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Note sur l’édition numérique. 30 страница



Il se mettait franchement en colè re, comme quelqu’un qu’est bien dans son tort...

Les petits ouvrages à Courtial é taient traduits en bien des langues, on en vendait jusqu’en Afrique. L’un de ses correspondants é tait absolument nè gre, c’é tait le chef d’un Sultanat en Haut Oubangui-Chari-Tchad. Il se passionnait ce garç on pour les ascenseurs en tous genres. C’é tait son rê ve, sa manie!... On lui avait fait parvenir toute la documentation... Il en avait jamais vu en ré alité. Courtial avait publié vers 1893 un vé ritable traité De la Traction Verticale. Il connaissait tous les dé tails, les multiples applications, hydrauliques, balistiques, « l’é lectro-ré cupé rative »... C’é tait un ouvrage de valeur, absolument irré futable, mais pourtant qui ne constituait dans l’ensemble de son œ uvre qu’un modeste et frê le apport. Son savoir, c’é tait bien simple, embrassait tous les domaines.

Les officiels le boudaient, le traitaient par-dessous la jambe, mais il é tait bien difficile, mê me au plus ranci des cuistres, de se passer de ses manuels. Dans un grand nombre d’é coles, ils figuraient en plein programme. On ne pouvait rê ver plus commode, plus simple, plus assimilable, c’é tait du tout cuit! Ç a se retenait, ç a s’oubliait, sans fatigue aucune. On calculait grosso modo comme ç a en causant, pour ne parler que de la France, qu’une famille au moins sur quatre possé dait dans son armoire une Astronomie des Familles, une Economie sans Usure et la Fabrication des Ions... Une au moins sur douze sa Poé sie en couleurs, son Jardinier sur les Toits, L’É levage des poules au Foyer. Ceci pour ne mentionner que les applications pratiques... Mais il avait à son actif toute une autre sé rie d’ouvrages (en multiples livraisons) alors de vé ritables classiques! La Ré vé lation Hindoustane, L’Histoire des Voyages polaires de Maupertuis jusqu’à Charcot. Alors des masses considé rables! De quoi lire pour plusieurs hivers, plusieurs kilos de ré cits...

Tout le monde avait commenté, scruté, copié, plagié, dé marqué, bafoué, pillé son fameux Mé decin pour soi et le Ré el langage des Herbes et L’É lectricité sans ampoule !... Autant de brillants, aimables, dé finitifs assouplissements de sciences pourtant assez ardues, complexes en elles-mê mes, pé rilleuses, qui seraient demeuré es, sans Courtial, hors la porté e du grand public, c’est-à -dire crâ neuses, hermé tiques, et disons-le pour tout conclure, sans flatterie exagé ré e, à peu prè s inutilisables...

Peu à peu, à force de vivre avec Courtial dans la grande intimité, j’ai bien saisi sa nature... C’é tait pas extrê mement brillant tout à fait en dessous. Il é tait mê me assez carne, mesquin, envieux et sournois... Maintenant, demeurant é quitable, il faut bien admettre que c’é tait un terrible afur le boulot qu’il s’envoyait! de se dé merder comme un perdu, à longueur d’anné e, c’est exact, contre la bande des grands maniaques, les abonné s du Gé nitron...

Il passait des heures horribles, absolument ravagé es... dans un dé luge de conneries... Il fallait qu’il tienne quand mê me, qu’il se dé fende, qu’il renvoie les coups, qu’il emporte toutes les ré sistances, qu’il leur laisse la bonne impression, qu’ils s’en aillent tous assez heureux avec l’envie de revenir...

D’abord il a renâ clé, Courtial, pour me prendre à son service. Il y tenait pas... Il me trouvait un peu trop grand, un peu trop large, un peu costaud pour sa boutique. Dé jà on pouvait plus remuer, tellement c’é tait un fouillis... Et cependant j’é tais pas coû teux. On m’offrait au « pair », juste le logement, la nourriture... Mes parents é taient bien d’accord. Je n’avais pas besoin d’argent qu’ils ré pé taient à mon oncle... J’en ferais sû rement mauvais usage... Ce qu’é tait beaucoup plus essentiel, c’est que je retourne plus chez eux... C’é tait l’avis unanime de toute la famille, des voisins aussi et de toutes nos connaissances. Qu’on me donne à faire n’importe quoi! qu’on m’occupe à n’importe quel prix! n’importe où et n’importe comment! Mais qu’on me laisse pas dé sœ uvré ! et que je reste bien à distance. D’un jour à l’autre, de la faç on que je dé butais, je pouvais foutre le feu au « Passage »! C’é tait le sentiment gé né ral...

