Хелпикс

Главная

Контакты

Случайная статья





А propos de cette йdition йlectronique 2 страница



On sent qu’il eыt йtй ridicule de se faire tirer la bonne aventure dans un cafй. Aussi je priai la jolie sorciиre de me permettre de l’accompagner а son domicile; elle y consentit sans difficultй, mais elle voulut connaоtre encore la marche du temps, et me pria de nouveau de faire sonner ma montre.

– Est-elle vraiment d’or? dit-elle en la considйrant avec une excessive attention.

Quand nous nous remоmes en marche, il йtait nuit close; la plupart des boutiques йtaient fermйes et les rues presque dйsertes. Nous passвmes le pont du Guadalquivir, et а l’extrйmitй du faubourg, nous nous arrкtвmes devant une maison qui n’avait nullement l’apparence d’un palais. Un enfant nous ouvrit. La bohйmienne lui dit quelques mots dans une langue а moi inconnue, que je sus depuis кtre la rommani ou chipe calli, l’idiome des gitanos. Aussitфt l’enfant disparut, nous laissant dans une chambre assez vaste, meublйe d’une petite table, de deux tabourets et d’un coffre. Je ne dois point oublier une jarre d’eau, un tas d’oranges et une botte d’oignons.

Dиs que nous fыmes seuls, la bohйmienne tira de son coffre des cartes qui paraissaient avoir beaucoup servi, un aimant, un camйlйon dessйchй, et quelques autres objets nйcessaires а son art. Puis elle me dit de faire la croix dans ma main gauche avec une piиce de monnaie, et les cйrйmonies magiques commencиrent. Il est inutile de vous rapporter ses prйdictions, et, quant а sa maniиre d’opйrer, il йtait йvident qu’elle n’йtait pas sorciиre а demi.

Malheureusement nous fыmes bientфt dйrangйs. La porte s’ouvrit tout а coup avec violence, et un homme enveloppй jusqu’aux yeux dans un manteau brun, entra dans la chambre en apostrophant la bohйmienne d’une faзon peu gracieuse. Je n’entendais pas ce qu’il disait, mais le ton de sa voix indiquait qu’il йtait de fort mauvaise humeur. А sa vue, la gitane ne montra ni surprise ni colиre, mais elle accourut а sa rencontre et, avec une volubilitй extraordinaire, lui adressa quelques phrases dans la langue mystйrieuse dont elle s’йtait dйjа servie devant moi. Le mot payllo, souvent rйpйtй, йtait le seul mot que je comprisse. Je savais que les bohйmiens dйsignent ainsi tout homme йtranger а leur race. Supposant qu’il s’agissait de moi, je m’attendais а une explication dйlicate; dйjа j’avais la main sur le pied d’un des tabourets, et je syllogisais а part moi pour deviner le moment prйcis oщ il conviendrait de le jeter а la tкte de l’intrus. Celui-ci repoussa rudement la bohйmienne, et s’avanзa vers moi; puis reculant d’un pas:

– Ah! monsieur, dit-il, c’est vous!

Je le regardai а mon tour, et reconnus mon ami don Josй. En ce moment, je regrettais un peu de ne pas l’avoir laissй pendre.

– Eh! c’est vous, mon brave, m’йcriai-je en riant le moins jaune que je pus; vous avez interrompu mademoiselle au moment oщ elle m’annonзait des choses bien intйressantes.

– Toujours la mкme! Зa finira, dit-il, entre ses dents, attachant sur elle un regard farouche.

Cependant la bohйmienne continuait а lui parler dans sa langue. Elle s’animait par degrйs. Son њil s’injectait de sang et devenait terrible, ses traits se contractaient, elle frappait du pied. Il me sembla qu’elle le pressait vivement de faire quelque chose а quoi il montrait de l’hйsitation. Ce que c’йtait, je croyais ne le comprendre que trop а la voir passer et repasser rapidement sa petite main sous son menton. J’йtais tentй de croire qu’il s’agissait d’une gorge а couper, et j’avais quelques soupзons que cette gorge ne fыt la mienne.

А tout ce torrent d’йloquence, don Josй ne rйpondit que par deux ou trois mots prononcйs d’un ton bref. Alors la bohйmienne lui lanзa un regard de profond mйpris; puis s’asseyant а la turque dans un coin de la chambre, elle choisit une orange, la pela et se mit а la manger.

