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Note sur l’édition numérique. 33 страница



J’avais appris avec Courtial à ré diger genre officiel. Je me dé brouillais pas trop mal... Je ne faisais plus beaucoup de fautes... Nous avions un papier « ad hoc » pour la conduite des pourparlers avec un en-tê te de bon goû t « Section Parisienne des Amis du Ballon Libre »...

On baratinait les mairies dè s la fin de l’hiver! Les programmes pour la saison s’é laboraient au printemps!... Nous devions, nous autres, en principe, avoir dé jà tous nos dimanches entiè rement retenus un peu avant la Toussaint... On harcelait par té lé phone tous les pré sidents de Comité s. C’é tait encore moi dans ce coup-là, qui me tapais la poste. J’y allais aux heures d’affluence... J’essayais de trisser sans douiller! Je me faisais recueillir à la porte...

On avait lancé nos appels pour toutes les foires, les ré unions, les kermesses, dans la France entiè re! Y avait pas de petits endroits! Tout é tait mangeable et possible! Mais de pré fé rence, bien sû r, on essayait malgré tout de pas s’é loigner de Seine-et-Oise... Seine-et-Marne au plus! C’é tait les transports du bastringue qui nous foutaient tout de suite à cul, des sacs, des bonbonnes, de la came, de tout notre fourniment bizarre. Pour que le jeu vaille la chandelle, il fallait qu’on soye rentré s le soir au Palais-Royal. Sinon c’é tait du dé bours! Courtial, il pré sentait un devis vraiment é tudié au plus juste! Tout à fait modeste et correct: deux cent vingt francs... Gaz pour le gonflage en plus, pigeons au « Lâ cher » deux francs piè ce!... On stipulait pas la hauteur... Notre rival le plus connu et peut-ê tre encore le plus direct, c’é tait le capitaine Guy des Roziers, il demandait lui, bien davantage! Sur son ballon LIntré pide il faisait des tours pé rilleux!... Il montait avec son cheval, il restait en selle tout là -haut! à quatre cents mè tres garantis!... Il coû tait cinq cent vingt-cinq francs, retour payé par la Commune. Mais ceux qui nous damaient le pion encore plus souvent que l’é cuyer, c’é tait l’italien et sa fille « Calogoni et Petita »... Ceux-là, on les retrouvait partout! Ils plaisaient é normé ment, surtout dans les garnisons! Ils é taient extrê mement coû teux, ils faisaient au ciel mille cabrioles... Ils lanç aient en plus des bouquets, des petits parachutes, des cocardes, à partir de six cent vingt mè tres! Ils demandaient huit cent trente-cinq francs et un contrat pour deux saisons!... Ils accaparaient ré ellement...

Lui Courtial, son genre, son renom c’é tait pas du tout à l’esbroufe! Pas la performance dramatique! Non! C’é tait tout à fait le contraire! La maniè re nettement scientifique, la fructueuse dé monstration, l’envol expliqué, la jolie causerie pré alable, et pour terminer la sé ance le gracieux « lâ cher » des pigeons... Il les pré venait lui-mê me toujours, en petit laï us pré liminaire: « Messieurs, Mesdames, Mesdemoiselles... Si je monte encore à mon â ge, c’est pas par vaine forfanterie! Ç a vous pouvez croire! Par dé sir d’é pater les foules!... Regardez un peu ma poitrine! Vous y verrez é panouies toutes les mé dailles les plus connues, les plus coté es, les plus envié es de la valeur et du courage! Si je monte, Mesdames, Messieurs, Mesdemoiselles, c’est pour l’instruction des Familles! Voilà le but de toute ma vie! Tout pour l’é ducation des masses! Nous ne nous adressons ici à aucune passion malsaine! non plus qu’aux instincts sadiques! aux perversité s é motives!... Je m’adresse à l’intelligence! À l’intelligence seulement! »