Y aurait bien eu le ré giment... Mon pè re il demandait pas mieux... Seulement j’avais toujours pas l’â ge... Il me manquait au moins dix-huit mois... Du coup, l’occasion des Pereires et son vaillant Gé nitron ç a tombait joliment à pic, c’é tait ré ellement une aubaine!...

Mais il a beaucoup hé sité, tergiversé le Courtial... Il a demandé à sa femme ce qu’elle en pensait! Elle a pas fait d’objection... Au fond, elle s’en fichait pas mal, elle venait jamais aux Galeries, elle restait à Montretout, dans son pavillon. Avant qu’il se dé cide, je suis retourné le voir tout seul au moins une dizaine de fois... Il parlait beaucoup d’abondance... toujours, et tout le temps... Moi, je savais trè s bien é couter... Mon pè re!... L’Angleterre!... J’avais é couté partout... Dè s lors, j’avais l’habitude!... Ç a ne me gê nait pas du tout! J’avais pas besoin de ré pondre. C’est comme ç a que je l’ai sé duit... En fermant ma gueule... Un soir, il m’a dit finalement:

« Voilà mon garç on! Je vous ai fait attendre pas mal, mais maintenant j’ai bien ré flé chi, vous allez rester chez moi! Je crois que nous pouvons nous entendre... Seulement, il ne faut rien me demander... Ah! non! pas un sol! Pas un pé lot! Ah! pas moyen! Ah! cela non! N’y comptez pas! N’y comptez jamais! J’ai dé jà un mal incroyable dans l’é tat capricieux des choses à joindre les deux bouts! à faire les frais du “ pé riodique ”, à tranquilliser l’imprimeur! je suis harcelé ! perclus! rendu! Vous m’entendez bien! On me qué mande nuit et jour! Et l’impré vu des cliché s? De nouvelles charges? À pré sent? N’y songeons pas!... Ce n’est point une industrie! Un né goce! Quelque fructueux monopole! Ah ç a mais non! Nous n’avons qu’un frê le esquif au vent de l’esprit!... Et que de tempê tes, mon ami, que de tempê tes!... Vous embarquez? Soit. Je vous accueille! Je vous prends! Soit! Montez à bord! Mais je vous le dis bien d’avance! Pas un doublon dans les cales! Rien dans les mains! Peu dans les poches! Point d’amertume! Point de rancœ ur!... Vous pré parerez le dé jeuner! Vous coucherez à l’entresol, j’y couchais moi-mê me autrefois... dans le bureau tunisien... Vous arrangerez votre sofa... L’on y demeure parfaitement... Vous y serez joliment tranquille! Ah! veinard!... Vous verrez un peu sur le soir! quel sé jour! Quel calme! Le Palais-Royal est à vous absolument tout entier à partir de neuf heures!... Vous serez heureux Ferdinand!... À pré sent, tenez! moi-mê me! qu’il pleuve, qu’il gronde, qu’il rafale! Il faut que je m’envoie Montretout! C’est une sujé tion infecte! Je suis attendu! Ah! je vous assure que c’est souvent abominable! Je suis excé dé au point de m’en projeter sous les roues quand je regarde la locomotive!... Ah! Je me retiens! C’est pour ma femme! Un peu aussi pour mes essais! Mon jardin radio-tellurique! Enfin! tout de mê me! J’ai rien à dire! Elle a beaucoup supporté ! Et elle est charmante quand mê me! Vous la verrez un de ces jours Mme des Pereires! Son jardin lui fait si plaisir!... C’est tout pour elle! Elle a pas grand-chose dans la vie! Ç a et puis son pavillon! Et puis un peu moi, tout de mê me! Je m’oublie! Ah! c’est drô le! Allons assez rigolé ! C’est conclu! C’est bien ainsi Ferdinand! Topez là ! En bon accord? D’homme à homme! Bien! Dans la journé e, vous ferez nos courses. Vous n’en manquerez pas! Mais n’ayez crainte, Ferdinand, je veux aussi vous entreprendre, vous guider, vous armer, vous é lever à la connaissance... Point de salaire! Certes! Soit! Nominal c’est-à -dire! Mais du spirituel! Ah! vous ne savez pas Ferdinand ce que vous allez gagner? Non! non! non! Vous me quitterez Ferdinand, un jour... forcé ment... » Sa voix devenait dé jà triste. « Vous me quitterez... Vous serez riche! Oui! riche! Je le dis!... »