Don Josй me prit le bras, ouvrit la porte et me conduisit dans la rue. Nous fоmes environ deux cents pas dans le plus profond silence. Puis, йtendant la main:

– Toujours tout droit, dit-il, et vous trouverez le pont.

Aussitфt il me tourna le dos et s’йloigna rapidement. Je revins а mon auberge un peu penaud et d’assez mauvaise humeur. Le pire fut qu’en me dйshabillant, je m’aperзus que ma montre me manquait.

Diverses considйrations m’empкchиrent d’aller la rйclamer le lendemain ou de solliciter monsieur le corrйgidor pour qu’il voulыt bien la faire chercher. Je terminai mon travail sur le manuscrit des Dominicains et je partis pour Sйville. Aprиs plusieurs mois de courses errantes en Andalousie, je voulus retourner а Madrid, et il me fallut repasser par Cordoue. Je n’avais pas l’intention d’y faire un long sйjour, car j’avais pris en grippe cette belle ville et les baigneuses du Guadalquivir. Cependant quelques amis а revoir, quelques commissions а faire devaient me retenir au moins trois ou quatre jours dans l’antique capitale des princes musulmans.

Dиs que je reparus au couvent des Dominicains, un des pиres qui m’avait toujours montrй un vif intйrкt dans mes recherches sur l’emplacement de Munda, m’accueillit les bras ouverts en s’йcriant:

– Louй soit le nom de Dieu! Soyez le bienvenu, mon cher ami. Nous vous croyions tous mort, et moi, qui vous parle, j’ai rйcitй bien des pater et des ave, que je ne regrette pas, pour le salut de votre вme. Ainsi vous n’кtes pas assassinй, car pour volй nous savons que vous l’кtes?

– Comment cela? lui demandai-je un peu surpris.

– Oui, vous savez bien, cette belle montre а rйpйtition que vous faisiez sonner dans la bibliothиque, quand nous vous disions qu’il йtait temps d’aller au chњur. Eh bien! elle est retrouvйe, on vous la rendra.

– C’est-а-dire, interrompis-je, un peu dйcontenancй, que je l’avais йgarйe…

– Le coquin est sous les verrous, et, comme on savait qu’il йtait homme а tirer un coup de fusil а un chrйtien pour lui prendre une piйcette, nous mourions de peur qu’il ne vous eыt tuй. J’irai avec vous chez le corrйgidor, et nous vous ferons rendre votre belle montre. Et puis, avisez-vous de dire lа-bas que la justice ne sait pas son mйtier en Espagne!

– Je vous avoue, lui dis-je, que j’aimerais mieux perdre ma montre que de tйmoigner en justice pour faire pendre un pauvre diable, surtout parce que… parce que…

– Oh! n’ayez aucune inquiйtude; il est bien recommandй, et on ne peut le pendre deux fois. Quand je dis pendre, je me trompe. C’est un hidalgo que votre voleur; il sera donc garrottй aprиs-demain sans rйmission[7]. Vous voyez qu’un vol de plus ou de moins ne changera rien а son affaire. Plыt а Dieu qu’il n’eыt que volй! mais il a commis plusieurs meurtres, tous plus horribles les uns que les autres.

– Comment se nomme-t-il?

– On le connaоt dans le pays sous le nom de Josй Navarro, mais il a encore un autre nom basque que ni vous ni moi ne prononcerons jamais. Tenez, c’est un homme а voir, et vous qui aimez а connaоtre les singularitйs du pays, vous ne devez pas nйgliger d’apprendre comment en Espagne les coquins sortent de ce monde. Il est en chapelle, et le pиre Martinez vous y conduira.

Mon dominicain insista tellement pour que je visse les apprкts du « petit pendement bien choli », que je ne pus m’en dйfendre. J’allai voir le prisonnier, muni d’un paquet de cigares qui, je l’espйrais, devaient lui faire excuser mon indiscrйtion.

On m’introduisit auprиs de don Josй, au moment oщ il prenait son repas. Il me fit un signe de tкte assez froid, et me remercia poliment du cadeau que je lui apportais. Aprиs avoir comptй les cigares du paquet que j’avais mis entre ses mains, il en choisit un certain nombre, et me rendit le reste, observant qu’il n’avait pas besoin d’en prendre davantage.

