Хелпикс

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Note sur l’édition numérique. 45 страница



Y a eu la ré sistance farouche!... On lui a fait cadeau de son flouze... il nous devait encore trois cents balles... à la seule exacte condition qu’il laisserait encore son loupiot apprendre à fond l’agriculture!... Il pesait de l’or ce petit gniard-là... On voulait pas du tout le perdre! Et le mô me il é tait bien heureux de rester avec nous... Il demandait pas à changer... Ainsi la vie s’organisait... On nous dé testait partout à vingt kilomè tres à la ronde, on nous haï ssait, à plein bouc, mais quand mê me dans notre solitude à Blê me-le-Petit, c’é tait extrê mement difficile de nous poirer flagrant dé lit!...

La grosse mignonne, elle grandissait plus que tous les autres du fruit des larcins! Elle avait donc plus rien à dire!... Son champ, il la nourrissait pas! ni son chapeau! ni sa culotte! Elle poussait des drô les de soupirs quand elle avait sucé sa « fine »... Elle en revenait pas de s’ê tre habitué e peu à peu à ces flibusteries innommables!... Elle s’é tait mise à l’alcool... peut-ê tre de chagrin rentré ?... Le petit verre... un autre... peu à peu le pousse-café !... « Que le destin s’accomplisse! qu’elle en soupirait... Puisque tu n’es bon à rien! » Elle s’adressait à Courtial.

Dans notre grenier, dans notre sous-sol, et dans un ré duit du hangar nous accumulions la victuaille!... Les mô mes ils se faisaient des concours à qui rapporterait davantage dans une seule journé e!... Nous pouvions é taler six mois... soutenir plusieurs siè ges en rè gle… on é tait pourvus!... É picerie! bibine! margarine! absolument tout!... Mais on é tait dix-huit à table! dont seize en croissance! Ç a cache quelque chose! surtout au « service en campagne! »...

Deux pionniè res, onze et douze ans, avaient ramené avec elles, prè s de quatorze bidons d’essence! pour le moteur du patron. Il en rayonnait de bonheur! Le lendemain, c’é tait le jour de sa fê te, les autres mô mes sont revenus de Condoir-Ville, à sept kilomè tres de chez nous, avec un grand panier de babas, d’é clairs et gaufrettes! Des « saint-honoré s » en tous genres et apé ritifs assortis! En plus, pour qu’on se marre doublement, ils nous rapportaient les factures avec les timbres acquitté s!... C’é tait ç a le comble des finesses! Ils avaient tout payé comptant!... Nos chers dé brouillards! Ils piquaient maintenant du pognon dans la pleine campagne!... où il traî ne pas dans les champs! C’é tait merveilleux à vrai dire! Là encore on n’a pas fait ouf. Nous n’avions plus d’autorité. Seulement des pareilles astuces ç a laisse quand mê me des petites traces... Deux jours plus tard les gendarmes sont venus demander le grand Gustave et la petite Lé one... Ils les embarquaient à Beauvais... Y avait pas à protester... Ils s’é taient fait pingler ensemble sur un portefeuille!... C’é tait un piè ge pur et simple!... Et sur le rebord d’une croisé e!... Un vé ritable guet-apens!... Y avait eu constat d’office!... Quatre té moins!... C’é tait pas niable... ni arrangeable six-quatre-deux!... Le mieux c’é tait de jouer la surprise, l’é tonnement... l’horreur! On a joué tout ç a.

Ils ont arrê té notre Lucien, notre petit frisé, quatre jours plus tard!... Et sur simple dé nonciation! Une affaire de cage à poules!... la semaine suivante ils sont venus chercher « Philippe-Œ il-de-Verre »... Mais y avait pas de preuves contre lui... Ils ont é té forcé s de nous le rendre!... Quand mê me c’é tait l’hé catombe! On sentait bien que les pé quenots toujours si longs à se ré soudre, ils s’é taient juré à pré sent de ruiner toute notre entreprise... Ils nous exé craient à bloc!... Ils menaç aient d’ailleurs de brû ler notre tô le entiè re, avec nous tous dans l’inté rieur!... On avait ce tuyau-là d’Eusè be... Roustir comme des rats c’é tait l’idé al!... Ils voulaient plus qu’on trafique...

