Хелпикс

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Note sur l’édition numérique. 40 страница



À Montretout, fort heureusement, il faisait une nuit pleine d’é toiles!... et mê me un petit clair de lune! On pouvait presque voir le chemin... Cependant, pour pas se foutre dedans, parmi les sentiers de Montretout, surtout à partir des hauteurs, il fallait faire joliment gaffe!... Il é tait pas encore question ni de ré verbè res ni de pancartes!... C’é tait à l’estime, au tact, à l’instinct qu’on se dirigeait... Qu’on se repé rait dans les bicoques... Ç a pouvait trè s mal terminer... Y avait toujours au moins comme ç a, à la suite de bé vues tragiques, presque quatre ou cinq meurtres par an!... Des é garé s... des pré somptueux, qui se trompaient dans les pavillons!... qui s’aventuraient dans les grilles!... qui sonnaient juste où fallait pas!... Ils se faisaient les pauvres insolites é tendre raides d’un grand coup de salve... Au revolver d’ordonnance... à la carabine Lebel... et puis achever en moins de deux par la meute du lotissement... Un ramassis impitoyable des pires carnassiers fous fé roces, recruté s rien qu’en clebs bâ tards... horriblement agressifs, spé cialement dressé s dans ce but... Ils se ruaient à l’é tripade... Il restait rien du malheureux... Faut dire aussi, pour s’expliquer, que c’é tait juste au moment des exploits de la bande à Bonnot, qu’ils terrorisaient depuis six mois la ré gion Nord-Ouest, et qu’ils tenaient encore le large!...

Tout le monde é tait dans les transes! La mé fiance é tait absolue... On connaissait ni pè re ni mè re, une fois la lourde refermé e... Malheur au perdu!...

Le possé dant é conome, l’é pargnant mé ticuleux, tapi derriè re ses persiennes passait sa nuit aux aguets, ne roupillant que d’un œ il, les mains crispé es sur son arme!...

Le cambrioleur futé, le vagabond torve, aussitô t l’indice... pouvaient s’estimer branchus, occis, trucidé s!... Il aurait fallu un miracle pour qu’ils remportent leurs roupignolles!... Une vigilance impeccable!... Une ombre entiè rement meurtriè re...

Courtial é tait pas tranquille là, sous la « marquise » de la gare!... Il se repré sentait le retour... le chemin... les embuscades varié es... Il ré flé chissait un petit peu!... « En avant! »... Dè s les premiers pas sur la route, il s’est mis à siffler trè s fort... une sorte de tyrolienne!... C’é tait l’air du ralliement... Ç a devait nous faire reconnaî tre à travers les passes pé rilleuses!... Nous nous engagions dans la nuit...

La route devint extrê mement molle, dé foncé e! fondante!... On discernait assez vaguement des masses dans les ombres... des autres contours de bicoques... Nous fû mes aboyé s, hurlé s, vocifé ré s, au passage de chaque barricade... La meute se donnait à pleine rage... Nous marchions le plus vite possible, mais il s’est mis à pleuvoir! Une immense mé lasse! Le chemin montait tout de travers.

« Nous allons... qu’il m’avertit... à la pointe mê me de Montretout! C’est l’endroit le plus é levé... Tu vas voir comme on domine! »

Leur maison, la « Gavotte », c’est le sommet de la ré gion. Il me l’avait expliqué souvent, ç a couronnait tout le paysage!... Il voyait tout Paris de sa chambre... Il commence à s’essouffler!... Pourtant c’est pas une boue é paisse! Si c’é tait l’hiver alors?... Enfin, plus loin, aprè s le dé tour, je discerne des signes, la lumiè re qui bouge... qui s’agite... « C’est ma femme, qu’il s’é crie alors!... Tu vois qu’elle me parle en code: C... H... A... M... Une fois en bas! Deux fois en haut! »... Enfin y avait plus d’erreur!... On grimpait quand mê me toujours... On se dé pê chait de plus en plus!... Vanné s, soufflotants... Nous arrivons dans son enclos... Notre rombiè re avec sa lanterne, elle dé gringole de son perron... elle se pré cipite sur le dabe... C’est elle qui va au pé tard... elle me laisse pas placer un seul mot... Dé jà depuis avant huit heures qu’elle faisait des signes à chaque train!... Elle est parfaitement outré e... Et puis en plus moi qu’é tais là ? C’é tait pas pré vu!... Qu’est-ce que je venais faire?... Elle nous pose des questions pressantes... Elle s’aperç oit tout d’un coup qu’il a changé sa roupane!... On est bien trop fatigué s pour se lancer dans les nuances!... Merde alors!... On rentre dans la crè che... On s’assoit dans la premiè re piè ce... On lui casse là net tout le morceau! Elle se gourait bien, é videmment, avec ce retard... d’une tuile d’une certaine importance... Mais alors, comme complè te foirade, elle pouvait pas tomber sur pire!... Vlac! comme ç a, en plein dans la gueule!... Elle en restait comme vingt ronds de mou... elle tremblochait de toute la face et mê me des bacchantes... Elle pouvait plus sortir un son!... Enfin c’est revenu par des pleurs...