Je lui demandai si, avec un peu d’argent, ou par le crйdit de mes amis, je pourrais obtenir quelque adoucissement а son sort. D’abord il haussa les йpaules en souriant avec tristesse; bientфt, se ravisant, il me pria de faire dire une messe pour le salut de son вme.

– Voudriez-vous, ajouta-t-il timidement, voudriez-vous en faire dire une autre pour une personne qui vous a offensй?

– Assurйment, mon cher, lui dis-je; mais personne, que je sache, ne m’a offensй en ce pays.

Il me prit la main et la serra d’un air grave. Aprиs un moment de silence, il reprit:

– Oserai-je encore vous demander un service? … Quand vous reviendrez dans votre pays, peut-кtre passerez-vous par la Navarre, au moins vous passerez par Vittoria qui n’en est pas fort йloignйe.

– Oui, lui dis-je, je passerai certainement par Vittoria; mais il n’est pas impossible que je me dйtourne pour aller а Pampelune, et, а cause de vous, je crois que je ferai volontiers ce dйtour.

– Eh bien! si vous allez а Pampelune, vous y verrez plus d’une chose qui vous intйressera… C’est une belle ville… Je vous donnerai cette mйdaille (il me montrait une petite mйdaille d’argent qu’il portait au cou), vous l’envelopperez dans du papier… (Il s’arrкta un instant pour maоtriser son йmotion…) et vous la remettrez ou vous la ferez remettre а une bonne femme dont je vous dirai l’adresse. Vous direz que je suis mort, vous ne direz pas comment.

Je promis d’exйcuter sa commission. Je le revis le lendemain, et je passai une partie de la journйe avec lui. C’est de sa bouche que j’ai appris les tristes aventures qu’on va lire.

III

Je suis nй, dit-il, а Elizondo, dans la vallйe de Baztan. Je m’appelle don Josй Lizarrabengoa, et vous connaissez assez l’Espagne, monsieur, pour que mon nom vous dise aussitфt que je suis Basque et vieux chrйtien. Si je prends le don, c’est que j’en ai le droit, et si j’йtais а Elizondo, je vous montrerais ma gйnйalogie sur un parchemin. On voulait que je fusse d’Йglise, et l’on me fit йtudier, mais je ne profitais guиre. J’aimais trop а jouer а la paume, c’est ce qui m’a perdu. Quand nous jouons а la paume, nous autres Navarrais, nous oublions tout. Un jour que j’avais gagnй, un gars de l’Alava me chercha querelle; nous prоmes nos maquilas[8], et j’eus encore l’avantage; mais cela m’obligea de quitter le pays. Je rencontrai des dragons, et je m’engageai dans le rйgiment d’Almanza, cavalerie. Les gens de nos montagnes apprennent vite le mйtier militaire. Je devins bientфt brigadier, et on me promettait de me faire marйchal des logis, quand, pour mon malheur, on me mit de garde а la manufacture de tabacs а Sйville. Si vous кtes allй а Sйville, vous aurez vu ce grand bвtiment-lа, hors des remparts, prиs du Guadalquivir. Il me semble en voir encore la porte et le corps de garde auprиs. Quand ils sont de service, les Espagnols jouent aux cartes, ou dorment; moi, comme un franc Navarrais, je tвchais toujours de m’occuper. Je faisais une chaоne avec du fil de laiton, pour tenir mon йpinglette. Tout d’un coup les camarades disent: « Voilа la cloche qui sonne; les filles vont rentrer а l’ouvrage. » Vous saurez, monsieur, qu’il y a bien quatre а cinq cents femmes occupйes dans la manufacture. Ce sont elles qui roulent les cigares dans une grande salle, oщ les hommes n’entrent pas sans une permission du Vingt-quatre[9], parce qu’elles se mettent а leur aise, les jeunes surtout, quand il fait chaud. А l’heure oщ les ouvriиres rentrent, aprиs leur dоner, bien des jeunes gens vont les voir passer, et leur en content de toutes les couleurs. Il y a peu de ces demoiselles qui refusent une mantille de taffetas, et les amateurs, а cette pкche-lа, n’ont qu’а se baisser pour prendre le poisson. Pendant que les autres regardaient, moi, je restais sur mon banc, prиs de la porte. J’йtais jeune alors; je pensais toujours au pays, et je ne croyais pas qu’il y eыt de jolies filles sans jupes bleues et sans nattes tombant sur les йpaules[10]. D’ailleurs, les Andalouses me faisaient peur; je n’йtais pas encore fait а leurs maniиres: toujours а railler, jamais un mot de raison. J’йtais donc le nez sur ma chaоne, quand j’entends des bourgeois qui disaient: « Voilа la gitanilla! » Je levai les yeux, et je la vis. C’йtait un vendredi, et je ne l’oublierai jamais. Je vis cette Carmen que vous connaissez, chez qui je vous ai rencontrй il y a quelques mois.

