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A V I S Bulletin anarchiste pour la guerre sociale DE TEMPETES
# 28 – 15 avril 2020
Ailleurs. Pandémie mondiale et accepta- tion sociale. Pas de Grand Confinement aux Pays-Bas, en Suède et en Allemagne. Autodiscipline ? Scientifiques lunatiques ? Intérêts économiques bien compris face la Chine ou aux Etats-Unis qui sont loin d’être à l’arrêt ? Pas non plus de Grand Confi- nement durable sur d’autres continents lorsque la survie dans l’économie infor- melle n’est pas suffisamment garantie par des miettes étatiques. Là on y couvre-feu de nuit ou dès l’après-midi mais on laisse survivre de jour, là on tente de confiner en alternance, une semaine sur deux, les hommes ou les femmes, une zone puis une autre,... Là comme partout l’Etat improvise sans le dire, militarise pour garder le pou- voir, scientifise comme ça l’arrange, propa- gandise pour faire passer la pilule. Spectre d’émeutes de la faim. Spectres de guerres civiles. Gestion autoritaire pragmatique qui s’adapte selon les résistances qu’elle pense trouver en face. Là comme ici, d’ail- leurs.
| A voix haute |
autres à l’échelle des individus, de leurs coordinations, et de continuer à saper les bases de la domination. Réclamer de fait un grand confinement (et demain un déconfinement) différent –quand ce n’est carré- ment pas le même que celui de l’État–, réclamer une exploitation ou une éducation un peu plus ou un peu moins à distance, voire des flics plus désarmés ou des prisons plus vides, n’est pas se battre pour la liberté. C’est promouvoir une autorité alternative, une simple reconfiguration du même plutôt que son impitoyable destruction. Ce n’est rien d’autre qu’un misérable ré- alisme sans moyens qui ne pousse pas son raisonne- ment effrayant jusqu’au bout. Hauts les cœurs ! Listez donc de façon un peu détaillée les entreprises non-es- sentielles que l’État devrait encore fermer, selon vous. Pour notre part, c’est l’ensemble de l’économie que nous entendons ruiner. Continuez d’avocater qui doit sortir de façon urgente de taule, et qui doit par consé- quent y rester. Pour notre part, nous les voulons rasées au sol avec tout le monde dehors. Expliquez-nous donc enfin quelles mesures de police militante seraient en- visagées contre tous les réfractaires à un confinement alternatif ou à un traçage bio (pas de gestion de masse sans suivi, n’est-ce pas ?, sinon c’est l’anarchie). Quand on ne se paye pas de mots, être favorable à des mesures de confinement de masse, celles-là ou d’autres plus indolores, c’est-à-dire à des mesures d’enferme- ment collectif, cela ne peut que signifier discipline, contrôle et administration des individus, écrasement de leurs possibilités variées d’auto-organisation auto- nome, et répression des réfractaires. Le tout au nom de l’urgence et du bien commun, ça va de soi.
Attaquer. En cette période où l’État et le capitalisme se restructurent plutôt rapidement, mais où ils ne sont pas assurés pour autant de la même stabilité pour affronter les nouvelles turbulences sociales qui pour- raient surgir, ne pas rester confinés et attaquer est plus que jamais important. En plus de leurs dispositifs de contrôle et de surveillance, les nœuds de circulation d’énergie et de données restent une piste fondamen- tale à l’heure où la pandémie technologique fait inté- gralement partie de cette restructuration.
Demain. Le déconfinement ne sera assurément qu’un autre moment du confinement et durera de très longs mois. Il sera peut-être un peu moins dur pour les ci- toyens les plus travailleurs et les plus exemplaires, |2 mais certainement plus dur pour l’ensemble des autres, en traçant de nouvelles lignes de démarca- tion entre les deux. Autorisations de circulation inté- rieure différenciées, tests sanguins ou de chaleur sous contrainte, traçage numérique recoupé, quarantaines forcées, contrôles d’identité couplés à du fichage médi- cal, limitation des rassemblements, masques dans les transports, mise au travail forcée pour relancer l’éco- nomie, chasse accrue aux re-contamineurs potentiels. Et frontières toujours verrouillées au-delà des seuls indésirables, comme avec l’Espagne qui entend le faire tout l’été afin de prévenir une deuxième vague d’épidé- mie à l’automne.
