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Note sur l’édition numérique. 29 страница



Tout ceci lui valut bien sû r de trè s terribles jalousies, des haines sans quartier, des rancunes coriaces... Mais on le trouvait insensible à ces contingences falotes.

Aucune ré volution technique, tant qu’il tint la plume au journal, ne fut dé claré e valable, ni mê me viable, avant qu’il l’ait reconnue telle, amplement avalisé e dans les colonnes du Gé nitron. Ceci donne une petite idé e de son autorité ré elle. Il fallait en somme qu’il dote chaque invention capitale de son commentaire dé cisif... Il leur donnait pour mieux dire « l’Autorisation »! C’é tait à prendre ou à laisser. Si Courtial dé clarait comme ç a dans sa premiè re page que l’idé e n’é tait pas recevable! Holà ! Holà ! funambulesque! hé té roclite! qu’elle pé chait salement par la base... la cause é tait entendue! Ce fourbi ne s’en relevait pas!... Le projet tombait dans la flotte. S’il se dé clarait au contraire absolument favorable... l’engouement ne tardait guè re... Tous les souscripteurs radinaient...

Dans son magasin-bureau, sur la perspective des jardins, tout à l’abri des Arcades, Courtial des Pereires, ainsi, grâ ce à ses deux cent vingt manuels entiè rement originaux, ré pandus à travers le monde, grâ ce au Gé nitron pé riodique, participait pé remptoirement et d’une faç on incomparable au mouvement des sciences appliqué es. Il commandait, aiguillait, dé cuplait les innovations nationales, europé ennes, universelles, toute la grande fermentation des petits inventeurs « agré gé s »!...

Bien sû r, ç a ne marchait pas tout seul, il devait attaquer, se dé fendre, parer aux tours de cochon. Il magnifiait, é crasait, impré visiblement d’ailleurs, par la parole, la plume, le manifeste, la confidence. Il avait un jour, entre autres, c’é tait à Toulon vers 1891, provoqué un dé but d’é meute par une sé rie de causeries sur « l’orientation tellurique et la mé moire des hirondelles »... Il excellait, c’est un fait, dans le ré sumé, l’article, la confé rence, en prose, en vers et quelquefois, pour intriguer, en calembours... « Tout pour l’instruction des familles et l’é ducation des masses », telle é tait la grande devise de toutes ses activité s.

Gé nitron, Polé miques, Inventions, Sphé rique, c’é tait la gamme de ses mobiles, d’ailleurs chez lui inscrits partout sur tous les murs de ses bureaux... au frontispice, à la devanture... on ne pouvait pas s’é garer! Les plus ré centes, les plus complexes emberlificoté es controverses, les plus ardues, les plus subtilement astucieuses thé ories, physiques, chimiques, é lectrothermiques ou d’hygiè ne agricole, se rendaient, se ratatinaient comme des chenilles au commandement de Courtial sans plus tortiller davantage... Il les sonnait, les dé gonflait en moins de deux... On leur voyait immé diatement le squelette, la trame... C’é tait un esprit Rayons X... Il ne lui fallait qu’une heure d’efforts et de furieuse application pour retaper une fois pour toutes les plus pires enculaillages, les plus pré tentieuses quadratures à l’alignement du Gé nitron, à la comprenette si hostile des plus calamiteux connards, du plus confus des abonné s. C’é tait un boulot magique qu’il enlevait superbement, la synthè se explicative, pé remptoire, irré cusable, des pires hypothè ses saugrenues, les plus ergoteuses alambiqué es, insubstantielles... Il aurait fait par conviction passer toute la foudre entiè re dans le petit trou d’une aiguille, l’aurait fait jouer sur un briquet, le tonnerre dans un mirliton. Telle é tait sa destiné e, son entraî nement, sa cadence, de mettre l’univers en bouteille, de l’enfermer par un bouchon et puis tout raconter aux foules... Pourquoi! et comment!... Moi-mê me j’é tais effrayé plus tard, vivant avec lui, de ce que j’arrivais à saisir dans une journé e de vingt-quatre heures... rien que par bribes et allusions... Pour Courtial rien n’é tait obscur, d’un cô té y avait la matiè re toujours fainé ante et barbaresque et de l’autre y avait l’esprit pour comprendre entre les lignes... Le Gé nitron invention, trouvaille, fé condité, lumiè re!... C’é tait le sous-titre du journal. On travaillait chez Courtial sous le titre du grand Flammarion, son portrait dé dicacé tenait le milieu de la vitrine, on l’invoquait comme le Bon Dieu, dè s la moindre contestation, pour un oui, pour un non! C’é tait le suprê me recours, la providence, le haricot, on ne jurait que par le Maî tre et un peu aussi par Raspail. Courtial avait consacré douze manuels rien qu’aux synthè ses explicites des dé couvertes d’Astronomie et quatre manuels seulement au gé nial Raspail, aux gué risons « naturalistes ».

