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Note sur l’édition numérique. 23 страница



Depuis huit mois j’é tais parti!... Comment qu’ils é taient eux devenus en bas sous le vitrage?... C’est pas d’erreur! Encore plus cons?... Plus canulants?... Ceux de Rochester, je les reverrais plus sans doute jamais ces gonzes-là ! J’ai jeté encore par la fenê tre, la grande guillotine, un dernier coup d’œ il sur la perspective... Il faisait un temps clair idé al... C’é tait bien visible, toutes les rampes, les docks allumé s... les feux des navires qui croisent... le grand jeu de toutes les couleurs... comme des points qui se cherchent au fond du noir... J’en avais vu partir beaucoup moi dé jà des navires et des passagers... des voiles... des vapeurs... Ils é taient au diable à pré sent... de l’autre cô té... au Canada... et puis d’autres en Australie... toutes voiles dehors... Ils ramassaient les baleines... J’irais moi, jamais voir tout ç a... J’irais au Passage... rue Richelieu, rue Mé hul... J’irais voir mon pè re faire craquer son col... Ma mè re... ramasser sa jambe... J’irais chercher des boulots... Il allait falloir que je recause, que j’explique pourquoi du comment! Je serais fabriqué comme un rat... Ils m’attendaient pourris de questions... J’avais plus qu’à mordre... J’en avais le cœ ur qui se soulevait à la perspective...

Il faisait tout nuit dans la piaule, j’avais soufflé la calebombe... Je m’allonge alors d’un coup sur le plume, tout habillé, je me repose... Je vais m’endormir tel que... Je me disais comme ç a: « Toto, enlè ve pas ta pelure... tu pourras te casser à la premiè re lueur... » J’avais plus rien à dé couvrir... tout mon truc é tait pré paré. J’avais pris mê me des serviettes... Jonkind finalement il s’endort... Je l’entends qui ronfle... Je dirai « au revoir » à personne!... Ni vu ni connu!... J’aurai pas droit aux effusions!... Je commenç ais à somnoler!... Je me tapais un tout petit rassis... J’entends la porte qui tournique... Mon sang fait qu’un tour!... Je me dis « Gafe! Toto! Vingt contre un, que c’est les adieux!... T’es encore bidon ma caille!... »

J’entends un petit pas lé ger... un glissement... c’est elle! un souffle! Je suis fait Bonnard!... Je pouvais plus calter!... Elle attend pas! Elle me paume en trombe, d’un seul é lan sur le page! C’est bien ç a!... Je prends tout le choc dans la membrure! Je me trouve é treint dans l’é lan!... congestionné, raplati sous les caresses... Je suis trituré, je n’existe plus... C’est elle, toute la masse qui me fond sur la pê che... ç a glue... J’ai la bouille coincé e, j’é trangle... Je proteste... j’implore... J’ai peur de gueuler trop fort... Le vieux peut entendre!... Je me ré vulse!... Je veux me dé gager par-dessous!... Je me recroqueville... j’arc-boute! Je rampe sous mes propres dé bris... Je suis repris, é tendu, sonné à nouveau... C’est une avalanche de tendresses... Je m’é croule sous les baisers fous, les liches, les saccades... J’ai la figure en compote... Je trouve plus mes trous pour respirer... « Ferdinand! Ferdinand! » qu’elle me supplie... Elle me sanglote dans les conduits... Elle est é perdue... Je lui renfonce dans la goulette, tout ce que je me trouve de langue, pour qu’elle gueule pas tant... Le vieux dans sa crè che il va sû rement sursauter!... J’ai la terreur des cocus... Y en a des horribles...

