Хелпикс

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Note sur l’édition numérique. 27 страница



Je fonce au plus prè s... chez Ramponneau... Je me dé pê che... au coin de la rue É tienne-Marcel... une charcuterie exemplaire... encore meilleure que chez Carquois... Un modè le de luxe à l’é poque et de propreté... Je prends les quatorze sous de jambon... La sorte que mon pè re pré fé rait, pour ainsi dire dé pourvu de gras... La laitue, je la prends aux Halles à cô té... Les cœ urs à la crè me aussi... On me prê te mê me un ré cipient.

Me voilà parti tout doucement par le boulevard Sé bastopol, la rue de Rivoli... Je ré flé chis plus trè s bien! Il faisait tellement é touffant qu’on avanç ait avec peine... On se traî nait sous les arcades... tout au long des é talages... Je me dis « Va donc au Bois de Boulogne! »... Je marche encore assez longtemps... Mais ç a devenait impossible... impossible... Aux grilles des Tuileries j’oblique... Je traverse, je pé nè tre dans les jardins... y avait dé jà une damné e foule... C’é tait pas commode du tout de trouver une place dans les herbes... et surtout à l’ombre... C’é tait beaucoup plus que comble...

Je me laisse un peu caramboler, je dé gringole dans un glacis, au revers d’un remblai, dans les pourtours du grand bassin... C’é tait bien frais, bien agré able... Mais il survient juste alors toute une armé e de cramoisis, une masse compacte, râ lante, suifeuse, dé goulinante des quatorze quartiers d’alentour... Des immeubles entiers qui dé gorgeaient toute leur camelote en plein sur les vastes pelouses, tous les locataires, les pipelettes, traqué s par la canicule, les punaises, et l’urticaire... Ils dé ferlaient en plaisanteries, en fusé es de quolibets... D’autres populaces s’annonç aient, effroyables, grondantes par le travers des Invalides...

On a voulu fermer les grilles, dé fendre les rhododendrons, le carré des marguerites... La horde a tout rabattu, tout é ventré, tordu, é cartelé toute la muraille... C’é tait plus qu’un é boulis, une cavalcade dans les dé combres... Ils poussaient d’infectes clameurs pour que l’orage vienne à crever, enfin, au-dessus de la Concorde!... Comme il tombait pas une seule goutte ils se sont rué s dans les bassins, vautré s, roulé s, des foules entiè res, à poil, en caleç ons... Ils ont fait tout dé border, ils ont avalé le dernier jus...

J’é tais, moi, tout à fait vautré au fond du remblai gazonneux, j’avais vraiment plus à me plaindre... J’é tais proté gé en somme... J’avais mes provisions à gauche, je les tenais là sous la main... J’entends les troupeaux qui pilonnent, qui dé ferlent contre les massifs... Il en survient encore d’autres et de partout... L’immense cohorte des assoiffé s... Ç a devient maintenant la bataille pour licher le fond de la mare... Ils suç aient tous dans la boue, le limon, les vers, la vase... Ils avaient tout labouré, tout é ventré tout autour, tout crevassé profondé ment. Il restait plus un brin d’herbage sur toute l’é tendue des Tuileries... C’é tait plus qu’un é norme dé lire, un cratè re tout dé pecé sur quatre kilomè tres de tour, tout grondant d’abî mes et d’ivrognes...

Au plus profond, toutes les familles, à la recherche de leurs morceaux dans l’enfer et le brasier des chaleurs... Il giclait des quartiers de viande, des morceaux de fesses, des rognons loin, jusque dessus la rue Royale et puis dans les nuages... C’é tait l’odeur impitoyable, la tripe dans l’urine et les bouffé es des cadavres, le foie gras bien dé composé... On en mangeait dans l’atmosphè re... On pouvait plus s’é chapper... C’é tait entiè rement dé fendu sur toute l’é tendue des terrasses, par trois remblais imprenables... Les voitures d’enfants empilé es haut comme un sixiè me.