Il me ré pé tait pour que je sache: « Ferdinand, souviens-toi toujours que nos ascensions doivent conserver à tout prix leur cachet! L’estampille mê me du Gé nitron... Elles ne doivent jamais dé gé né rer en pitreries! en mascarades! en fariboles aé riennes! en impulsions d’hurluberlus! Non! Non! et non! Il nous faut rester dans la note, dans l’esprit mê me de la Physique! Certes, nous devons divertir! ne pas l’oublier! Nous sommes payé s pour cela! C’est justice! Mais mieux encore, si possible, susciter chez tous ces rustres l’envie d’autres notions pré cises, de connaissances vé ritables! Nous é lever certes. Il le faut. Mais é lever aussi ces brutes, celles que tu vois, qui nous entourent, la gueule ouverte! Ah! c’est compliqué, Ferdinand!... »

Jamais, c’est un fait, il n’aurait quitté le sol, sans avoir avant toute chose dans une causerie familiè re expliqué tous les dé tails, les principes aé rostatiques. Pour mieux dominer l’assistance, il se juchait en é quilibre sur le bord de la nacelle, extraordinairement dé coré, redingote, panama, manchettes, un bras passé dans les cordages... Il dé montrait, à la ronde, le jeu des soupapes et des valves, du guiderope, des baromè tres, les lois du lest, des pesanteurs. Puis entraî né par son sujet, il abordait d’autres domaines, traitant, devisant, à bâ tons rompus toujours, de la mé té orologie, du mirage, des vents, du cyclone... Il abordait les planè tes, le jeu des é toiles... Tout arrivait à lui sourire: l’anneau... les Gé meaux... Saturne... Jupiter... Arcturus et ses contours... La Lune... Belgerophore et ses reliefs... Il mesurait tout au jugé... Sur Mars, il pouvait s’é tendre... Il la connaissait trè s bien... C’é tait sa planè te favorite! Il racontait tous les canaux, leurs profils et leurs trajets! leur flore! comme s’il y avait pris des bains! Il tutoyait bien les astres! Il remportait le gros succè s!

Pendant qu’il bavait, ainsi juché, à la cantonade, captivant la foule, moi je faisais un peu la quê te... C’é tait mon petit supplé ment. Je profitais de la circonstance, des palpitations, des é mois... Je piquais à travers les rangé es. Je proposais du Gé nitron à douze pour deux sous! des invendus, des petits manuels dé dicacé s... des mé dailles commé moratives avec le ballon minuscule, et puis pour ceux que je biglais, qui me paraissaient les plus vicelards... dans le tassement qui menaient un pelotage... j’avais un petit choix d’images drô les, amusantes, gratines... et des transparentes qui remuaient... Ces rare que je liquide pas tout... L’un dans l’autre, avec un peu de veine, j’arrivais à me faire vingt-cinq points! C’é tait une somme pour l’é poque! Dè s que j’avais tout ré tamé, que j’avais fait ma ré colte, je filais un petit signe au maî tre... Il renversait sa vapeur... Il bloquait sa parlerie... Il redescendait dans son panier... Il rajustait son panama... Il amarrait toutes ses tringles, il dé nouait la derniè re é coute, et il dé calait tout doucement. J’avais plus que le suprê me filin... C’est moi qui donnais: « Lâ chez tout »... Il me renvoyait un coup de son bugle... Guiderope à la traî ne... Le Zé lé prenait l’espace!... Jamais je l’ai vu s’envoler droit... Il é tait flasque dè s le dé but. On le gonflait, pour bien des raisons, qu’avec une extrê me ré serve... Il barrait donc en traviole... Il chaloupait au-dessus des toits. Ç a faisait avec ses raccrocs un gros arlequin en couleurs... Il batifolait dans les airs en attendant un vrai coup de brise... il pouvait bouffir qu’en plein vent... Tel un vieux jupon sur la corde, il é tait calamiteux... Mê me les plus bouseux campagnols ils s’apercevaient bien de la chose... Tout le monde se marrait de le voir partir tituber dans les toits... Moi je rigolais beaucoup moins!... Je le pré voyais l’horrible accroc, le dé cisif! Le funeste! La carambouille terminale... Je lui faisais mille signes d’en bas... qu’il laisse choir tout de suite le sable!... Il é tait jamais trè s pressé... il avait peur de monter trop... C’é tait pas tellement à craindre!... Question qu’il s’é loigne c’é tait guè re possible, vu l’é tat des toiles!... Mais le bec dont je me gourais, c’é tait qu’il rechute en plein village... Ç a c’é tait toujours à deux doigts et la perte avec... qu’il vienne frô ler dans l’é cole... qu’il emmè ne le coq de l’é glise... qu’il s’enfourche dans une gouttiè re!... Qu’il s’arrê te en pleine mairie!... qu’il s’é croule dans le petit bois. Ç a suffisait amplement s’il arrivait à gagner ses cinquante ou soixante mè tres... je calculais au petit bonheur... c’é tait le maximum... Son rê ve à Courtial, dans l’é tat de son attirail, c’é tait de ne jamais dé passer le premier é tage des maisons... Ç a pouvait s’admettre facilement... Aprè s ç a devenait de la folie... D’abord on aurait jamais pu la gonfler à bloc sa besace... Avec une, deux bonbonnes en plus, ç a se serait fendu à coup sû r et du haut en bas... Il s’é carquillait en grenade de la soupape à la valve!... Aprè s qu’il avait franchi la derniè re chaumiè re, dé passé les derniers enclos, alors il faisait le vide du sable. Il se dé cidait, il culbutait tout son restant... Quand il avait plus de lest du tout... ç a lui faisait faire un petit bond... Une saccade d’une dizaine de mè tres... C’é tait l’instant des pigeons... Il ouvrait vivement leur panier... Les bestioles filaient comme des flè ches... Alors, c’é tait aussi le moment que je dé merde pour mon compte... C’é tait son signe de la descente!... Je peux dire que je trissais vinaigre... Il fallait faire du tragique pour ameuter les croquants!... qu’ils radinent tous aprè s le ballon... qu’ils nous aident vite à tout replier... l’é norme camelote en valdraque... à tout rembarquer à la gare... à pousser la charge sur le palan... C’é tait pas fini! Le mieux qu’on avait dé couvert pour qu’ils se barrent pas tous à la fois... qu’ils se manient encore pour nous autres, qu’ils accourent à la suite en foule, c’é tait de leur jouer la catastrophe... Ç a prenait presque à coup sû r... Autrement nous é tions roustis... pour qu’ils s’y colletinent au boulot, il aurait fallu qu’on les douille... Du coup, on s’y retrouvait plus!... C’é tait à prendre ou à laisser...