J’essaye de bercer sa douleur, qu’elle se contienne un peu... Je calfate au petit hasard!... je me dé pense... je m’é vertue... je dé ployé toutes les fines ruses... Je suis dé bordé quand mê me... elle me passe des prises effré né es... Elle en saccade tout le plumard! Elle se dé bat la forcené e... Je m’acharne... J’ai les mains qui enflent tellement je lui cramponne les fesses! Je veux l’amarrer! qu’elle bouge plus! C’est fait! Voilà ! Elle parle plus alors! Putain de Dieu! J’enfonce! Je rentre dedans comme un souffle! Je me pé trifie d’amour!... Je ne fais plus qu’un dans sa beauté !... Je suis transi, je gigote... Je croque en plein dans son nichon! Elle grogne... elle gé mit... Je suce tout... Je lui cherche dans la figure l’endroit pré cis prè s du blaze, celui qui m’agace, de sa magie du sourire... Je vais lui mordre là aussi... surtout... Une main, je lui passe dans l’oignon, je la laboure exprè s... j’enfonce... je m’é crabouille dans la lumiè re et la bidoche... Je jouis comme une bourrique... Je suis en plein dans la sauce... Elle me fait une embardé e farouche... Elle se dé grafe de mes é treintes, elle s’est tiré e la salingue!... elle a rebondi pile en arriè re... Ah merde! Elle est dé jà debout!... Elle est au milieu de la piè ce!... Elle me fait un discours!... Je la vois dans le blanc ré verbè re!... en chemise de nuit... toute redressé e!... ses cheveux qui flottent... Je reste là, moi, en berloque avec mon panais tendu...

Je lui fais: « Reviens donc!... » J’essaye comme ç a l’amadouer. Elle semble furieuse d’un seul coup! Elle crie, elle se dé mè ne... Elle recule encore vers la porte. Elle me fait des phrases, la charogne!... « Good-bye, Ferdinand! qu’elle gueule, Good-bye! Live well, Ferdinand! Live well!... » C’est pas des raisons...

Encore un scandale! Putinaise! Je saute alors du pageot!... Celle-là je vais la raplatir! Ç a sera la derniè re! Bordel de mon sacré cul! Elle m’attend pas la fumiè re! Elle est dé jà dé gringolé e!... J’entends la porte en bas qui s’ouvre et qui reflanque brutalement!... Je me pré cipite! Je soulè ve la guillotine... J’ai juste le temps de l’apercevoir qui dé vale au bord de l’impasse... sous les becs de gaz... Je vois ses mouvements, sa liquette qui fré tille au vent... Elle dé bouline les escaliers... La folle! Où qu’elle trisse?

Ç a me traverse l’esprit en é clair, que ç a va faire un vrai malheur!... Je me dis « Ç a y est! c’est bien pour ta gomme! C’est la catastrophe mironton! C’est bien pour tes fesses! Ç a fait pas l’ombre d’un poil! merde! Rantanplan!... Elle va se foutre à pré sent au jus!... » Je sentais que c’est couru! Elle est possé dé e! Merde!... Je pourrai t’y la rattraper?... Mais j’y suis pour rien!... J’y peux rien!... J’entrave pouic moi dans ce manè ge... J’é coute... Je regarde par la lourde du couloir... si je l’aperç ois pas sur les quais... Elle doit ê tre parvenue en bas... Encore un coup! encore des cris!... et puis des « Ferdinand »!... des autres... des clameurs qui traversent le ciel!... C’est encore elle la canasse, de tout en bas qu’elle glapit!... Elle est soufflé e!... Bordel de vache! Je l’entends de tout au fond du port! Je me turlupine!... Je m’é carquille! On dira que je savais des choses!... Sû rement que je vais ê tre é pinglé !... J’y coupe pas... À moi les menottes! Je m’é motionne terriblement... Je vais secouer l’idiot dans son panier... Si je le laisse seul un instant et qu’il prenne encore la panique?... il fera que des conneries en plus... il foutra le feu à toute la crè che... Saloperie! Je le dé canille... Je le dé campe de son grillage... je le vire tel quel, en kimono... je le tire en vrac dans l’escalier...