C’est la grosse mignonne qu’a subi le premier choc des populaces insurgé es... Il a fallu qu’elle se trisse du marché de Persant... Elle voulait faire un peu de né goce, leur refiler un plein panier d’œ ufs superbes de « seconde main »... Ç a n’a pas collé du tout! Ils ont reconnu la provenance... Ils sont devenus intraitables! dé lirants de hargne et vindicte!... Elle s’est carré e à toutes pompes! Il é tait moins deux qu’on la baigne... Elle est rentré e au hameau entiè rement dé composé e!... Elle s’est fait bouillir aussitô t une grande cafetiè re de son mé lange, un genre d’infusion, de la verveine plus de la menthe et un petit tiers de banyuls... Elle prenait goû t aux choses fortes... surtout aux vins cuits... quelquefois mê me au vulné raire!... Ç a la remontait extrê mement vite. C’é tait un mé lange indiqué par diverses sages-femmes de l’é poque... le meilleur cordial pour les « gardes »...

On é tait tous là, autour d’elle, en train de commenter l’agression... on é tudiait les consé quences!... Les bouteilles é taient sur la table... Le brigadier rentre!... Il se met de suite à nous agonir... Il nous dé fend tous qu’on bouge.

« On viendra tous vous chercher à la fin de la semaine prochaine! Ç a suffit la Comé die! La mesure est plus que comble! On vous a bien assez pré venus!... Samedi! que vous irez au Canton! votre affaire elle est claire à tous!... Si j’en rencontre encore une seule de vos petites frappes à la traî ne... S’ils s’é loignent encore du hameau... Ils seront illico coffré s! Illico! C’est net?... C’est compris?... »

Le Procureur, paraî t-il, avait dé jà entre les mains toutes les charges pour vingt ans de bagne!... Pour Courtial! Madame! et moi-mê me! Les motifs ne manqueraient pas!... Rapts d’enfants!... Libertinages!... Grivè leries diverses!... Infraction aux jeux... Fausses dé clarations contribuables... Plusieurs attentats aux mœ urs... Cambriolages!... Escroqueries!... Rapines nocturnes!... Recel de mineurs!... Enfin y avait la cascade... un choix trè s complet!... Il nous assommait le brigadier!... Seulement Mme des Pereires é branlé e d’abord ç a se comprend, elle se sentait dé jà beaucoup mieux... Elle a fait ni ouf! ni yop!... elle a rebondi comme un seul homme! Elle a fait front complè tement... Elle s’est redressé e tout soudain... d’une impulsion si vé hé mente, si farouchement indigné e, tellement gonflé e par la colè re, que le brigadier en vacilla... sous la charge!... Il en croyait plus ses oreilles!... Il clignait des yeux... Elle le fascinait, c’est le mot... Elle ripostait en des termes qu’é taient plus du tout ré futables! Jamais ce sale plouc il aurait cru... Elle l’accusait à son tour d’avoir fomenté en personne toute la ré volte des pé quenots!... Toute cette jacquerie abominable! C’é tait lui, le grand responsable... Ebaubi! Cinglé ! fustigé, il en chancelait dans ses bottes... Mé prisante et sardonique, elle le traitait de « pauvre malheureux! »... Il se tenait sur la dé fensive... Il avait plus un mot à dire... Elle est allé e remettre son chapeau... Elle se dandinait haute devant l’homme, monté e en colè re de cobra!... Elle l’a forcé à reculons... Elle l’a foutu à la porte. Il a barré comme un pé teux. Il est remonté en bicyclette, il est reparti en zigzag d’un bord à l’autre de la route... Il vadrouillait loin dans la nuit avec son petit lampion rouge... On l’a regardé disparaî tre... Il pouvait plus s’en aller droit.

