Хелпикс

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Note sur l’édition numérique. 39 страница



« Vous le connaissez depuis longtemps? » qu’ils nous demandent alors...

C’est des Inspecteurs... Le plus hargneux, il nous sort sa carte... On ré pond vite qu’on y est pour rien!... Absolument! Le cureton, il gigote toujours... Il se dé bat la pauvre tranche... Il trouve moyen de se remettre à genoux... Il pleurniche... Il nous implore... « Pardon!... Pardon!... qu’il nous demande... C’é tait pour mes petits pauvres... Pour mes aveugles... Pour mes petits sourds et muets... » Il supplie qu’on le laisse quê ter...

« Ta gueule! On te demande rien!... Il est enragé ce sale con-là... T’as pas fini de nous faire l’arsouille!... » Celui qu’a montré sa carte, il lui fout alors un coup de boule tellement sonore et placé, que le cureton il en fait un couac!... Il s’é croule! Il parle plus!... Ils lui passent tout de suite les menottes... Ils attendent encore un moment... Ils respirent... Ils le requinquent debout à coups de pompes. C’est pas terminé. Il faut encore que Courtial il leur signe une « constatation » et puis encore un autre faf... « dorso-verso »... L’un des bourriques, le moins sé vè re, il nous explique un petit peu la nature du dabe foliche... C’é tait vraiment un curé... et mê me un chanoine honoraire!... M. le Chanoine Fleury!... Voilà comment qu’il s’appelait... C’é tait pas son premier paillon... ni sa premiè re dé confiture... Il avait dé jà fait « bon » tous les membres de sa famille... pour des mille et des milliers de francs... Ses cousins... ses tantes... les petites sœ urs de Saint-Vincent-de-Paul... Il avait piqué tout le monde... Les marguilliers du Diocè se... le bedeau et mê me la chaisiè re... Il lui devait au moins deux mille francs... Tout ç a, pour des entourloupes qu’avaient ni sens, ni principes... Maintenant, il tapait dans la caisse, celle des Sacrements... On l’avait surpris par deux fois... en train de carambouiller le coffret. Tout le « Denier de Jeanne d’Arc » on l’avait retrouvé dans sa chambre forcé au ciseau... Il travaillait du tré sor... On s’é tait aperç u trop tard... Maintenant on allait l’enfermer... C’é tait son É vê que à Libourne qui ré clamait l’internement...

Y avait la foule, sous nos arcades... Ils se ré galaient, ils perdaient rien de la belle sé ance... Et les commentaires allaient fort... Ç a ruminait é normé ment... Ils apercevaient les fafiots qu’é taient ré pandus dans la case... Mais moi aussi j’avais bien biglé... J’avais eu la pré sence d’esprit... J’en avais dé jà sauvé quatre et une piè ce de cinquante francs... Ils poussaient des Ah! Aha! Oh! Oho! Ils m’avaient bien vu travailler les pougnassons devant la vitrine!... Notre curé, les bourres ils l’ont propulsé dans le gymnase... Il faisait encore des ré sistances... Il fallait qu’ils repassent par-derriè re pour l’embarquer dans un fiacre... Il se cramponnait de toutes ses forces... Il voulait pas partir du tout...

« Mes pauvres! mes pauvres pauvres!... » qu’il arrê tait pas de mugir. Le sapin est arrivé quand mê me, aprè s bien du mal...

Ils l’ont halé dans l’inté rieur... Il a fallu qu’ils l’arriment, qu’ils le souquent sur la banquette avec de la corde... Il tenait pas quand mê me en place... Il nous envoyait des baisers... C’est honteux ce qu’ils le torturaient!... Le fiacre pouvait plus dé marrer, les gens ils se mettaient devant le cheval... Ils voulaient regarder dans le caisson... Ils voulaient qu’on ressorte le chanoine... Enfin grâ ce à des autres flics... ils ont dé gagé la voiture... Tous les pilonneurs alors ils ont reflué devant la boutique... Ils comprenaient rien! Ils arrê taient plus de nous conspuer...