Les refrains s’enlaç aient quand mê me dans la jolie nuit tombante, à travers les zé phyrs pourris... Le monstre aux cent mille braguettes, é croulé sur les martyrs, remue la musique dans son ventre... J’ai bien bu moi deux canettes, entiè rement à la fauche gratuite... et deux... et deux... qui font douze... Voilà !... J’avais dé pensé les cent sous... J’avais plus un seul petit fric... J’ai sifflé un litre de blanc... Pas d’histoires!... Et un mousseux tout entier... Je vais faire quelques é changes avec la famille sur le banc!... Ah!... Je lui troque pour un camembert... tout vivant... mon cœ ur à la crè me!... Attention!... J’é change la tranche de jambon pour un « kil » de rouge tout cru!... On peut pas mieux dire... Il survient à ce moment juste un violent renfort des agents de la garde!... Ah!... le culot... La sotte astuce!... Ils ne font bien bouger personne!... Ils sont tout de suite dé monté s, honnis... branlé s... raccourcis... Ils sont viré s dans un souffle! Ils s’é vadent... Ils se dissipent derriè re les statues!... La masse entre en insurrection! Encore pour l’orage qu’elle conspire... Le cratè re gronde, vrombit, tonitrue... Il en projette jusqu’à l’É toile, toute une bourrasque de litrons vides!...

Je partage en deux ma salade, on la bouffe telle quelle et crue... On se taquine avec les demoiselles... Je bois là, tout ce qui se pré sente sur le coin du banc. C’est trê ve la bibine!... ç a dé saltè re pas... ç a fait mê me chaud à la bouche... Tout est brû lant, l’air, les nichons. Ç a ferait vomir si on bougeait, si on allait pour se relever... mais il y a pas d’erreur possible! On ne peut plus remuer du tout... J’ai les paupiè res qui s’é crasent... le regard qui ferme... Un tendre refrain passe dans l’air à ce moment... « Je sais que vous ê tes jolie... »

Bing! Ca! ra! cla! clac! C’est le ré verbè re, le gros ballon blanc qui é clate à pleine volé e! C’est le coup du caillou terrible! la fronde franche! Les gonzesses elles en sursautent! Elles poussent des inouï es clameurs! C’est les voyous, dans le petit coin, des rigolos, des cochons, de l’autre cô té du fossé... Ils veulent avoir la nuit complè te!... Ah! les saligauds, les infâ mes!... Je me vautre sur le gonze contre moi... Il est gras la taupe!... Il ronfle! C’est la vache!... Ç a va!... Je suis en position favorite!... Il me fait dormir avec ses bruits!... Il me berce!... Je pensais avoir du camembert... C’est du petit suisse à la crè me... Je les vois!... J’en porte toujours sur le cœ ur... J’aurais pas dû en laisser dans la boî te!... dans la boî te... On est là... On reste!... On dirait qu’il arrive des brises... Il dort le cœ ur à la crè me... Il doit ê tre trè s tard!... Et plus tard encore!... Comme le fromage!... Tout à fait.

J’é tais bien en train de ronfler... Je gê nais personne... J’avais croulé dans le fossé encore plus profond... J’é tais coincé dans la muraille... Voilà un con qui dé ambule comme ç a de travers dans les té nè bres... Il vient buter dans le voisin. Il retombe sur moi, il me culbute... Il me fait une atteinte... J’entrouvre les châ sses... Je grogne un coup trè s fé roce... Je regarde là -bas à l’horizon... le plus loin... J’aperç ois le cadran... Juste celui de la gare d’Orsay... les immenses horloges... Il est une heure du matin! Ah! Foutre Bon Dieu! Dé gueulasse! Et voilà je dé canille! Je me dé pê tre... J’ai deux rombiè res de chaque cô té qui m’é crabouillent... Je les culbute... Tout roupille et renifle dans les fonds... Il faut que je me redresse... que je me dé mè ne pour rentrer... Je ramasse mon beau costard... Mais je retrouve plus mon faux col... Tant pis! Je devais ê tre revenu pour dî ner! Mince! C’est bien ma putaine dé veine! Aussi c’é tait la chaleur! et puis j’é tais trop ahuri, j’avais plus du tout ma normale! J’avais peur et j’é tais saoul!... J’é tais encore tout é tourdi!... La muffé e! Le mufle!

