Хелпикс

Главная

Контакты

Случайная статья





Note sur l’édition numérique. 25 страница



Pour le complet, les pantalons, j’ai é té me faire prendre mes mesures, aux « Classes Mé ritantes », prè s des Halles, c’é tait la maison garantie, la ré putation centenaire, surtout pour toutes les cheviottes et mê me les tissus « habillé s », vê tements pratiquement inusables... « Trousseaux de travailleurs » ç a s’appelait... Seulement comme prix, c’é tait salé ! Ç a faisait un terrible sacrifice!...

Nous é tions encore au mois d’aoû t, je fus é quipé pour l’hiver... Ç a ne dure pas longtemps les chaleurs!... Tout de mê me dans le moment pré cis, il faisait extrê mement torride! C’est qu’un petit moment à passer! Les froids eux, sont interminables! La mauvaise saison!... Pour mes dé marches, en attendant, si j’é touffais à plus tenir... Eh bien, je passerais voilà tout, mon veston par-dessus mon bras! Je l’enfilerais au moment de sonner... voilà !...

Ma mè re avait pas dit les sommes que ç a coû terait au mé nage pour m’é quiper... de pied en cap... C’é tait un total fabuleux par rapport à nos moyens... On a raclé les fonds de tiroirs... Elle a eu beau se dé carcasser, se retourner tout le ciboulot, carapater au Vé sinet entre deux trains, foncer encore vers Neuilly, vers Chatou, les jours de marché, remporter tout son fourniment, toute sa camelote la moins tarte... Et les soldes les plus né gociables, elle pouvait pas ré aliser... Elle arrivait pas à la somme... C’é tait un vrai fourbi casse-tê te! Il manquait toujours des vingt francs, vingt-cinq ou trente-cinq. En plus des contributions qui n’arrê taient pas de pleuvoir et des semaines de l’ouvriè re et le terme é chu depuis deux mois... C’é tait l’avalanche é cœ urante!... Elle a rien avoué à papa... Elle a cherché une combine... Elle a porté rue d’Aboukir, chez la mè re Heurgon Gustave (un vraiment sale bric-à -brac), cinq bonnes aquarelles à papa... les trè s meilleures à vrai dire, et pas au quart du prix usuel. Soi-disant « à condition »... Enfin, des sinistres expé dients pour arriver au total... Elle voulait rien prendre à cré dit... Aprè s des semaines acharné es, d’autres ruses et encore des complots, j’ai é té quand mê me revê tu, absolument flamboyant, extrê mement chaud mais solide... Quand je me suis vu sapé tout neuf, j’ai perdu un peu ma confiance! Merde! Ç a me faisait un drô le d’effet! J’avais encore la volonté, mais il me rarrivait des sales doutes... Peut-ê tre que je transpirais trop dans le costard d’hiver? J’é tais comme un four ambulant...

C’é tait un vrai fait vé ritable, que je ne me sentais plus fier du tout, ni rassuré des consé quences... La perspective, là, pour tout de suite, d’aller affronter les patrons... de pré senter mes salades! de m’enfermer dans leurs tô les, ç a me navrait jusqu’aux ventricules. Dans cette putain d’Angleterre, j’avais perdu l’accoutumance de respirer confiné... Il allait falloir que je m’y refasse! C’é tait pas la bourre! Rien que de les apercevoir les patrons possibles, ç a me coupait complè tement le guignol! J’avais la parole é tranglé e... Rien qu’à chercher l’itiné raire, dans la rue, j’en crevais dé jà... Les plaques des noms sur les portes, elles fondaient aprè s les clous tellement ç a devenait une é tuve... Il a fait des 39, 2!

Ce qu’ils me disaient mes dabes, en somme c’é tait bien raisonnable... que j’é tais dans l’â ge dé cisif pour fournir mon effort suprê me... forcer ma chance et mon Destin... Que c’é tait le moment ou jamais pour orienter ma carriè re... Tout ç a c’é tait excellent... C’é tait bien joli... J’avais beau enlever mon costard, mon col, mes godasses, je transpirais de plus en plus... J’avais de la sueur en rigoles... Je prenais les chemins que je connaissais. Je suis repassé devant chez les Gorloge... Ç a m’en refoutait les grelots de revoir leur tô le et la porte cochè re... Rien qu’à penser à l’incident j’avais la crise au trou du cul... Merde! Quel souvenir!...