Je poussais des gueulements farouches! Je me dé sossais comme un putois! Je me pré cipitais à toutes pompes à travers des fondriè res dans la direction de la chute... J’entendais son bugle... « Au feu!... Au feu!... que je hurlais... Regardez! Regardez! les flammes!... Il va foutre le feu partout! Il y en a par-dessus les arbres!... » Alors, la horde s’é branlait... Ils radinaient à la charge... Ils fonç aient à ma poursuite! Dè s que Courtial m’apercevait avec la meute des manants, il tirait sur toutes les soupapes... Il é ventrait toute la boutique du haut jusqu’en bas!... Le truc s’effondrait dans les loques... Il s’affalait dans la mouscaille, perclus, flapi! foirante là baudruche!... Courtial giclait du panier... Il rebondissait sur ses panards... Il soufflait encore un coup de bugle pour le ralliement... Et il recommenç ait un discours! Les pé quenouzes ils é taient hanté s par la frousse que le truc prenne feu, qu’il aille incendier les meules... Ils s’é crasaient sur le bazar pour empê cher qu’il bouffonne... Ils m’empilaient tout ç a en tas... Mais ç a faisait une trè s moche é pave!... tellement qu’il s’é tait arraché aprè s toutes les branches... Il avait perdu tant d’é toffe, des lambeaux tragiques... Il ramenait des buissons entiers... entre sa baudruche et le filet... Les sauveteurs ravis, comblé s, tré pignants dans les é motions, arrimaient Courtial en hé ros sur leurs robustes é paules... Ils l’emportaient en triomphe... Ils partaient le fê ter au « dé bit »... et jusqu’à plus soif! Moi, il me restait toute la corvé e, le plus sale dé gueulasse afur... Extirper des fondriè res tout notre bastringue avant la nuit... de la glè be et des sillons... Ré cupé rer tous nos agrè s, les ancres, les poulies, les chaî nes, toute la quincaille en vadrouille... Le guiderope, ses deux kilomè tres... le loch, les taquets, semé s au hasard, dans les avoines et les pâ tures, le baromè tre, et la « pression ané roï de »... une petite boî te en maroquin... les nickels qui sont si coû teux... Un vrai pic-nic moi que je dis!... Apaiser par la gaudriole, les promesses et mille calembours, les pires croquants ré pulsifs... Leur faire en plus bagotter à coups de facé ties graveleuses, en termes absolument gratuits, toute cette engeance é puisante, ces sept cents kilos de falbalas! L’enveloppe dé chiqueté e en liquette, les restants de l’affreux catafalque! Balancer toute cette carambouille dans le tout dernier fourgon, juste au moment que le train dé marre! Merde! Il faut bien expliquer! C’é tait pas un petit tour de force! Quand je rejoignais enfin Courtial par l’enfilade des couloirs, le train dé jà bien en route, je le retrouvais dans les troisiè mes, mon numé ro! Absolument tranquillisé, prolixe, crâ neur, explicatif, fournissant à l’auditoire toute une brillante dé monstration... Les conclusions de l’aventure!... Tout galanterie envers la brune vis-à -vis... soucieux des oreilles enfantines... ré primant la verte allusion... mais badin, piquant tout de mê me... é mé ché d’ailleurs, jouant de la mé daille et du torse... Il picolait encore la vache! La bonne humeur! la ré galade! le coup de rouquin gé né ral! Tous gobelet en main... Il se tapait la cloche en tartines... Plus besoin de s’en faire... Il demandait pas de mes nouvelles!... Je l’avais sec... J’aime autant le dire!... Je la lui coupais la gaudriole!