« Alors, c’est fini, Courtial? C’est fini, dis-moi?... » Elle s’est effondré e sur sa chaise... Je croyais qu’elle allait passer... On é tait là tous les deux... On s’apprê tait à l’é tendre tout du long par terre!... Je me levais pour ouvrir la fenê tre... Mais elle se repique en fré né sie!... Elle rejaillit de son siè ge... Elle vibre de toute la carcasse!... Elle se requinque... C’é tait passager la dé tresse! La revoilà debout! Elle vacille un peu sur ses bases... Elle se replante de force... Elle fout une grande claque sur la table... Sur la toile ciré e...

« Bon sang! C’est trop fort à la fin! qu’elle gueule d’un grand coup comme ç a...

— Trop fort! Trop fort! Tu l’as dit!... Il se monte aussi en colè re. Elle le trouve tout cabré devant elle... Elle trouve tout de suite à qui causer... Il glousse comme un coq...

— Ah! C’est trop fort!... Ah! C’est trop fort?... Moi, mon amie, je regrette rien!... Non! Non!... Parfaitement!... Absolument rien du tout!...

— Ah! Tu regrettes rien, sacré salopard?... Ah? T’es bien content, n’est-ce pas?... Et le pavillon alors? T’as pensé aux traites? C’est samedi qu’ils reviennent, mon garç on!... C’est samedi, pas un jour de plus!... Tu les as, toi, les douze cents francs?... Tu les as sur toi?... Ils sont promis, ç a tu le sais bien!... Ils sont dé jà escompté s!... À midi ils reviennent! Tu les as sur toi?... Pas à une heure! À midi!

— Merde! Merde! et contre-merde! à la fin!... Je m’en fous de ton pavillon!... Tu peux en faire des cropinettes!... Les é vé nements me libè rent... Me comprends-tu?... Dis ma buse?... Ni amertume! Ni rancune! Ni dettes! Ni protê ts!... Je m’en fous! Tu m’entends bien? Je chie sur le tout! Oui!...

— Chie! Chie! Dettes! Dettes! Mais est-ce que t’as le pognon sur toi, dis, mon grand cave?... Ferdinand, il a six cents points en tout et pour tout! Je le sais bien quand mê me!... Vous les avez, Ferdinand?... Vous les avez pas perdus? Mais c’est mille deux cents francs qu’ils viendront chercher, c’est pas six!... Tu le sais pas encore?...

— Pfoui! Pfoui! Jamais un pas en arriè re!... La gangrè ne! Tu viens dé fendre la gangrè ne?... Amputation!... Me comprends-tu, mortadelle? Amputation haute! Tu as donc bu tout le vin blanc? Je le sens d’ici! Haute! L’ail! oui! Sauver quoi? Tiens tu pues de la gueule! Le moignon pourri! Les larves? Les mouches? Le bubon! Jamais la viande pustulente! Jamais une dé marche! Une seule! Tu m’é coutes?... Jamais poissarde! moi vivant!... La dé faite! La palinodie! La cautè le! Ah! non! l’orteil! Que je roule aussi la saucisse à ceux qui me poignardent?... Moi? Jamais!... Ferdinand! tu m’entends bien?... Profite de tout ce que tu vois! Regarde! Essaye de comprendre la grandeur, Ferdinand! Tu n’en verras pas beaucoup!

— Mais, ma parole! C’est toi qu’as bu!... Mais vous avez bu tous les deux!... Ils m’arrivent saouls, ces fumiers!... Ils m’engueulent encore!