Il m’en faisait ouvrir la gueule, je restais bé ant.

« Vous me comprenez, tout n’est pas dans un porte-monnaie!... Ferdinand! Non! Il n’y a rien dans un porte-monnaie! Rien!... »

C’é tait bien aussi mon avis...

« Et puis d’abord, songeons-y! Que je vous fasse d’abord un titre! Une raison d’ê tre! C’est capital dans nos affaires! Une pré sentation lé gitime l... Je vais vous mettre sur les papiers, sur tous les papiers! “ Secré taire du Maté riel. ” Hein? Ç a me paraî t des plus convenables... Ç a vous va? Pas pré tentieux?... Pas vague?... Ç a va? »

Ç a m’allait absolument... Tout m’allait... Mais le condé du maté riel c’é tait pas honoraire du tout... Ç a existait comme boulot!... Il m’a affranchi d’emblé e... C’est bien moi qui devais me taper toute la bagotte des livraisons avec la voiture à bras... Tout les va-et-vient de l’imprimeur... Et puis c’é tait moi encore le responsable pour les accrocs du grand sphé rique... c’est moi qui devais lui retrouver tous ses instruments à la traî ne, baromè tres, haubans, toutes les petites broutilles, toute la quincaille... C’est moi qui raccommodais les gnons et la grande enveloppe... C’est moi qui rafistolais avec un filin et la colle. C’est moi qui refaisais tous les nœ uds avec les câ bles, les cordelettes... les agrè s qui pé taient en route... Le Zé lé c’é tait un sphé rique infiniment vé né rable qui tenait une sacré e bouteille, mê me comme ç a au fond de la cave saupoudré dans la naphtaline... des asticots par myriades venaient se ré galer dans ses plis... Heureusement encore que les rats ils se dé goû taient du caoutchouc... y avait que des toutes petites souris qui croû taient la trame. Je lui ai cherché du Zé lé tous ses accrocs, ses moindres lacunes, je le ré parais en « fonds de culotte » « surjeté », « rebordé », « plissé », ç a dé pendait des fissures... Il foirait d’un peu partout, je le ravaudais des heures entiè res, ç a finissait par me passionner...

Dans le cagibi du gymnase, y avait tout de mê me un peu plus de place... Et puis il fallait pas qu’ils me voyent... les visiteurs de la boutique...

Un jour ou l’autre, c’é tait compris dans notre accord solennel, je devais aussi monter dans le truc, à l’altitude de trois cents mè tres... Un dimanche quelconque... Je serais le « second » aux ascensions... Je changerais alors de titre... Il me disait ç a, je suppose, pour que je reprise avec plus de soin... Il é tait extrê mement rusé dessous ses sourcils l’escogriffe!... Il me biglait de son petit œ il vicelard... Je le voyais venir, moi aussi... Il é tait bourreur comme pas deux!... Il me faisait « monter » à l’avance!... Enfin on bouffait assez bien dans l’arriè re-boutique... J’é tais pas trè s malheureux... Il fallait bien qu’il me possè de! Il aurait pas é té patron!

Pendant comme ç a que je trafiquais dans le fond de mes coutures, il venait me rencarder gé né ralement sur les quatre heures.