La grande mignonne, tant d’injures, ç a lui fit monter la moutarde... Elle a voulu que ç a cesse de suite... Elle a fait ni une ni deux... Elle a bondi sur la lourde... Elle ouvre, elle sort, elle se pré sente, elle les affronte...

« Eh bien? qu’elle leur dit... Qu’est-ce que vous avez?... Bande de paumé s! Bande de saindoux! Vous ê tes que des sales morveux! Allez-vous-en vous gratter! Malfrins! Cressons! De quoi que vous ê tes pas contents?... Vous le connaissiez pas, vous, ce bigleux?... » C’é tait culotté d’attitude... Mais ç a n’a pas pris quand mê me... Ils l’ont encore plus agonie!... Ils ont redoublé en beuglements. Ils glaviotaient plein notre vitre. Ils balanç aient des graviers... C’é tait du massacre bientô t... Il a fallu qu’on se carre en trombe... et par-derriè re... à toutes tatanes!...

Aprè s un pareil Trafalgar on ne savait plus quelle contenance prendre... Comment maintenant les dissuader, les é nergumè nes? C’é tait devenu trè s rapidement la « Cloche au Tré sor Fond des Mers » une corrida aussi farouche qu’avec le « Mouvement Perpé tuel »... Ç a bardait du matin au soir... Et souvent encore dans la nuit ils arrivaient à me ré veiller avec leurs vocifé rations. Un dé filé d’hurluberlus exorbité s jusqu’aux sourcils, qui se dé poitraillaient devant la porte, gonflé s, soufflé s de certitudes, de solutions implacables... C’é tait pas marrant à regarder... Il en surgissait toujours d’autres!... Ils bouchaient la circulation... Une sarabande de possé dé s!...

Ils é taient si entassé s, tellement grouillants dans la boutique, embistrouillé s dans les chaises, raccroché s sur les monticules, emmitouflé s dans les paperasses, qu’on pouvait plus rien entrer prendre... Ils voulaient seulement rester là, nous convaincre encore une minute, avec les dé tails iné dits...

Si encore, au moins, on leur avait dû quelque chose! Qu’ils aient tous versé une avance, une ristourne, une inscription, on aurait compris peut-ê tre qu’ils ne soient pas heureux, contents, qu’ils partent en pé tard, qu’ils s’insurgent!... Mais c’é tait pas notre cas du tout!... Par extraordinaire exception! On leur devait vraiment rien! C’é tait ç a le plus fort! Ils auraient pu nous en tenir compte!... Que nous n’agissions point par lucre! Que c’é tait en somme une affaire de Sport et d’Honneur!... Pure et simple! Qu’on é tait absolument quittes... Ah! mais alors pas du tout!... C’é tait exactement le contraire! Ils faisaient la ré volution pour le plaisir d’ê tre emmerdants!... Ils nous en voulaient mille fois plus! Ils se montraient mille fois plus charognes! râ leurs! é cumeux! que jamais auparavant qu’on les saignait jusqu’à l’os!... C’é taient des vé ritables dé mons!... Chacun gueulait comme à la Bourse pour la dé fense de son bastringue!... Et puis tous ensemble!... Ç a faisait un vacarme effroyable...

Personne pouvait plus attendre!... Chacun fallait qu’on lui construise à la minute! pas une seconde! son abracadabrant systè me!... Que ç a fume!... Et que ç a fonctionne!... Ils avaient une hâ te immonde de descendre tous au fond de la mer!... Pour chacun son tré sor à lui!... Ils voulaient tous ê tre les premiers! Que c’é tait dans nos « conditions! » Ils brandissaient notre papelard!... On leur a bien hurlé pourtant qu’on en avait salement marre de leurs entourloupes de dé gueulasses... de supporter leur cohue!... que tout ç a c’é tait du bourre mou!... Mon Courtial est grimpé exprè s, dans l’escalier tire-bouchon pour leur dire toute la vé rité... Il l’a hurlé e à tue-tê te au-dessus de la foule... Il avait mis son chapeau de forme tellement c’é tait solennel... Un aveu complet, j’é tais là... Un miracle comme on verra plus!... Il leur a bien spé cifié qu’on n’avait plus de commanditaire! Que c’é tait fini... enterré... Pas plus de millions que de beurre au cul!... Il leur a spé cifié encore que les bourres l’avaient enfermé... Celui qu’on pensait, le curé... Qu’il en ressortirait jamais! Qu’il avait la camisole, que tout le business é tait à l’eau!... « À l’eau! À l’eau!... » Ils tré pignaient d’enthousiasme en entendant ces paroles... Ils reprenaient tous en chœ ur: « Dans l’eau! Courtial! Dans l’eau! À l’eau!... » Ils revenaient toujours plus nombreux, rapporter des nouveaux projets... Ils se fendaient grassement la gueule si on voulait parlementer... Ç a prenait absolument plus... Leur conviction é tait bien faite... Ils savaient tous qu’il faut souffrir quand on a la foi!

