. Plutô t à une choré graphie que nos corps auraient ré pé té e des heures durant pour atteindre une telle fluidité. Pourtant, notre danse s’é crit au fur et à mesure que nos peaux s’apprivoisent, dans la lenteur et l’é coute, dans ce que le plaisir peut avoir de plus sacré et de plus mystique. Nous voyageons dans notre corps, soumis à nos propres sensations autant qu’à celles de l’autre. Ce silencieux dialogue, rompu par instants par nos souffles sauvagement courts, est d’une pureté biblique. Le contenu n’est pas trè s catholique, §a non, et heureusement! Mais aucun geste n’est indé cent, n’est-ce pas, s’il est guidé par l’amour et la confiance dans une volonté commune? Bien sû r, je veux lui plaire. Mais avant tout je suis spectatrice de ce qui se mé tamorphose en moi, surprise et assoiffé e d’en savoir plus. Je ne cherche pas simplement à lui faire plaisir, je suis aussi centré e sur ma volupté naissante. Et c’est pour

§a que cette premiè re fois est aussi merveilleuse.

 

Quand j’ouvre les yeux le lendemain matin, Rafael est assis prè s de moi et me fixe avec tendresse. Une casserole de café fume dé jà sur un ré chaud de fortune et un morceau de pain grille sur le poê le. L’idé e que je suis inconsciente d’avoir suivi cet homme et de m’ê tre si rapidement


donné e à lui me traverse l’esprit. Cela dure moins de deux secondes. Quelque chose en moi sait trè s bien ce que je fais là. Quelque chose dans la scè ne qui se joue est de l’ordre de l’é vidence.

Ses lè vres ont le goû t de la ré glisse. Rafael est nerveux alors il passe son temps à en mâ chouiller des bâ tons. Quand il est venu à bout de la ré serve du Calabrais du premier é tage, il passe aux branches de fenouil sauvage qu’il ramasse quand nous nous promenons dans le jardin des Plantes. Rafael connaî t à peu prè s tous les Espagnols de la ville. Je me cache pour rougir quand il a de jolis mots à mon sujet que je ne suis pas censé e comprendre. Et je ne comprends pas tout. Il dit parfois que je suis sa liberté, que je suis le poumon que Dieu lui envoie pour qu’il respire enfin, que je suis les yeux qui lui font voir que le monde n’est peut-ê tre pas totalement foutu. Je crois que ce n’est pas mon cas. Depuis que je suis José phine Blanc, tout a changé et l’humanité m’en semble d’autant plus dé testable. Aimer Rafael n’y change rien. Je suis bien re§ue dans les magasins, j’ai trouvé facilement un travail de repriseuse à un salaire correct et j’entends les propos sans filtre des gens sur les immigré s. J’é coute leurs conneries et j’acquiesce d’un air entendu. Je bouillonne, je dé borde, mais tout reste à l’inté rieur et me noie. Ce qu’ils disent est faux. C’est injuste. L’exprimer me dé masquerait. J’ai gagné la liberté d’exister, mais ma liberté de parole a pé ri dans mon changement d’identité. Je suis prise dans un é tau. Il faut que je me libè re avant d’imploser. Rafael doit savoir. Moi aussi je veux tout savoir. J’en ai assez de ce romantisme du secret. Je veux que nous soyons transparents l’un pour l’autre dé sormais. Ê tre Rita dè s que j’entre dans la chambre que nous partageons depuis dix mois, Rafael et moi. Ê tre José phine dè s que j’en passe la porte pour affronter le monde exté rieur. C’est peut-ê tre §a, le bon choix.