Ah! je me souviens quand mê me du chemin... Je prends par la rue Saint-Honoré... la rue Saint-Roch qu’est à gauche... rue Gomboust... alors tout droit. J’arrive à la grille du Passage... Elle est pas encore fermé e à cause de la tempé rature... Ils sont tous là... en banniè res, dé poitraillé s les voisins, devant leurs boutiques... Ils sont resté s dans les courants d’air... Ils se bavachent d’une chaise à l’autre... à califourchon, comme ç a, sur le pas des portes... Il me reste encore de l’ivresse... Je marche, c’est visible, de traviole... Ces gens, ils é taient é tonné s. Ç a m’arrivait jamais d’ê tre saoul!... Ils m’avaient pas encore vu... Ils m’apostrophaient de surprise!... « Dis donc, alors Ferdinand? T’as trouvé une situation?... C’est la fê te à la grenouille?... T’as donc rencontré un nuage?... T’as vu un cyclone Toto?... » Enfin des sottises... Visios qui roulait son store, il m’interpelle tout exprè s... Il me fait en passant comme ç a... : « Dis donc, ta mè re, Ferdinand elle est descendue au moins vingt fois depuis sept heures, demander si on t’a pas vu? Je te jure! Elle fait salement vilain!... Où que tu t’é tais encore caché ?... »

Je poulope donc vers la boutique. Elle é tait pas fermé e du tout... Hortense m’attendait dans le petit couloir... Elle avait dû rester exprè s...

« Ah! si vous voyiez votre maman! dans quel é tat qu’elle s’est mise! Elle est pitoyable! C’est é pouvantable! Depuis six heures elle ne vit plus!... Y a eu, paraî t-il, des bagarres dans les jardins des Tuileries! Elle est sû re que vous y é tiez!... Elle est sortie ce tantô t pour la premiè re fois en entendant les rumeurs... Elle a vu dans la rue Vivienne un cheval emballé ! Elle est revenue dé composé e. Ç a lui a retourné tous les sangs!... Jamais je l’avais vue si nerveuse! »... Hortense aussi é tait en transe pour me raconter l’accident... Elle se tamponnait toute la face, en nage, avec son grand tablier sale. Elle en restait toute barbouillé e vert et jaune et noir... J’escalade les marches quatre à quatre... J’arrive là -haut dans ma chambre... Ma mè re é tait sur le page, affalé e, retourné e complè tement, sa camisole sans boutons... ses jupons retroussé s jusqu’aux hanches... Elle se mouillait encore toute la jambe avec les serviettes-é ponges. Elle en faisait des gros tampons, ç a dé goulinait par terre... « Ah! qu’elle sursaute... Te voilà tout de mê me! » Elle me croyait en hachis...

« Ton pè re est dans une colè re! Ah! le pauvre homme! Il partait au commissariat! Où é tais-tu resté encore?... »

Mon pè re, juste à ce moment-là, je l’entends qui sort des cabinets. Il monte tout doucement l’escalier, il rajustait ses bretelles... Il rafistolait son pansement autour des furoncles... D’abord, il me dit rien... Il fait mine de mê me pas me voir... Il retourne à sa machine... Il tape avec un seul doigt... Il souffle comme un phoque, il s’é ponge... On crè ve, c’est un fait... On é trangle absolument... Il se lè ve... Il dé croche au clou la serviette-é ponge... Il se badigeonne toute la bouille avec l’eau courante... Il en peut plus!... Il revient!... Il me reluque un peu... de travers... Il regarde ma mè re aussi, sur le lit tout é talé e... « Recouvre-toi, voyons, Clé mence!... » qu’il lui fait comme ç a furibard... C’est toujours à cause de sa jambe... Ç a va recommencer la sé ance!... Il lui fait des signes! Il croit que je la regarde comme ç a retroussé e... Elle comprend rien à son é moi... Elle est innocente, elle a pas de pudeur... Il lè ve les deux bras au ciel... Il est outré, excé dé ! Elle est dé couverte jusqu’au bide... Elle rabaisse enfin sa jupe... Elle change un peu de position... Elle se retourne sur le matelas... Je voudrais dire un mot... quelque chose pour faire passer vivement la gê ne... Je vais parler de la chaleur... On entend les chats qui s’enfilent... Là -bas trè s loin sur le vitrail... Ils se foutent la course... Ils bondissent au-dessus des abî mes entre les hautes cheminé es...