Enfermements. Toutes et tous reclus dans la grande prison sociale. Le type, la taille et la couleur des cages varie et peut se cumuler comme autant de poupées gigognes. Hôpitaux psychiatriques, bagnes à sueur, centres de rétention, casernes de la domestication, camps de réfugiés, temples de la soumission, labora- toires du consentement, cellules familiales ou taules. C’est de ces dernières, où les conditions sont pourtant parmi les plus drastiques, que ne cessent de partir des signaux de fumée aux quatre coins du monde. Contre le confinement d’abord avec la fin des parloirs, contre la peur d’être contaminés et de mourir entre quatre murs surpeuplés ensuite, pour exiger la liberté enfin, comme le proclamait une banderole des mutins de la prison de San Juan de Pasto (Colombie). Et nous, dehors, qui pen- sons que la liberté consiste à nous auto-enfermer et à obéir aux ordres du pouvoir, nous qui n’avons ni bar- reaux pour voiler l’horizon, ni barbelés pour lacérer nos chairs, ni guérites pour nous tirer à vue, n’avons- nous donc vraiment aucune structure à saccager, au- cune cage à incendier ?
Etat. A l’exception des imbéciles notoires qui estiment qu’encourager à briser le confinement revient à nier la contagiosité du covid-19 ou à poser un geste en- fantin de défi, il est évident qu’aucun agir ou aucune auto-organisation (dans différents domaines) ne peut se réaliser virtuellement. Qui plus est, le confinement de masse est structurellement une mesure rendue pos- sible par une gigantesque concentration autoritaire de force et de moyens qui renvoie directement à l’État. Face à une menace aussi générale contre laquelle il se pose en souverain protecteur des petits comme des grands, on peut même imaginer qu’il ressortira comme flammes sur un parking du quartier des Vaîtes.. Revendiqué par AntiCorona, qui précise notamment « Le feu est un moyen adapté pour endiguer le virus de l’État et de ses laquais.» 17/3 France. Début d’une série de mutineries dans les prisons après la suppression des parloirs et des activités pour cause de confinement. Le mouvement touche une trentaine de prisons. En plus des refus de remontée de promenades, matons caillassés à Grasse (17/3, caméras de surveillance sont détruites à Draguignan (21/3), une cuisine enflammée à Neuvic (21/3), de nombreuses vitres es activités brisées à Longuenesse (22/3), une salle de réunion incendiée à Maubeuge et deux bâtiments incendiés à Uzerche, mettant 250 cellules inutilisables.
17/3, Thessalonique (Grèce). Double attaque incendiaire : d’abord contre l’entrée d’un supermarché, puis contre celle de l’église orthodoxe en face. Dégâts limités. 17/3, Marseille (France). Dans les Bouches-du-Rhône une partie de l’infrastructure électrique des bureaux de la SNEF est incendiée. Une semaine plus tard, cette fois en centre ville et en plein confinement, une de leur voiture a également été incendiée. La SNEF participe à de nombreux chantiers de gentrification et s’occupe de l’extension du réseau de caméras de vidéosurveillance de la ville. «Ces attaques s’intègrent dans une série de sabotages visant cette entreprise ainsi que d’autres responsables de la propagation de la surveillance à Marseille, notamment un petit nombre d’autres caisses incendiées, et le sabotage de fibre optique et de caméras tout au 3| celui qui a fait, malgré toutes ses erreurs, le minimum nécessaire, ou pire encore, l’inévitable, en préservant et en organisant la survie du plus grand nombre quitte à suspendre quelques droits de base. Ce dernier terrain n’est bien entendu pas celui des ennemis de l’autorité, qui connaissent depuis longtemps ces jeux d’équilibres suspendus entre urgences décrétées par le haut et in- tensité de la guerre sociale. Si on désire ardemment détruire l’État, attaquer sa toute puissance confineuse qui exacerbe et renforce les rapports de servitude comme de citoyennisme, une perspective anarchiste ne peut que lutter pour une liberté démesurée.