Une fois dehors, dans l’impasse, je me penche au-dessus des rocailles, j’essaye de revoir jusqu’au pont, dessous les lumiè res... Où ç a qu’elle peut bagotter? En effet! je l’aperç ois bien... c’est une tache... Ç a vacille à travers les ombres... Une blanche qui virevolte... C’est la mô me sû rement, c’est ma folle! Voltige d’un ré verbè re à l’autre... Ç a fait papillon la charogne!... Elle hurle encore par-ci, par-là, le vent rapporte les é chos... Et puis un instant c’est un cri inouï, alors un autre, un atroce qui monte dans toute la vallé e... « Magne enfant! que je rambine le gniard! Elle a sauté notre Lisette! Jamais qu’on y sera! C’est nous les bons pour la mouillette! Tu vas voir Toto! Tu vas voir! »

Je m’é lance, je dé ferle à travers les marches, les espaces... Flac! Comme ç a! D’un coup pile!... En plein au milieu de l’escalier! Mon sang fait qu’un tour!... La ré flexion qui me saisit. Je bloque! Je trembloche! Ç a va! Ç a suffit. J’avance plus d’un pas!... Des clous! Je me ravise! Je gafe!... Je me repenche un coup sur la rampe! J’aperç ois... C’est plus trè s bas l’endroit du quai d’où ç a venait... Ç a grouille à pré sent tout autour!... Le monde rapplique de partout!...

L’esplanade est bondé e de sauveteurs! Il en radine encore d’autres. Ç a discute... Ç a se dé mè ne de tous les coins avec des perches, des ceintures et des canoë s... Tous les sifflets, les sirè nes se mettent ensemble à mugir... C’est un vacarme, c’est la bagarre!... Mais ils se dé battent! ils se dé pensent... Ils attrapent rien... Le petit carré blanc dans les vagues... il est emporté toujours plus...

Je la vois, moi, encore, d’où je suis, trè s bien dans le milieu des eaux... elle passe au large des pontons... J’entends mê me comme elle suffoque... J’entends bien son gargouillis... J’entends encore les sirè nes... Je l’entends trinquer à travers... Elle est prise par la maré e... Elle est emmené e dans les remous... Ce petit bout de blanc dé passe le mô le! Ô ma tante! Ô merde afur! Elle a sû rement tout trinqué !... Accé lè re que je rambine le fiotte! que je lui bourre le train au mignard! Faut pas qu’on nous retrouve nous dehors!... Qu’on soye planqué s quand ils reviennent... Ah dis donc!

Il en peut plus d’avoir couru... Je le repousse... je le projette... Il voit plus rien sans ses lunettes... Il voit mê me plus les ré verbè res. Il se met à buter partout... Il râ le comme un clebs... Je le saisis et je le soulè ve, je le transporte et j’escalade!... Je le balance au fond de son lit... Je rebondis vers la porte du vieux!... Je cogne un coup extrê mement fort! Pas un mot de ré ponse!... Ç a va! Je recogne! Je tape!... Alors je pousse le tout! Je dé fonce!... Ç a y est! Il est là exact!... Il est comme je l’avais vu... Il est affalé devant sa grille, vautré, rubicond... Il se caresse le bide pas nerveux... Il me regarde puisque je l’interromps... Il cligne un peu, il papillote... Il se rend pas compte... « Elle se noie! Elle se noie!... » que je l’interpelle... Et je lui ré pè te encore plus fort!... Je m’é poumone... Je fais mê me les gestes... J’imite comme ç a la glougloute... Je lui montre en bas!... Dans la vallé e... par la fenê tre! En bas! En bas! La Medway! « River! River! En bas! Water!... » Il veut se soulever un tout petit peu... ç a le fout à roter l’effort. Il bascule, il retombe sur un tabouret... « Oh! gentil Ferdinand! qu’il me dit... Gentil Ferdinand! » Il me tend mê me la main... Mais son bilboquet s’entortille... Il est coincé dans le fauteuil... Il tire, il peut plus... Il fout en bas toutes les bouteilles... Tout le whisky qui dé gouline... La marmelade, le pot chahute... Tout renverse... ç a fait cascade, ç a le fait trè s rire... Il s’en convulse... Il veut rattraper les choses... La sauce... tout s’é croule... l’assiette aussi carambole... il dé rape dessus les morceaux... Il va planer sous la banquette. Il en bouge plus... Il est calé contre la cheminé e... Il me montre comment qu’il faut faire... Il rumine... il grogne... Il se masse le bide tout en rond... Il se tripote bien les bourrelets... Il se triture comme ç a dedans lentement... Il se les malaxe... il se les é carte... Il repasse encore dans les plis.