Une de nos pionniè res, la Camille, pourtant une petite futé e, s’est fait poirer trois jours plus tard dans le jardin du Presbytè re, à Landrezon, une vilaine brousse de l’autre cô té de la forê t. Elle se sautait juste de la cuisine avec un fromage parmesan, des é crevisses et de la prunelle... deux bouteilles... Elle avait pris ce qu’elle trouvait... Et puis les burettes de la messe... Ç a c’é tait le plus grave! en argent massif!... Ç a c’é tait du flagrant dé lit!... Ils l’avaient tous courue la mô me... Ils l’avaient coincé e sur un pont... Elle en reviendrait plus la minette! Elle é tait bouclé e à Versailles!... Le facteur cet affreux aspic il a pas omis de venir immé diatement nous raconter... Il a fait un dé tour exprè s!... Ç a devenait extravagant notre situation... notre voltige... Il fallait pas ê tre trè s mariole pour bien se gourer d’ores et dé jà, que tous les mô mes du phalanstè re ils seraient marrons dans l’aventure... Ils se feraient paumer un par un au ravitaillement... mê me en dé cuplant les prudences... mê me en sortant seulement la nuit...

On s’est serré en nourriture, on a fait de plus en plus gaffe... Y avait plus lerche de margarine, ni d’huile, ni de sardines non plus... qu’on aimait é normé ment... C’est par le thon et les sardines qu’on a recommencé à pâ tir... On pouvait plus faire de pommes frites!... On restait derriè re nos persiennes... On surveillait les abords... On se mé fiait d’ê tre à la « brune » ajusté par un paysan... Il s’en montrait de temps à autre... Ils passaient avec leurs fusils le long des fenê tres, en vé lo... Nous aussi on avait un flingue, un vieux canard chevrotine à deux percuteurs... et puis un pistolet à bourre... L’ancien fermier pré cé dent il avait laissé les deux armes... Elles é taient toujours accroché es aprè s la hotte, aprè s un clou dans la cuistance.

Des Pereires, comme ç a certain soir, comme on avait plus rien à faire et qu’on pouvait mê me plus sortir, il l’a redescendu le vieux flingot... il s’est mis à le nettoyer... à passer à la mè che avec une ficelle dans les deux canons... avec du pé trole... à faire marcher la gâ chette... Je l’ai senti venir moi l’é tat de siè ge...

Il nous en restait plus que sept... quatre garç ons, trois filles... On a é crit à leurs parents si ils voulaient pas nous les reprendre?... que notre expé rience agricole nous ré servait quelques mé comptes... Que des circonstances impré vues nous obligeaient temporairement à renvoyer quelques pupilles.

Ils ont mê me pas ré pondu ces parents fumiers! Absolument sans conscience!... Trop heureux qu’on se dé merde avec... Du coup on a demandé aux mô mes si ils voulaient qu’on les dé pose dans un endroit charitable?... Au Chef-Lieu du canton par exemple?... En entendant ces quelques mots ils se sont rebiffé s contre nous et de faç on si agressive, si absolument rageuse, que j’ai cru un moment que ç a finirait au massacre!... Ils voulaient plus rien admettre... Tout de suite on a mis les pouces... On leur avait donné toujours beaucoup trop d’indé pendance et d’initiative à ces gniards salé s pour pouvoir maintenant les remettre en cadence!... Haricots! Bigorne!... Ils s’en branlaient d’aller en loques et de briffer au petit hasard... mais à quoi ils renâ claient horrible c’est quand on venait les emmerder!... Ils cherchaient mê me plus à comprendre!... Ils s’en touchaient des contingences!... On avait beau leur expliquer que c’est pas comme ç a dans la vie... qu’on a tous nos obligations... que les honnê tes gens vous possè dent... tout au bout du compte... que de piquer à droite, à gauche, ç a finit quand mê me par se savoir!... que ç a se termine un jour trè s mal... Ils nous envoyaient rejaillir avec nos salades miteuses... Ils nous trouvaient fort é cœ urants... bien affreux cafards!... Ils refusaient tout ce qu’on pré tendait... Ils refusaient d’entendre... Ç a faisait une « Race Nouvelle » pé pè re. Dudule le mignard de la troupe, il est sorti chercher des œ ufs... Raymond osait plus... II é tait devenu trop grand... C’é tait un « radeau de la Mé duse » le petit gniard Dudule... On faisait des vœ ux... des priè res... tout le temps qu’il é tait dehors... pour qu’il revienne indemne et garni... Il a ramené un pigeon, on l’a bouffé cru tout comme avec des carottes itou... II connaissait sa campagne mieux que les chiens de chasse le Dudule!... À deux mè tres on le repé rait plus... Des heures... qu’il restait planqué pour calotter sa pondeuse... Sans lacet! sans boulette! sans cordon!... Avec deux petits doigts... Cuic! Cuic!... Il me montrait la passe... C’é tait exquis comme finesse... « Tiens, dix ronds que je te la mouche... et tu l’entends pas! »... C’é tait vrai, on entendait rien.