La foi qui soulè ve les montagnes, qui renverse les mers... Ils en avaient une terrible... Ils craignaient personne pour la foi! Ils é taient d’ailleurs convaincus qu’on voulait nous, garder tout le plâ tre pour pas partager avec eux!... Ils restaient donc devant la porte... Ils surveillaient les issues... Ils s’installaient le long des grilles... Ils s’allongeaient commodé ment... Ils é taient plus du tout pressé s... Ils avaient la conviction... Ils y croyaient dur comme fer!... C’é tait plus la peine qu’on insiste... Ils nous auraient crevé s sur place à la plus petite tentative de dé né gation... Ils devenaient de plus en plus cruels... Les plus canailles, les plus retors, ils faisaient le tour par la coulisse... Ils arrivaient par le gymnase... Ils nous faisaient signe de les rejoindre... Dans un coin comme ç a chuchotant, ils proposaient des arrangements, des augmentations de la ristourne... quarante pour cent au lieu de dix pour notre propre blaze sur le premier butin sorti... Qu’on s’occupe d’eux immé diatement, avant tous les autres... Ils nous estimaient fort cupides!... Ils voulaient dé jà nous corrompre... Ils nous faisaient miroiter des « fleurs »!

Courtial il voulait plus rien regarder, ni causer, ni mê me les entendre!... Il voulait mê me plus sortir... Il avait peur qu’on le repè re... Le mieux c’é tait encore sa cave.

« Toi, qu’il me disait... Sors d’ici!... Ils vont finir par te sonner! Va t’asseoir là -bas sous les arbres... de l’autre cô té du bassin... C’est mieux qu’ils nous voient pas ensemble... Il faut qu’ils s’é puisent!... Laisse-les tous gueuler tant qu’ils peuvent!... C’est une corrida de huit, dix jours!... »

Il se trompait dans l’estimation, ç a a duré bien davantage...

Heureusement qu’on avait sauvé quand mê me un petit fond de pé cule... Ce que j’avais piqué au chanoine... Presque à peu prè s deux mille francs... On s’é tait dit qu’avec ce bulle, une fois la tourmente conjuré e, on lè verait le camp par une belle nuit... On transborderait notre maté riel et on irait se faire voir ailleurs!... Dans un autre quartier!... L’endroit é tait plus possible... On monterait un autre Gé nitron sur des donné es toutes nouvelles... avec des autres inventeurs... On parlerait plus du tout de la « Cloche »... C’é tait en somme assez faisable, c’é tait une question de deux, trois semaines à supporter les avanies...

Entre-temps, la grosse mignonne, j’ai eu toutes les peines du monde à lui faire comprendre qu’il valait mieux qu’elle reste chez elle dans son pavillon de Montretout... Qu’elle attende donc la fin de l’orage!... Elle voulait pas m’é couter, elle croyait pas au pé ril!... Moi, je le connaissais notre public... Elle les excitait beaucoup avec ses maniè res, sa pipe, sa voilette... C’é tait des bobards continuels... En plus, elle leur tenait tê te... ç a pouvait trè s mal terminer... Elle risquait net de se faire é tendre... Il passe parmi les inventeurs des bouffé es terribles, des impulsions qu’ils se connaissent plus... Ils é tripent tout sur leur passage! Certes, elle aurait pas cané... elle se serait dé fendue comme une lionne, mais pourquoi encore d’autres drames?... On avait rien à gagner!... Ç a sauverait pas leur pavillon!... Elle avait fini par admettre, aprè s bien des flots de salive et des soupirs à cœ ur fendre...