Ce fut une fameuse bonne idé e, qu’eut en somme un jour l’oncle É douard, de se rendre lui-mê me au Gé nitron pour tâ ter un peu le terrain au sujet d’un petit emploi. Il avait un autre motif, il venait aussi le consulter à propos de sa pompe à vé lo... Il connaissait des Pereires depuis fort longtemps, depuis la publication de son soixante-douziè me manuel, celui parmi tous les autres, qu’é tait encore le plus lu, le plus ré pandu dans le monde, celui qui avait le plus valu pour sa gloire, sa belle cé lé brité : L’é quipement d’une bicyclette, ses accessoires, ses nickels, sous tous les climats de la terre, pour la somme globale de dix-sept francs quatre-vingt-quinze. L’opuscule « manufacteur » au moment dont je parle en é tait chez Berdouillon et Mallarmé, les é diteurs spé cialistes, quai des Augustins, à sa trois centiè me é dition!... La faveur, l’engouement universels suscité s dè s la parution par cet infime, trivial ouvrage peuvent à pré sent de nos jours difficilement s’imaginer... Toutefois « L’É quipement des Vé los » par Courtial Marin des Pereires repré senta vers 1900, pour le cycliste né ophyte, une sorte de caté chisme, un « chevet », la « Somme »... Courtial savait faire d’ailleurs et d’une maniè re fort pertinente toute sa critique personnelle. Il ne se grisait pas pour si peu! Sa cé lé brité croissante lui valut, é videmment, un courrier toujours plus massif, d’autres visites, d’autres importuns plus tenaces, des corvé es nouvelles, des polé miques plus acides... Bien peu de joies!... On venait de consulter de Greenwich et de Valparaiso, de Colombo, de Blankenberghe, sur les variables problè mes de la selle « incidente » ou « souple »? sur le surmenage des billes?... sur la graisse dans les parties portantes?... le meilleur dosage hydrique pour inoxyder les guidons... Gloire pour gloire, il ne pouvait pas beaucoup renifler celle qui lui venait de la bicyclette. Il avait depuis trente ans, ainsi ré pandant par le monde la semence de ses opuscules, ré digé bien d’autres manuels et des vraiment plus flatteurs et des synthè ses explicatives de haute valeur et d’envergure... Il avait en somme en cours de carriè re expliqué à peu prè s tout... Les plus hautaines, les plus complexes thé ories, les pires imaginations de la physique, chimie, des « radios-polarites » naissantes... La photographie sidé rale... Tout y avait passé peu ou prou à force d’en é crire. Il é prouvait pour cela mê me une trè s grande dé sillusion, une vé ritable mé lancolie, une surprise bien dé primante, à se voir comme ç a pré fé ré, encensé, glorieux, pour des propos de chambre à air et des astuces de « pignons doubles »!... Personnellement, pour commencer, il avait horreur du vé lo... Jamais il avait appris, jamais il é tait monté dessus... Et question de mé canique c’é tait encore pire... Jamais il aurait pu dé monter seulement une roue, mê me la chaî ne!... Il ne savait rien foutre de ses mains à part la barre fixe et le trapè ze... Il é tait des plus malhabiles, comme trente-six cochons ré ellement... Pour enfoncer un clou de travers il se dé glinguait au moins deux ongles, il se flanquait tout le pouce en bouillie, ç a devenait tout de suite un carnage dè s qu’il touchait un marteau. Je parle pas des tenailles, bien sû r, il aurait arraché le pan de mur... le plafond... la crè che entiè re... Il restait plus rien autour... Il avait pas un sou de patience, son esprit allait bien trop vite, trop loin, trop intense et profond... Dè s que la matiè re lui ré sistait, il se payait une é pilepsie... Ç a se terminait en marmelade... C’est seulement par la thé orie qu’il arrangeait bien les problè mes... Question de la pratique, par lui-mê me, il savait juste faire les haltè res et seulement dans l’arriè re-boutique... et puis en plus le dimanche escalader la nacelle et commander son « Lâ chez tout »... et se recevoir plus tard en « boule »... Si il se mê lait de bricoler comme ç a de ses propres doigts, ç a finissait comme un dé sastre. Dè s qu’il bougeait un objet, il le foutait tout de suite par terre, en bas, à l’envers, ou bien il se le projetait dans l’œ il... On peut pas ê tre excellent dans n’importe quoi! Il faut bien se faire une raison... Mais dans l’immense choix de ses œ uvres, il en avait une toute spé ciale, dont il tirait une grande fierté... C’é tait sa vraie corde sensible... Il suffisait qu’on l’effleure pour qu’il fré misse immé diatement... Il fallait y revenir souvent pour qu’il vous traite en copain. Question des « synthè ses », c’é tait, on peut le dire sans bobard, un iné galable joyau... une pharamineuse ré ussite... « L’œ uvre complè te d’Auguste Comte, ramené e au strict format d’une “ priè re positive ”, en vingt-deux versets acrostiches »!...