— La grandeur! Le dé tachement, cré tine! Mon dé part! Tu sais ç a?... Tu ne sais rien!... Au loin! Plus loin!... que je te dis!... Mé pris des provocations, les pires! Les plus é cœ urantes! Que peut germer d’indicible dans ses outres immondes? Hein? Ces effroyables galeux?... La mesure de mon essence? C’est noblesse, Boudin!... Tu m’entends? Toi qui pues l’acide aliacique?... Tu vois ç a? dis é chalote? Noblesse! Tu m’é coutes? Pour ta “ Gavotte ”? Merde! merde! merde!... Noblesse! Lumiè re! Inouï e sagesse!... Ah! Ô ! Dé lirants lansquenets!... Faquins de tous les pillages!... Ô Marignan! Ô ma dé route, petit Ferdinand du malheur!... Je n’en Crois plus ici ni mes yeux! ni ma propre voix!... Je suis fé erique! Je suis comblé ! Retour des choses!... Moi hier encore au zé nith! Perclus de faveurs! Moi qu’on adule! Moi qu’on plagie! Moi qu’on harcè le! Qu’on fê te alentour divinement! Que dis-je? Qu’on prie des quatre coins du monde! Tu l’as vu? Tu l’as lu!... Et puis aujourd’hui?... Patatrac! Broum! ! !... Plus rien! La foudre est tombé e!... Rien!... L’atome, c’est moi!... Mais l’atome Ferdinand, c’est tout!... L’exil Ferdinand!... L’exil? » Sa voix sombrait dans la tristesse... « Oui! C’est cela! Je me dé couvre! Le destin m’ouvre les portes! L’exil? Soit! À nous deux!... Depuis trop longtemps, je l’implore! C’est fait!... Le coup m’atteint! Transcendant! Hosanna! Irré vocable! Toute la fé lonie se dé busque!... Enfin!... Elle me le devait!... Depuis tant d’anné es qu’elle me traque! me mine! m’é puise!... Compensation!... Elle se montre! Je la dé couvre! Moi je la viole absolument! Oui! Forcé e, bouillonnante... En pleine place publique!... Quelle vision, Ferdinand!... Quel spectacle! Je suis comblé mon Irè ne!... É cumante! sanglante! hurleuse! tu m’entends?... Nous l’avons vue ce tantô t mê me assaillir notre fier journal! Se ruer à l’assaut de l’esprit! Ferdinand ici m’est té moin! Blessé ! Meurtri, certes! Mutilé... Je me contracte! Je me rassemble! Je m’arrache à ce cauchemar! Ah! l’abominable combat! Mais la poche a bien crevé ! le fiel a giclé partout! J’en ai pris, moi, plein les yeux! Mais l’esprit n’a point souffert. Ô la fiè re, la pure ré compense! Oh! Point de compromis surtout! Vous m’entendez tous! Que j’aille à pré sent cajoler mes bourreaux?... Le fer! Le fer! Le feu plutô t!... Tout! Mais pas ç a! Ah! Pouah!... Les dieux se concertent! Soit!... Ils me font l’honneur du plus amer des pré sents! Le don! La haine! La haine des vautours!... L’exil?... Le refuserais-je? Moi? Ce serait mal m’estimer!... Ils m’é prouvent? Bien!... » Il en ricanait d’avance!... « Ils m’é prouvent?... Flatté !... J’en rugirais d’orgueil!... Trop cruel?... Hum! Hum! Nous verrons!... C’est une affaire de Dieux à hommes... Tu veux savoir, Ferdinand, comment je me dé brouille? À ton aise, mon ami! À ton aise!... Tu ne vas pas t’embê ter! Tiens Ferdinand! Toi qui bagottes, tu connais bien le Panthé on?... Dis, pauvre confus?... Tu n’as rien remarqué ? Tu l’as jamais vu le “ Penseur ”? Il est sur son socle... Il est là... Que fait-il? Hein, Ferdinand? Il pense mon ami! Oui! Ç a seulement! Il pense! Eh bien! Ferdinand! Il est seul!... Voilà ! Moi aussi je suis seul!... Il est nu! Moi aussi je suis nu!... Que feriez-vous pour moi? pauvres petits?... » Il nous prenait en pitié ! tous les deux la grosse mignonne!... « Rien! Toi encore!... pauvre gamin é berlué par les endocrines! navré de croissance! Inverté bré pour tout dire! Pauvre gasté ropode que le moindre songe annihile... Quant à ma pauvre farfadette, que me donnerait-elle? d’utile? d’inutile? Un attendrissant é cho de nos anné es mortes... Preuves! É preuves dé funtes! Hivers dé catis! Horreurs!...