On a eu deux fenê tres de cassé es dans la mê me semaine... D’autres pé quenots en bicyclette qui passaient exprè s en trombe... Ils nous lapidaient de plus en plus... Ils se planquaient, ils revenaient encore... Ç a devenait infect comme rancune... Et on se tenait pourtant peinards!... On ripostait rien du tout!... Et on aurait certainement dû... c’é tait de la provocation!... Un bon coup de tromblon dans les fesses! Nos pionniers, ils se montraient plus... Ils sortaient seulement avant l’aube, juste à peine une heure ou deux entre chien et loup... au tout petit matin pour y voir quand mê me un peu clair... Des clebs ils en avaient mis, les cultivateurs, dans tous les enclos du canton... Dé chaî né s, fé roces, des monstres enragé s!...

En plus, nous manquions bien de godasses pour ces terribles pé riples dans les sentiers en rocaille... C’é tait la torture!... Les mignards, mê me bien entraî né s ils se coupaient souvent... Au petit jour, leurs fringues, sous la pluie, surtout comme ç a dé but novembre, ç a faisait des drô les de cataplasmes!... Ils toussaient de plus en plus fort... Ils avaient beau ê tre solides et flibustiers et petites canailles!... ils é taient pas exempts de bronchite!... Dans les pistes de gros labours ils enfonç aient jusqu’aux fesses!... Au froid sec ils en pouvaient plus... C’é tait plus possible sans tatanes!... Ils auraient perdu leurs arpions... Au vent d’hiver, notre plateau, il prenait bien les bourrasques... C’é tait balayé du Nord!... Le soir on se ré chauffait bien, mais on é touffait dans la crè che, tellement que la fumé e bourrait!... rabattait du fond de la hotte!... C’é tait au bois tout humide, y avait plus de charbon depuis des semaines... on en pouvait plus... on é teignait tout!... On avait peur que ç a reprenne... on jetait de l’eau sur les tisons... Les mê mes avaient plus qu’à se coucher...

Assez souvent vers minuit Courtial se relevait encore... Il pouvait pas s’endormir... Avec sa lanterne, la « sourde », il piquait vers le hangar, farfouiller un peu son systè me... le remettre pour quelques minutes en route... Sa femme tressautait dans sa paille, elle allait se rendre compte avec lui... Je les entendais se provoquer dans le fin fond de la cour...

Elle revenait aprè s ç a dare-dare... Elle me ré veillait... Elle voulait me montrer les patates... Ah! c’é tait pas trè s joli!... Celles qui poussaient dans les ondes... l’allure pustuleuse... ré pugnante!... Merde! Elle me prenait à té moin!... Elles grossissaient pas beaucoup... C’é tait assez é vident... J’osais pas trop faire la remarque... trop abonder dans son sens... mais je pouvais pas dire le contraire... Rongé es... racornies, immondes bien pourries... et en plus pleines d’asticots!... Voilà les patates à Courtial!... On pourrait mê me pas les briffer... mê me dans la soupe pour nous autres... Et que nous é tions pas difficiles!... Elle é tait parfaitement certaine, Mme des Pereires, que la culture é tait loupé e...