Gants. Pour se protéger de la porte qu’on fracture. Du grillage qu’on cisaille. De la marchandise qui change vite de main. De la vitrine qu’on éclate. De l’objectif qu’on incendie. Gants et masques pour se protéger des empreintes et de l’ADN, pour garder une distanciation vitale avec les labos scientifiques du virus policier.
Pompiers. Ici une partie du cortège de tête parisien dis- tribue des masques de protection aux vigiles, au Chili une partie de la Primera Linea nettoie le métro. Super- marchés à exproprier ? Métros à incendier ? Après, oui après, les lendemains chanteront. Peut-être. Ou pas du tout. Quand le pouvoir allégera ses autorisations de sortie. En attendant on autogère le confinement. On humanitarise les carences de l’État. S’auto-organiser pour attaquer les flics, piller les entrepôts de nourri- ture ou saboter les artères technologiques de la prison sociale serait trop risqué. La révolte pourrait être plus contagieuse que le virus, qui sait ? Planificateurs du moindre mal. Contre-pouvoir tout contre le pouvoir.
Printemps. Le présentateur météo qui t’insulte tous les jours en prévoyant un temps radieux avant de t’ordon- ner de rester chez toi. Les nuages au césium de la forêt de Tchernobyl, qui flambe depuis une semaine, se- raient peut-être plus convaincants. Mais on sait qu’ils s’arrêtent aux frontières.
Responsabilité. On ne peut pas être responsable du passé qui nous préexistait, ni de tous les humains qui peuplent la terre, le continent, le pays, la région, la ville, le village, le quartier, le voisinage. Par contre, malgré l’océan de domination dans lequel nous bai- gnons –un océan imposé par la servitude de beaucoup et la répression des autres–, on peut être responsable |4 de nos propres actions pour le combattre. Là où toute vie est sacrifiée sur l’autel du profit et de l’autorité, la seule responsabilité individuelle possible par rapport à ce qui nous entoure est la cohérence entre l’idée anarchiste qui nous meut et nos actes qui la rendent vivante. Aucun petit geste ne sauvera la planète, au- cun auto-confinement n’empêchera la propagation du virus. Identifier l’ennemi dans le progrès industriel, la technoscience ou l’État en frappant leurs structures sans reproduire leurs mécanismes de domination se- rait par contre déjà plus salutaire. Si on entend sauver quoi que ce soit, bien entendu.
Retour à la normalité. Il n’y aura pas de ce genre de retour en arrière. Parce que nous n’en voulons pas (cette normalité antérieure était déjà le problème). Parce qu’ils n’en veulent pas non plus (ah, qu’il était encore plein de rigidités trop humaines et de petits formalismes, cet avant). Parce que la normalité c’est le laboratoire géant du présent, avec ses drones et sa survie numérisée, avec ses militaires et son produc- tivisme forcené. Parce que comme on a pu dire que le 20e siècle avait réellement débuté en 1914 avec la Première grande boucherie industrialisée mondiale, le 21e siècle vient définitivement d’effectuer un tournant en cette année 2020, avec des conséquences encore in- certaines pour tous. A nous de faire en sorte que tous leurs calculs et prévisions de nouvel ordre technolo- gique déraillent pour de bon.