« Ah! C’est toi, Ferdinand? C’est toi?...

— Oui, mon cher Jules Verne!...

— Assois-toi là, mon petit! Raconte-moi vite!... Mon secré taire... Mon secré taire!... »

Il me pré sentait...

« Alors dis-moi donc, ç a va là -bas au fourgon?... Tu as tout arrangé ?... Tu es content?... »

Je faisais fort nettement la gueule, j’é tais pas content... Je mouffetais rien...

« Ç a ne va pas alors?... Y a quelque chose?...

— C’est la derniè re fois!... que je disais comme ç a, extrê mement ré solu... tout à fait sec et concis...

— Comment? Pourquoi la derniè re fois? Tu plaisantes? À cause de... ?

— Elle est plus du tout ré parable... Et je ne plaisante pas du tout!... »

Il tombait un vrai silence... C’é tait fini les effets et la mortadelle. On entendait bien les roues... tous les craquements... la lanterne qui branlait là -haut dans son verre... Il essayait de voir ce que je pensais dans la petite lumiè re... Si je rigolais pas un peu. Mais je tiquais pas d’un œ il!... Je restais extrê mement sé rieux... Je tenais à mes conclusions...

« Tu crois alors, Ferdinand? Tu n’exagè res pas?...

— Du moment que je vous le dis!... Je le sais bien quand mê me... »

J’é tais devenu expert en trous... Je souffrais plus la contradiction... Il se renfrognait dans son coin... C’é tait fini la confé rence!... On se reparlait plus...

Tous les autres, sur leurs banquettes, ils se demandaient ce qui arrivait... Ba da dam! Ba da dam! comme ç a d’un cahot sur l’autre. Et puis la goutte d’huile qui tombe d’en haut du lampion... Toutes les tê tes qui hochent... qui s’affaissent.

S’il existe un truc au monde, dont on ne doit jamais s’occuper qu’avec une extrê me mé fiance, c’est bien du mouvement perpé tuel!... On est sû r d’y laisser des plumes...