« Ferdinand! Je ferme le magasin... Si on vient... Si ils me demandent... tu ré pondras que je suis parti depuis cinq minutes, d’ailleurs je me dé pê che! Je serai revenu bientô t! »

J’ai su, à force, où il allait. Il cavalait aux « É meutes », le petit bar du Passage Villedo, au coin de la rue Radziwill pour les « ré sultats des courses »... C’é tait l’heure pré cise... Il m’en disait rien de trè s net... Mais je savais quand mê me... S’il avait gagné il sifflait un air de « Matchiche »... C’é tait pas souvent... S’il avait perdu... il bouffait sa chique, il crachait partout... Il vé rifiait sur Le Turf. Il le laissait traî ner dans les coins, son canard des pronostics. Il cochait ses « dadas » au bleu... C’est ç a le premier vice que j’y ai dé couvert.

S’il avait un peu tiqué pour m’introduire dans sa musique, c’é tait surtout à cause des « gayes »... Il avait peur que je bafouille... que je ré pè te aux alentours qu’il jouait à Vincennes... que ç a revienne aux abonné s. Il me l’a dit un peu plus tard... Il perdait é normé ment, il avait pas beaucoup de veine, martingale ou yeux fermé s, il revoyait rien de ses paris... Sur Maisons, Saint-Cloud, Chantilly... C’é tait toujours le mê me tabac... C’é tait un vé ritable gouffre... Tous les abonnements y passaient dans la fantasia!... Et le pè ze du sphé rique aussi il allait se noyer à Auteuil... Elle se beurrait, la race chevaline! Longchamp! La Porte! Arcueil-Cachan! Et youp! Et yop! Et youp! là là ! Caracole! Sautez muscade! Je voyais la caisse s’amincir, le mystè re é tait pas loin... Le petit flouze toujours en casaque! au trot! à la cloche! placé ! quart! gagnant! de n’importe quelle subtile maniè re!... Il rentrait jamais des é preuves! On se tapait des petits haricots pour douiller quand mê me l’imprimeur... Ma blanquette elle faisait la semaine, et on mangeait sur nos genoux avec une serviette, au fond du bureau... Je trouvais pas ç a risible au flanc!... Quand il avait pris la culotte il expliquait rien, il avouait jamais... Seulement, il devenait rancuneux, tatillonneux, agressif à mon é gard... Il abusait de sa force.

Aprè s deux mois à l’essai, il avait parfaitement saisi que je me plairais jamais ailleurs... Que le condé du Gé nitron c’é tait entiè rement pour mon blaze, que ç a me bottait exactement, qu’autre part dans un autre jus je serais toujours impossible... C’é tait é crit dans mon Destin... Quand des fois il avait gagné il remettait rien dans la caisse, il devenait encore plus sordide, on aurait dit qu’il se vengeait. Il aurait é trillé un sou... Sournois et menteur comme toujours, comme une douzaine de soutien-gorge... Il me racontait des tels bobards, que la nuit ç a m’en remontait... Je me les racontais à nouveau, tellement qu’ils é taient durailles! Crapules! Et pesants!... Ils me ré veillaient en sursaut. Ils é taient quelquefois trop fortiches, imaginé s de telle faç on, n’importe quoi... pour pas me banquer... Mais quand il rentrait de la Province, qu’il avait fait une sensation, qu’il avait bien ascendu... qu’ils l’avaient soufflé de compliments... que le Zé lé par exemple avait pas trop crevé sa toile... alors il lui survenait des bouffé es prodigues... Il se lanç ait dans la dé pense... Il nous ramenait des tas de boustife par la porte de l’arriè re-boutique... des paniers complets... Pendant huit jours on s’entonnait qu’on en pouvait plus mâ cher, à s’en pé ter les bretelles... Il fallait bien que j’en profite, aprè s ç a serait la disette!... ç a recommenç ait les ravigotes!... on rallongeait les marengos... aux cornichons... avec sardines... aux petits oignons... et puis aux environs du terme c’é tait strictement la panade avec ou sans les pommes de terre... Lui encore, il avait sa chance, il remangeait le soir à Montretout, avec sa daronne! Il maigrissait pas... moi c’é tait balle-peau!

Mais aussi, à force de ceintures, je me suis dessalé... toujours avec les « abonnements »... Question des finances y avait pas de rentré es ré guliè res... Rien que des « sorties »... Il se donnait un mal é norme pour sa comptabilité... Il devait la montrer à sa femme. Ce contrô le l’exaspé rait... Ç a le foutait en rogne infecte... Il transpirait pendant des heures... Rien que des queues et des zé ros...