« Et c’est ç a, lui Ferdinand, qu’il pré tend aller revendre aux Halles? Hein? Dis-moi ç a!... À qui donc?... C’est un comble! Ah! quelle culotte! Je me demande un peu!... Où qu’il peut percher son connard qui va lui acheter des telles ordures?... Où qu’il est donc cette bille de clown que je lui envoye une corbeille!... Ah! dis donc, je voudrais le voir tout de suite!... Ah! Il est blindé mon zé bu! Ah! dis donc alors quand j’y pense!... Pour quoi qu’il doit me prendre?... »

C’est vrai qu’elles é taient infectes!... Des patates pourtant fignolé es!... Des provenances mé ticuleuses!... Choyé es parfaitement jour et nuit!... Moisies tout à fait... grouillantes de vermine, des larves avec des mille-pattes... et puis une trè s vilaine odeur! infiniment nausé euse!... en dé pit du froid intense... Ç a mê me c’é tait pas ordinaire... C’é tait le phé nomè ne insolite!... C’est l’odeur qui me faisait tiquer... La patate puante... ç a se voit trè s rarement... Un coup de la malchance bien é trange...

— Chutt! Chutt!... que je lui faisais... Vous allez ré veiller les gniards!...

Elle retournait au champ d’expé rience... Elle emmenait avec elle son falot... et puis sa pelle-bê che... Il faisait du 8°... 10° au-dessous... Elle recherchait les plus vé reuses, elle les arrachait une par une... Tant que ç a pouvait! jusqu’au petit jour...

Ce fut vraiment impossible de dissimuler trè s longtemps une telle invasion de vermine... Le champ grouillait, mê me en surface... La pourriture s’é tendait encore... on avait beau é monder, extirper, sarcler, toujours davantage... ç a n’y faisait rien du tout... Ç a a fini par se savoir dans toute la ré gion... Les pé quenots sont revenus fouiner... Ils dé terraient nos pommes de terre pour se rendre mieux compte!... Ils ont fait porter au Pré fet des é chantillons de nos cultures!... avec un rapport des gendarmes sur nos agissements bizarres!... Et mê me des bourriches entiè res qu’ils ont expé dié es, absolument farcies de larves, jusqu’à Paris, au Directeur du Musé um!... Ç a devenait le grand é vé nement!... D’aprè s les horribles rumeurs, c’est nous qu’é tions les fautifs, les originaux cré ateurs d’une pestilence agricole!... entiè rement nouvelle... d’un inouï flé au maraî cher!...

Par l’effet des ondes intensives, par nos « inductions » malé fiques, par l’agencement infernal des mille ré seaux en laiton nous avions corrompu la terre!... provoqué le Gé nie des larves!... en pleine nature innocente!... Nous venions là de faire naî tre, à Blê me-le-Petit, une race tout à fait spé ciale d’asticots entiè rement vicieux, effroyablement corrosifs, qui s’attaquaient à toutes les semences, à n’importe quelle plante ou racine!... aux arbres mê me! aux ré coltes! aux chaumiè res! À la structure des sillons! À tous les produits laitiers!... n’é pargnaient absolument rien!... Corrompant, suç ant, dissolvant... Croû tant mê me le soc des charrues!... Ré sorbant, digé rant la pierre, le silex, aussi bien que le haricot! Tout sur son passage! En surface, en profondeur!... Le cadavre ou la pomme de terre!... Tout absolument!... Et prospé rant, notons-le, au cœ ur de l’hiver!... Se fortifiant des froids intenses!... Se propageant à foison, par lourdes myriades!... de plus en plus inassouvibles!... à travers monts! plaines! et vallé es!... et à la vitesse é lectrique!... grâ ce aux effluves de nos machines!... Bientô t tout l’arrondissement ne serait plus autour de Blê me qu’un é norme champ tout pourri!... Une tourbe abjecte!... Un vaste cloaque d’asticots!... Un sé isme en larves grouilleuses!... Aprè s ç a serait le tour de Persant!... et puis celui de Saligons!... C’é tait ç a les perspectives!... On pouvait pas encore pré dire où et quand ç a finirait!... Si jamais on aurait le moyen de circonscrire la catastrophe!... Il fallait d’abord qu’on attende le ré sultat des analyses!... Ç a pouvait trè s bien se propager à toutes les racines de la France... Bouffer complè tement la campagne!... Qu’il reste plus rien que des cailloux sur tout le territoire!... Que nos asticots rendent l’Europe absolument incultivable... Plus qu’un dé sert de pourriture!... Alors du coup, c’est le cas de le dire, on parlerait de notre grand flé au de Blê me-le-Petit... trè s loin à travers les â ges... comme on parle de ceux de la Bible encore aujourd’hui...