Mi gatito, tu pensais vraiment que tu ré ussirais à faire croire à un chat que tu es un chien? Si tu es un oiseau, tu peux faire croire à un chat que tu es un chien. Mais quand deux ê tres de la mê me famille se rencontrent, aussi diffé rents soient-ils, ils se reconnaissent, sans aucun doute. J’ai deviné les raisons de ton mensonge. J’ai entendu ton besoin d’ê tre reconnue et accepté e, alors j’ai fait comme si. Mais ce n’est pas un hasard si nous nous sommes aimé s. Je suis devenu ta maison et toi la mienne. Nous nous sommes donné plus que de l’amour, un commencement tout neuf, un repè re, un ancrage, qui nous manquait à tous les deux depuis l’exil. Mais nous allons le retrouver notre toit, le


vrai, je te le promets, mi cielo, et nous repeuplerons l’Espagne d’enfants heureux. C’est pour §a que je pars dans un peu plus d’un mois. Ida y vuelta, aller retour. Miguel et Pascual s’en vont avec moi. Nous emportons des vivres pour la gué rilla qui se meurt de faim. Ils ont besoin de forces pour faire chuter le ré gime de l’hijo de puta. Un attentat se pré pare. Nous avons une ré union à l’arrivé e, diverses choses à organiser ensuite pour les gué rilleros, et deux, disons au pire trois semaines plus tard, tu m’embrasseras de nouveau.

Rafael n’est pas un simple exilé. C’est un fugitif. Il est Enlace. Litté ralement §a veut dire lien. Les Enlaces sont peu nombreux et trié s sur le volet. Ce sont des hommes de confiance. Certains sont devenus maquisards pour ne pas avoir à quitter le pays. Rafael, lui, participe à l’acheminement de toutes sortes de marchandises depuis la France pour aider la gué rilla antifranquiste. Il me parle de courrier et de nourriture, mais j’ai dé jà trouvé des armes en piè ces dé taché es sous notre lit, qui apparaissent et disparaissent comme par enchantement. Poser des questions m’aurait exposé e à parler moi aussi, alors jusqu’ici je me suis tue.

Un Enlace est aussi agent de renseignement. Et oui, avoir des pigeons, ce n’é tait pas qu’une fantaisie. Franco contrô le toute l’information en Espagne, ce qui ralentit l’action des gué rilleros. Alors la ré bellion essaye de dé jouer cette chape de plomb avec quelques pirouettes. La guerre continue en sous-sol. À commencer par ces journaux clandestins qui disent vraiment ce qui se passe. Et ce n’est pas joli. Les Espagnols vivent dans une misè re absolue depuis la fin de la guerre. Papa et Maman n’avaient peut-ê tre pas tout à fait tort. Ici, au moins, nous mangeons à notre faim, ou presque.

Rafael me raconte que nous avons failli renverser El Caudillo à trois reprises. Il s’en est fallu de peu chaque fois. En France, les journaux n’en ont rien dit. Franco fait aussi de la ré tention d’information pour ne pas entacher l’image de son super pouvoir aux yeux du reste du monde. Ç a, c’est sans compter sur mon beau taureau. Rafael a la dé termination de celui qui part avec quelques points de retard. La rage des victimes qui ne subissent pas. C’est un frondeur, qui n’a rien à prouver, un homme impulsif, qui a toutefois mû ri et mesuré les consé quences de ses actes passé s. Doré navant, il agit dans le souci d’é pargner son espè ce, mê me les


pires spé cimens, car il part du principe que personne ne naî t fonciè rement mauvais. Il apaise ma colè re avec sa vision des choses. Je pourrais tuer Franco de mes mains, mais Rafael pré fé rerait le voir finir en prison. C’est moi, la brute. Il est la tempé rance. Le contraire de ce que nos physiques respectifs pourraient laisser penser. Nous ressemblons à David et Goliath. Ma finesse frô le la transparence et sa charpente est massive. Je dois me mettre sur la pointe de la pointe des pieds pour accé der à ses lè vres, mê me quand il m’aide en travaillant la souplesse de son cou vers le sol. Ç a le fait rire. Il finit toujours par me soulever pour rendre la tâ che plus facile. Alors j’enroule mes jambes autour de lui comme un petit singe à son arbre, afin de l’aider à supporter mon poids. Mais Rafael pourrait me porter juste avec son auriculaire s’il essayait.

J’aime. Je suis aimé e. Je suis proté gé e. Et peu à peu, je prends conscience que je n’ai besoin de rien d’autre.