Enfin, tout de mê me, y a un chapitre où il m’a jamais truqué, jamais dé ç u, jamais bluffé, jamais trahi mê me une seule fois! C’est pour mon é ducation, mon enseignement scientifique. Là, jamais il a flanché, jamais tiqué une seconde!... Jamais il a fait dé faut! Pourvu que je l’é coutasse, il é tait constamment heureux, ravi, comblé, satisfait... Toujours je l’ai connu prê t à me sacrifier une heure, deux heures, et davantage, parfois des journé es entiè res pour m’expliquer n’importe quoi... Tout ce qui peut se comprendre et se ré soudre, et s’assimiler, quant à l’orientation des vents, les cheminements de la lune, la force des calorifè res, la maturation des concombres et les reflets de l’arc-en-ciel... Oui! Il é tait vraiment possé dé par la passion didactique. Il aurait voulu m’enseigner toute la totalité des choses et puis aussi de temps à autre me jouer un beau tour de cochon! Il pouvait pas s’en empê cher! ni dans un cas ni dans l’autre! Je pensais bien moi, à tout ç a, dans l’arriè re-boutique tout en ré parant son bastringue... C’é tait sa nature fonciè re, c’é tait un homme qui se dé pensait... Il fallait qu’il se lance à bloc dans un sens ou bien dans l’autre, mais alors vraiment jusqu’au bout. Il é tait pas ennuyeux! Ah! ç a on pouvait pas dire! Ce qui me piquait la curiosité c’é tait d’un jour aller chez lui... Il me parlait souvent de sa daronne, mais jamais il me la montrait. Elle venait jamais au bureau, elle aimait pas le Gé nitron. Elle devait avoir ses motifs.

Quand ma mè re a é té bien sû re que j’é tais bien casé, que je partirais pas tout de suite, que j’avais un emploi stable chez ce des Pereires, elle est venue exprè s, elle-mê me, au Palais-Royal, m’apporter du linge... C’é tait un pré texte au fond... pour se rendre un peu compte... du genre et de l’aspect de la maison... Elle é tait curieuse comme une chouette, elle voulait tout voir, tout connaî tre... Comment il é tait le Gé nitron?... La faç on dont j’é tais logé ? Si je mangeais suffisamment?

De sa boutique jusque chez nous c’é tait pourtant pas trè s loin... À peine un quart d’heure à pied... En arrivant malgré ç a elle en râ lait de fatigue... Entiè rement sonné e qu’elle é tait... Je l’ai aperç ue à grande distance... du bout de la Galerie. Je causais avec un abonné. Elle s’appuyait sur les devantures, elle stationnait sans avoir l’air... Elle se reposait tous les vingt mè tres... Ç a faisait plus de trois mois dé jà qu’on s’é tait pas vus... Je l’ai trouvé e d’une extrê me maigreur et puis elle s’é tait comme bistré e, jaunie, froncé e des paupiè res et des joues, toute ridé e autour des yeux. Elle avait l’air vraiment malade... Une fois qu’elle m’a eu donné comme ç a mes chaussettes, mes caleç ons et mes grands mouchoirs, elle m’a tout de suite parlé de papa, sans que je lui aie rien demandé... Il s’en ressentirait pour la vie, qu’elle m’a aussitô t sangloté, des consé quences de mon attaque. Dé jà, on l’avait ramené deux fois en voiture du bureau... Il tenait plus en l’air... Il é tait tout le temps sujet à des dé faillances... Il lui faisait me dire qu’il me pardonnait volontiers, mais qu’il voulait plus me recauser... avant trè s longtemps d’ici... avant que je parte au ré giment... avant que j’aie changé tout à fait d’allure et de mentalité... avant que je revienne du service...