C’é tait plus du tout une simple rigolade... Courtial en a fait la remarque au facteur quand il a passé... C’é tait bien la moindre des choses qu’il dé gueule un peu de venin l’Eusè be « sans vé lo »... « C’est ma foi Nom de Dieu possible! » qu’il a ré pondu... Il a rien ajouté. Il devenait d’ailleurs cette peau de crabe, de plus en plus dé testable. On avait plus une goutte à boire... rien à lui offrir... Il faisait affreux tout à fait... Quatorze kilomè tres sans sucer!... Du coup, il devait nous jeter des sorts!... Il se tapait la route de Persant jusques à trois fois par jour! Spé cialement pour notre courrier!... On nous é crivait de partout, c’é tait pas notre faute!...

Elle en avait dé cuplé notre correspondance!... Des gens qui voulaient tout connaî tre... qui voulaient venir interviewer!... Et puis de nombreux anonymes qui nous ré galaient pour leurs timbres!... Des tombereaux d’insultes!...

« Ç a va! ç a va! l’esprit fermente!... Regarde-moi toutes ces belles missives! Et cent mille fois plus vermineuses que tout le sol de la planè te!... Et pourtant tu sais y en a! C’est bourré ! c’est plein! La charogne veux-tu que je te dise? Hein? moi je vais te le dire... c’est tout ce qu’il faut supporter!... »

On s’est dit que peut-ê tre quand mê me, en les faisant cuire à tout petit feu... en les gratinant nos patates... en les repassant dans la graisse... en les flattant plus ou moins... d’une certaine faç on astucieuse... on arriverait bien peu à peu à les rendre malgré tout mangeables... On a essayé sur elles toutes les ruses de la tambouille... Rien rendait absolument... Tout allait se prendre en gé latine au fond de la casserole... Ç a tournait au bout d’une heure... peut-ê tre une heure trente en un é norme gâ teau de larves... Et toujours l’odeur effrayante... Courtial a reniflé trè s longuement le ré sultat de nos cuistances...

« C’est de l’hydrate ferreux d’alumine! Retiens bien ce nom Ferdinand! Retiens bien ce nom!... Tu vois cette espè ce de mé conium?... Nos terrains en sont farcis! litté ralement!... J’ai mê me pas besoin d’analyse!... Pré cipité s par les sulfures!... Ç a c’est notre grand inconvé nient!... On peut pas dire le contraire... Regarde la croû te qui jaunit... Je m’en é tais toujours douté !... Ces pommes de terre!... tiens!... moi je vais te le dire!... Elles feraient un engrais admirable!... Surtout avec de la potasse... Tu la vois la potasse aussi?... C’est ç a qui nous sauve! La Potasse! Elle adhè re extraordinairement... Elle surcharge tous les tubercules!... Regarde un peu comme ils scintillent! Discernes-tu bien les paillettes?... L’enrobage de chaque radicule?... Tous ces infimes petits cristaux?... Tout ce qui miroite en vert?... en violet?... Les vois-tu?... trè s exactement?... Ç a Ferdinand mon bon ami ce sont les Transferts!... Oui!... Les transferts d’Hydrolyse... Ah! mais oui!... Ni plus!... Ni moins!... Les apports de notre courant... Oui, mon garç on!... Oui parfaitement!... La signature tellurique!... Ç a, je peux pas mieux dire... Regarde bien de tous tes yeux! É carquille-toi maximum! On peut pas te prouver davantage!... Aucun besoin d’autres preuves!... Les preuves?... Les voilà Ferdinand!... Les voilà ! et les meilleures!... Exactement ce que je pré disais!... C’est un courant que rien n’arrê te, ne dissé mine! ne ré fracte!... Mais il se montre... ç a, je l’admets, un peu chargé en alumine!... Un autre petit inconvé nient!... mais passager!... trè s passager!... Question de tempé rature! L’optima pour l’alumine c’est 12 degré s 0, 5... Ah! Oh! Retiens bien! Zé ro! cinq!... Pour ce qui nous concerne! Tu me comprends?... »