Devant l’é normité de ma tâ che... en ré flé chissant comme ç a, je perdais tout entrain, j’aimais mieux m’asseoir... Les sous j’en avais plus beaucoup pour prendre des petits bocks... mê me les verres à dix centimes... Je restais sous les voû tes des immeubles... Ils avaient toujours beaucoup d’ombre et des traî tres courants d’air... J’ai é ternué é normé ment... Ç a devenait un vice pendant que je ré flé chissais... À force d’y penser à la fin, toujours et sans cesse, je lui donnais presque raison à mon pè re... Je me rendais compte d’aprè s l’expé rience... que je valais rien du tout... J’avais que des penchants dé sastreux... J’é tais bien cloche et bien fainé ant... Je mé ritais pas leur grande bonté... les terribles sacrifices... Je me sentais là tout indigne, tout purulent, tout vé reux... Je vois bien ce qu’il aurait fallu faire et je luttais dé sespé ré ment,, mais je parvenais de moins en moins... Je me bonifiais pas avec l’â ge... Et j’avais de plus en plus soif... La chaleur aussi c’est un drame... Chercher une place au mois d’aoû t, c’est la chose la plus alté rante à cause des escaliers d’abord et puis des appré hensions qui vous sè chent la dalle à chaque tentative... pendant qu’on poireaute... Je pensais à ma mè re... à sa jambe de laine et puis à la femme de mé nage qu’on pourrait peut-ê tre se procurer si je parvenais à ce qu’on me prenne... Ç a me remontait pas l’enthousiasme... J’avais beau me fustiger, m’efforcer dans l’idé al à coups de suprê mes é nergies, j’arrivais pas au sublime. Je l’avais perdue depuis Gorloge, toute ma ferveur au boulot! C’é tait pitoyable! Et je me trouvais malgré tout, en dé pit de tous les sermons, encore bien plus malheureux que n’importe quel des autres crabes, que tous les autres ré unis!... C’é tait un infect é goï sme! Je m’inté ressais qu’à mes dé boires et je les trouvais là, tous horribles, j’en puais pire qu’un vieux brie gâ teux... Je pourrissais dans la saison, croulant de sueur et de honte, rampant les é tages, suintant aprè s les sonnettes, je dé goulinais totalement, sans vergogne et sans morale.

J’ai dé rivé, sans trop savoir, qu’un peu mal au ventre, à travers les autres vieilles rues, par né gligence, la rue Paradis, rue d’Hauteville, rue des Jeû neurs, le Sentier, j’enlevais quand c’é tait fini, non seulement mon pesant veston, mais encore mon celluloï d, l’extra-ré sistant, c’é tait un vrai truc de chien et puis ç a me foutait des boutons... Je me rhabillais sur le palier. J’ai repiqué au truc des adresses, je les puisais dans le « Bottin ». Au bureau de poste, je me faisais les listes. J’avais plus le rond pour aller boire. Ma mè re laissait traî ner sa bourse, la petite en argent, sur le dessus des meubles... Je la biglais avidement... Tant de chaleur, ç a dé moralise! Un peu plus alors, cette fois-là, j’allais franchement la piquer... J’ai eu souvent extrê mement soif prè s de la fontaine. Ma mè re s’en est je crois aperç ue, elle m’a donné encore deux francs...

Quand je revenais de mes longs pé riples, toujours infructueux, inutiles, à travers é tages et quartiers, il fallait que je me rafistole avant de rentrer dans le Passage, que j’aie pas l’air trop navré, trop dé confit pendant les repas. Ç a aurait plus collé du tout. C’est une chose alors mes dabes qu’ils n’auraient pas pu encaisser, qu’ils avaient jamais pu blairer, qu’ils avaient jamais pu comprendre, que je manque, moi, d’espé rance et de magnifique entrain... Ils auraient jamais tolé ré... J’avais pas droit pour ma part aux lamentations, jamais!... C’é taient des trucs bien ré servé s, les condolé ances et les drames. C’é tait seulement pour mes parents... Les enfants c’é taient des voyous, des petits apaches, des ingrats, des petites raclures insouciantes!... Ils voyaient tous les deux rouge à la minute que je me plaignais, mê me pour un tout petit commencement... Alors c’é tait l’anathè me! Le blasphè me atroce!... Le parjure abominable!...