— Comment tu m’appelles?... Ré pè te-le un peu!... Dis vite que je t’entende!... » Les derniers mots avaient pas plu... Tu me mets en boî te? dis, ordure? »

Elle aimait pas les allusions... Elle le menaç ait de la potiche, elle voulait des autres dé tails... pour ce qu’il venait de pré tendre!...

« L’é coutez pas, Ferdinand! L’é coutez pas!... C’est encore que des autres mensonges! Il a jamais que ç a dans la bouche!... Qu’est-ce que t’as fait dans la cuisine?... Dis-le-moi là donc tout de suite!... Avec ma guimauve?... Tu ne sais pas?... Il m’a volé ç a aussi!... Et sur ma toilette? Le bicarbonate? Tu ne sais pas non plus?... T’en as fait aussi un lavement?... Me dis pas le contraire! Et l’eau de Vals? Où c’est que tu l’as mise?... Il respecte rien! Je l’avais ramené e tout exprè s pour la prendre dimanche!...

— Laisse-moi, voyons!... Laisse-moi un peu me recueillir!... Tu m’assailles. Tu m’exaspè res! Tu me harcè les!... Comme tu es obtuse, ma mignonne!... ma bonne... ma douce! ma ché rubine!... »

Elle s’arrache alors son galure, elle se renifle la morve un bon coup, elle tâ te le dossier de la grosse chaise, une grosse mastoc, une massive...

« Ré ponds-moi donc! qu’elle le somme!... Où que tu l’as mise ma guimauve?... »

Il peut rien ré pondre... elle commence à soulever l’objet... elle agrippe les deux montants... Il a bien vu le geste... Il plonge vers la table à ouvrage... Il l’agrafe par-dessous la caisse... Ils ont ce qui faut tous les deux!... Ç a va ê tre une explication!... Je me planque dans l’angle de la cheminé e... Il parlemente...

« Ma grande chouchoute! Je t’en prie! Je t’en supplie, mon cher tré sor! É coute-moi! Seulement un mot avant que tu t’emportes davantage!... É coute-moi! Ne casse rien!... J’ai tout vendu! Mon Dieu! Tout vendu!

— Vendu? Vendu?... Tout vendu quoi?...

— Mais tout! Oui! tout! Depuis ce matin mê me! Je me tue à te dire! Tout au Cré dit Lé menthal!... à M. Rambon! Tu le connais bien? Au Contentieux! Y avait plus autre chose à faire! C’est fini! Tout liquidé ! Soldé ! Lavé ! Voilà ! Tu me comprends? T’as compris maintenant, ma langouste? Ç a coupe la chique hein? Ç a te calme pas? Demain que je te dis!... Demain matin qu’ils viendront!...

— Demain? Demain? Demain matin?... » Elle faisait l’é cho... C’é tait dans un rê ve encore!...

« Oui, demain! J’ai fait le né cessaire! T’as plus qu’à signer la cré ance!

— Ah! vache! de saligaud de vache! Ah! Il m’é tripe, le voyou! Jamais j’aurais cru possible!... Et moi, empoté e!... »

Elle laisse alors retomber la chaise, elle s’affale dessus, elle reste là bras ballants parfaitement sonné e... Elle renifle et c’est tout!... Elle est pas vraiment la plus forte... Il est parvenu à ses fins!... Elle le regarde à travers la table, de l’autre cô té de la cambuse, son gniard atroce, comme on regarde la pieuvre dé gueulasse, l’exorbitant monstre, à travers la vitre d’aquarium... L’é norme cauchemar d’un autre monde!... Elle pouvait pas en croire ses yeux... Vraiment elle y pouvait plus rien. C’é tait plus la peine d’essayer!... Elle renonç ait, complè tement battue!... Elle se laissait aller au chagrin... Elle sanglotait si violemment contre son buffet, elle cognait si fort de la tê te... que la vaisselle se dé binait, cascadant par terre... Lui, s’arrê tait pas pour si peu!... Il exploitait son avantage... Il renforç ait sa position...