Ce jour-là, elle é tait pas venue... Courtial roupillait dans la cave... On avait dé jeuné ensemble, aux « Escargots », chez Raoul, assez bien ma foi, au coin du Faubourg Poissonniè re. Il s’é tait refusé rien... J’ai pas moisi dans la boutique... Je suis ressorti presque aussitô t... pour m’installer à bonne distance comme d’habitude sur le banc d’en face, en retrait sur la rotonde... De là, je surveillais les abords... Je pouvais mê me intervenir si les choses vraiment tournaient mal... Mais c’é tait un jour tranquille... Rien de particulier... Toujours les mê mes groupes parlocheurs, bavocheurs, qui fermentaient dans les pourtours... depuis le dé but de l’autre semaine ç a durait comme ç a... Vraiment rien d’extravagant!... J’aurais eu tort de me cailler... ç a mijotait sans pé tard... Et mê me un peu aprè s quatre heures un certain calme s’est é tabli!... Ils se sont assis en queue leu leu... Ils parlaient plutô t en murmures... Ils devaient ê tre trè s fatigué s... Une vraie ribambelle tout le long des autres devantures... Ç a sentait la lassitude... Ç a pouvait plus durer longtemps... Je songeais dé jà aux perspectives... qu’il allait falloir nous trisser... Emmancher des autres goupilles!... Piquer, paumer encore des « caves »! Et puis encore des autres business!... On avait bien notre pé cule... Mais combien qu’il pouvait durer? Peuh! Peuh! Peuh! C’est pas grand-chose à faire fondre deux billets de mille francs!... Si on voulait remonter le journal!... et puis douiller leur pavillon!... C’é tait pas possible, à vrai dire, de faire les deux à la fois!... Enfin, j’é tais dans mes songeries... trè s absorbé profondé ment... quand du plus loin... dans l’impasse du Beaujolais, j’aperç ois un grand fias tout seul qui faisait un boucan du tonnerre!... qui gesticule de tous ses membres!... Il se ramè ne, il bondit, il caracole jusque devant notre porte... Il attrape le bec-de-cane... Il secoue la lourde comme un pommier... Il gueule aprè s des Pereires!... Il est absolument furieux, hors de lui-mê me, ce garç on!... Avant de se barrer il s’escrime un bon moment!... Personne ne ré pond... Il barbouille toute la devanture avec un pinceau et de la couleur verte... Ç a doit ê tre des saloperies!... Il se dé bine.., toujours en grande é bullition... Enfin, on avait vu pire!... C’é tait pas tragique!... Je redoutais bien davantage...

Il se passe encore une heure ou deux... Le soleil commence à tomber... Voilà les six heures qui sonnent... C’é tait le moment dé sagré able, celui dont je me mé fiais le plus... L’heure dé gueulasse par excellence pour les raffuts, les bagarres... surtout avec notre clientè le... C’est l’instant foireux où tous les magasins relâ chent leurs petits maniaques, leurs employé s trop ingé nieux... Tous les folichons sont en bombe!... Le grand é parpillage des fabriques, des manutentions... Ils se pré cipitent, ils sont nu-tê te, ils cavalent derriè re l’omnibus!... les artisans tracassé s par les effluves du Progrè s!... Ils profitent des derniers instants!... De la fin du jour... Ils se dé ratent, ils se dé carcassent! C’est des sobres, des gens qui boivent l’eau... Ils courent comme des zè bres. C’est le grand moment des bigornes!... Ç a m’en foutait mal au ventre, rien que de les sentir rappliquer!... Ils nous tombaient sur la cerise toujours en guise d’apé ritif!...