 

Dé jà quatorze jours qu’ils sont partis. Madre mia, que font-ils? Depuis hier, je descends toutes les quatre heures demander à Ullrich de siffler pour moi. Mata et Hari doivent ê tre germanophiles, car ils rappliquent dè s qu’Ullrich les appelle. Il est le seul qui les dompte. À part Rafael, bien sû r. Ils ont leurs tê tes ces deux-là, mais lui, va savoir pourquoi, ils l’estiment. De mon cô té je n’ai jamais pu les amadouer. Les mains de Rafael sont largement assez riches de caresses pour eux et moi, mais ils ne l’entendent pas de cette oreille. Ils m’ignorent inlassablement, me rappelant qu’on est toujours l’indé sirable de quelqu’un.

Troisiè me nuit sans fermer l’œ il. Je dé couvre les jolies choses qu’il a é crites à notre sujet dans son carnet de poè mes. À en lire les derniè res pages, il nous a imaginé un de ces avenirs! Il est si optimiste, prê t à tout pour que notre futur soit un rê ve é veillé. Je me dis qu’il est fou et c’est ce que j’aime chez lui. À viser l’impossible on peut atteindre au moins le merveilleux. Je regarde Saint-Sernin trouer les nuages comme l’angoisse qui me transperce le ventre. Je repense à l’immeuble. À ceux de mes voisins là -bas qui é taient repartis combattre, et qui ne sont jamais revenus. Aucun d’eux n’avait l’envergure de Rafael, alors on ne peut pas comparer, mais j’y pense tout de mê me. On a vite fait de s’angoisser quand on ne peut pas communiquer. Je sais que je ne devrais pas m’inquié ter, que sa route est longue et les trains rares, mais le manque me


fait perdre toute rationalité. Qu’elle est vide ma carcasse quand Rafael ne l’emplit pas de son amour et de son é nergie!

Avec lui tout semble possible. Je rê ve de nouveau. Avant, c’é tait l’un de mes sports pré fé ré s: m’asseoir sur un banc et me bercer d’illusions inspiré es par les passants. Aprè s avoir quitté l’Espagne, j’ai cessé de le pratiquer. Une partie de moi é tait resté e coincé e là -bas. L’enfant rê veuse et lé gè re que j’é tais ne m’avait pas suivie. Elle avait dû se perdre dans les Pyré né es. Je l’avais abandonné e comme on rompt avec un regret. Sans explication, uniquement parce que je savais que la maintenir en vie maintiendrait la douleur. Il fallait bien choisir.

Auprè s de Pepita, la mè re de Rafael, je la retrouve quelquefois, cette gosse. Pepita la devine, la ressent, la ché rit, et ce faisant elle la ressuscite. J’aime qu’elle la fasse revenir avec ses questions, qu’elle la plaigne, et qu’elle me serre à m’é touffer durant de longues minutes quand elle a fini par m’extirper de grosses larmes. Il y a un monde entre sa tendresse et son passé de combattante. Cette mirgue é tait au front. Pepita. Un mè tre cinquante-cinq, cinquante kilos toute mouillé e, fusil à l’é paule, noyé e dans un gigantesque bain de machisme et de testosté rone. Ç a devait valoir le coup d’œ il! Elle é tait devenue secré taire du bureau des Jeunesses ré publicaines aprè s une blessure, puis elle avait dû fuir pour sauver son culo, comme elle dit. Elle lit dans les ê tres et se fait baume pour les ré chauffer, ou feu pour les brû ler. Avec moi, elle est le plus doux des onguents. Nous nous é coutons. Quand elle te pousse à parler, à t’effondrer ou mê me à lâ cher les chiens, inutile de ré sister. Elle t’aura. Elle saura. Sans te bousculer. Parce que « §a fait du bien de vider son sac à dos de tout ce qui ne te sert plus, de temps en temps. Ç a soulage les reins ». Je me laisse aller parce que je sais qu’elle me veut du bien. À sa fa§on de passer derriè re moi et de prendre ma main pour tourner la pâ te à churros. À ses paniers garnis hebdomadaires dé posé s sur le palier avec toujours quelques mantecados au chocolat alors qu’elle sait bien que Rafael n’y goû te jamais et que je les adore.