Les inventeurs, dans leur ensemble, ç a peut se ré partir par marotte... Y en a des espè ces entiè res qui sont presque inoffensives... Les passionné s des « Effluves », les « telluriques » par exemple, les « centripè tes »... C’est des garç ons fort maniables, ils vous dé jeuneraient dans la main... dans le creux... Les petits trouvailleurs mé nagers c’est pas une race trè s dure non plus... Et puis tous les « râ pe-gruyè re »... Les « marmites sino-finlandaises », les cuillers à « double manche »... enfin tout ce qui sert en cuisine... C’est des types qui aiment bien la tambouille... C’est des bons vivants... Les perfectionneurs du « mé tro »?... Ah! il faut dé jà faire gaffe! Mais les tout à fait sinoques, les vé ritables dé chaî né s, les travailleurs au vitriol, viennent presque eux tous du « Perpé tuel »... Ceux-là, ils sont ré solus à n’importe quoi, pour vous prouver la dé couverte!... Ils vous retourneraient la peau du bide, si vous é mettiez un petit doute... c’est pas des gens pour taquiner...

J’ai connu comme ç a, chez Courtial, un garç on de bains-douches, qu’é tait fanatique... Il parlait que de son « pendule » et jamais encore qu’à voix basse... avec le meurtre dans les yeux... On avait aussi la visite d’un substitut de procureur en province... Il venait exprè s du Sud-Ouest pour nous apporter son cylindre... un tube é norme en é bonite, qu’avait une soupape centrifuge, et un dé marreur é lectrique... Dans la rue c’é tait facile à le repé rer, mê me de trè s loin, il marchait jamais que de biais, comme un vé ritable crabe, le long des boutiques... Il neutralisait ainsi les attirances de Mercure et puis les effluves du Soleil, les « ioniques » qui traversent les nuages... Il quittait jamais non plus son é norme foulard autour des é paules, ni jour, ni nuit, en amiante tressé fil et soie... Ç a c’é tait son dé tecteur d’ondes... S’il entrait dans l’ « interfé rence »... Immé diatement, il frissonnait... des bulles lui sortaient des narines...

Courtial il les connaissait tous et depuis une paye!... Il savait à quoi s’en tenir... Il en tutoyait un grand nombre. On s’en dé pê trait pas trop mal... Mais un jour l’idé e lui est venue de monter avec eux le « Concours »!... C’é tait vraiment alors folie! Tout de suite j’ai poussé le cri d’alarme!... Je l’ai hurlé immé diatement... Tout! mais pas ç a!... Aucun moyen de le retenir!... Il avait trè s besoin de pognon et puis de liquide immé diat... C’é tait tout à fait ré el qu’on é prouvait un mal affreux à finir nos mois... qu’on devait dé jà au moins six numé ros du Gé nitron, à Taponier, l’imprimeur... On avait donc bien des excuses... Les ascensions, d’autre part, ne rendaient plus comme avant... Dé jà les aé roplanes nous faisaient un tort terrible... Dé jà en 1910, les pé quenots ils s’agitaient... Ils voulaient voir des avions... Nous pourtant, on correspondait é perdument... pour ainsi dire sans relâ che... On se dé fendait pied à pied... On relanç ait tous les bouseux... Et les archevê ques... Et les Pré fectures... Et les dames des Postes... et les pharmaciens... les Expositions horticoles... Rien qu’au printemps 1909, nous avons fait imprimer plus de dix mille circulaires... On se dé fendait donc à outrance... Mais aussi, faut dire que Courtial il rejouait aux courses. Il é tait retourné aux « É meutes »... Il avait dû ré gler Naguè re... Enfin toujours, ils se recausaient... je les avais bien vus... Il avait gagné comme ç a, mon dabe, en une seule sé ance, à Enghien, d’un coup six cents francs sur « Carotte » et puis encore sur « Cé limè ne » deux cent cinquante à Chantilly... Ç a l’avait grisé... Il allait risquer davantage...

Le lendemain matin, il m’arrive comme ç a tout chaud dans la boutique... Il m’attaque d’autor...

« Ah! dis donc Ferdinand! La veine! La voilà ! C’est la veine!... Voici!... Tu m’entends, dix ans, dix anné es!... que je trinque presque sans arrê t!... Ç a suffit!... J’ai la main!... Je la laisse plus tomber!... Regarde!... » Il me montre le Croquignol un nouveau canard des courses qu’il avait dé jà tout biffé... en bleu, rouge, vert, jaune! Je lui ré ponds moi aussitô t...