Je sais plus du tout ce que je veux dire... Je pré fè re pas insister. Je referme sa porte, je rentre au dortoir... Je me dis comme ç a: « Tu vas te barrer au tout petit jour... » Mon bagage est là qu’est prê t!... Je m’allonge un peu sur le plume... mais je me relè ve presque tout de suite... Je suis ressaisi par la panique... Je sais pas exactement pourquoi. Je me mets à repenser à la mô me... Je regarde encore par la fenê tre... J’é coute... On entend plus les bruits... plus rien du tout... Y a plus un bonhomme sur le quai... Ils sont tous repartis dé jà ?

Alors, ç a me tracasse brusquement, malgré la terreur, la fatigue... Je peux plus ré sister... Je veux aller pour voir en bas s’ils l’ont pas ressortie du jus?... Je renfile comme ç a mon grimpant, ma veste, mon costard... Le mô me il en é crasait dur... Je l’enferme dans le dortoir à clef... Je voulais revenir immé diatement... Je me dé grouille vite... J’arrive tout en bas des marches... Je vois un flic qui fait sa ronde... Je vois un marin qui m’interpelle... Ç a me refroidit... Ç a m’é pouvante... Je reste comme ç a dans mon recoin... Ah caille! Je bouge pas davantage! C’est trop compliqué pour mon blaze! J’en peux plus d’abord! Je reste encore un bon moment... Il passe plus personne. Le pont d’où qu’elle a sauté. Il est là -bas... Je vois les lumiè res, les rouges, une longue ribambelle, ç a tremblote dans les reflets de la flotte... Je me dis, je vais remonter... C’est bientô t!... Ils sont peut-ê tre là -haut à pré sent les bourres!... Je pense... J’imagine... Je suis é puisé... je suis sonné... Et pas bien du tout au fond!... Je suis à bout quoi!... Sans char, je peux plus arquer... Je peux plus remonter au Meanwell... Je veux plus tenter mê me... Je m’appuye... Je peux rien faire moi!... j’y suis pour rien dans la salade! Rien du tout!... Je veux barrer comme ç a tout seul... Je me tire tout doucement vers la gare... Je referme bien mon pardessus... Je veux plus qu’on me connaisse... Je longe peu à peu les murs... Je rencontre vraiment personne... La salle d’attente est ouverte... Ah ben ç a va!... Je m’allonge un peu sur le banc... Y a un poê le auprè s... Je suis au mieux... Je suis dans le noir... Le premier train c’est « le cinq heures » pour Folkestone... J’ai pas pris une seule des « affaires »? Elles é taient là -haut sur le lit... Tant pis!... j’en rapporterai pas... Je veux plus retourner... C’est plus possible... C’est barrer qu’il faut à toute force... Je me rassois pour pas m’endormir... Je suis sû r de le prendre le « cinq heures »... Je reste juste là sous la pancarte... Je m’é tale juste au-dessous... Je m’é tends. 5 o’clock Folkestone via Canterbury.

Revenant comme ç a sans bagage, rapportant rien de mes bricoles, je m’attendais bien pour ma part à ê tre reç u avec le manche... Pas du tout!... Ils avaient l’air content mes vieux, ils é taient plutô t heureux de me voir arriver... Ils ont seulement é té surpris que je ramè ne pas une seule chemise ni une seule chaussette, mais ils n’ont pas insisté... Ils ont pas fait le scé nario... Ils é taient bien trop absorbé s par leurs soucis personnels...