« Comment, dis? toi petit dé potoir? Comment ce culot infernal? » J’avais pour moi la jeunesse et je foirais en simagré es? Ah! l’effroyable extravagance! Ah! l’impertinence diabolique! Ah! l’effronterie! Tonnerre de Dieu! J’avais devant moi les belles anné es! Tous les tré sors de l’existence! Et j’allais groumer sur mon sort! Sur mes petits revers misé rables? Ah! Jean-de-la-foutre bique! C’é tait l’insolence assassine! Le dé vergondage absolu! La pourriture inconcevable! Pour me faire rentrer mon blasphè me, ils m’auraient bigorné au sang! Y avait mê me plus de jambe qui tienne, ni d’abcè s, ni de souffrances atroces!... Ma mè re se redressait d’un seul bond! « Petit malheureux! Tout de suite! Petit dé voyé sans entrailles! Veux-tu retirer ces injures... »

Je m’exé cutais. Je discernais pas trè s bien les fé licité s de la jeunesse, mais eux ils semblaient connaî tre... Ils m’auraient franchement abattu si je m’é tais pas ré tracté... Si j’é mettais le plus petit doute et que j’avais l’air de bê cher ils se raisonnaient plus du tout... Ils auraient pré fé ré ma mort que de m’entendre encore profaner, mé priser les dons du Ciel. Ses yeux à ma mè re ré vulsaient de rage et d’effroi quand je subissais l’entraî nement! Elle m’aurait viré dans la trompe tout ce qu’elle trouvait sous sa main... seulement pour que j’insiste plus... Moi, j’avais droit qu’à me ré jouir! et à chanter les louanges! J’é tais né sous la bonne é toile! moi calamité ! J’avais des parents qu’é taient voué s, eux, et ç a suffisait tout à fait, absolument exclusifs oui! à toutes les angoisses et les fatalité s tragiques... Moi j’é tais que la brute et c’est tout! Silence! L’incroyable fardeau des familles!... Moi j’avais qu’à m’exé cuter... et des ré tablissements pé pè res! Faire oublier toutes mes fautes et mes dispositions infectes!... C’é tait pour eux tous les chagrins! c’é tait pour eux toutes les complaintes! C’est eux qui comprenaient la vie! c’est eux, qu’avaient toute l’â me sensible! Et qui souffrait horriblement? dans les plus atroces circonstances? les abominations du sort?... C’é taient eux! C’é tait eux toujours absolument, entiè rement seuls! Ils voulaient pas moi que je m’en mê le, que je fasse mê me mine de les aider... que j’en tâ te un peu... C’é tait leur ré serve absolue! Je trouvais ç a extrê mement injuste. On pouvait plus du tout s’entendre.

Ils avaient beau dire et sacrer, je gardais moi toutes mes convictions. Je me trouvais aussi victime à tous les é gards! Sur les marches de l’Ambigu, là juste au coin de la « Wallace » elles me revenaient ces conjectures... C’é tait é vident!...

Si j’avais fini de tapiner, que c’é tait une journé e perdue, je m’aé rais franchement les godasses... Je fumais le mince mé got... Je me renseignais un petit peu auprè s des autres potes, les autres pilonneurs de l’endroit, toujours pleins de rencards et de faux condé s... Ils é taient pas chiches en discours... Ils connaissaient toutes les annonces, n’importe laquelle « petite affiche », les figurations diverses... Y avait un tatoueur parmi, qui, en plus, tondait les chiens... Tous les condé s à la gomme... Les Halles, la Villette, Bercy... Ils é taient pouilleux comme une gare, crasspets, dé glingué s, ils s’é changeaient les morpions... Avec ç a, ils exagé raient que c’é tait des vrais dé lires! Ils arrê taient pas d’installer, ils s’é poumonaient en bluff, ils se sortaient la rate pour raconter leurs relations... Leurs victoires... Leurs ré ussites... Tous les fantasmes de leurs destins... Y avait pas de limites à l’esbroufe... Ils allaient jusqu’au couteau et au canal Saint-Martin pour ré gler la contradiction... à propos d’un fameux cousin qu’é tait Conseiller gé né ral... Ils pré tendaient n’importe quoi! Mê me parmi les hommes-sandwichs les plus croquignols... ils tenaient à certains é pisodes dont il fallait pas se marrer... C’est le roman qui pousse au crime encore bien pire que l’alcool... ils avaient plus de crocs pour bouffer, tellement qu’ils é taient vermoulus, ils avaient fourgué leurs lunettes... Ils ramenaient encore leur fraise! C’é tait pas croyable comme ballon... Je me voyais peu à peu tout comme...