Pour cette inouï e performance, il avait é té fê té, presque immé diatement, à travers toute l’Amé rique... la latine... comme un immense ré novateur. L’Acadé mie Uruguayenne ré unie en sé ance plé niè re quelques mois plus tard l’avait é lu par acclamations Bolversatore Savantissima avec le titre additif de « Membre Adhé rent pour la vie »... Montevideo, la ville, point en reste, l’avait promu le mois suivant Citadinis Etematis Amicissimus. Courtial avait espé ré qu’avec un surnom pareil, et en raison de ce triomphe, il allait connaî tre d’autre gloire, d’un genre un peu plus relevé... qu’il allait pouvoir prendre du large... Prendre la direction d’un mouvement de haut parage philosophique... « Les Amis de la Raison Pure »... Et puis point du tout! Balle Peau! Pour la premiè re fois de sa vie il s’é tait foutu le doigt dans l’œ il! Il s’é tait entiè rement gouré... Le grand renom d’Auguste Comte exportait bien aux Antipodes, mais ne retraversait plus la mer! Il collait sur la Plata, indé lé bile, indé tachable. Il rentrait plus au bercail. Il restait « pour Amé ricains » et cependant pendant des mois, et encore des mois de suite, il avait tenté l’impossible... Tout entrepris au Gé nitron, noirci colonnes aprè s colonnes, pour donner à sa « priè re » un petit goû t entraî nant bien franç ais, il l’avait ré duite en « ré bus », retourné e comme une camisole, parsemé e de menues flatteries... rendue revancharde... corné lienne... agressive et puis pé teuse... Peine perdue!

Le buste mê me d’Auguste Comte, longtemps hissé en trè s bonne place, il plaisait pas aux clients, à la gauche du grand Flammarion, il a fallu qu’on le supprime. Il faisait du tort. Les abonné s renâ claient. Ils aimaient pas Auguste Comte. Autant Flammarion leur semblait nettement populaire, autant Auguste les dé bectait. Il jetait la poisse dans la vitrine... C’é tait comme ç a! Rien à chiquer!

Courtial, certains soirs, beaucoup plus tard, quand le bourdon le travaillait un peu, il prononç ait des drô les de mots...

« Un jour, Ferdinand, je partirai... Je partirai au diable, tu verras! Je partirai trè s loin... Je m’en irai tout seul... Par mes propres moyens!... Tu verras!... »

Et puis il restait comme songeur... Je voulais pas l’interrompre. Ç a le reprenait de temps en temps... Ç a m’intriguait bien quand mê me...