Je ré flé chissais encore un peu... Je pensais aussi à la soupe... Que j’allais ré veiller Courtial... qu’il m’avait demandé cinquante francs. Mais là soudain je sursaute!... Il me parvient une grande clameur! Par la Galerie d’Orlé ans... ç a s’amplifie, ç a se rapproche!... C’est beaucoup plus qu’une rumeur... Ç a gronde! C’est l’orage!... C’est un tonnerre sous le vitrail!... Je m’é lance! Je saute jusqu’à la rue Gomboust, d’où paraissait venir le plus de boucan... Je tombe là sur une horde, des possé dé s tout hagards, des brutes mugissantes é cumeuses... Ils doivent ê tre au moins deux mille dans le long couloir à beugler!... Et il en jaillit toujours d’autres, des rues adjacentes... Ils sont comprimé s, pressuré s autour d’une prolonge, une sorte de camion trè s trapu... Juste au moment où j’arrive, ils sont en train d’é carteler la double grille du jardin... Ils arrachent tout d’un seul é lan... C’est formidable, cette plate carriole comme bé lier... Ils culbutent les deux arcades... Des pierres de taille comme des fé tus!... Ç a s’é croule, ç a dé bouline! ç a é clate en miettes à droite et à gauche... C’est terrifiant absolument... Ils dé valent dans un tonnerre!... attelé s à l’infernal bastringue... La terre tremble à quinze cents mè tres!... Ils rebondissent dans les caniveaux... Faut se rendre compte de la fré né sie!... Comme ç a gambille, et ç a sursaute tout autour de leur catafalque! tous entraî né s dans la charge!... J’en crois pas mes yeux!... Ils sont effré né s!... Ils sont au moins cent cinquante rien qu’à barder dans les traits!... à cavaler sous les voû tes avec l’é norme charge au cul!...

Les autres possé dé s ils s’acharnent, ils s’emberlifiquent, ils se dé membrent pour s’agripper mieux au timon... sur la carè ne... dans les essieux!... Je me rapproche de leur sarabande... Ah! Je les discerne, nos inventeurs!... Ils y sont à peu prè s tous!... Je les reconnais presque un par un!... Voilà De la Gruze, le garç on de café... il a encore ses chaussons!... Et Carvalet le tailleur... il a du mal à courir! Il perd sa culotte!... Voici Bidigle et Juchè re, les deux qui inventent ensemble... qui passent toutes les nuits aux Halles... qui portent des paniers... Je vois Bizonde! Je vois Gratien, celui de la bouteille invisible! Je vois Cavendou... Je vois Lané mone et ses deux paires de lunettes!... qu’a trouvé le chauffage au mercure!... Je les aperç ois tous les charognes!... Ils hurlent au massacre! Au meurtre! Ils sont vraiment des fous furieux!... Je grimpe alors aprè s la grille! Je domine l’é meute!... Je le vois alors bien, sur le siè ge, le grand frisé qui les excite, leur meneur en chef!... Je vois tout le fourbi monumental!... C’est une carapace en fonte... cette fantastique saloperie!... C’est la cloche à Verdunat! La blindé e totale!... Pas d’erreur!... Je l’ai vue cent fois en maquette! le fameux projet!... Je peux bien la reconnaî tre! Avec les hublots lumineux! faisceaux divergents!... C’est un comble! Le voilà lui-mê me, dé poitraillé, Verdunat!... Il surplombe son appareil! Il est grimpé sur le sommet! Il vocifè re! Il rassemble les autres paumé s! Il exhorte! Il va les relancer à la charge!...

Je sais bien, il nous avait pré venus, absolument caté gorique qu’il la ferait construire quand mê me, malgré nos avis! à ses propres frais!... Avec toutes ses é conomies!... On voulait pas le prendre au sé rieux... C’é tait pas le premier qui bluffait!... C’é taient des teinturiers à Montrouge de pè re en fils, les Verdunat!... Il a entraî né la famille!... Ils sont là, tous descendus!... Ils gambadent autour de la cloche!... Ils se lâ chent pas... la main dans la main... C’est la farandole... maman, grand-pè re et petits loupiots... Ils nous apportent leur ustensile... Il nous l’avait bien promis... Et moi qui refusais de le croire!... Ils poussent le monstre depuis Montrouge! Tout le brelan des dingos! C’est la sauvage coalition!... Je rafistole tout mon courage... Je peux dé jà pré voir le pire!... Ils me reconnaissent... Ils me vitupè rent! C’est la furie gé né rale!... Ils en ont contre toutes mes tripes!... Ils me glaviotent tous d’en bas... Ils me vomissent! Je dis:

« Pardon! É coutez-moi! Minute!... » Un silence... « Vous ne comprenez pas trè s bien!