C’é tait vers les cinq heures du soir, quand je suspendais mes tentatives... Y en avait marre pour la journé e!... L’endroit é tait favorable aux convalescences, une vraie plage... On se refaisait bien les arpions... C’é tait la plage de l’Ambigu, tous les traî nards, les pompes « à croume », certains qu’é taient pas trop fainé ants mais qu’aimaient mieux pinter la chance que de ramper sous la chaleur. C’est des choses faciles à concevoir... Toute la largeur du thé â tre, sous les marronniers... La grille pour accrocher les diverses choses... On prenait pas mal ses aises... on é changeait des canettes... Le boudin blanc « à la mode », et l’ail, et le tutu, et les fromages camembert... Sur l’escalade et les marches ç a faisait une vraie Acadé mie... Y avait toutes les sortes d’habitudes... Je les retrouvais presque les mê mes depuis toujours... depuis le temps que je faisais la place pour Gorloge... Y avait un fond de petits marles, et puis des bourres pas pressé s... des harengs saurs de tous les â ges... et qui gagnaient pas chouia aux renseignements de la P. P. Ils faisaient traî ner les manilles... Y avait toujours deux ou trois « boucs » qu’essayaient de provoquer la chance... Y avait des placiers trop â gé s qui laissaient tomber la « marmotte »... qu’on voulait plus dans les maisons... Y avait les lopailles trop vertes pour aller dé jà au Bois... Une mê me qui revenait tous les jours, son truc c’é tait les pissotiè res et surtout les croû tes de pain qui trempent dans les grilles... Il racontait ses aventures... Il connaissait un vieux juif qu’é tait amateur passionné, un charcutier rue des Archives... Ils allaient dé vorer ensemble... Un jour, ils se sont fait poisser... On l’a pas revu pendant deux mois... Il é tait tout mé connaissable quand il est revenu... Les bourres l’avaient si bien tabassé, qu’il sortait juste de l’hô pital... Ç a l’avait tout retourné, la trempe... Il avait mué dans l’entre-temps. Il avait pris comme une voix de basse. Il se laissait pousser toute la barbe... Il voulait plus manger la merde.

Y avait aussi la proxé nè te en fait de sé duction dans le parage. Elle promenait sa fille, la gamine en grands bas rouges, devant les « Folies Dramatiques »... Il paraî t que c’é tait vingt points... Ç a m’aurait joliment bien dit... C’é tait la fortune à l’é poque... Elles regardaient mê me pas de notre cô té, nous autres pougnassons... On avait beau faire des appels...

On se rapportait des journaux et des plaisanteries de nos tourné es... L’ennuyeux c’é tait les morbaques... J’en ai ramené moi forcé ment... Il a fallu que je m’onguente... C’é tait une vraie calamité les totos de devant l’Ambigu... C’é tait surtout les mé gotiers, ceux qui traî naient dans les terrasses qu’en é taient farcis... Ils allaient en chœ ur à Saint-Louis chercher la pommade... Ils partaient ensemble à la « frotte »...

Je vois encore mon chapeau de paille, le canotier renforci, je l’avais toujours à la main, il pesait bien ses deux livres... Il fallait qu’il me dure deux anné es, si possible trois... Je l’ai porté jusqu’au ré giment, jusqu’à la classe 12, c’est-à -dire. Mon col, je l’enlevais une fois de plus, il me laissait une marque terrible, une toute cramoisie... Tous les hommes d’abord à l’é poque, ils le gardaient jusqu’à la mort, le sillon rouge autour du cou. C’é tait comme un signe magique.