Avant d’entrer chez des Pereires, mon oncle É douard pour me caser avait tenté l’impossible, remué ciel et terre, il s’é tait arrê té devant rien, il avait dé jà usé à peu prè s toutes ses ficelles... Dans chaque maison où il passait, il parlait de moi en trè s bons termes... mais ç a donnait pas de ré sultat... Sû rement qu’il me gardait de trè s bon cœ ur dans son logement de la Convention, mais enfin il é tait pas riche... ç a pouvait pas durer toujours! C’é tait pas juste que je le ranç onne... Puis j’encombrais son domicile... c’é tait pas trè s vaste son bocal... j’avais beau faire semblant de dormir quand il se ramenait une mignonne... sur la pointe des pieds... sû rement quand mê me je le gê nais.

D’abord de nature il é tait extrê mement pudique. Et puis, on aurait jamais cru, dans un certain nombre de cas tout à fait timide... C’est ainsi qu’avec Courtial, mê me aprè s des mois de relations, il é tait pas encore trè s libre. Il l’admirait sincè rement et il osait rien lui demander... Il avait encore attendu avant de lui parler de mon histoire... et cependant ç a le dé mangeait... Il se sentait comme responsable... que je reste ainsi sur le sable... sans situation aucune...

Un jour, à la fin, quand mê me il s’est enhardi... En badinant, sans avoir l’air. Il a posé la petite question... S’il aurait pas besoin des fois, pour son bureau des Inventeurs, ou pour son aé rostation, d’un petit secré taire dé butant?... L’oncle É douard, il ne se leurrait guè re sur mes aptitudes. Il s’é tait bien rendu compte que dans les boulots ré guliers je me dé merdais franchement mal. Il voyait les choses assez juste. Que pour mon genre et ma balance, ce qui serait plutô t indiqué c’é tait les trucs « en dehors », des espè ces d’astuces capricieuses, des manigances à la « godille ». Avec Courtial, tous ses fourbis problé matiques, ses entourloupes à distance, j’avais des chances de m’arranger... Voilà ce qu’il pensait.

Courtial, il se teignait les tifs en noir é bè ne et la moustache, la barbiche il la laissait grise... Tout ç a rebiffait à la « chat » et les sourcils en ré volte, touffus, plus agressifs encore, nettement diaboliques, surtout celui de gauche. Il avait les pupilles agiles au fond des cavernes, des petits yeux toujours inquiets, qui se fixaient soudain, quand il trouvait la malice. Alors, il se marrait un bon coup, il s’en secouait fort toute la tripe, il se tapait les cuisses violemment et puis il restait comme figé par la ré flexion une seconde, comme admiratif du truc...

C’est lui, Courtial des Pereires, qu’avait obtenu en France le second permis de conduire pour automobile de course. Son diplô me encadré d’or et puis sa photo « jeune homme », au volant du monstre avec la date et les tampons, nous l’avions au-dessus du bureau. Ç a avait fini tragiquement... Il me l’a souvent raconté :

« J’ai eu de la veine! qu’il admettait. Ç a je t’assure! Nous arrivions au Bois-le-Duc... une carburation splendide!... Je ne voulais mê me pas ralentir... J’aperç ois l’institutrice... grimpé e en haut du remblai... Elle me faisait des signes... Elle avait lu tous mes ouvrages... Elle agitait son ombrelle... Je ne veux pas ê tre impoli... Je freine à hauteur de l’é cole... À l’instant je suis entouré, fê té !... Je me dé saltè re... Je ne devais plus stopper qu’à Chartres... dix-huit kilomè tres encore... Le dernier contrô le... J’invite cette jeune fille... Je lui dis: “ Montez Mademoiselle... montez donc à cô té de moi! Prenez donc place! ” Elle hé site, elle tergiverse la mignonne, elle fait la coquette un peu... J’insiste... La voilà qui s’installe... Nous dé marrons... Depuis le matin, à chaque contrô le, surtout à travers la Bretagne, c’é tait du cidre et encore du cidre... Ma mé canique vibrait trè s fort, gazait parfaitement... Je n’osais plus du tout ralentir... Et pourtant j’avais trè s envie!... Enfin il faut que je cè de!... Je freine donc encore un peu... J’arrê te tout, je me lè ve, je saute, j’avise un buisson... Je laisse la belle au volant! Je lui crie de loin: “ Attendez-moi! Je reviens dans une seconde!... ” À peine effleurais-je ma braguette, que je me sens, vous entendez! Assommé ! Enlevé ! Propulsé effroyablement! tel un fé tu par la bourrasque! Baoum! Formidable! une dé tonation inouï e!... Les arbres, les feuillages alentour sont arraché s, fauché s, soufflé s par la trombe! L’air s’embrase! Je me retrouve au fond d’un cratè re et presque é vanoui... Je me tâ te!... Je me rassemble!... Je rampe encore jusqu’à la route!... Le vide absolu! La voiture? Vacuum mon ami! Vacuum! Plus de voiture! É vaporé e!... Foudroyé e! Litté ralement! Les roues, le châ ssis... Chê ne!... pitchpin! calciné s!... Toute la membrure... Que voulez-vous! Je me traî ne aux environs, je me dé mè ne d’une motte à l’autre! Je creuse! Je trifouille! Quelques miettes de-ci, de-là ! quelques brindilles... Un petit morceau d’é ventail, une boucle de ceinture! Un des bouchons du ré servoir... Une é pingle à cheveux! C’est tout!... Une dent dont je ne fus jamais sû r!... L’enquê te officielle n’a rien ré solu!... Rien é lucidé !... C’é tait à pré voir... Les causes de ce formidable embrasement demeurent pour toujours mysté rieuses... C’est presque deux semaines plus tard à six cents mè tres de l’endroit, qu’il fut retrouvé dans l’é tang et d’ailleurs aprè s maints sondages un pied nu de cette demoiselle à moitié rongé par les rats.