Encore deux semaines ont passé... On rationnait tellement le bout de gras qu’on faisait plus la soupe qu’une seule fois par jour... Il é tait plus question de sortir... Il pleuvait é normé ment... La campagne souffrait aussi... raplatissait sous l’Hiver... Les arbres en avaient la tremblote... Ils ramaient les fantô mes du vent... Aussitô t vidé es nos assiettes on retournait vite dans les tas de paille pour conserver notre chaleur!... On restait vautré s comme ç a... des journé es entiè res, tassé s les uns dans les autres... sans ouvrir la bouche... sans nous dire un mot... Mê me le feu de bois ç a ne ré chauffe plus... quand on la pè te à ce point-là... On toussait sous des quintes terribles. Et puis alors on devenait maigres... des jambes comme des flû tes... une faiblesse pas ordinaire... à ne plus bouger, plus mastiquer, plus rien du tout... C’est pas marrant la famine... Le facteur est plus revenu... Il avait dû recevoir des ordres... On se serait pas tellement dé primé s si y avait eu encore du beurre ou mê me un peu de margarine... C’est indispensable en hiver!... Courtial c’est à ce moment-là qu’il a eu des drô les de malaises quand le froid est devenu si intense et qu’on mangeait de moins en moins... Il a eu comme de l’enté rite et vraiment trè s grave... Il souffrait beaucoup du ventre... Il se tortillait dans la paille... Ç a venait pas de la nourriture!... Il discutait à cause de ç a avec la daronne et puis sur la question de lavements... Si c’é tait mieux qu’il en prenne? ou qu’il en prenne pas du tout?...

« Mais t’as rien dans le ventre!... qu’elle lui faisait... Comment veux-tu que ç a te gargouille?... La colique ç a vient pas tout seul!...

— Eh bien moi je te jure pourtant que je la sens passer! Ah! La saloperie... toute la nuit ç a m’a é ventré !... C’est des coliques sè ches... On dirait qu’on me noue les tripes!... Ah! dis donc!...

— Mais c’est le froid!... voyons pauvre idiot!...

— C’est pas le froid du tout!...

— C’est la faim alors?...

— Mais j’ai pas faim!... Je dé gueulerais plutô t!...

— Ah! Tu sais pas ce que tu veux!... »

Il ne ré pondait plus... Il se renfonç ait dans la litiè re... Il voulait plus qu’on lui cause...

Pour la question d’agriculture il pouvait vraiment plus rien faire... Y avait plus de pé trole au hangar, pas seulement un petit bidon pour mettre son bastringue en route!...

Deux jours ont encore passé... dans l’attente et la prostration... La grande ché rie mirontaine tapie dans une encoignure, emmitouflé e dans des rideaux, elle y tenait plus, elle s’en croquait toutes les dents à se les claquer dans la grelotte... Elle est monté e au grenier chercher encore quelques sacs!... Elle s’est coupé comme pour les mô mes une espè ce de camisole et une forte jupe é cossaise, elle a rempli tout ç a d’é toupe, par-dessus son pantalon!... Ç a lui faisait un air tout « zoulou »! Elle-mê me elle se trouvait cocasse!... Le froid ç a fait vachement rire!... Comme elle se ré chauffait plus bé zef, elle s’est é lancé e en sauteries!... claquant des sabots, dondaine! autour de la table massive! Les mô mes ils se poê laient de la regarder!... Ils gambadaient avec elle un genre farandole!... Ils couraient derriè re... Ils se pendaient aprè s ses basques... Elle a chanté un petit air:



  

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