Fini de commenter les annonces, les drô les d’amorces du boulot, on se rabattait sur la colonne des sportifs, avec é preuves « Buffalo » et les six jours en perspective, et Morin et le beau Faber favori... Ceux qui pré fé raient du « Longchamp », ils se planquaient dans le coin opposé... Les mô mes du tapin qui passaient, repassaient... On les inté ressait pas, elles continuaient leur ruban... On n’é tait nous bons qu’en parlotes, une bande de foutues flanelles...

Les tout premiers autobus, les merveilleux « Madeleine-Bastille » qu’avaient le haut impé rial, ils y mettaient toute la sauce, tous leurs explosifs, à cet endroit juste, pour escalader la rampe... C’é tait un spectacle cent pour cent, c’é tait un bacchanal terrible! Ils crachaient toutes les eaux bouillantes contre la porte Saint-Martin. Les voyageurs au balcon prenaient part à la performance... C’é tait la vraie té mé rité. Ils pouvaient culbuter l’engin à la maniè re qu’ils se penchaient tous sur le mê me cô té à la fois, sur le parapet, dans les é motions et les transes... Ils se raccrochaient aux franges, aux zincs, aux dentelures, au pourtour de la balustrade... Ils poussaient des cris de triomphe... Les chevaux é taient dé jà vaincus, on se rendait là compte trè s nettement... C’est seulement sur les mauvaises routes qu’ils pouvaient encore pré tendre... L’oncle É douard le disait toujours... Enfin devant l’Ambigu, comme ç a, entre cinq et sept, je l’ai bien vu venir le Progrè s... mais je trouvais toujours pas une place... Je rentrais chaque fois à la maison, Gros-Jean comme devant... Je trouvais toujours pas le patron qui me ferait refaire mes dé buts... Comme apprenti, ils me refoulaient, j’avais dé jà dé passé l’â ge... Comme vé ritable employé, je faisais encore beaucoup trop jeune... J’en sortirais pas de l’â ge ingrat... et mê me si je parlais bien l’anglais c’é tait exactement pareil!... Ils avaient pas l’utilité ! Ç a concernait que les grandes boutiques, les langues é trangè res. Et là ils faisaient pas de dé butants!... De tous cô té s j’é tais de la bourre!... Que je m’y prenne comme ci ou comme ç a!... C’é tait toujours du kif mouscaille...