Notre premiè re rencontre avec Pepita, c’é tait sur le palier justement. Il y a à peine deux mois, pourtant cela semble si loin. Rafael venait de sortir, et quand j’ai entendu frapper, je me suis pré cipité e vers la porte, pensant qu’il avait oublié quelque chose. Vê tue d’une simple chemise de


nuit, verre de café à la main et cheveux en bataille, je me suis retrouvé e bouche bé e face à elle en train de crier:

¡ Tu vieja mamá volvió de su viaje, mi azucar! (Ta vieille maman est revenue de son long voyage, mon sucre! )

Indé niablement, je ne partageais pas que le café de son fils. Indé niablement, c’est elle qui avait donné ce regard de jade à Rafael. Elle m’a scanné e de la tê te aux pieds et des pieds à la tê te, puis j’ai ouvert la bouche et tendu la main pour interrompre le manè ge.

— José phine. Enchanté e.

— Enchianté e? Pffffff… ¡ Mi amor, por favor!

Jamais quelqu’un n’avait mis en doute la cré dibilité de mon petit costume de Fran§aise. Et fiè rement avec §a, sans la moindre gê ne! De quoi me dé cider à me dé masquer, car c’est ce fameux soir que j’ai parlé à Rafael, qui m’a avoué ne jamais avoir é té dupe. Quand une mè re veut proté ger son fils, en moins d’une phrase elle y parvient, comme par magie. Elle m’a dé cousu la bouche, probablement pour que Rafael sache, et je dois avouer que cela m’a fait un bien fou.

Dè s notre deuxiè me rencontre, je me suis pré senté e comme Rita et elle m’a fait un sourire de connivence avant de m’emmener dans la cuisine pour un interrogatoire-confession-psychanalyse, intelligemment mené. Au dé part elle m’a scruté e, examiné e, dé pecé e à nouveau, mais se trouvant des points communs avec les miens et notre histoire, elle m’a té moigné trè s vite des sentiments sincè res. Je m’é tais é panché e jusqu’à plus soif, jusqu’à m’en surprendre – la poire que je buvais poliment chaque fois que Pepita me resservait avait dû aider. Sur elle, l’alcool ne semblait avoir aucun effet.

Tu pourrais imaginer une jolie femme quand je te la dé cris, cariñ o. Dé trompe-toi! On é tait trè s loin de la jeune premiè re. Elle paraissait plus vieille que le monde. Sa peau é tait si profondé ment plissé e que je me questionne sur l’â ge auquel elle a pu enfanter Rafael. Mê me quarante- cinq ans plus vingt-deux ans, §a ne fait toujours que soixante-sept ans. Il y avait un tel dé calage entre son aplomb et son apparence!

J’ai gagné sa confiance en ouvrant mon cœ ur, ma tê te, mes entrailles. J’y ai consenti sans rechigner alors la louve m’a glissé e entre ses pattes, au chaud auprè s de ses autres petits, comme si nous é tions du mê me


sang. Elle doit commencer à ê tre inquiè te elle aussi. Peut-ê tre pas. Est-ce qu’elle attend de moi que je sois forte ou que je partage mon anxié té avec elle? Dans le doute, je me retiens d’aller la voir. Si elle savait quelque chose, je le saurais dé jà, Pepita ne me laisserait pas sans nouvelles.

Nous sommes jeudi, et avec le vendredi ce sont les jours les plus longs de la semaine car je ne travaille pas. Il y a encore trois semaines et demie, je les adorais ces deux jours-là. Le mardi, je commen§ais à compter les heures, le mercredi j’é tais fé brile toute la journé e et à dix-neuf heures je devenais un volcan jaillissant. À l’idé e de retrouver Rafael et de ne presque pas avoir à le quitter pendant une soixantaine d’heures, j’é tais dans tous mes é tats. Mê me s’il s’absentait, j’avais bonheur à me pré parer, me faire belle pour son retour à la maison, cuisiner pour lui; mon imagination faisait le reste. Rafael accueillait toujours mes efforts avec enthousiasme et mes effets avec dé sir, ce qui me poussait à m’enflammer sur le moindre dé tail.