« Pour ma part, sans ê tre absolument formel, une des nombreuses hypothè ses qui furent à ce moment é mises pour expliquer cette ignition, si terriblement dé tonante, pourrait peut-ê tre à la rigueur me satisfaire... Le cheminement imperceptible d’un de nos “ fusibles allongé s ”... Il suffisait, qu’on y songe! que par l’entraî nement des cahots, des petites saccades successives, cette mince tringlette en minium vienne par hasard trembloter, ne fû t-ce que l’espace d’une seconde! un dixiè me de seconde! contre les té tines de l’essence... Immé diatement tout é clatait!... Une mé linite prodigieuse! L’obus vivant!... Telle é tait mon bon ami la pré carité du systè me. Je suis revenu à cet endroit, longtemps aprè s la catastrophe... Ç a sentait toujours le brû lé !... D’ailleurs à ce stade fort critique du progrè s des automobiles il fut observé à bien des reprises de telles fantastiques explosions, presque aussi massives! en pulvé risations totales! Des dissé minations atroces! Des propulsions gigantesques!... Je ne pourrais leur comparer à l’extrê me rigueur que les dé flagrations subites de certains brasiers d’Air liquide... Et encore!... Je ferais mes ré serves!... Celles-ci sont en effet banales! Absolument explicables... Et de fond en comble! Aucun doute! Aucune é nigme! Tandis que le mystè re subsiste presque tout entier quant aux causes de ma tragé die!... Avouons-le trè s modestement! Mais quelle importance aujourd’hui? Aucune!... On n’utilise plus les “ fusibles ” depuis Belle Lurette! Ne retardons pas à plaisir!... D’autres problè mes nous requiè rent... Mille fois plus originaux! Comme c’est loin, tout ç a mon ami! On ne travaille plus au “ minium ”! Personne!... »

Courtial n’avait point adopté, comme moi, dans son habillement le col en celluloï d... Il avait son propre systè me pour rendre inusables, insalissables, impermé ables, les faux cols en toile ordinaire... C’é tait une sorte de vernis dont on passait deux ou trois couches... Ç a tenait pendant six mois au moins... à l’abri des souillures de l’air et des doigts, des transpirations. C’é tait un trè s bel enduit à base de pure cellulose. Le sien de faux col, le mê me, il le gardait depuis deux ans. Par pure et simple coquetterie il le repeignait tous les mois! un coup de badigeon! Ç a lui donnait de la patine, le ton, l’orient mê me, des antiques ivoires. Le plastron pareil. Mais alors bien contrairement à ce qu’assurait la notice, les doigts marquaient tout à fait net sur le col enduit... Ils restaient en larges macules surajouté es les unes aux autres! Ç a faisait un Bertillon total, l’affaire é tait pas au point. Il l’avouait de temps en temps lui-mê me. Il lui manquait aussi un nom pour intituler cette merveille. Il se ré servait d’y penser quand le moment serait venu.