Troupeau. Au bout du compte, certains estiment que la plupart des individus seront touchés par ce nouveau virus. Les jeux de confinements et de déconfinements ne servent alors pas à éviter une contamination géné- rale (il faudrait une gestion à la chinoise pour cela, et encore) mais sont plutôt des mesures de masse desti- nées à ralentir sa progression, en écrêtant les pics hos- pitaliers tout en maintenant l’économie à flot. Plus il y a de monde qui reste chez soi, mieux l’État peut gérer la désorganisation temporaire dans l’industrie et les services qui lui importent ou chez ses indispensables larbins armés. Le confinement/déconfinement est avant tout une question de continuité et de maintien de l’ordre, pas de protection d’une population contre laquelle il se prépare à se défendre en cas de crise so- ciale qui découlerait d’une crise sanitaire. Concernant le virus, il gère le troupeau en espérant qu’une partie suffisante de la population (60%) finira, certes le plus 5| lentement possible, par être définitivement immuni- sée pour qu’il cesse de se propager en ne trouvant plus d’hôtes (ce qui est une hypothèse très relative, vue que la durée de vie des anticorps contre le covid-19 semble courte, conduisant plutôt à envisager une série de vagues infectieuses). Et si cela n’arrive pas, l’État compte gérer son troupeau avec le même type de mesures drastiques jusqu’à l’arrivée promise pour 2021 d’un futur éventuel vaccin (ce qui revient, soit dit en passant, à inoculer ar- tificiellement une partie de virus, sans garantie que les anticorps perdureront assez longtemps ou que l’original ne mutera pas). Du premier confinement initial par la peur et la servitude volontaire jusqu’aux déconfinements par algorithmes en blouse blanche, avec plusieurs allers-retours, on est très loin d’être sortis de l’auberge. Pour échapper à la statis- tique des grands nombres, peut-être faudrait-il commen- cer par renverser la table sans rien attendre du pouvoir, et ne plus se comporter comme un troupeau qui se consi- dère vivant juste parce qu’il n’est pas mort.
Vivre. Tout était déjà là, et tout s’accélère. Que signifie respirer dans un monde bâti sur des fleuves de sang, de souffrances, de misères, de guerres et d’empoisonne- ment généralisé du vivant. Mort lente ou mort rapide. Vie en sursis et fade survie partout. « Vous ne pouvez pas nous tuer, parce que nous sommes déjà morts ». Révolte kabyle, militaires en face, 2001, début du millénaire. « Ils nous ont tellement pris, qu’ils nous ont même déro- bé la peur. » Soulèvement chilien, 2019, militaires en face, vingt ans plus tard. C’était avant. Lorsque quelque chose de visible, de palpable et d’attaquable nous faisait face. Pas une dose radioactive ou un micro-organisme. Et pourtant, les rapports sociaux auraient-ils magiquement disparus avec ce Covid-19 qui n’est pas une catastrophe naturelle ? Meurt-on globalement de ce nouveau virus ou du monde qui le génère tout en permettant sa proliféra- tion rapide sur toute la planète : déforestation massive, métropolisation et concentration urbaine, nourriture in- dustrielle standardisée, ingestion à haute dose de chimie pharmaceutique, empoisonnement sans précédent de la terre, de l’eau et de l’air, hypermobilité, etc. ? Sortir pour tout arrêter plutôt que de contempler le désastre der- rière un écran est alors bien le minimum si on souhaite un monde totalement différent. Plutôt vivre en liberté que mourir confinés. La révolte, c’est la vie. u
|6 | Entrer dans la danse |
numérisation totale.