« Attention, M. des Pereires! Nous sommes dé jà le 24 du mois... Nous avons quatorze francs en caisse!... Taponier est bien gentil... assez patient, il faut le dire, mais enfin quand mê me, il veut plus livrer notre cancan!... J’aime autant vous pré venir tout de suite! Ç a fait trois mois qu’il m’engueule chaque fois que j’arrive rue Rambuteau... C’est plus moi qu’irai le relancer! mê me avec la voiture à bras!

— Fous-moi la paix Ferdinand! Fous-moi la paix... Tu m’obsè des! Tu me dé primes avec tes ragots... Tes sordidité s... Je sens! Je sens! Demain, nous serons sortis d’affaire!... Je ne peux plus perdre une minute dans les ergotages! Retourne dire à ce Taponier... De ma part tu m’entends bien! De ma part cette fois... Ce salaud-là, quand j’y repense! Il est gras à ma santé !... Ç a fait vingt ans que je le nourris! Il s’est constitué une fortune! Gonflé ! Plusieurs! Colossales! avec mon journal!... Je veux faire encore quelque chose pour ce saligaud! Dis-lui! Tu m’entends! Dis-lui! Qu’il peut miser toute son usine, toute sa bricole, son attirail! son mé nage! la dot de sa fille! sa nouvelle automobile! tout! son assurance! sa police! qu’il ne laisse rien à la traî ne! la bicyclette de son fils! Tout! retiens bien! Tout! sur “ Bragamance ” gagnant... je dis “ gagnant ”! pas “ placé ”! dans la “ troisiè me ”! Maisons, jeudi!... Voilà ! C’est comme ç a mon enfant!... Je le vois le poteau! et 1800 francs pour cent sous! Tu m’entends exactement 1887... En fouille!... Retiens bien! Avec ce qui me reste sur l’autre “ report ”... ç a nous fera pour tous les deux! 53 498 francs! Voilà ! net!... Bragamance!... Maisons!... Bragamance!... Maisons!... »

Il a continué à causer... Il entendait pas mes ré ponses... Il est reparti par le couloir... C’é tait devenu un somnambule...

Le lendemain, je l’ai attendu tout l’aprè s-midi... qu’il arrive... qu’il vienne un peu avec les cinquante-trois sacs... Il é tait passé cinq heures... Le voilà enfin qui s’amè ne... Je le vois qui traverse le jardin... Il regarde personne dans la boutique... Il vient vers moi directement... Il m’attrape par les é paules... Il me serre dans ses bras... Il bluffe plus... Il sanglote... « Ferdinand! Ferdinand! Je suis un infect misé rable! Un abominable gredin... Tu peux parler d’infamie!... J’ai tout perdu Ferdinand! Tout notre mois, le mien! le tien! mes dettes! les tiennes! le gaz! tout!... Je dois encore la mise à Naguè re!... Au relieur, je lui dois dix-huit cents francs... À la concierge du thé â tre, j’ai emprunté encore trente balles... Je dois encore en plus cent francs au garde-barriè re de Montretout!... Je vais le rencontrer ce soir!... Tu vois dans quelle tourbe je m’enfonce!... Ah! Ferdinand! Tu as raison! Je croule dans ma fange!... »

Il s’effondrait plus encore... Il se martyrisait... Il faisait... refaisait son total... Combien qu’il devait au fond?... Y en avait toujours davantage... Il s’en trouvait tellement des dettes, que je crois qu’il en inventait... Il a cherché un crayon... Il allait tout recommencer... Je l’ai empê ché ré solument... Je lui ai fait alors comme ç a:

« Voyons! Voyons monsieur Courtial! vous pouvez pas rester tranquille? À quoi que ç a ressemble?... Si il revient des clients! de quoi alors on aura l’air? Il faut vous reposer plutô t!...

— Ferdinand! comme tu as raison!... Tu parles plus sagement que ton maî tre! Ce vieillard putride! Un vent de folie Ferdinand! Un vent de folie!... »

Il se tenait la bouille à deux mains...