Puis mon monde s’est retrouvé à l’envers. Chaque mardi j’appré hende le mercredi si proche de ce jeudi et de ce vendredi anxiogè nes. Je passe ces deux jours en quasi tê te-à -tê te avec mes angoisses, assise sur le rebord de la fenê tre sur rue. L’horloge joue les arbitres. Ma hantise joue la montre.

Les jours dé filent au ralenti. J’ai trouvé mon rythme dans cette lenteur anesthé siante. Chaque matin en quittant la communauté, je siffle. Ullrich se penche à la fenê tre et me dit non de la tê te. Je continue mon chemin en passant par chez Pepita qui m’offre un café. Elle me donne El Socialista ou Alianza, quand elle a ré ussi à les trouver et qu’elle les a elle-mê me dé jà dé cortiqué s. Je les lis mais c’est pour Rafael, « quand il rentrera il faudra bien qu’il sache tout ce qui s’est dit et passé pendant son absence! ». C’est presque à l’atelier que je me sens le mieux. Et dans le quartier où je travaille plus gé né ralement. Je ne suis plus moi, et §a me calme d’ê tre concentré e sur mes ouvrages et mon personnage. Je suis la timide José phine, pré cise et efficace, aussi discrè te que laborieuse.

Ce soir je rentre tard. J’ai accepté de finir à vingt-deux heures puisque personne ne m’attend. Je fais §a souvent depuis que Rafael est parti. Mes é conomies grossissent à vue d’œ il, pourtant, je peine à m’en ré jouir. J’aimerais qu’on aille à la mer quand Rafael rentrera. J’ai peut-ê tre dé jà de quoi acheter des maillots de bain et prendre trois nuits en pension


complè te dans un hô tel. Peut-ê tre mê me les billets de train. Peut-ê tre aussi du tissu pour me faire une robe. Et je sais qu’en ouvrant la porte il me dé vorera des yeux. En marchant vers moi, il retiendra une envie presque animale pour la transformer en un manteau de tendresse dont il me vê tira d’abord.

Il fait froid ce soir, alors mes pensé es et projets me tié dissent. Hier j’ai enfin osé dire à Pepita que je mourais d’inquié tude et elle m’a rassuré e. Elle, elle est resté e caché e trois semaines dans un trou à manger des baies et des vers de terre, pour é chapper aux rafles des milices. Autant te dire qu’un mois et demi d’absence n’a rien d’alarmant pour elle. Pepita me ment, mais je n’y vois que du feu. Comme moi elle est té tanisé e. Elle sait que la planque de la troisiè me division a é té dé couverte et incendié e par les militaires, mais personne ne peut dire si les gué rilleros ont é té emprisonné s, exé cuté s, ou si certains ont pu s’enfuir.

Tiens, nous sommes dimanche, demain j’aurai peut-ê tre un journal clandestin à é plucher, Pepita doit ê tre en route pour le ré cupé rer. Soudain, un hurlement dé chirant m’extirpe de mes pensé es. Je reconnais sa voix dans la seconde et m’é lance vers la grande rue. Pepita. Je pousse la porte de la grange où nous organisons nos bals entre immigré s le mercredi. Tout le monde est là. On n’entend que le vent souffler dehors, et dans le fond, deux râ les. La communauté, le voisinage, tous les Espagnols du quartier encerclent Pepita et la femme de Miguel. Quand j’entre, Ullrich court vers moi. Derriè re lui, Pepita supplie en pleurant.

¡ No se lo digas, no se lo digas, Ullrich, por favor! dit-elle en arrachant une page de journal qu’elle se met à mâ cher.

La scè ne est aussi tragique qu’irré elle. Je voudrais arrê ter le temps et qu’Ullrich n’arrive jamais jusqu’à moi. Que les quinze mè tres qui nous sé parent s’é tirent à l’infini pour ne jamais entendre ce qu’il s’apprê te à me dire.

— Rita. C’est fini.