Elle avait un jupon rouge fort court qui laissait voir des bas de soie blancs avec plus d’un trou, et des souliers mignons de maroquin rouge attachйs avec des rubans couleur de feu. Elle йcartait sa mantille afin de montrer ses йpaules et un gros bouquet de cassie qui sortait de sa chemise. Elle avait encore une fleur de cassie dans le coin de la bouche, et elle s’avanзait en se balanзant sur ses hanches comme une pouliche du haras de Cordoue. Dans mon pays, une femme en ce costume aurait obligй le monde а se signer. А Sйville, chacun lui adressait quelque compliment gaillard sur sa tournure; elle rйpondait а chacun, faisant les yeux en coulisse, le poing sur la hanche, effrontйe comme une vraie bohйmienne qu’elle йtait. D’abord elle ne me plut pas, et je repris mon ouvrage; mais elle, suivant l’usage des femmes et des chats qui ne viennent pas quand on les appelle et qui viennent quand on ne les appelle pas, s’arrкta devant moi et m’adressa la parole:

– Compиre, me dit-elle а la faзon andalouse, veux-tu me donner ta chaоne pour tenir les clefs de mon coffre-fort?

– C’est pour attacher mon йpinglette, lui rйpondis-je.

– Ton йpinglette! s’йcria-t-elle en riant. Ah! monsieur fait de la dentelle, puisqu’il a besoin d’йpingles!

Tout le monde qui йtait lа se mit а rire, et moi je me sentais rougir, et je ne pouvais trouver rien а lui rйpondre.

– Allons, mon cњur, reprit-elle, fais-moi sept aunes de dentelle noire pour une mantille, йpinglier de mon вme!

Et prenant la fleur de cassie qu’elle avait а la bouche, elle me la lanзa, d’un mouvement du pouce, juste entre les deux yeux. Monsieur, cela me fit l’effet d’une balle qui m’arrivait… Je ne savais oщ me fourrer, je demeurais immobile comme une planche. Quand elle fut entrйe dans la manufacture, je vis la fleur de cassie qui йtait tombйe а terre entre mes pieds; je ne sais ce qui me prit, mais je la ramassai sans que mes camarades s’en aperзussent et je la mis prйcieusement dans ma veste. Premiиre sottise!

Deux ou trois heures aprиs, j’y pensais encore, quand arrive dans le corps de garde un potier tout haletant, la figure renversйe. Il nous dit que dans la grande salle des cigares, il y avait une femme assassinйe, et qu’il fallait y envoyer la garde. Le marйchal me dit de prendre deux hommes et d’y aller voir. Je prends mes hommes et je monte. Figurez-vous, monsieur, qu’entrй dans la salle je trouve d’abord trois cents femmes en chemise, ou peu s’en faut, toutes criant, hurlant, gesticulant, faisant un vacarme а ne pas entendre Dieu tonner. D’un cфtй, il y en avait une, les quatre fers en l’air, couverte de sang, avec un X sur la figure qu’on venait de lui marquer en deux coups de couteau. En face de la blessйe, que secouraient les meilleures de la bande, je vois Carmen tenue par cinq ou six commиres. La femme blessйe criait: « Confession! confession! je suis morte! » Carmen ne disait rien; elle serrait les dents, et roulait des yeux comme un camйlйon. « Qu’est-ce que c’est? » demandai-je. J’eus grand-peine а savoir ce qui s’йtait passй, car toutes les ouvriиres me parlaient а la fois. Il paraоt que la femme blessйe s’йtait vantйe d’avoir assez d’argent en poche pour acheter un вne au marchй de Triana. « Tiens, dit Carmen, qui avait une langue, tu n’as donc pas assez d’un balai? » L’autre, blessйe du reproche, peut-кtre parce qu’elle se sentait vйreuse sur l’article, lui rйpond qu’elle ne se connaissait pas en balais, n’ayant pas l’honneur d’кtre bohйmienne ni filleule de Satan, mais que mademoiselle Carmencita ferait bientфt connaissance avec son вne, quand M. le corrйgidor la mиnerait а la promenade avec deux laquais par-derriиre pour l’йmoucher. « Eh bien, moi, dit Carmen, je te ferai des abreuvoirs а mouches sur la joue, et je veux y peindre un damier[11]. » Lа-dessus, vli vlan! elle commence, avec le couteau dont elle coupait le bout des cigares, а lui dessiner des croix de Saint-Andrй sur la figure.