En hauteur, Courtial des Pereires, il avait vraiment rien eu trop! Il fallait pas qu’il perde un pouce... Il se mettait des trè s hauts talons, d’ailleurs il é tait difficile, question des chaussures... Toujours des empeignes de drap beige et petits boutons de nacre... Seulement il é tait comme moi, il cocotait dur des panards... Il é tait terrible à renifler arrivé le samedi tantô t... C’é tait le dimanche matin qu’il faisait sa toilette, j’é tais averti. La semaine, il avait pas le temps. Je savais tout ç a... Sa femme je l’avais jamais vue, il me racontait ses faits et gestes. Ils demeuraient à Montretout... Pour les pieds, y avait pas que lui... C’é tait la terreur à l’é poque... Quand il venait des inventeurs, qu’ils arrivaient comme ç a en nage, presque toujours de fort loin, ç a devenait quand mê me difficile de les é couter jusqu’au bout, mê me avec la porte grande ouverte sur le grand jardin du Palais... Ce qu’on arrivait à renifler à certains moments c’é tait pas croyable... Ils parvenaient à me dé goû ter de mes propres nougats.

Les bureaux du Gé nitron en fait de terrible dé sordre, de capharnaü m absolu, de pagaye totale, on pouvait pas voir beaucoup pire... Depuis le seuil de la boutique jusqu’au plafond du premier, toutes les marches, les aspé rité s, les meubles, les chaises, les armoires, dessus, dessous, c’é tait qu’enfoui sous les papelards, les brochures, tous les invendus à la traî ne, un mé li-mé lo tragique, tout crevassé, dé cortiqué, toute l’œ uvre à Courtial é tait là, en vrac, en pyramides, jachè re... On discernait plus le dictionnaire, les cartes des traité s, les mé moires olé ographiques dans le tumulus dé gueulasse. On pé né trait au petit bonheur, en tâ tonnant un peu la route... on enfonç ait dans une ordure, une fuyante sentine... dans la tremblotante falaise... Ç a s’é croulait tout d’un coup! Tout soudain la cataracte!... Les plans, les é pures en bombe! les dix mille kilos grafouillé s vous dé ambulaient dans la gueule!... Ç a dé clenchait d’autres avalanches, une effroyable carambole de toute la paperasse bouillonneuse sur un ouragan de poussiè re... un volcan foireux d’immondices... Ç a menaç ait la digue de rompre chaque fois qu’on vendait pour cent sous!...