« Alors, Ferdinand! Hein? Tu vois? tu conç ois peut-ê tre?... T’arrives à te repré senter l’intré pidité passionnelle?... Tu saisis? Ah! ma dé cision vient de loin... et sagement, nom de Dieu, mû rie... Des exemples? Des É mules? Nous en avons, Madame, combien? Mais des bottes! Et des plus illustres! Marc-Aurè le? Parfaitement! Que fait-il, lui, ce dabe? En des conjonctures fort semblables? Harassé ! honni! traqué ! Succombant presque sous le fatras des complots... les plus abjects... Les perfidies... les pires assassines!... Que faisait-il dans ces cas-là ?... Il se retirait, Ferdinand!... Il abandonnait aux chacals les marches du Forum! Oui! C’est à la solitude! à l’exil! qu’il allait demander son baume! La nouvelle vaillance!... Oui!... Il s’interrogeait lui seul!... Nul autre!... Il ne recherchait point les suffrages des chiens enragé s!... Non! Pffou!... Ah! l’effarante palinodie!... Et le pur Vergniaud? L’ineffable? À l’heure du carnage, quand les vautours se rassemblent sur le charnier? Que l’odeur en monte toute fadasse?... Que fait-il, lui, le pur des purs?... Le cerveau mê me de la sagesse?... En ces minutes saccagé es où tout mensonge vaut une vie?... Va-t-il se reprendre en paroles? Renier? Mâ cher l’immondice?... Non! Il gravit seul son calvaire!... Seul il domine!... Il se dé tache!... Il pré lude seul au grand silence!... Il se tait! Voilà Ferdinand! Je me tais aussi, Nom de Dieu!... »

Des Pereires, qui n’é tait pas tellement grand, il se redressait dans la piaule pour mieux m’exhorter... Mais il é tait coincé quand mê me entre le poê le et le gros buffet... Il avait pas beaucoup de place... Il nous regarde là tous les deux... Il nous regarde encore... Une idé e lui germe!...

« Vous voulez pas, qu’il dit... sortir?... Faire un petit tour?... Je veux rester seul!... Rien qu’une minute!... Je veux arranger quelque chose!... De grâ ce! de grâ ce! une seconde!... »

C’é tait salement saugrenu comme proposition, à l’heure qu’on é tait surtout! La daronne ainsi sur le seuil, toute ratatiné e dans son châ le, elle faisait vilain!

« Tu nous fous dehors alors?... Mais t’es devenu complè tement bringue!

— Laissez-moi au moins dix minutes!... Je vous en demande pas davantage! C’est indispensable! Impé rieux! Irré missible! C’est un petit service!... Laissez-moi une seconde tranquille! Une seconde vraiment tout seul!... Vous voulez pas? C’est pas compliqué... Allez vous promener dans le jardin! Il fait bien meilleur que dedans!... Allez! Allez! Je vous ferai signe! Vous comprenez pas?... »

Il insistait absolument. Il avait plus sa grande cave comme au Gé nitron pour ré flé chir à sa guise!... Il avait que les trois petites piè ces pour dé ambuler... Entê té s, buté s, raisonneurs, je voyais qu’ils allaient se prendre aux tifs!... si je l’emmenais pas, la daronne... C’é tait elle la plus râ leuse... Je l’entraî ne donc vers le couloir...

« On reviendra dans cinq minutes!... que je lui fais comme ç a... Laissez-moi faire!... Laissez-le tranquille... Il est emmerdant... Vous, d’abord, il faut que je vous cause... »

Elle a voulu reprendre sa lanterne... C’é tait pas un moment commode pour entreprendre des promenades!... Il faisait tout de mê me un peu frais! Je peux dire qu’elle é tait en rage... Elle en avait gros sur la pomme... Elle arrê tait plus de glapir.

« Il m’a fait ç a, le pourceau! le satyre! la finie canaille! À moi, Ferdinand!... À moi!... »

Elle s’agitait le long de la barriè re... Elle tré buchait un petit peu en avant avec son lampion... Elle marmonnait toutes les injures... On est passé devant des châ ssis... Là, elle a voulu qu’on s’arrê te... Tout en chialant, reniflant, il a fallu qu’elle me montre... qu’elle soulè ve les grands palans... que je voye bien les pousses... les petits brins... la fine nature du terreau...