Le cas йtait clair; je pris Carmen par le bras: « Ma sњur, lui dis-je poliment, il faut me suivre. » Elle me lanзa un regard comme si elle me reconnaissait; mais elle dit d’un air rйsignй: « Marchons. Oщ est ma mantille? » Elle la mit sur sa tкte de faзon а ne montrer qu’un seul de ses grands yeux, et suivit mes deux hommes, douce comme un mouton. Arrivйs au corps de garde, le marйchal des logis dit que c’йtait grave, et qu’il fallait la mener а la prison. C’йtait encore moi qui devais la conduire. Je la mis entre deux dragons, et je marchais derriиre comme un brigadier doit faire en semblable rencontre. Nous nous mоmes en route pour la ville. D’abord la bohйmienne avait gardй le silence; mais dans la rue du Serpent, – vous la connaissez, elle mйrite bien son nom par les dйtours qu’elle fait, – dans la rue du Serpent, elle commence par laisser tomber sa mantille sur ses йpaules, afin de me montrer son minois enjфleur, et, se tournant vers moi autant qu’elle pouvait, elle me dit:

– Mon officier, oщ me menez-vous?

– А la prison, ma pauvre enfant, lui rйpondis-je le plus doucement que je pus, comme un bon soldat doit parler а un prisonnier, surtout а une femme.

– Hйlas! que deviendrai-je? Seigneur officier, ayez pitiй de moi. Vous кtes si jeune, si gentil… Puis, d’un ton plus bas: Laissez-moi m’йchapper, dit-elle, je vous donnerai un morceau de la bar lachi, qui vous fera aimer de toutes les femmes.

La bar lachi, monsieur, c’est la pierre d’aimant, avec laquelle les bohйmiens prйtendent qu’on fait quantitй de sortilиges quand on sait s’en servir. Faites-en boire а une femme une pincйe rвpйe dans un verre de vin blanc, elle ne rйsiste plus.

Moi, je lui rйpondis le plus sйrieusement que je pus:

– Nous ne sommes pas ici pour dire des balivernes; il faut aller а la prison, c’est la consigne, et il n’y a pas de remиde.

Nous autres gens du pays basque, nous avons un accent qui nous fait reconnaоtre facilement des Espagnols; en revanche il n’y en a pas un qui puisse seulement apprendre а dire baп, jaona[12]. Carmen donc n’eut pas de peine а deviner que je venais des provinces. Vous saurez que les bohйmiens, monsieur, comme n’йtant d’aucun pays, voyageant toujours, parlent toutes les langues, et la plupart sont chez eux en Portugal, en France, dans les provinces, en Catalogue, partout; mкme avec les Maures et les Anglais, ils se font entendre. Carmen savait assez bien le basque.

Laguna, ene biholsarena, camarade de mon cњur, me dit-elle tout а coup, кtes-vous du pays?

« Notre langue, monsieur, est si belle, que, lorsque nous l’entendons en pays йtranger, cela nous fait tressaillir… Je voudrais avoir un confesseur des provinces, ajouta plus bas le bandit.

Il reprit aprиs un silence:

– Je suis d’Elizondo, lui rйpondis-je en basque, fort йmu de l’entendre parler ma langue.