Je crois que j’ai vomi et que je me suis é vanouie. C’est un peu flou. Tant de printemps sont passé s… Il me semble qu’en me ré veillant, ma premiè re pensé e est allé e à mes parents. Les jalousant. Eux au moins ils sont ensemble. Si j’avais mesuré le danger, je serais partie avec lui. Je suis submergé e par la colè re. Heureusement qu’on a §a, nous autres humains, la colè re. Pendant qu’on enrage sur un potentiel responsable, on


cesse un peu d’avoir mal. J’ai encore vomi. Sur toute ma robe blanche et dans mon dé colleté. Pepita est prostré e. Muette. Tout est sorti en un seul cri et il ne lui reste dé jà plus que le vide. Son visage est calme et ses yeux errent dans le vague. De grosses larmes coulent sur ses joues. Rien d’autre ne bouge sur la figure de Pepita. Je vomis encore. Ullrich me tient les cheveux et tandis que je suis penché e, le murmure de peine gé né ral s’arrê te d’un coup. Je lè ve la tê te, tous les regards de l’assemblé e sont posé s sur moi avec stupé faction. Sur mes seins plus particuliè rement.

Ahurie, je baisse le regard vers ma poitrine et me rends compte qu’elle est extrê mement enflé e. Mon premier ré flexe est de me cacher de leurs yeux insistants en ré ajustant ma robe. Puis je me mets à penser à la maladie. Mais il n’y a qu’une maladie qui fait pousser les seins. Une maladie extraordinaire.

 

Je suis partie. Encore. Savoir qu’un minuscule morceau de Rafael s’é tait niché dans mon ventre avait ré veillé un besoin viscé ral de revenir sur ma terre. Un besoin de retrouver ma langue, la couleur de mes paysages, les miens, la chaleur é touffante et les longues siestes pour y é chapper, nos rites, nos rires et nos coutumes. Je ne pouvais pas imaginer la misè re qu’affrontaient ceux qui é taient resté s. Je ne pouvais pas imaginer à quel point notre dé part avait é té vé cu comme un rejet par les nô tres. Je ne pouvais pas imaginer que là -bas j’é tais devenue une é trangè re, une traî tresse, une pré tentieuse petite Fran§aise. Les amis, les enfants que j’avais laissé s, é taient à pré sent des hommes eux aussi et ce bonheur des retrouvailles que j’avais fantasmé sur ma route jusqu’à eux me fut interdit. Dans leurs voix, le reproche, la distance, comme si le pays entier m’accusait de l’avoir abandonné alors que j’avais eu la sensation d’avoir é té mise dehors. Tes parents é taient d’ici, toi tu n’es pas d’ici, tu es une fille d’ailleurs.

J’é tais triste mais au fond je comprenais. Je connaissais ces sentiments, cette colè re, cette injustice. Par cœ ur. Et pour les miens, dé sormais, je ne ré servais que mon respect et mon indulgence. Je dé cidai de ne pas exposer mon point de vue ni d’imposer ma pré sence. Mais de choisir mes combats. Mon combat. Celui de donner à mon futur enfant tout ce que je n’avais pas eu. En tout cas, ce que j’é tais en capacité de lui donner. Pour


tenir bon, je parlais à mon ventre qui avait poussé en à peine quelques jours.

— Tu sais quoi mi vida ? On s’en fiche, cette histoire c’est la nô tre, que §a leur plaise ou non. Je serai tes origines, tu seras mes racines, et on s’inventera la vie qui nous plaira. On ira où on voudra, on sera qui on a envie d’ê tre, et on s’é crira un avenir fantastique, ensemble. Notre histoire, je te la livrerai et tu en feras ce que tu voudras. Je te raconterai que tu descends de deux ligné es de combattants, disparus pour leurs idé es. Je te lirai ce cahier é crit par la main et le cœ ur de ton pè re. Des phrases et poè mes d’hommes et de femmes qui l’ont inspiré. Des mots à lui, en vrac, et du feu entre les lignes. Je t’apprendrai ma langue, et si tu le dé cides, ce sera la tienne. Je t’apprendrai les doux parfums du pays de tes ancê tres. Parce que, avec toi, j’ai envie de tout. Parce que si tu t’es invité là, c’est pour nous rendre immortels, Rafael et moi.

Mon carnet de poè mes en poche, je suis repartie le jour mê me de mon arrivé e en Espagne. Vers Narbonne.


 



  

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