Un souffle d’air qui nous arrive... Un vé ritable zé phyr!... Hosanna!... « Voilà le temps qui rafraî chit!... que remarque tout de suite ma mè re!... Eh bien! mon Dieu! c’est pas trop tô t!... Tu vois, Auguste, avec ma jambe je suis certaine qu’il va pleuvoir!... Je ne peux pas me tromper!... C’est toujours la mê me douleur... Elle me tiraille derriè re la fesse... C’est positivement le signe, c’est absolument infaillible... T’entends, Auguste, c’est la pluie!... »

— Ah! Tais-toi donc quand mê me un peu! Laisse-moi travailler! Bordel! Tu peux donc pas t’arrê ter de bavarder continuellement!

— Mais j’ai pas parlé, Auguste! Il est bientô t prè s de deux heures! Voyons, mon petit! et nous ne sommes pas encore couché s!

— Mais je le sais bien! Bordel de Dieu! de charogne de trou du cul! Mais je le sais bien qu’il est deux heures! Est-ce que c’est ma faute?... Il sera trois heures! Nom de Dieu! Et puis quatre! Et puis trente-six! Et puis douze! Bordel de tonnerre!... C’est malheureux bordel de merde qu’on vienne me faire chier jour et nuit?... c’est pas admissible à la fin!... » Il assè ne alors sur son truc un coup terrifiant, à é craser toutes les lettres, à raplatir tout le clavier... Il se retourne, il en est violet... Il fait alors front contre moi... Il m’attaque tout carré ment: « Ah! » qu’il me fait tout haut comme ç a... Il gueule au possible, il dé clame... « Vous m’emmerdez tous! Vous m’entendez?... C’est compris! Et toi, sale petite crapule! é honté e vadrouille! Où as-tu encore traî né ? Depuis huit heures du matin? Hein? Veux-tu ré pondre? Dis-le? Dis-le, nom de Dieu!... »

Je ne ré ponds rien d’abord... Ç a me revient alors d’un seul coup ce que j’ai fait des commissions... c’est vrai que je rapporte rien! Ah! merde! Quel afur!...

J’y pensais plus au jambonneau!... J’avais dé jà tout oublié... Je comprends alors la cadence! Merde! « Et l’argent de ta mè re?... Et ses provisions?... Hein? Ah! Ah! » Il exulte!... « Tu vois Clé mence!... Ton produit!... Tu vois encore ce que tu as fait... Avec ton incurie cré tine! ton imbé cile aveuglement... Tu lui donnes des armes à ce voyou-là ! Ta confiance impardonnable!... Ta cré dulité idiote!... Tu vas lui remettre de l’argent!... Lui confier ta bourse à lui?... Donne-lui tout!... Donne-lui la maison!... Pourquoi pas?... Ah! Ah! je te l’avais pourtant pré dit!... Il te chiera dans la main! Ah! Ah! il nous a tout bu! Il nous a tout englouti!... Il pue l’alcool! Il est saoul! Il a attrapé la vé role! La chaude-pisse! Il nous ramè nera le cholé ra! C’est seulement là que tu seras contente!... Ah! Eh bien tu ré colteras les fruits! Toi-mê me, tu m’entends!... Ton fils pourri tu l’as voulu!... Garde-le alors! Toi toute seule?... Putain de bordel de Bon Dieu de sort!... »

Il se remonte encore la pendule!... Il se surpasse! Il se gonfle à bloc!... Il se dé grafe tout le devant de la chemise... Il se dé poitraillé...

« Tonnerre de bordel de Nom de Dieu! Mais il est canaille jusqu’au sang? Il s’arrê tera plus devant rien!... Tu devrais tout de mê me savoir!... Ne rien lui confier!... Pas un centime! Pas un sou!... Tu me l’avais juré quinze fois! vingt fois! Cent mille fois!... Et quand mê me il faut que tu recommences! Ah! tu l’es incorrigible! »

Il rebondit dessus son tabouret. Il vient exprè s pour m’insulter en face... Il traverse encore toute la piè ce. Il me bave dans la tronche, il se boursoufle à plein... il s’enfurie vis-à -vis... C’est sa performance d’ouragan!... Je vois ses yeux tout contre mon blaze... Ils se ré vulsent drô le... Ils lui tremblotent dans ses orbites... C’est une tempê te entre nous deux. Il bé gaye si fort en rage qu’il explose de postillons... Il m’inonde! Il me trouble la vue, je suis é berlué... Il se tré mousse avec tellement de force qu’il s’en arrache les pansements du cou. Il regigote doublement... Il se met de traviole pour m’agonir... Il m’agrafe... Je le repousse et je fais à cet instant un brutal é cart... Je suis dé terminé aussi... Je veux pas qu’il me touche le sale fias... Ç a l’interloque une seconde...