– Moi, je suis d’Etchalar, dit-elle. (C’est un pays а quatre heures de chez nous). J’ai йtй emmenйe par des bohйmiens а Sйville. Je travaillais а la manufacture pour gagner de quoi retourner en Navarre, prиs de ma pauvre mиre qui n’a que moi pour soutien et un petit barratcea[13] avec vingt pommiers а cidre. Ah! si j’йtais au pays, devant la montagne blanche! On m’a insultйe parce que je ne suis pas de ce pays de filous, marchands d’oranges pourries; et ces gueuses se sont mises toutes contre moi, parce que je leur ai dit que tous leurs jacques[14] de Sйville, avec leurs couteaux, ne feraient pas peur а un gars de chez nous avec son bйret bleu et son maquila. Camarade, mon ami, ne ferez-vous rien pour une payse?

Elle mentait, monsieur, elle a toujours menti. Je ne sais pas si dans sa vie cette fille lа a jamais dit un mot de vйritй; mais quand elle parlait, je la croyais: c’йtait plus fort que moi. Elle estropiait le basque, et je la crus navarraise; ses yeux seuls et sa bouche et son teint la disaient bohйmienne. J’йtais fou, je ne faisais plus attention а rien. Je pensais que, si des Espagnols s’йtaient avisйs de mal parler du pays, je leur aurais coupй la figure, tout comme elle venait de faire а sa camarade. Bref, j’йtais comme un homme ivre; je commenзais а dire des bкtises, j’йtais tout prиs d’en faire.

– Si je vous poussais, et si vous tombiez, mon pays, reprit-elle en basque, ce ne seraient pas ces deux conscrits de Castillans qui me retiendraient…

Ma foi, j’oubliai la consigne et tout, et je lui dis:

– Eh bien, m’amie, ma payse, essayez, et que Notre-Dame de la Montagne vous soit en aide!

En ce moment, nous passions devant une de ces ruelles йtroites comme il y en a tant а Sйville. Tout а coup Carmen se retourne et me lance un coup de poing dans la poitrine. Je me laissai tomber exprиs а la renverse. D’un bond, elle saute par-dessus moi et se met а courir en nous montrant une paire de jambes! … On dit jambes de Basque: les siennes en valaient bien d’autres… aussi vite que bien tournйes. Moi, je me relиve aussitфt; mais je mets ma lance[15] en travers, de faзon а barrer la rue, si bien que, de prime abord, les camarades furent arrкtйs au moment de la poursuite. Puis je me mis moi-mкme а courir, et eux aprиs moi; mais l’atteindre! Il n’y avait pas de risque, avec nos йperons, nos sabres et nos lances! En moins de temps que je n’en mets а vous le dire, la prisonniиre avait disparu. D’ailleurs, toutes les commиres du quartier favorisaient sa fuite, et se moquaient de nous, et nous indiquaient la fausse voie. Aprиs plusieurs marches et contremarches, il fallut nous en revenir au corps de garde sans un reзu du gouverneur de la prison.

Mes hommes, pour n’кtre pas punis, dirent que Carmen m’avait parlй basque; et il ne paraissait pas trop naturel, pour dire la vйritй, qu’un coup de poing d’une tant petite fille eыt terrassй si facilement un gaillard de ma force. Tout cela parut louche ou plutфt clair. En descendant la garde, je fus dйgradй et envoyй pour un mois а la prison. C’йtait ma premiиre punition depuis que j’йtais au service. Adieu les galons de marйchal des logis que je croyais dйjа tenir!

Mes premiers jours de prison se passиrent fort tristement. En me faisant soldat, je m’йtais figurй que je deviendrais tout au moins officier. Longa, Mina, mes compatriotes, sont bien capitaines gйnйraux; Chapalangarra, qui est un nйgro comme Mina, et rйfugiй comme lui dans votre pays, Chapalangarra йtait colonel, et j’ai jouй а la paume vingt fois avec son frиre, qui йtait un pauvre diable comme moi. Maintenant je me disais: « Tout le temps que tu as servi sans punition, c’est du temps perdu; te voilа mal notй: pour te remettre bien dans l’esprit des chefs, il te faudra travailler dix fois plus que lorsque tu es venu comme conscrit! Et pourquoi me suis-je fait punir? pour une coquine de bohйmienne qui s’est moquйe de moi, et qui, dans ce moment, est а voler dans quelque coin de la ville. » Pourtant je ne pouvais m’empкcher de penser а elle. Le croiriez-vous, monsieur? ses bas de soie trouйs qu’elle me faisait voir tout en plein en s’enfuyant, je les avais toujours devant les yeux. Je regardais par les barreaux de la prison dans la rue, et, parmi toutes les femmes qui passaient, je n’en voyais pas une seule qui valыt cette diable de fille-lа. Et puis, malgrй moi, je sentais la fleur de cassie qu’elle m’avait jetйe, et qui, sиche, gardait toujours sa bonne odeur… S’il y a des sorciиres, cette fille-lа en йtait une!