Courtial des Pereires, il rentrait juste de faire son tour, et probablement des « É meutes ». Il devait avoir peut-ê tre paumé un peu moins que d’habitude... Toujours est-il qu’il est devenu là, de but en blanc, extrê mement aimable, accueillant, amè ne au possible... « Enchanté de la voir »... Et à mon sujet? Rassurant! Il s’est mis tout de suite dans les frais pour sé duire ma mè re, il a voulu qu’elle monte en haut pour causer un peu avec lui... dans son bureau personnel... à l’entresol « tunisien »... Elle avait du mal pour le suivre... C’é tait un terrible tire-bouchon, surtout jonché des tas d’ordures et des paperasses qui dé rapaient. Il é tait extrê mement fier de son « bureau tunisien ». Il voulait le montrer à tout le monde... C’é tait un ensemble atterrant dans le style hyper-fouillasson, avec des cré dences « Alcazar »... On pouvait pas rê ver plus tarte... Et puis la cafetiè re mauresque... les poufs marocains, le tapis « torsades » si cré pu, emmagasinant lui tout seul la tonne solide de poussiè re... Jamais on n’avait rien tenté... Mê me une é bauche de nettoyage... D’ailleurs les amas d’imprimé s, les cascades, les monceaux d’é preuves, de plombs, de morasses à la traî ne, rendaient tout effort dé risoire... Et mê me il faut bien l’avouer, ç a pouvait devenir trè s dangereux... C’é tait un vé ritable risque de venir troubler l’é quilibre... Tout ç a devait rester tranquille, bouger en tout le moins possible... Le mieux encore, on se rendait compte, c’é tait de semer au hasard, au fur et à mesure, d’autres nouveaux papiers litiè res. Ç a donnait quand mê me un peu de fraî cheur en surface... et une sorte de coquetterie.

Je les entendais, qui se parlaient... Courtial lui dé clarait tout net, qu’il avait discerné chez moi des aptitudes trè s ré elles pour le genre de journalisme qui faisait fortune au Gé nitron... Le reportage!... L’enquê te technique!... la mise au point scientifique! La critique dé sinté ressé e... que j’arriverais sans aucun doute... qu’elle pouvait s’en retourner tranquille et dormir sur ses deux oreilles... que l’avenir me souriait dé jà... qu’il m’appartiendrait entiè rement aussitô t que j’aurais acquis toutes les connaissances essentielles. C’é tait une question de simple routine et de patience... Il m’inculquerait à mesure tout ce dont j’aurais besoin... Mais tout cela peu à peu!... Ah! Oh! il é tait l’ennemi des hâ tes! Des pré cipitations sottes!... Il ne fallait rien brusquer! Rien vouloir dé clencher trop vite! L’idiot bousillage! Je manifestais d’ailleurs, toujours d’aprè s ses ragots, un trè s vif dé sir de m’instruire!... En plus, je devenais adroit. Je m’acquittais parfaitement des petites tâ ches qui m’incombaient... Je m’en tirais à mon honneur... Je deviendrais malin comme un singe! Empressé ! Futé ! Laborieux! Discret! Enfin la tarte à la crè me! Il arrê tait plus... C’é tait la premiè re fois de sa vie à ma pauvre mè re qu’elle entendait parler de son fils en des termes aussi é logieux... Elle en revenait pas... À la fin de cet entretien, au moment de se sé parer, il a tenu à ce qu’elle emporte tout un carnet d’ « abonnements » qu’elle pourrait sans doute bien placer au hasard de ses relations... et de ses rencontres... Elle a promis tout ce qu’il voulait. Elle le regardait tout é berlué e... Courtial, il ne portait pas de chemise, seulement son plastron vernis par-dessus son gilet de flanelle, mais celui-ci dé passait toujours du faux col largement, il le prenait de trè s grande taille, ç a formait en somme collerette et bien sû r tout à fait crasseuse... L’hiver il s’en mettait deux l’un par-dessus l’autre... L’é té, mê me pendant les chaleurs, il gardait la grande redingote, le col laqué un peu plus bas, pas de chaussettes, et il sortait son canotier. Il en prenait un soin extrê me... C’é tait un exemplaire unique, un vé ritable chef-d’œ uvre, dans le genre sombrero, un cadeau d’Amé rique du Sud, une trame rarissime! Impossible à ré assortir... C’est simple, ç a n’avait pas de prix!... Du premier juin au quinze septembre, il le gardait sur sa tê te. Il ne l’ô tait presque jamais. Il fallait un pré texte terrible, il é tait sû r qu’on le lui volerait!... Le dimanche ainsi, au moment des ascensions c’é tait sa plus vive inquié tude... Il é tait bien forcé quand mê me de me l’é changer pour sa casquette, la haute à galons. Ç a faisait partie de l'uniforme... Il me le confiait à moi le tré sor... Mais aussitô t qu’il retouchait terre, à peine qu’il avait boulé, en lapin, en pleine mouscaille, rebondi sur les sillons, c’é tait vraiment son premier cri: « Hé mon panama! Ferdinand! Mon panama! Nom de Dieu!... »