— Descends par ici! petit fumier!... Qu’on t’encule une bonne fois pour toutes!... Empalé de mes burnes! Girouette! Marcassin! Raclure! Où qu’il est ton vieux zigomar?... Qu’on lui retourne un peu les boyaux!... »

Voilà comment qu’ils m’é coutaient!... C’é tait pas la peine que j’insiste... Heureusement j’ai pu rebondir!... Je me suis planqué derriè re le kiosque... J’ai crié « Au secours! » alors et de toutes mes forces!... Mais il é tait dé jà trop tard... On m’entendait plus dans le jardin tellement ç a bardait... tonnait... fulgurait... Et juste devant notre porte c’é tait le carnage maximum! Je les avais comme é moustillé s avec mes paroles! enfurié s encore davantage!... Ils é taient au paroxysme!... Ils dé tellent donc toutes les bricoles!... Ils sortent du timon... Ils braquent l’infernal engin juste par le travers de l’allé e... bout sur la devanture!... Les clameurs redoublent... Les possé dé s de toutes les Galeries, des pourtours foncent sur la cloche au ralliement... La meute entiè re s’arc-boute! « À la une! À la deusse! Et yop! et youp! Hisse! » La masse s’é branle!... Ils la propulsent d’un seul battant!... toute la catapulte dans la vitre... Tout vole en é clats!... La boiserie cè de! crè ve! s’é parpille! Tout a sauté !... Une avalanche de vitrerie!... Le monstre pé nè tre, force, vacille, é crabouillé ! Le Gé nitron tout entier s’effondre dans un torrent de gravats!... Notre escalier tire-bouchon, le coin du commanditaire, tout l’entresol tunisien... J’ai le temps de les voir s’é crouler dans une cataracte de paperasses et puis dans l’explosion de poussiè re!... Un nuage alors gigantesque rebondit, blanchit, remplit d’un coup tous les jardins, les quatre galeries... Ils é touffent la horde!... Ils sont enveloppé s dans les plâ tres... Ils crachent! Ils toussent! Ils suffoquent! Ils poussent quand mê me sur leur dé luge... la ferraille... les glaces... les plafonds suivent dans la cascade!... La cloche sursaute! le plancher brise, crevasse, s’entrouvre... Elle balance l’effroyable machine, elle danse au bord du pré cipice!... Elle incline... Elle bascule au fond... Merde!... C’est la capilotade!... Un tonnerre qui roule jusqu’au ciel!... des cris si stridents... si atroces... figent subito toute la meute!... Tous les jardins sont voilé s par la dense poussiè re... Les agents radinent enfin... Ils cherchent à tâ tons le lieu du dé sastre... Ils se mettent en barrage autour des dé combres... Des autres bourres rappliquent au pas de course!... Les é meutiers se disjoignent... s’é parpillent!... devant leur charge... Ils vont repiquer un autre galop dans les pourtours du restaurant... L’é motion les fait grelotter...

Les flics dé gagent les curieux aux abords de la catastrophe!... Les mutins, moi je les connais tous!... Je pourrais à pré sent les donner! Ç a serait bien facile... Je sais, moi, qui qu’est le plus perfide! le plus vicelard dans la bande! le plus ardent... le plus fumier! J’en connais, moi, qui feraient dix berges! Oui! Mais je suis pas gras pour les vengeances! Ç a rendrait seulement les choses encore un petit peu plus tartes!... et puis voilà tout... Je veux parer au plus né cessaire!... Je me lance dans la cohue... Je me rapproche des groupes... Je me fais reconnaî tre par les bourres... « Vous avez vu le patron? Courtial des Pereires? » que je demande à tous les é chos!...