Un jour, le geфlier entre, et me donne un pain d’Alcalб[16].

– Tenez, dit-il, voilа ce que votre cousine vous envoie.

Je pris le pain, fort йtonnй, car je n’avais pas de cousine а Sйville. C’est peut-кtre une erreur, pensai-je en regardant le pain; mais il йtait si appйtissant, il sentait si bon, que sans m’inquiйter de savoir d’oщ il venait et а qui il йtait destinй, je rйsolus de le manger. En voulant le couper mon couteau rencontra quelque chose de dur. Je regarde, et je trouve une petite lime anglaise qu’on avait glissйe dans la pвte avant que le pain fыt cuit. Il y avait encore dans le pain une piиce d’or de deux piastres. Plus de doute alors, c’йtait un cadeau de Carmen. Pour les gens de sa race, la libertй est tout, et ils mettraient le feu а une ville pour s’йpargner un jour de prison. D’ailleurs la commиre йtait fine, et avec ce pain-lа on se moquait des geфliers. En une heure, le plus gros barreau йtait sciй avec la petite lime; et avec la piиce de deux piastres, chez le premier fripier, je changeais ma capote d’uniforme pour un habit bourgeois. Vous pensez bien qu’un homme qui avait dйnichй maintes fois des aiglons dans nos rochers ne s’embarrassait guиre de descendre dans la rue, d’une fenкtre haute de moins de trente pieds; mais je ne voulais pas m’йchapper. J’avais encore mon honneur de soldat, et dйserter me semblait un grand crime. Seulement, je fus touchй de cette marque de souvenir. Quand on est en prison, on aime а penser qu’on a dehors un ami qui s’intйresse а vous. La piиce d’or m’offusquait un peu, j’aurais bien voulu la rendre; mais oщ trouver mon crйancier? Cela ne me semblait pas facile.

Aprиs la cйrйmonie de la dйgradation, je croyais n’avoir plus rien а souffrir; mais il me restait encore une humiliation а dйvorer: ce fut а ma sortie de prison, lorsqu’on me commanda de service et qu’on me mit en faction comme un simple soldat. Vous ne pouvez vous figurer ce qu’un homme de cњur йprouve en pareille occasion. Je crois que j’aurais aimй autant а кtre fusillй. Au moins on marche seul, en avant de son peloton; on se sent quelque chose; le monde vous regarde.

Je fus mis en faction а la porte du colonel. C’йtait un jeune homme riche, bon enfant, qui aimait а s’amuser. Tous les jeunes officiers йtaient chez lui, et force bourgeois, des femmes aussi, des actrices, а ce qu’on disait. Pour moi, il me semblait que toute la ville s’йtait donnй rendez-vous а sa porte pour me regarder. Voilа qu’arrive la voiture du colonel avec son valet de chambre sur le siиge. Qu’est-ce que je vois descendre? … la gitanilla. Elle йtait parйe, cette fois, comme une chвsse, pomponnйe, attifйe, tout or et tout rubans. Une robe а paillettes, des souliers bleus а paillettes aussi, des fleurs et des galons partout. Elle avait un tambour de Basque а la main. Avec elle il y avait deux autres bohйmiennes, une jeune et une vieille. Il y a toujours une vieille pour les mener; puis un vieux avec une guitare, bohйmien aussi, pour jouer et les faire danser. Vous savez qu’on s’amuse souvent а faire venir des bohйmiennes dans les sociйtйs, afin de leur faire danser la romalis, c’est leur danse, et souvent bien autre chose.

Carmen me reconnut, et nous йchangeвmes un regard. Je ne sais, mais, en ce moment, j’aurais voulu кtre а cent pieds sous terre.

Agur laguna[17], dit-elle. Mon officier, tu montes la garde comme un conscrit!