Lui pourtant ç a l’alarmait pas... Il trouvait mê me pas ç a terrible, il ressentait nullement le dé sir de changer l’é tat des choses, de modifier sa mé thode... Mais pas du tout! Il se retrouvait à merveille dans ce chaos vertigineux... Jamais il cherchait bien longtemps le livre qu’il voulait pingler... Il tapait là -dedans à coup sû r... En plein, dans n’importe quel tas... Il faisait voler tous les dé bris, il fourgonnait ardemment à plein monticule, il piquait de pré cision à l’endroit juste du bouquin... Chaque fois c’é tait le miracle... Il se fourvoyait bien rarement... Il avait le sens du dé sordre... Il plaignait tous ceux qui l’ont pas... Tout l’ordre est dans les idé es! Dans la matiè re pas une trace!... Quand je lui faisais ma petite remarque que ç a m’é tait bien impossible de me dé pê trer dans cette pagaye et ce vertige, alors c’est lui qui faisait vilain et il m’incendiait... Il me laissait mê me pas respirer... Il prenait d’autor l’offensive... « É videmment, Ferdinand, je ne vous demande pas l’impossible! Jamais vous n’avez eu l’instinct, la curiosité essentielle, le dé sir de vous rendre compte... Ici! malgré tout! c’est pas les bouquins qui vous manquent!... Vous vous ê tes jamais demandé, mon pauvre petit ami, comment se pré sente un cerveau!... L’appareil qui vous fait penser? Hein? Mais non! Bien sû r! ç a vous inté resse pas du tout!... Vous aimez mieux regarder les filles! Vous ne pouvez donc pas savoir! Vous persuader bien facilement du premier coup d’œ il sincè re, que le dé sordre, mais mon ami c’est la belle essence de votre vie mê me! de tout votre ê tre physique et mé taphysique! Mais c’est votre â me Ferdinand! des millions, des trillions de replis... intriqué s dans la profondeur, dans le gris, tarabiscoté s, plongeants, sous-jacents, é vasifs... inimitables! Voici l’Harmonie, Ferdinand! Toute la nature! une fuite dans l’impondé rable! Et pas autre chose! Mettez en ordre, Ferdinand, vos pauvres pensé es! Commencez par là ! Non par quelques substitutions grimaciè res, maté rielles, né gatives, obscè nes, mais dans l’essentiel je veux dire! Allez-vous pour ce motif vous pré cipiter au cerveau, le corriger, le dé caper, le mutiler, l’astreindre à quelques rè gles obtuses? au couteau gé omé trique? Le recomposer dans les rè gles de votre crucifiante sottise?... L’organiser tout en tranches? comme une galette pour les Rois? avec une fè ve dans le milieu! Hein? Je vous pose la question. En toute franchise? Serait-ce du propre? du joli? Le bouquet! En vous Ferdinand, bien sû r! l’erreur accable l’â me! Elle fait de vous comme de tant d’autres: un unanime “ rien du tout ”! Au grand dé sordre instinctif! Pensé es prospè res! Tout à ce prix, Ferdinand!... L’Heure passé e point de salut!... Tu restes, je le crains, pour toujours dans ta poubelle à raison! Tant pis pour toi! C’est toi le couillon Ferdinand! le myope! l’aveugle! l’absurde! le sourd! le manchot! la bû che!... C’est toi qui souilles tout mon dé sordre par tes ré flexions si vicieuses... En l’Harmonie, Ferdinand, la seule joie du monde! La seule dé livrance! La seule vé rité !... L’Harmonie! Trouver l’Harmonie! Voilà... Cette boutique est en Har-mo-nie!... M’entends-tu! Ferdinand? comme un cerveau pas davantage! En ordre! Pouah! En ordre! Enlè ve-moi ce mot! cette chose! Habituez-vous à l’Harmonie! et l’Harmonie vous retrouvera! Et vous retrouverez tout ce que vous cherchez depuis si longtemps sur les routes du Monde... Et encore bien davantage! Bien d’autres choses! Ferdinand! Un cerveau, Ferdinand! que vous retrouverez tous! Oui! Le Gé nitron! C’est un cerveau! Est-ce assez clair? Ce n’est pas ce que tu dé sires? Toi et les tiens?... Une vaine embuscade de casiers! Une barricade de brochures! Une vaste entreprise mortifiante! Une né cropole de Chartistes! Ah! jamais ç a! Ici tout est mouvant! Ç a grouille! Tu te plains! Ç a gigote, ç a bouge! Vous y touchez un petit peu! Risquez donc un petit doigt! Tout s’é meut! Tout fré mit à l’instant mê me! Ç a ne demande qu’à s’é lancer! fleurir! resplendir! Je n’abolis pas pour vivre, moi! Je prends la vie telle qu’elle se pose! Cannibale Ferdinand? Jamais!... Pour la ramener à toute force à mon concept de fouille-crotte! Pouah! Tout branle? Tout s’é croule? Eh! Tant mieux! Je ne veux plus compter les é toiles 1! 2! 3! 4! 5! Je ne me crois pas tout permis! Et le droit de ré tré cir! corriger! corrompre! tailler! repiquer!... Hein!... Où donc l’aurais-je pris? De l’infini? Dans la vie des choses? C’est pas naturel, mon garç on! C’est pas naturel! C’est des manigances infâ mes!... Je reste bien avec l’Univers moi! Je le laisse tel que je le trouve!... Je ne le rectifierai jamais! Non!... L’Univers, il est chez lui! Je le comprends! Il me comprend! Il est à moi quand je le demande! Quand j’en veux plus je le laisse tomber! Voilà comment les choses se passent!... C’est une question cosmogonique! J’ai pas d’ordre à donner! Tu n’as pas d’ordre! Il n’a pas d’ordre!... Buah! Buah! Buah!... »



  

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