Devant la marche inexorable du progrès avec son lot de catastrophes, dévastations et pollutions, la mé- fiance qu’il génère ne se laisse pas facilement désa- morcer par les incitations, désormais incessantes, du pouvoir à prendre soin de la planète, à trier ses déchets, à limiter l’empreinte carbone de l’activité humaine, à déployer des technologies pour remédier au désastre industriel. Ce genre de méfiance qui naît aussi de la désillusion ne s’appuie pas seulement sur des analyses rationnelles, mais vient aussi du ressen- ti, de l’instinct, de la peur, du désarroi. Les Lumières nous avaient appris à opposer radicalement ces deux domaines, celui du rationnel et de l’irrationnel, pour- tant à part égale constitutifs de la conscience humaine. Enfants de la Raison, nous avons du mal à donner une place à ce qui échappe à la compréhension carté- sienne, à ce qui ne répond pas à ses règles rigides. Au fond de nous, et malgré les paroxysmes de l’atrocité de la Raison (Auschwitz et Hiroshima, par exemple) nous croyons toujours qu’elle libère, et que l’illogique et l’ir- rationnel sont forcément vecteurs de soumission.
En plein confinement, des appels virtuels mettant en lien propagation du covid19 –cette maladie infec- Weston pour deux camions pillés puis cramé du supermarché Asda.
24/3, Athènes (Grèce). Revendication de quatre attaques incendiaires contre des domiciles privés, menées par les Equipes anarchistes de visite nocturne : - Contre le domicile du journaliste Manolis Asariotis, scribe fidèle du pouvoir et des flics contre les anarchistes, les immigrés, les exclus. - Contre le domicile du politicien fasciste Thanos Tsimeros, qui se distingue avec des discours xénophobes contre les immigrés où il crache aussi sur des assassinés comme Alexis Grigoropoulos (2008, par les flics) ou Pavlos Fyssas (2013, par des fascistes). - Contre le domicile de la journaliste Ioanna Mandrou de la chaîne SKAI, proche de la droite dure du parti Nea Demokratia, toujours prête à calomnier les immigrés, les anarchistes ou des prisonniers (comme lors de la grève de la faim de Dimitris Koufontinas, prisonnier de l’organisation armée 17 Novembre) - Contre le domicile du policier retraité Manolis Themelis, militant fasciste actif, qui fait aujourd’hui la loi dans le quartier de Nea Philadelphia. Il a fait carrière dans le commissariat d’Omonia, malfamé pour les pratiques de torture systématiques. « Les rapports capitalistes sont aussi constitués de gens qui, en jouant un rôle social, économique, politique, en font partie intégrale. Ils sont une des nombreuses manifestations de la barbarie capitaliste, deviennent son corps et sa voix, ses yeux et ses oreilles, l’arme qui nous cible et sa propagande » précise notamment la revedication.
25/3, Heilbad Heiligenstadt (Allemagne). En Thuringe, des inconnus sortent d’une voiture en marche 7| tieuse inhérente à notre civilisation de concentration démographique– et nuisance des ondes électromagné- tiques émises par les antennes-relais 5G, ont donné lieu à une avalanche de sabotages incendiaires d’abord au Royaume-Uni (une cinquantaine d’antennes détruites en dix jours), puis aux Pays-Bas (une vingtaine), et qui sait encore où. Outre-Manche, des ingénieurs et des ou- vriers qui procèdent à des réparations ou à l’installation de nouvelles structures ont été insultés, chassés, agres- sés à de nombreuses reprises. Une certaine frayeur s’est même emparée des entreprises de télécommu- nication, qui ont décidé de censurer ce genre d’appels farfelus qui pullulent pourtant dans tous les autres do- maines, et ont lancé sur le champ une vaste campagne afin de rassurer les consommateurs sur les dangers « inexistants » de la 5G et autres ondes cancérigènes. Le martèlement est incessant : ces incendies sont le fait de complotistes, ou au minimum de technophobes obscu- rantistes. Que de mépris paternaliste pour ces pauvres gens qui ne comprennent rien à rien et sont manipu- lés par toutes les fausses informations qui ne viennent pas de l’Etat, comme à l’époque de l’atroce tendresse liée à la diffusion de cette photographie d’un autoch- tone d’Amazonie tirant ses flèches contre un avion qui le survolait. Nous ne doutons pas que ce paternalisme ne tardera pas à se transformer en réaction agressive et brutale du pouvoir si ce « phénomène » d’incendies d’antennes de téléphonie mobile venait à prendre plus d’ampleur, à l’instar du sort réservé aux populations bien sûr arriérées qui persistent à combattre les doux bienfaits de la civilisation moderne.