« C’est incroyable! C’est incroyable!... » Aprè s un moment de prostration, il est allé ouvrir la trappe... Il a disparu tout seul... Je la connaissais sa corrida!... C’é tait toujours le mê me nibé !... Quand il refaisait une sale connerie... aprè s l’é talage des salades, c’é tait le coup de la mé ditation... Mais pour la bectance mon ami! Fallait quand mê me que je trouve du bulle!... On me faisait du « cré do » nulle part!... ni le boulanger... ni la fruitiè re... Il comptait bien là -dessus, la vache, que je m’é tais fait une petite planque... Il s’é tait bien gouré quand mê me que je devais prendre mes pré cautions... Que moi j’é tais pas dans la lune!... C’est moi, qui tournais pré voyant... C’é tait moi le fin comptable!... Avec la raclure des tiroirs, moi, j’ai tenu encore tout un mois... Et je nous ai fait bouffer pas mal... Et pas de la cropinette au sel!... de la vraie barbaque premiè re!... de la frite à discré tion... et la confiture « pur sucre »... Voilà comme j’é tais.

Il voulait pas taper sa femme... Elle savait rien à Montretout.

L’oncle É douard qui revenait de Province, qu’on avait pas vu depuis longtemps, il est passé un samedi soir... Il est venu me donner des nouvelles de mes parents, de la maison... Ç a continuait leur malchance!... Mon pè re, malgré tous ses efforts, il avait pas pu partir de la Coccinelle... C’é tait pourtant son seul espoir... À la Connivence Incendie mê me en tapant bien la machine ils en avaient pas voulu... Ils le trouvaient dé jà trop vieux pour un emploi subalterne... et puis d’allure bien trop timide pour un emploi prè s du public... Donc il avait fallu qu’il y renonce... qu’il se cramponne à son burlingue... qu’il fasse bonne figure à Lempreinte... C’é tait un coup abominable... Il en dormait plus du tout.

Le baron Mé faize, le chef du « Contentieux-vie » il avait eu vent de ces dé marches... Il l’avait depuis toujours en exé cration, mon pè re, il le tourmentait sans arrê t... Il lui faisait remonter tout exprè s les cinq é tages sur la cour pour lui ré pé ter une fois de plus combien il le trouvait imbé cile... qu’il se trompait dans toutes les adresses... C’é tait d’ailleurs tout à fait faux...

L’oncle É douard, tout en me causant... il se demandait... il pensait peut-ê tre... que ç a ferait plaisir à mes vieux de me revoir un petit moment... Qu’on se raccommode avec mon pè re... Qu’il avait eu assez de malheur... qu’il avait bien assez souffert... Ç a partait d’un bon naturel... Seulement rien qu’à la pensé e, il me remontait dé jà du fiel... J’avais tous les glaires dans la gueule... J’é tais plus bon pour les essais!...

« Ç a va! Ç a va! Ç a va mon oncle!... J’ai la pitié ! J’ai tout ç a... Seulement si je revenais au Passage... moi je peux bien te l’avouer tout de suite... J’y tiendrais pas dix minutes!... Je fouterais le feu à toute la crè che!... »

Pour les essais y avait plus mè che!...

« Bon! Bon! C’est bien qu’il a dit. Je vois ce que tu penses!... »

Il m’a pas fait d’autres allusions... Il a dû tout leur ré pé ter... Enfin nous en causâ mes plus... de ce retour à la famille.

Avec Courtial, c’est entendu... c’é tait un fait bien indé niable... c’é tait à longueur de journé e une sacré e pagaye... et une entourloupe continuelle... Il me faisait des tours effroyables... et faux comme trente-six cochons. Seulement le soir j’é tais tranquille... Une fois qu’il é tait trissé je faisais ce que je voulais... Je tirais mes plans à ma guise!... Jusqu’à dix heures du matin où il revenait de Montretout... c’é tait moi quand mê me le patron... Ç a c’est joliment appré ciable! Une fois nourris mes pigeons j’é tais absolument libre... Je me grattais toujours un petit plâ tre sur les reventes au public... Les Gé nitron de « retour » c’é tait un micmac... une partie c’é tait pour mezig... il m’en restait dans les ongles... et sur les ascensions aussi... Ç a n’a jamais dé passé la somme de quatre à cinq thunes... mais pour moi, en argent de poche, c’é tait du Pé rou!...



  

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