Tout doucement alors, à petites doses, je mettais au courant ma mè re des ré flexions que je ré coltais, que ç a me semblait pas trè s brillant toutes mes perspectives... Elle é tait pas dé courageable... Elle faisait maintenant des autres projets, pour elle-mê me alors, pour une entreprise toute nouvelle, toujours beaucoup plus laborieuse. Ç a la tracassait depuis longtemps, maintenant elle s’é tait ré solue!... « Tu vois, mon petit ami, je vais pas le dire encore à ton pè re, garde donc tout ceci bien pour toi... Il aurait encore le pauvre homme une terrible dé ception!... Il souffre dé jà beaucoup trop de nous voir aussi malheureux... Mais entre nous, Ferdinand, je crois que notre pauvre boutique... Tst! Tst! Tst!... Elle pourra pas s’en relever... Hum! Hum! je crains bien le pire tu sais!... C’est une affaire entendue!... La concurrence dans notre dentelle est devenue comme impossible!... Ton pè re ne peut pas lui s’en rendre compte. Il ne voit pas les affaires comme moi de tout prè s, chaque jour... Heureusement, mon Dieu, merci! C’est plus pour quelques cents francs mais pour des mille et milliers de francs qu’il nous faudrait de la camelote pour avoir un vrai choix moderne! Où donc trouver une telle fortune? Avec quel cré dit, mon Dieu? Tout ç a n’est possible qu’aux grandes entreprises! Aux boî tes colossales!... Nos petits magasins, tu vois, sont condamné s à disparaî tre!... Ç a n’est plus qu’une question d’anné es... De mois peut-ê tre!... Une lutte acharné e pour rien... Les grands bazars nous é crasent... Je vois venir tout ç a depuis longtemps... Dé jà du temps de Caroline... on avait de plus en plus de mal... ç a n’est pas d’hier!... Les mortes-saisons s’é ternisent... et chaque anné e davantage!... Elles duraient comme ç a de plus en plus... Alors moi, tu sais, mon petit... c’est pas l’é nergie qui me manque!... Il faut bien que nous en sortions!... Voilà alors ce que je vais tenter... aussitô t que ma jambe ira mieux... mê me si je pouvais un peu sortir. Alors j’irais demander une “ carte ”... dans une grande maison... J’aurais pas de mal à la trouver!... Ils me connaissent depuis toujours!... Ils savent comment je me dé brouille! Que c’est pas le courage qui me manque... Ils savent que ton pè re et moi, nous sommes des gens irré prochables... qu’on peut bien tout nous confier... n’importe quoi!... ç a je peux le dire... Marescal!... Bataille!... Roubique!... Ils me connaissent depuis Grand-mè re!... Je suis pas une novice sur la place... Ils me connaissent depuis trente ans, ils me connaissent depuis toujours comme vendeuse et comme commerç ante... J’aurais pas de mal à trouver... J’ai pas besoin d’autres ré fé rences... J’aime pas travailler pour les autres... Mais à pré sent y a plus le choix... Ton pè re ne se doutera de rien... absolument... Je dirai que je vais chez une cliente... Il n’y verra que du feu!... Je partirai comme à l’habitude, je serai toujours rentré e pour l’heure... Il aurait honte le malheureux de me voir travailler chez autrui... Il serait humilié le pauvre homme... Je veux lui é pargner tout ç a!... À n’importe quel prix!... Il s’en relè verait pas!... Je saurais plus comment le retaper!... Sa femme employé e chez les autres!... Mon Dieu!... Dé jà avec Caroline, il en avait gros sur le cœ ur... Enfin il se rendra compte de rien!... Je ferai mes tourné es ré guliè rement... Un jour une rue, l’autre jour une autre... Ç a sera beaucoup moins compliqué... que ce perpé tuel é quilibre!... Cette sale voltige qui nous crè ve!... Toujours des tours de force!... À boucher des trous partout! c’est infernal à la fin! Nous y laisserons toute notre peau! Nous aurons beaucoup moins de frayeurs! Payer ici! Payer par là ! Y arrivera-t-on? Quelle horreur! Quelle torture qui n’en finit pas... On aura que des petites rentré es, mais absolument ré guliè res... Plus de retournements! Plus de cauchemars! C’est ç a qui nous a manqué !... Toujours!... Quelque chose de fixe! Ç a ne sera plus comme depuis vingt ans! Un dé ratage perpé tuel! Mon Dieu! Toujours à la chasse aux “ cent sous ”! Et les clientes qui ne payent jamais! À peine encore qu’un trou bouché qu’en voilà un autre!... Ah! c’est joli l’indé pendance! Je l’aimais pourtant, ma mè re aussi! mais je ne peux plus... Nous finirons bien, tu verras, en nous y mettant tous ensemble par joindre les deux bouts!... On l’aura la femme de mé nage! puisque ç a lui fait tant plaisir!... sans compter que j’en ai bien besoin! Ç a sera pas de luxe! »