Personne l’avait vu! Moi je l’avais quitté à midi!... Un coup je repè re le commissaire... C’é tait celui des Bons-Enfants... Le mê me exact petit pourri qui nous avait tant tracassé s!... Je m’approche... Je lui signale la disparition... Il m’é coute... Il est sceptique... « Vous croyez? » qu’il me fait... Il est incré dule... « Mais j’en suis certain! »... Alors il descend avec moi par les cô té s de la crevasse... On va fouiller tous les deux... Je crie!... J’appelle!... « Courtial! Courtial!... Debout! debout! » Nous hurlons ensemble avec les agents... Une fois! deux fois! dix fois!... Je repasse au bord de tous les trous!... Je me penche encore sur les abî mes!... « Il est sû rement au bordel! » qu’il me remarque l’autre, le triste aspic!... On allait abandonner... quand subitement j’entends une voix!

« Ferdinand! Ferdinand! T’as pas une é chelle?... »

C’est lui, c’est lui! Y a pas d’erreur! Il é merge d’un profond glacis... Il se dé pê tre à grands efforts!... Il a la gueule en farine... On lui lance une forte corde... Il s’agrippe... On le hisse! Il est sorti du cratè re!... Il est indemne!... Il nous rassure!... Il a seulement é té coincé, surpris, enserré, absolument fermé à bloc entre la cloche et la muraille!... Mais son galure, il le retrouve plus!... Ç a l’agace d’abord... Il tempê te... Sa redingote a souffert!... Il insiste pas... Il refuse n’importe quel secours... Il refuse d’aller au potard... C’est lui maintenant qui toise les cognes... « J’irai dé poser, Messieurs », qu’il leur dit comme ç a... Sans demander son reste, il enjambe la balustrade et les poutrelles et les dé combres... Nous voilà dehors... « Place!... Place!... » Il é carte la foule!... Sa redingote n’a plus de basques... Il est complè tement dé froqué... Il est poudreux, il fait pierrot, il perd sa bourre en cavalant... Il se dé pê che encore davantage... Il m’entraî ne vers la sortie du cô té du Louvre... Il me cramponne par la manche. Il a une sacré e tremblote... Il crâ ne plus du tout...

« Allez! Allez! Vinaigre, Ferdinand! Regarde un peu toi par-derriè re! Personne n’a suivi?... T’es sû r? Bagotte, mon fiston!... Jamais on reviendra par ici! Jamais dans cette turne... C’est un piè ge infâ me! Ç a je peux t’assurer! La cabale est é vidente!... J’é crirai au Proprié taire! »

Comme ç a une fois notre bureau ré duit en petites miettes j’avais plus d’endroit pour coucher... Alors on a dé cidé d’un commun accord, que je rentrerais à Montretout!... On est repassé par les « É meutes »... Il pouvait pas prendre le « dur » avec sa redingote en bribes!... Le patron, par gentillesse, lui a prê té un vieux costard. On a discuté un peu avec deux é nergumè nes... Il avait des trous, Courtial, plein son pantalon... Il a fallu qu’on le recouse... Tout le monde avait vu les bagarres, entendu les cris, l’é norme barouf... tout le monde é tait passionné !... Mê me le Naguè re, il prenait part... il voulait faire quelque chose, organiser une collecte... J’ai dit qu’on avait pas besoin!... Ç a m’aurait fait mal d’accepter!... Que nous avions encore des sous! Il s’é tait assez beurré à la santé de notre vieux fias!... Il pouvait se montrer gé né reux!... Du coup il a ré glé les verres, encore une tourné e et puis mê me une autre.

Il faisait plutô t dé jà chaud... C’é tait au mois de juin, à la fin... Avec toute cette terrible poussiè re, on a fini en discutant, comme ç a la gorge bien croustillante, par vider au moins dix, douze litres!... On est repartis en zigzag... Il é tait tout à fait tard!... Encore bien é mus!... À la gare du Nord, on a eu le dernier train de justesse!...



  

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