Si le covid-19 se répand par voie respiratoire (ce qui n’exclut pas un lien, comme cela a été avancé par plu- sieurs études, avec les particules fines faisant fonction de véhicules pour la propagation du virus, et encore moins un lien avec un certain modèle de civilisation), il semble pour le moins absurde de soutenir que les ondes électromagnétiques puissent renforcer sa pro- pagation de quelque manière que ce soit. Mais comme souvent, les « rumeurs » marchent également avec ce qu’on perçoit de la « réalité » : est-il si absurde d’affir- mer que les ondes nuisent au système immunitaire hu- main, à l’instar des dioxines, des toxicités industrielles, de la nourriture empoisonnée ? Les épidémies virales de ce type ne sont pas des « phénomènes naturels » : elles émergent avec la concentration démographique,
|8 la déforestation massive, la vitesse de circulation des hu- mains et la domestication animale. Au cours de l’histoire humaine, elles ont régulièrement fauché des couches en- tières de la population et ont presque toujours démontré une résilience importante face à toute tentative de ges- tion centralisée (assez logique, vu que la centralisation fait partie de la cause de l’émergence de virus). Il semble même que des civilisations entières aient disparu à cause de telles épidémies virales, comme en Basse-Mé- sopotamie ou plus récemment avec l’anéantissement de populations autochtones en Amérique du Nord, non-im- munisées contre des virus apparus dans la civilisation urbaine européenne.
Le problème de la « rumeur » est qu’elle échappe à toute règle de la vérification rationnelle, devenue au fil des cinq derniers siècles la seule approche plus ou moins ac- ceptée de la réalité, car soumise à une méthode univer- sellement valable. Si cette universalité peut déjà faire en soi l’objet de critiques, il est en plus évident qu’aucune « méthode » ne peut saisir la totalité de la réalité (y com- pris celle de l’expérience humaine), et qu’il ne peut s’agir que d’un simple outil, défaillant et toujours provisoire. L’édification de la méthode scientifique, basée sur les axiomes de la Raison seuls à même d’énoncer la vérité, est à la base de ce monde qui a fait de la dévastation et de l’artificialisation le pouls de la vie. S’ouvrir à d’autres méthodes, d’autres approches de la réalité ne signifie donc pas forcément tomber dans « l’obscurantisme », mais se rendre compte de l’immensité de la conscience humaine.
Il est vrai que « l’irrationalité » peut faire peur. Elle a engendré bien des massacres, mais on ne peut pas dire que l’autre moitié de son binôme, la rationalité, puisse se vanter de ne pas en avoir fait autant. S’il était par exemple assez commun dans certaines contrées euro- péennes du Moyen-Age d’expulser et de massacrer les juifs de la cité au moment d’une épidémie, en déchaînant et en exacerbant tous les préjugés antisémites anté- rieurs à ces pics de maladie, une vision « irrationnelle » de l’Apocalypse a également mis en branle des paysans millénaristes contre le monde existant afin d’instaurer l’Age d’Or, ce qui se traduisit par la suppression massive et systématique de tout ce qui représentait le Mammon, l’accaparement, c’est-à-dire le pouvoir terrestre. Dans un autre ordre d’idée et avec une même vigueur, des pay-
9| Falkenberg. Cette attaque a été revendiquée par des groupes autonomes (AG), qui précisent notamment « Même en ces temps de Coronavirus et de villes désertes, nous sommes pour continuer nos projets ou les mener à leur terme.» avril, Royaume-Uni. Vague de sabotages contre des antennes-relais, tous réalisés par des inconnus et pour leurs propres raisons, que l’Etat et ses porte-parole médiatiques attribueront à la rumeur liant 5G et propagation du covid-19. Le 2 avril à Birmingham, une antenne 5G gérée par l’opérateur EE est livrée aux flammes peu après 20h. Le 3 avril à Melling (Liverpool), un pylône 5G est incendié vers 23h à proximité de l’autoroute M57. Au même moment, au sud de Liverpool, le feu est