Depuis huit mois que j’é tais parti, ils avaient beaucoup changé d’allure et de maintien, je les trouvais ratatiné s, tout racornis dans la figure, tout hé sitants dans leur dé marche... Dans ses pantalons, à l’endroit des genoux, mon pè re, il flottait, ils lui retombaient en gros plis comme un é lé phant tout autour. De tronche, il é tait livide, il avait perdu tout le dessus des tifs, sous sa casquette, la marine, il disparaissait... Ses yeux é taient presque sans couleur à pré sent, ils é taient mê me plus du tout bleus, mais gris, tout pâ lis, comme le reste de sa figure... Il avait plus que les rides qu’é taient coloré es foncé es, par sillons du nez vers la bouche... Il se dé té riorait... Il m’a pas parlé de grand-chose... Il m’a demandé un peu seulement comment ç a se faisait qu’on ré pondait plus d’Angleterre?... Si ils é taient mé contents de moi au « Meanwell College »?... Si j’avais fait des progrè s?... Si j’avais attrapé l’accent?... Si je comprenais les Anglais quand ils me parlaient vite?... J’ai bafouillé des vagues raisons... Il en demandait pas davantage...

D’ailleurs, il m’é coutait plus... Il avait bien trop la panique pour s’inté resser encore à des choses qu’é taient terminé es. Il tenait plus à discuter... Par ses lettres pourtant bien moroses j’avais pas encore tout appris!... Loin de compte!... Il en restait des quantité s! Des calamité s! des plus ré centes, des iné dites! Alors, j’ai tout entendu, dans tous les dé tails... C’é tait vé ritable toute la peine qu’ils s’é taient donné e pour m’envoyer ma pension pendant les premiers six mois... Un mal exté nuant!... La catastrophe des bolé ros ç a les avait foutus au sable... Et c’é tait tout à fait textuel!... Le chronomè tre à mon pè re il ne quittait plus le Mont-de-Pié té !... La bague à ma mè re non plus... Des hypothè ques sur Asniè res, ils en avaient pris d’autres encore... sur les pavillons en bribes...

De plus avoir son chronomè tre, mon pè re ç a l’affolait complè tement... De plus avoir l’heure sur lui... ç a contribuait à sa dé route. Lui si ponctuel, si organisé, il é tait forcé de regarder à chaque instant l’horloge du Passage... Il sortait pour ç a sur le pas de la porte... La mè re Ussel des « ouvrages » l’attendait au moment pré cis... Elle lui faisait alors toc! tic! toc! toc!... pour le faire bisquer... elle tirait la langue...

D’autres difficulté s survenaient... Elles se nouent les unes dans les autres, c’est une vraie chipolata... Y en avait bien de trop pour leurs forces... Ils se recroquevillaient dans le malheur, ils se dé composaient, ils se mutilaient du dé sespoir, ils se morfondaient fé rocement pour opposer moins de surface... Ils essayaient de se faufiler par-dessous les catastrophes... Rien à faire! Ils se faisaient cueillir quand mê me, passer à tabac, tous les coups.

Mme Hé ronde, l’ouvriè re, elle pouvait plus travailler, elle sortait plus de l’hô pital... C’est Mme Jasmin, une autre, qui la remplaç ait, celle-là pas sé rieuse pour un sou!... Un panier percé à vrai dire, terrible pour les dettes! La boisson, c’é tait son penchant. Elle demeurait à Clichy. Ma mè re quittait plus l’omnibus, elle la relanç ait matin et soir... Elle la retrouvait que dans les bistrots... Marié e à un colonial, elle prenait des muffé es d’absinthes... Les clientes aux raccommodages elles attendaient leurs fanfreluches pendant des mois d’affilé e!... Elles piquaient des crises sauvages d’impatience et d’indignation... C’é tait encore pire qu’autrefois... Elles é taient tout le temps excé dé es par les retards et les sursis!... Et puis, au moment de la douille, c’é tait toujours le mê me bidon, de l’entourloupe et du nuage!... Froutt! Madame disparaissait! Y avait plus personne subito... Ou bien, si elles banquaient un peu, elles râ laient, chialaient tellement, rabotaient si fort les petites factures minuscules, avec des telles dé monstrations... que ma mè re, à la fin du compte, savait plus comment ni quoi dire... Elle avait seulement transpiré, boité, bavé sang et eau aprè s la Jasmin, aprè s toutes, pour à la fin se faire agonir, traiter comme pourri... Le jeu valait plus la chandelle!