« Tout ç a, Ferdinand! Tout ç a! vous m’entendez? C’est moi qui les ai planté s... Moi toute seule!... Ç a, c’est pas lui! Ah! non! bien sû r! »... Il fallait que je regarde encore... Et les petits navets... Et les petites limaces!... La soucoupe pour le potiron... Elle soulevait tous les couvercles... tous les cadres... Et y en avait des chicoré es!... On a fait le tour de chaque rectangle... À la fin, elle en pouvait plus... Elle me racontait, au fur et à mesure, combien elle avait du mal pendant les sé cheresses! C’est elle qui pompait aussi, qui portait les brocs... de là -bas... du robinet... au bout des allé es... Son chagrin lui coupait la chique... Elle s’est assise, elle s’est relevé e... Il a fallu que j’aille me rendre compte du grand tonneau pour l’eau des pluies... qu’il é tait pas suffisant...

« Ah! C’est vrai!... qu’elle ressaute aprè s ç a... Vous connaissez pas son systè me!... Ah! C’est pourtant bien coquet! Sa belle invention?... Vous connaissez donc pas du tout?... Ç a, pourtant, c’est une engeance! Ah! Il a jamais fait mieux! Et je me suis pourtant opposé e! Ç a vous pouvez croire! Ah! là ! là ! Ce que j’y ai pas dit! Comment que je me suis gendarmé e!... Rien à faire! Absolument! Buté comme trente-six mille mules! Il m’a foutu sur la gueule! Mais, moi, je l’ai pas caressé ! Ç a vous pouvez croire! Et pour arriver à quoi? À ce qu’il me dé molisse tout le bon cô té de la palissade!... Et encore dix-huit rangs de carottes! Simplement dix-huit!... Vingt-quatre artichauts!... Pour trafiquer quoi? Un hangar!... Et faut voir dans quel é tat!... Un cochon retrouverait pas ses œ ufs!... Une vraie poubelle que je vous dis! Une fosse vidangè re! Voilà ce qu’il m’a fait dans mon coin!... »

On est partis de ce cô té -là, elle me guidait avec sa lumiè re...

C’é tait une petite cahute en ré alité... Comme renfermé e sous la terre... presque complè tement enfouie... juste le toit qui é mergeait... Dedans j’ai biglé sous les bâ ches... tout des dé tritus!... rien que des instruments dé glingué s... Tout ç a en complè te valdraque... et puis une grosse dynamo, complè tement farcie, rouillé e... un ré servoir à l’envers... un volant tordu... et puis un moteur d’un cylindre... C’é tait ç a l’invention de Courtial... J’é tais un petit peu au courant... Le « Gé né rateur des Ondes »!... Ç a devait faire pousser les plantes... C’é tait une idé e... Dans les sé ries du Gé nitron nous possé dions à ce propos un entier numé ro spé cial sur « L’avenir de l’Agriculture par le Radiotellurisme »... Et puis encore trois manuels et toute une ribambelle d’articles (avec quatre-vingts figures)... pour la maniè re de s’en servir... Il avait au surplus donné deux confé rences au Perreux, une à Juvisy pour convaincre les petits producteurs... Mais ç a les avait pas secoué s... Et pourtant, selon des Pereires, à l’aide du « polarimè tre », c’é tait qu’un jeu de diriger sur les racines de tel lé gume ou de telle plante ces faisceaux d’induits Telluriques, hormis cela ridiculement é parpillé s, dispersé s, complè tement perdus pour tout le monde!... « Je vous apporte, qu’il leur disait, mon arrosage sub-racinal, infiniment plus utile encore que n’importe quelle flotte! L’averse é lectrique! La Providence du haricot! » Toujours d’aprè s ses donné es, avec un peu d’appareillage, c’é tait plus qu’une rigolade de faire gonfler un salsifis au gabarit d’un gros navet... Toutes les gammes fé condes du magné tisme infra-terrestre, à la disposition parfaite!... Croissance de tous les lé gumes selon les besoins de chacun! En saison! Hors saison!... C’é tait beau quand mê me!...