mis à une autre antenne-relais située à proximité de la station de métro Tesco. Le 3 avril à Belfast, en Irlande du Nord, une antenne- relais 5G est également incendiée. Quelques jours plus tard, on apprend qu’en l’espace de 24h le réseau de téléphonie mobile Vodafone a fait l’objet de quatre attaques, ce qui porte alors à 20 le nombre d’incidents à travers le pays en une semaine, dont des incendies, des tentatives d’incendie, des dégradations volontaires et vandalisme. Mi-avril, c’est une cinquantaine d’attaques qui étaient officiellement recensées à travers tout le pays. avril, Pays-Bas. Vague de sabotages incendiaires contre des antennes-relais. Le premier semble dater du 5 avril le long de l’autoroute A67, près de Liessel, où un tag « Fuck 5G » est aussi retrouvé à côté. |10 sans russes se sont lancés au 18e siècle à l’assaut d’un Empire tsariste qui a mis plusieurs années à mater cette vaste révolte, notamment à la suite du cosaque déclassé Pougatchev, perçu comme le Tsar véritable qui allait en- fin restaurer le règne de la justice terrestre. Si la raison a pu être un moteur d’atrocités comme de révoltes, « l’ir- rationnel » a pu tout autant l’être, et non sans certains élans de justice et de liberté.
Saluer les dizaines d’attaques anonymes actuelles contre les antennes 5G (d’ailleurs bien souvent des 4G !) parce que cela a du sens en soi, ne signifie ni cautionner ce complotisme de bazar qui cherchera toujours midi à quatorze heures, et encore moins applaudir un nouveau millénarisme luddite ou surfer sur la vague d’une contes- tation à la mode. Par contre, il serait peut-être temps de réfléchir à ce qu’une opposition à la technologisation du monde peut aussi impliquer de conservateur ou d’irra- tionnel. Serions-nous trop attachés aux valeurs des Lu- mières pour accepter que les expressions de la détresse comme de l’espoir humain ne rentrent pas toujours dans les cases de la raison ? Opposerions-nous une fermeture hermétique à ce qui attaque ce monde mais peut aussi échapper à notre compréhension et sensibilité ?
Une autre possibilité existe, incertaine et sans garanties de lendemains qui chantent : c’est celle d’entrer dans la danse non pas en partant des autres, mais avec ce que nous sommes, ce que nous pensons, ressentons, et désirons nous-mêmes. C’est la possibilité d’élargir, d’approfondir et de répandre ces sabotages ; c’est celle de pousser plus loin l’attaque contre d’autres chaînes technologiques. Et si, en passant, chacun pouvait un peu se défaire du lest d’un patrimoine par trop exclusivement rationnel qui écrase mauvaises passions, rêves et folies sous des montagnes de calculs, on pourra peut-être aussi trouver d’autres approches de la réalité, comme autant d’expres- sions inattendues d’une conscience construite différem- ment. En tout cas, ces dernières ne seront pas de trop pour persévérer dans le long combat contre ce monde de cages technologiques. Un vieil anarchiste ne disait-il pas d’ailleurs que mêmes les révolutions sont faites de trois quarts de fantaisie et d’un quart de réalité ? l | Notes sur l’autogestion | O rphelins de l’échec historique de la perspective ré- volutionnaire de l’autogestion de la production et de la société qui avait tant animé mouvements et insurrections au cours des 150 dernières années, la plu- part d’entre nous préfère en général éluder la fameuse question de la transformation révolutionnaire, en comp- tant – non sans raisons – sur le fait qu’elle ne se posera que dans le feu de l’action, et que la créativité révolution- naire de masses en pleine révolte s’exprimera également en tout transformant. Pour celui qui écrit, c’est donc un exercice difficile de ne pas simplement me contenter de souligner les lacunes de certaines approches caricatu- rales en la matière, parce que s’il ne m’intéresse pas de m’aventurer dans une quelconque prophétie sur ce que pourrait être une société anarchiste, je le suis par contre pour entamer le débat à partir du monde d’aujourd’hui.