Ma mè re a tout de suite remarqué l’é paisseur du gilet de flanelle et la finesse du beau chapeau... Il lui a fait tâ ter la tresse pour qu’elle se rende compte... Elle est demeuré e admirative un bon moment à faire: « Oh! Ttt! Oh! Ttt! »... « Ah! Monsieur! ç a je le vois bien! C’est une paille comme on en fait plus »... qu’elle s’est extasié e!...

Tout ceci à ma bonne maman ç a lui redonnait de la confiance... lui semblait d’excellent augure... Elle aimait particuliè rement les gilets de flanelle. C’é tait une preuve de sé rieux qui l’avait jamais trompé e... Aprè s les « au revoir » attendris elle s’est remise peu à peu en route... Je crois que pour la premiè re fois de son existence et de la mienne elle se trouvait un peu moins inquiè te quant à mon avenir et mon sort.

C’é tait parfaitement exact que je me donnais au boulot!... J’avais pas de quoi me les rouler... du matin au soir... En plus des « cargos » d’imprimeries, j’avais le Zé lé à la cave, les infinis rafistolages et puis encore nos pigeons dont il fallait que je m’occupe deux, trois fois par jour... Ils restaient ces petits animaux, à longueur de semaine, dans la chambre de bonne, au sixiè me, sous les lambris... Ils roucoulaient é perdument... Ils s’en faisaient pas une seconde. C’é tait le dimanche leur travail, pour les ascensions, on les emmenait dans un panier... Courtial soulevait leur couvercle à deux ou trois cents mè tres... C’é tait le « lâ cher » fameux... avec des « messages »!... Ils rentraient tous à tire-d’aile... Direction: le Palais-Royal!... On leur laissait la fenê tre ouverte... Ils flâ naient jamais en route, ils aimaient pas la campagne, ni les grandes vadrouilles... Ils revenaient automatique... Ils aimaient beaucoup leur grenier et « Rrou!... et Rrou!... Rrouu!... Rrouu!... » Ils en demandaient pas davantage. Ç a ne cessait jamais... Toujours ils é taient rentré s bien avant nous autres. Jamais j’ai connu pigeons aussi peu fervents des voyages, si amoureux d’ê tre tranquilles... Je leur laissais pourtant tout ouvert... Jamais l’idé e leur serait venue d’aller faire un tour au jardin... d’aller voir un peu les autres piafs... Les autres gros gris roucoulards qui batifolent sur les pelouses... autour des bassins... un peu les statues! sur Desmoulins!... sur le Totor!... qui lui faisaient des beaux maquillages!... Rien du tout! Ils frayaient tout juste entre eux... Ils se trouvaient bien dans leur soupente, ils bougeaient que contraints, forcé s, tassé s en vrac dans leur cageot... Ils coû taient quand mê me assez cher, à cause de la graine... Il en faut des quantité s, ç a brû le beaucoup les pigeons... C’est vorace! on dirait pas! À cause de leur tempé rature tout à fait é levé e normalement, quarante-deux degré s plus quelques dixiè mes... Je ramassais soigneusement la crotte... J’en faisais plusieurs petits tas tout le long du mur et puis je laissais tout sé cher... Ç a nous dé dommageait quand mê me sur leur nourriture... C’é tait un engrais excellent... Quand j’en avais plein un sac, à peu prè s deux fois par mois, alors Courtial l’emportait, ç a lui servait pour ses cultures... À Montretout sur la colline. Il avait là sa belle maison et puis son grand jardin d’essais... y avait pas un meilleur ferment...



  

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