Tracassé, malheureusement, par tant de soucis journaliers, les anicroches continuelles, tous les pé pins du Gé nitron, il avait pas pu bien finir la mise au point du systè me... Surtout ses condensateurs... Ils marchaient pas synchroniques... c’é tait une question de surveillance... Il pouvait guè re les faire tourner que deux ou trois heures le dimanche. Comme ondes c’é tait insuffisant... Mais, pendant les jours de la semaine, il avait d’autres chats à fouetter! Il avait assez du cancan et des diffé rents concours!... Elle y croyait pas du tout, Mme des Pereires, à ce bastringue tellurique... « Je lui ai ré pé té bien des fois... mais, que je serine, que je chante, que je flû te! n’est-ce pas, c’est pareil au mê me?... “ Il marchera jamais ton bazar! C’est pas Dieu possible! Ç a va ê tre encore une sottise!... Tu vas dé foncer la maison avec tes tranché es! C’est tout ce qu’on aura comme lé gumes! Les courants d’é lectricité ? puisque c’est ç a que tu veux avoir!... Ils restent pas dans la terre! Ils vont en l’air petit idiot!... C’est bien connu! À preuve les orages! Y a qu’à regarder sur les routes!... Ils dé penseraient pas tant d’argent pour mettre leurs fils té lé phoniques! Et alors les paratonnerres? L’É tat est pas fou quand mê me! Si ils pouvaient s’é pargner, eh bien! ils feraient pas tant de travaux!... ” J’aurais dit n’importe quoi pour qu’il me dé fonce pas le potager!... “ Tu dé connes! Tu dé connes! ” Il me ré pond jamais que des injures aussitô t qu’il voit que j’ai raison!... Il s’obstine!... qu’il s’en ferait plutô t é clater!... Ah! je le connais moi le bonhomme!... Pré tentieux? Orgueilleux? Lui? Un paon mais c’est rien!... É coutant jamais que les bê tises!... Ah! c’est un joli cadeau! depuis vingt-huit ans que je l’endure! Ah! Je suis servie!... Toute la bile que je peux y mettre... et quand mê me ç a sert de rien!... Il va nous vendre!... Il nous solde! Positivement!... Il vendrait sa chemise! Il vendrait la vô tre, Ferdinand! Il vend tout!... Quand la folie le prend de changer!... c’est plus un homme, c’est un vrai tambour de sottises! c’est les foires qui l’ont perdu! Plus il vieillit, plus il se dé range! Plus il se fê le!... Moi je m’en aperç ois! Je suis pas dupe! C’est un Infernal! Ferdinand!... C’est pas une maladie son cas! C’est une catastrophe! Mais moi je peux plus le suivre!... Plus du tout!... Je lui ai dit dans les dé buts quand il a parlé de son systè me... “ Tu t’occupes toujours de choses, Courtial! qui te regardent pas!... L’agriculture t’y connais rien!... Pas plus que sur les ascenseurs ou les fabriques de pianos!... ” Mais il veut toujours tout savoir! C’est son vice à lui, ç a d’abord... Tout connaî tre! Foutre son nez dans toutes les fentes! C’est le “ touche-à -tout ” vé ritable! Sa perte, c’est la pré tention!... Un jour, il revient, c’est la chimie!... Le lendemain, c’est les machines à coudre!... Aprè s-demain, ce sera la betterave! Toujours quelque chose de plus neuf!... Bien sû r qu’il arrive à rien!... Son genre à lui, c’est les ballons! Moi je n’en ai jamais dé mordu! J’ai jamais arrê té de lui dire: “ Courtial! ton sphé rique! Courtial! ton sphé rique! C’est la seule chose que tu saches faire! Ailleurs tu prendras que des gadins! C’est pas la peiné que tu insistes! Ton blot, c’est les ascensions! Y a que ç a qui pourra nous sortir! Si tu t’acharnes dans les autres trucs, tu te casseras la gueule! Nous finirons à Melun! On fera des fleurs en papier! ” Je lui ai mille fois dit, pré dit, ressassé ! Mais va te faire coller, vieille tartine! Le Ballon? Il voulait mê me plus que j’en cause tellement qu’il est enfoiré quand il a sa tê te de cochon! On peut pas me dire le contraire! C’est moi qui supporte! Monsieur é tait “ é crivain ”... Je comprenais rien aux choses! Il est “ savant ”, il est “ apô tre ”! Il est je sais quoi! Un vrai “ jean-foutre ” en personne!... Un vrai pillard! Polichinelle! Sale raclure!... Sauteur!... Un clochard, moi je vous le dis! Sans conscience ni maille! Une vraie cloche pleine de morbaques, voilà ce qu’il mé rite! Et puis il l’aura! Voilà la vraie fin pour tout ç a! Oui! Voilà comment qu’il est devenu!... Il foire partout! Il sait plus mê me où mettre la tê te!... Il croit que je m’en rends pas compte!... Il a beau baver des heures! Moi, je m’é tourdis pas! Je sais quand mê me à quoi m’en tenir!... Mais ç a va pas se passer tout seul!... Ah! mais non! Faudrait pas qu’il se goure! Ah! minute! minute! Ah! mais je suis pas bonne!... »



  

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