« Ah! alors? qu’il me fait comme ç a... Ah! Tiens! si je me retenais pas!...

— Vas-y! que je lui dis... Je sens que ç a monte...

« Ah! petit fumier! Tu me dé fies? Petit maquereau! Petite ordure! Regardez cette insolence! Cette ignominie! Tu veux notre peau? Hein? N’est-ce pas que tu la veux? Dis-le donc tout de suite!... Petit lâ che! Petite roulure!... » Il me crache tout ç a dans la tê te... Il retourne aux incantations.

« Bordel de Bon Dieu de saloperie! Qu’avons-nous fait ma pauvre enfant pour engendrer une telle vermine? pervertie comme trente-six potences!... Roué ! Canaille! Fainé ant! Tout! Il est tout calamité ! Bon à rien! Qu’à nous piller! Nous ranç onner! Une infection! Nous é charper sans merci!... Voilà toute la reconnaissance! Pour toute une vie de sacrifices! Deux existences en pleine angoisse! Nous les vieux idiots! les sales truffes toujours! Nous toujours!... Hein, dis-le encore! dis, cancre à poison! Dis-le donc! Dis-le là tout de suite, que tu veux nous faire crever!... Crever de chagrin! de misè re! que je t’entende au moins avant que tu m’achè ves! Dis, gouape infecte! »

Ma mè re, alors se soulè ve, elle se ramè ne à cloche-pompe, elle veut s’opposer entre nous...

« Auguste! Auguste! É coute-moi, voyons! É coute-moi! je t’en supplie! Voyons Auguste! Tu vas te remettre sur le flanc! Songe à moi, Auguste! Songe à nous! Tu vas te rendre tout à fait malade! Ferdinand! Toi, va-t’en mon petit! va dehors! Reste pas là !... »

Je bouge pas d’un pouce. C’est lui qui se rassoit...

Il s’é ponge, il grogne!... Il tape un, deux coups d’abord sur encore les lettres du clavier... Et puis il rebeugle... Il se tourne vers moi, il me pointe du doigt, il me dé signe... Il fait le solennel...

« Ah! Tiens! Je peux bien l’avouer aujourd’hui!... Comme je le regrette! Comme j’ai manqué d’é nergie! Comme je suis coupable de ne pas t’avoir salement dressé ! Nom de Dieu de Bon Dieu! Dressé ! Quand il é tait temps encore! C’est à douze ans, m’entends-tu! C’est à douze ans pas plus tard qu’il aurait fallu te saisir et t’enfermer solidement! Ah oui! Pas plus tard! Mais j’ai manqué d’é nergie!... T’enfermer en correction... Voilà ! C’est là que t’aurais é té maté !... Nous n’en serions pas où nous en sommes!... À pré sent, les jeux sont faits!... La fatalité nous emporte! Trop tard! Trop tard! Tu m’entends, Clé mence? Beaucoup trop tard! Cette crapule est irré mé diable!... C’est ta mè re qui m’a empê ché ! Tu payeras maintenant, ma fille! »

Il me la montre qui boquillonne gé missante, tout autour de la cambuse. « C’est ta mè re! Oui, c’est ta mè re! Tu n’en serais pas là, aujourd’hui, si elle m’avait é couté... Ah! Bordel de bon sang non! Ah! Bordel de Dieu!... »

Il dé fonce encore le clavier... des ramponneaux des deux poings... Il va sû rement tout dé truire.

« Tu m’entends Clé mence? Tu m’entends? Je t’ai assez dit!... T’ai-je assez pré venue? Je savais ce que ç a serait aujourd’hui! »

Il va encore é clater... Son courroux le repossè de... Il regonfle de partout... de la tronche et des châ sses... Ç a lui ré vulse les orbites... Elle tient plus elle sur sa quille à force de tré bucher partout... Il faut qu’elle regrimpe sur le plume... Elle s’affale... Elle retrousse tout le haut, toutes ses cottes... Elle se redé couvre toutes les cuisses, le bas du ventre... Elle se tord dans les douleurs... Elle se masse comme ç a tout doucement... elle en est replié e en deux...