Et, avant que j’eusse trouvй un mot а rйpondre, elle йtait dans la maison.

Toute la sociйtй йtait dans le patio, et, malgrй la foule, je voyais а peu prиs tout ce qui se passait, а travers la grille[18]. J’entendais les castagnettes, le tambour, les rires et les bravos; parfois j’apercevais sa tкte quand elle sautait avec son tambour. Puis j’entendais encore des officiers qui lui disaient bien des choses qui me faisaient monter le rouge а la figure. Ce qu’elle rйpondait, je n’en savais rien. C’est de ce jour-lа, je pense, que je me mis а l’aimer pour tout de bon; car l’idйe me vint trois ou quatre fois d’entrer dans le patio, et de donner de mon sabre dans le ventre а tous ces freluquets qui lui contaient fleurettes. Mon supplice dura une bonne heure; puis les bohйmiens sortirent, et la voiture les ramena. Carmen, en passant, me regarda encore avec les yeux que vous savez, et me dit trиs bas:

– Pays, quand on aime la bonne friture, on en va manger а Triana, chez Lillas Pastia.

Lйgиre comme un cabri, elle s’йlanзa dans la voiture, le cocher fouetta ses mules, et toute la bande joyeuse s’en alla je ne sais oщ.

Vous devinez bien qu’en descendant ma garde j’allai а Triana; mais d’abord je me fis raser et je me brossai comme pour un jour de parade. Elle йtait chez Lillas Pastia, un vieux marchand de friture, bohйmien, noir comme un Maure, chez qui beaucoup de bourgeois venaient manger du poisson frit, surtout, je crois, depuis que Carmen y avait pris ses quartiers.

– Lillas, dit-elle sitфt qu’elle me vit, je ne fais plus rien de la journйe. Demain il fera jour[19]! Allons, pays, allons nous promener.

Elle mit sa mantille devant son nez, et nous voilа dans la rue, sans savoir oщ j’allais.

– Mademoiselle, lui dis-je, je crois que j’ai а vous remercier d’un prйsent que vous m’avez envoyй quand j’йtais en prison. J’ai mangй le pain; la lime me servira pour affiler ma lance, et je la garde comme souvenir de vous; mais l’argent, le voilа.

– Tiens! Il a gardй l’argent, s’йcria-t-elle en йclatant de rire. Au reste tant mieux, car je ne suis guиre en fonds; mais qu’importe? chien qui chemine ne meurt pas de famine[20]. Allons, mangeons tout. Tu me rйgales.

Nous avions repris le chemin de Sйville. А l’entrйe de la rue du Serpent, elle acheta une douzaine d’oranges, qu’elle me fit mettre dans mon mouchoir. Un peu plus loin, elle acheta encore un pain, du saucisson, une bouteille de manzanilla; puis enfin elle entra chez un confiseur. Lа, elle jeta sur le comptoir la piиce d’or que je lui avais rendue, une autre encore qu’elle avait dans sa poche, avec quelque argent blanc; enfin elle me demanda tout ce que j’avais. Je n’avais qu’une piйcette et quelques cuartos, que je lui donnai, fort honteux de n’avoir pas davantage. Je crus qu’elle voulait emporter toute la boutique. Elle prit tout ce qu’il y avait de plus beau et de plus cher, yemas[21], turon[22], fruits confits, tant que l’argent dura. Tout cela, il fallait encore que je le portasse dans des sacs de papier. Vous connaissez peut-кtre la rue du Candilejo, oщ il y a une tкte du roi don Pedro le Justicier[23]. Elle aurait dы m’inspirer des rйflexions. Nous nous arrкtвmes dans cette rue-lа, devant une vieille maison. Elle entra dans l’allйe, et frappa au rez-de-chaussйe. Une bohйmienne, vraie servante de Satan, vint nous ouvrir. Carmen lui dit quelques mots en rommani. La vieille grogna d’abord. Pour l’apaiser, Carmen lui donna deux oranges et une poignйe de bonbons et lui permit de goыter au vin. Puis elle lui mit sa mante sur le dos et la conduisit а la porte, qu’elle ferma avec la barre de bois. Dиs que nous fыmes seuls, elle se mit а danser et а rire comme une folle, en chantant:



  

© helpiks.su При использовании или копировании материалов прямая ссылка на сайт обязательна.