D’abord maman se rendait bien compte, elle se l’avouait dans les larmes, le goû t des belles choses se perdait... c’é tait un courant pas remontable... Lutter mê me devenait imbé cile, c’é tait se ronger pour des prunes... Plus de raffinements chez les gens riches... Plus de dé licatesse... Ni d’estime pour les choses du fin travail, pour les ouvrages tout à la main... Plus que des engouements dé pravé s pour les saloperies mé caniques, les broderies qui s’effilochent, qui fondent et pè lent aux lavages... Pourquoi s’é vertuer sur le Beau? Voilà ce que les dames demandaient! Du tape-à -l’œ il à pré sent! Du vermicelle! Des tas d’horreurs! Des vraies ordures de bazar! La belle dentelle é tait morte!... Pourquoi s’acharner? Ma mè re il avait bien fallu qu’elle suive aussi cette infection! Elle en avait fourré partout de ces nouvelles camelotes immondes... des vraies loques en moins d’un mois... Garanti!... La vitrine en é tait comble!... De voir pendre à pré sent chez elle, de toutes les tringles et des tablettes, ces kilomè tres de roustissures, ç a lui faisait pas qu’un peu de chagrin, ç a lui foutait la colique!... Mais y avait plus à chicaner... Les Juifs à quatre pas de chez nous, au coin de la rue des Jeû neurs, ils s’en tassaient d’é normes morceaux de la mê me, à boutique ouverte, comptoirs noyé s comme à la foire, à la bobine! au dé camè tre! au kilo!...

C’é tait une vraie dé ché ance pour qui a connu l’ « authentique »... ç a lui faisait des hontes à ma mè re! de se mettre à la concurrence avec des rebuts semblables!... Enfin, elle avait plus le choix... Elle aurait bien pré fé ré condamner simplement l’article et puis se dé fendre dé sormais avec ses autres collections, avec ses petits meubles par exemple, les marqueteries, les poudreuses, les « haricots », les bonheurs du jour, et mê me les articles de vitrines, les bibelots, les menues faï ences et puis mê me les lustres hollandais qui laissent presque pas de bé né fices et qui sont si lourds à porter... Seulement elle é tait trop faible, trop douloureuse avec sa jambe handicapé e... jamais elle aurait pu courir avec un peu de charge en plus, aux quatre coins de Paris... C’é tait impossible! Pourtant c’est ce qu’il fallait faire pour tomber sur les occasions. Et puis rester encore des heures, en chien de fusil... « Salle des Ventes »... Et alors le magasin?... Tout ç a n’é tait pas conciliable... Notre mé decin, le Dr Capron, du Marché Saint-Honoré, il é tait revenu deux fois, toujours à cause de sa jambe... Il avait é té trè s formel... Il lui avait bien commandé de se reposer absolument! De plus trotter dans les é tages, chargé e comme trente-six mulets! Elle devait laisser le mé nage tranquille et mê me la cuisine... Il avait pas nuancé les mots... Il lui avait dé claré net, tout caté gorique! Si elle se surmenait encore, il lui avait bien pré dit... Il lui viendrait un vrai abcè s... en dedans du genou, il lui avait mê me montré l’endroit... Sa cuisse avec son mollet, à force de souffrir, ils é taient raides et soudé s, ç a lui faisait plus qu’un seul os avec l’articulation. On aurait dit un bâ ton, avec le long comme des bourrelets... C’é tait plus du tout des muscles... Quand elle faisait marcher son pied, ç a tirait dessus comme sur des cordes... On les voyait se tendre tout du long... Ç a lui faisait un mal atroce! une crampe infernale! Surtout le soir quand c’é tait fini, quand elle rentrait de cavaler... Elle me l’a montré e pour moi tout seul... Elle se mettait des compresses d’eau chaude... Elle é vitait que mon pè re la voye... Elle avait remarqué à la fin quand mê me qu’il piquait des rages horribles quand elle boitait derriè re lui...