« Ah! mais voyons! Recouvre-toi! Recouvre-toi donc, c’est infect!...

— Ah! je t’en prie! Je t’en prie! Je t’en supplie, Auguste! Tu vas tous nous rendre malades!... » Elle en pouvait plus... Elle ré flé chissait plus du tout.

« Malades? Malades?... » Ç a le traverse comme une fusé e! C’est un mot magique!... Ah ben! Nom de Dieu c’est un comble! Il s’esclaffe... Ç a c’est une ré vé lation!... Il remonte encore au pé tard... « Mais c’est lui! Tu ne le vois donc pas, dis Ingé nue?... Mais c’est lui ce petit apache... Mais à la fin, nom de Dieu! vas-tu comprendre que c’est lui, ce petit infernal fripouille qui nous rend tous ici malades! L’abjecte vipè re! Mais c’est lui qui veut notre peau! Depuis toujours qu’il nous guette! Il veut notre cimetiè re! Il le veut!... Nous le gê nons! Il ne s’en cache mê me plus!... Il veut nous faire crever les vieux!... C’est l’é vidence! Mais c’est clair! Et le plus tô t possible encore! Il est incroyable! Mais il est pressé ! C’est nos pauvres quatre sous! C’est notre pauvre croû te à nous qu’il guigne! Tu ne vois donc rien? Mais oui! Mais oui! Il sait bien ce qu’il fait le gredin! Il le sait le petit salaud! Le charognard! La petite frappe! Il a pas les yeux dans sa poche! Il nous a bien vu dé pé rir! Il est aussi vicieux que mé chant! Moi je peux te le dire! Moi je le connais si tu le connais pas! Ç ’a beau ê tre mon fils!... »