Ma mè re, c’é tait du nougat pour elle, un nouveau truc bien atroce, un tour de force miraculeux... C’é tait jamais trop rigoureux, trop difficile! Elle aurait bien aimé au fond à se taper le boulot pour tout le monde. À traî ner toute seule la boutique... et la famille entiè rement, entretenir encore l’ouvriè re... Elle cherchait jamais pour elle à comparer, à comprendre... Du moment que c’é tait infect comme labeur, comme angoisse, elle s’y reconnaissait d’autor... C’é tait son genre, son naturel... Que je me fasse le train, oui ou merde, ç a changerait pas la marche des choses... J’é tais certain qu’avec une bonne, elle travaillerait cinquante fois plus... Elle y tenait é normé ment à sa condition fé roce... Pour moi, c’é tait pas du kif... J’avais comme un ver dans la pomme. J’é tais profiteur en rapport... Peut-ê tre que ç a provenait surtout de mon sé jour à Rochester, à ne rien foutre chez Merrywin... J’é tais devenu franchement fainé asse? Je me mettais à ré flé chir au lieu de m’é lancer au trimard?... Je faisais plutô t des efforts mous pour la trouver au fond cette place... J’é tais pris comme par un flou devant chaque sonnette... J’avais pas le sang des martyrs... Merde! Je manquais du vice des tout petits!... Je remettais toujours les choses un peu au lendemain... J’ai essayé d’un autre quartier, un moins torride, avec plus de brise... plus ombragé, pour chasser un petit peu l’emploi... J’ai inspecté les boutiques autour des Tuileries... Sous les belles arcades... dans les grandes avenues... J’allais demander aux bijoutiers, si ils voulaient pas d’un jeune homme?... J’é bouillantais dans mon veston... Ils avaient besoin de personne... Je restais aux Tuileries sur la fin... Je parlais aux gonzesses à la traî ne... Je passais des heures dans les buissons... à rien foutre, vraiment à l’anglaise, qu’à boire des timbales et faire marcher les « plaisirs », les petits cadrans sur les cylindres... Y avait aussi l’homme-coco et l’orchestre-cymbale autour des chevaux à « boudins »...

Tout ç a c’est loin dans le passé... Un soir je l’ai aperç u mon pè re... Il longeait les grilles. Il s’en allait aux livraisons... Alors pour pas courir le risque, je restais plutô t dans le Carrousel... Je me planquais entre les statues... Je suis entré une fois au Musé e. C’é tait gratuit à l’é poque... Les tableaux, moi je comprenais pas, mais en montant au troisiè me, j’ai trouvé celui de la Marine. Alors je l’ai plus quitté. J’y allais trè s ré guliè rement. J’ai passé là, des semaines entiè res... Je les connaissais tous les modè les... Je restais seul devant les vitrines... J’oubliais tous les malheurs, les places, les patrons, la tambouille... Je pensais plus qu’aux bateaux... Moi, les voiliers, mê me en modè les, ç a me fait franchement dé conner... J’aurais bien voulu ê tre marin... Papa aussi autrefois... C’é tait mal tourné pour nous deux!... Je me rendais à peu prè s compte...

En rentrant à l’heure de la soupe, il me demandait ce que j’avais fait?... Pourquoi j’arrivais en retard... — J’ai cherché ! que je ré pondais... Maman avait pris son parti. Papa, il grognait dans l’assiette... Il insistait pas davantage.

On lui avait dit à ma mè re, qu’elle pourrait tout de suite essayer sa chance au marché du Pecq et mê me à celui de Saint-Germain, que c’é tait le moment ou jamais de la vogue ré cente, que les gens riches s’installaient partout dans les villas du coteau... qu’ils aimeraient sû rement ses dentelles pour leurs rideaux dans les chambres, les dessus de lit, les jolis brise-bise... C’é tait l’é poque opportune.

Tout de suite elle s’est é lancé e. Pendant une semaine entiè re elle a parcouru toutes les routes, avec son barda, bourré des cinq cents camelotes... Depuis la gare de Chatou jusqu’à Meulan presque... Toujours à pompe et boquillonne... Heureusement, il faisait trè s beau! La pluie c’é tait la catastrophe! Elle é tait dé jà heureuse, elle é tait parvenue à vendre une bonne partie des « rossignols », des guipures à franges et les lourds châ les de Castille qu’é taient en rade depuis l’Empire! Ils prenaient goû t dans les villas pour nos vraies curiosité s! Il fallait qu’ils meublent en vitesse... Ils se laissaient un peu é tourdir... C’é tait l’optimisme, l’enthousiasme du panorama sur Paris. Ma mè re poussait la consomme, elle profitait bien de sa chance. Seulement un joli matin, sa jambe a plus remué du tout. C’é tait fini l’extravagance, les dures randonné es... Mê me l’autre genou é tait en feu... il a gonflé aussi du double...



  

© helpiks.su При использовании или копировании материалов прямая ссылка на сайт обязательна.