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DÉBLAYER LE TERRAIN DU DÉBAT
moyen terme, mais sur une durée plus longue : le pro- cessus révolutionnaire, le projet d’un monde nouveau qui vise la transformation inédite des rapports existants. Ce débat devient encore un peu plus compliqué lorsqu’on utilise un florilège de concepts qui servent parfois plus de cache-sexe que de clarification, et qui sont forcément posés en faisant, dans une certaine mesure, abstraction des contextes concrets d’où ils émergent. Avant de tenter une ébauche d’approfondissement, tentons donc d’abord de démêler un peu les termes du débat sur l’autogestion tels qu’ils se présentent aujourd’hui.
Le premier clivage, la double face de Janus qui hante nombre de révolutionnaires si on veut, est le rapport entre destruction et construction. C’est là où les diffé- rentes sensibilités prennent souvent le chemin à rebours. Comme notre rêve, notre idée de révolution, est la réalisa- tion d’une société nouvelle basée sur des rapports libres
11| et en réciprocité, on en vient à se dire qu’en contribuant à faire émerger un semblant de nouveaux rapports, cela ne peut que nous rapprocher d’un bouleversement de la société. Car, et cet argument n’est pas sans fondement, on ne peut pas espérer voir émerger une société d’in- dividus libres en partant des rapports d’exploitation et de domination qui règnent aujourd’hui : en gros, il faut une prise de conscience, une sensibilité aiguisée et diffé- rente, pour que puisse naître une société différente. Cette approche expérimentatrice d’une révolution progres- sive sans rupture a généralement tendance à exclure la question de la destruction en la renvoyant aux calendes grecques, l’imaginant certes comme un possible passage un peu douloureux et lointain, mais sans trop de sang et de boue. Sur le versant opposé, on trouve à l’inverse des partisans de la destruction sans lendemain. Eux, oui, saisissent la nécessité absolue de la destruction et s’y attellent tant bien que mal. Ils refusent les divagations sur les lendemains qui chantent comme sur toute hypo- thèse révolutionnaire, en insistant sur la volonté et sur le choix individuel, tout en finissant parfois par tomber – même en proclamant leur amoralisme censé résoudre le problème de la destruction et de la souffrance qu’elle engendre, et pas que chez l’ennemi – dans un moralisme qui peut devenir aveugle aux conditions de la réalité.
Le deuxième clivage se situe autour d’une question assez profonde : celle de la soi-disant nature humaine. D’un côté, il y a les descendants de l’optimisme historique hé- rité de la Renaissance et des Lumières, désormais liée à la vision moderne du progrès. Pas après pas, l’humanité avancerait vers le bien-être et la liberté, vers le règne de l’abondance et la fin des souffrances. L’eschatologie profondément religieuse n’est pas compliquée à déceler, et tout aussi farfelue qu’elle puisse paraître, elle n’a pas manqué d’inspirer des mouvements révolutionnaires qui ont fait trembler les puissants. Qu’on pense aux pay- sans millénaristes qui ont mis à feu et à sac l’Europe féo- dale, avec un pathos incomparable qui leur procurait une force plus puissante que celle des armées disciplinées, pour faire aboutir l’histoire et advenir l’Age d’Or. Sans même parler de la Renaissance, qui a également nourri en miroir un irrationalisme ayant voulu mettre des pro- phéties rationnelles ici et maintenant en pratique. L’homme est-il bon ou mauvais par nature ? Qu’est-ce que pourrait bien vouloir dire, en anticipant la réponse des plus lucides, aller au-delà du bien et du mal ? A un
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