Il recommence ses tremblements, il saccade de toute sa carcasse, il se connaî t plus... Il crispe les poings... Tout son tabouret craque et danse... Il se rassemble, il va ressauter... Il revient me souffler dans les narines, des autres injures... toujours des autres... Je sens aussi moi monter les choses... Et puis la chaleur... Je me passe mes deux mains sur la bouille... Je vois tout drô le alors d’un seul coup!... Je veux plus voir... Je fais qu’un bond... Je suis dessus! Je soulè ve sa machine, la lourde, la pesante... Je la lè ve tout en l’air. Et plac!... d’un bloc là vlac!... je la lui verse dans la gueule! Il a pas le temps de parer!... Il en culbute sous la rafale, tout le bastringue à la renverse!... La table, le bonhomme, la chaise, tout le fourniment viré en bringue... Tout ç a barre sur les carreaux... s’é parpille... Je suis pris aussi dans la danse... Je tré buche, je fonce avec... Je peux plus m’empê cher... Il faut là, que je le termine le fumier salingue! Pouac! Il retombe sur le tas... Je vais lui é craser la trappe!... Je veux plus qu’il cause!... Je vais lui crever toute la gueule... Je le ramponne par terre... Il rugit... Il beugle... Ç a va! Je lui trifouille le gras du cou... Je suis à genoux dessus... Je suis empê tré dans les bandes, j’ai les deux mains prises. Je tire. Je serre. Il râ le encore... Il gigote... Je pè se... Il est dé gueulasse... Il couaque... Je pilonne dessus... Je l’é gorge... Je suis accroupi... Je m’enfonce plein dans la bidoche... C’est moi... C’est la bave... Je tire... J’arrache un grand bout de bacchante... Il me mord, l’ordure!... Je lui trifouille dans les trous... J’ai tout gluant... mes mains dé rapent... Il se convulse... Il me glisse des doigts. Il m’agrafe dur autour du cou... Il m’attaque la glotte... Je serre encore. Je lui sonne le cassis sur les dalles... Il se dé tend... Il redevient tout flasque... Il est flasque en dessous mes jambes... Il me suce le pouce... Il me le suce plus... Merde! Je relè ve la tê te au moment... Je vois la figure de ma mè re tout juste là au ras de la mienne... Elle me regarde, les yeux é carquillé s du double... Elle se dilate les châ sses si larges que je me demande où on est!... Je lâ che le truc... Une autre tê te qui surgit des marches!... au-dessus du coin de l’escalier... C’est Hortense celle-là ! C’est certain! Ç a y est! C’est elle! Elle pousse un cri prodigieux... « Au secours! Au secours! » qu’elle se dé chire... Elle me fascine alors aussi... Je lâ che mon vieux... Je ne fais qu’un saut... Je suis dessus l’Hortense!... Je vais l’é trangler! Je vais voir comment qu’elle gigote elle! Elle se dé pê tre... Je lui barbouille la gueule... Je lui ferme la bouche avec mes paumes... Le pus des furoncles, le sang plein, ç a s’é crase, ç a lui dé gouline... Elle râ le plus fort que papa... Je la cramponne... Elle se convulse... Elle est costaude... Je veux lui serrer aussi la glotte... C’est la surprise... C’est comme un monde tout caché qui vient saccader dans les mains... C’est la vie!... Faut la sentir bien... Je lui tabasse l’occiput à coups buté s dans la rampe... Ç a cogne... Elle ressaigne des tifs... Elle hurle! C’est fendu! Je lui fonce un grand doigt dans l’œ il... J’ai pas la bonne prise... Elle se dé grafe... Elle a rejailli... Elle se carapate... Elle a de la force... Elle carambole dans les é tages... Je l’entends hurler du dehors... Elle ameute... Elle piaille jusqu’en haut... « À l’assassin! À l’assassin!... » J’entends les é chos, les rumeurs. Voilà une rué e qui s’amè ne... ç a cavalcade dans la boutique, ç a grouille en bas dans les marches... Ils se poussent tous à chaque é tage... Ils envahissent... J’entends mon nom... Les voilà !... Ils se concertent encore au deuxiè me... Je regarde... Ç a é merge, c’est Visios! C’est lui le premier qui dé bouche... Depuis l’escalier, il a fait qu’un bond... Il est là, campé, en arrê t, farouche, ré solu... Il me braque tout contre un revolver... Sur la poitrine... Les autres fias, ils me passent par-derriè re, ils m’encerclent, ils m’engueulent, ils groument... Ils me filent des menaces, des injures... Le vieux est toujours dans les pommes... Il est resté é croulé... Il a un petit ruisseau de sang qui lui part de sous la tê te... J’ai plus la colè re du tout... C’est indiffé rent... Il se baisse le Visios, il touche le paquet, il grogne papa, ç a râ le un peu...

Les autres vaches, ils me rebousculent, ils me poussent, ils sont les plus forts... Ils sont extrê mement brutaux... Ils me projettent dans l’escalier... Ils é coutent mê me pas ma mè re... Ils me forcent dans la piè ce en dessous... Je prends tous les coups, comme ils viennent... Je ré siste plus... Il m’en arrive de tout le monde, surtout des coups dans les bû mes... Je peux plus rien ré pondre... C’est Visios, le plus fé roce!... Je prends un coup de godasse en plein ventre... Je tré buche... Je me baisse pas... Je reste là, collé au mur... Ils s’en vont... Ils me crachent encore dans la gueule... Ils me referment à clef.

Au bout d’un instant, tout seul, je suis pris par les tremblements. Des mains... des jambes... de la figure... et de dedans partout... C’est une infâ me cafouillade... C’est une vraie panique des rognons... On dirait que tout se dé colle, que tout se dé bine en lambeaux... Ç a trembloche comme dans une tempê te, ç a branle la carcasse, les dents qui chocottent... J’en peux plus!... J’ai le trou du cul qui convulse... Je chie dans mon froc... J’ai le cœ ur qui bagotte dans la caisse si pré cipité que j’entends plus les rumeurs... ce qu’ils deviennent... J’ai les genoux qui cognent... Je m’allonge tout au long par terre... Je sais plus ce qui existe... J’ai la trouille... J’ai envie de gueuler... Je l’ai pas estourbi quand mê me? Merde! Ç a m’est é gal, mais j’ai l’oignon qui ferme, qui s’ouvre... C’est la contraction... C’est horrible...



  

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