Puisqu’on é tait encore tout seuls... que j’attendais dans la boutique... elle a profité de l’occasion, elle m’a encore bien ré pé té, bien doucement, bien affectueusement, mais alors bien convaincue, que c’é tait vraiment de ma faute si les choses allaient aussi mal, en surcroî t de tous leurs ennuis, du magasin et du bureau... Ma conduite, tous mes forfaits chez Gorloge et chez Berlope les avaient tellement affecté s qu’ils ne s’en relè veraient jamais... Ils restaient ré volutionné s... Ils ne m’en voulaient pas bien sû r!... On ne m’en tenait aucune rancune! Tout ç a c’é tait du passé !... mais enfin c’é tait bien le moins que je me rende tout à fait compte de l’é tat où je les avais mis... Mon pè re, lui si bouleversé qu’il ne pouvait plus contenir ses nerfs... Il sursautait en pleine nuit... Il se ré veillait dans les cauchemars... Il allait, venait pendant des heures...

Quant à elle, je la voyais sa jambe!... C’é tait la pire calamité !... C’é tait pire qu’une grave maladie, qu’une typhoï de, un é rysipè le! Elle m’a bien renouvelé encore toutes les recommandations sur le ton le plus affectueux... d’essayer chez les autres patrons de devenir bien raisonnable, pondé ré, courageux, tenace, reconnaissant, scrupuleux, serviable... de plus jamais ê tre hurluberlu, né gligent, fainé ant... de tâ cher d’avoir du cœ ur... Ç a surtout! Du cœ ur!... de me souvenir encore, toujours, qu’ils s’é taient privé s de tout, qu’ils s’é taient bien rongé les sangs tous les deux depuis ma naissance... et puis encore derniè rement pour m’envoyer en Angleterre!... Que s’il m’arrivait par malheur de commettre d’autres tours pendables... eh bien ç a serait la vraie dé bâ cle!... mon pè re ré sisterait sû rement plus... il pourrait plus le malheureux! Il tomberait en neurasthé nie... il faudrait qu’il quitte son bureau... Pour ce qui la concernait, si elle passait par d’autres angoisses... avec ma conduite... ç a retentirait sur sa jambe... et puis d’abcè s en abcè s on finirait par lui couper... Voilà ce qu’il avait dit Capron.

Question de papa, tout devenait encore plus tragique, à cause de son tempé rament, de sa sensibilité... Il aurait fallu qu’il se repose, pendant plusieurs mois et tout de suite, qu’il puisse prendre des longues vacances, dans un endroit des plus tranquilles, é carté, à la campagne... Capron l’avait bien recommandé ! Il l’avait longuement ausculté... Son cœ ur battait la breloque... Il avait mê me des contretemps... Tous deux Capron et papa, ils avaient juste le mê me â ge, quarante-deux ans et six mois... Il avait mê me ajouté qu’un homme c’est encore plus fragile qu’une femme dans les moments de la « mé nopause »... que ç a doit prendre mille pré cautions... Ç a tombait de travers comme conseil! C’é tait le moment au contraire qu’il se dé carcasse comme jamais!... On l’entendait au troisiè me comme il tapait sur sa machine, c’é tait un engin é norme, un clavier comme une usine... Quand il avait tapé longtemps ç a lui tintait dans les oreilles le cliquetis des lettres, encore une partie de la nuit... Ç a l’empê chait de s’endormir. Il prenait des bains de pieds de moutarde. Ç a lui faisait descendre un peu de sang.

Je commenç ais à bien me rendre compte, qu’elle me trouverait toujours ma mè re, un enfant dé pourvu d’entrailles, un monstre é goï ste, capricieux, une petite brute é cervelé e... Ils auraient beau tenter... beau faire, c’é tait vraiment sans recours... Sur mes funestes dispositions, incarné es, incorrigibles, rien à chiquer... Elle se rendait à l’é vidence que mon pè re avait bien raison... D’ailleurs pendant mon absence, ils s’é taient encore racornis dans leur bougonnage... Ils é taient si pré occupé s qu’ils avaient mes pas en horreur! Chaque fois que je montais l’escalier, mon pè re faisait des grimaces.



  

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