Хелпикс

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Note sur l’édition numérique. 17 страница



— Merde! Je serai jamais tranquille!... Je vous demande rien bordel de Dieu!... »

À la fin, il s’est lassé... Il a fini par dire oui... Ma mè re a eu ce qu’elle voulait... Il pouvait plus rivaliser. Il disait que c’é tait bien é gal. Il reparlait encore de suicide... Il est retourné à son bureau. Il pensait plus qu’à lui-mê me. Il abandonnait la partie. Il sortait pour pas me rencontrer. Il me laissait seul avec maman... C’est alors elle qu’a repris la sauce... les griefs... les litanies... Il lui venait du coup des idé es... Il fallait qu’elle les expose, que ç a sorte et que j’en profite, que je me gave avant mon dé part... Puisque mon pè re se dé gonflait c’é tait pas quand mê me une raison pour que je me croye tout permis!...

« Ecoute-moi un peu, Ferdinand!... Il est vraiment temps que je te cause: je veux pas t’embê ter, te gronder, te menacer de ceci ou de cela, c’est pas mon rô le! C’est pas mon genre! Mais enfin il y a certaines choses qu’une mè re aperç oit... J’ai l’air souvent dans la Lune, mais je me rends bien compte malgré tout!... Je ne dis rien, mais j’en pense pas moins!... C’est un gros risque que nous courons... Forcé ment! Tu t’imagines!... T’envoyer en Angleterre!... Ton pè re n’a pas la berlue... C’est un homme qui ré flé chit... Ah! C’est loin d’ê tre un imbé cile!... Pour des petites gens de nos moyens, c’est une vraie folie!... T’envoyer à l’é tranger?... Mais nous avons dé jà des dettes!... Et ce bijou à rembourser!... Et puis deux mille francs à ton oncle! Ton pè re le ré pé tait ce matin... C’est de la vraie aberration! Et c’est bien exact!... J’ai pas voulu abonder! mais ton pè re voit clair!... Il n’a pas les yeux dans sa poche! Je me demande où nous allons dé nicher, fabriquer une somme pareille! Deux mille francs!... Nous aurons beau remuer ciel et terre!... Ç a ne se trouve pas sous le pied d’un cheval!... Ton pè re, tu le vois bien par toi-mê me, est tout au bout de son rouleau!... Pour moi, je suis rendue, fourbue, je ne dis rien devant lui, mais je suis prê te à m’effondrer... Tu vois ma jambe?... Tous les soirs elle enfle à pré sent... C’est plus une vie que nous endurons!... Nous n’avons pas mé rité ç a!... Tu m’entends n’est-ce pas? Mon petit? Ce n’est pas des reproches que je t’adresse... Mais c’est pour que tu te rendes bien compte... Que tu te fasses pas d’illusions, que tu comprennes bien tout le mal que nous avons dans l’existence... Puisque tu vas t’en aller pendant plusieurs mois. Tu nous as compliqué les choses, tu sais, Ferdinand! Je peux bien te le dire, te l’avouer!... Je suis pour toi pleine d’indulgence... Je suis ta mè re aprè s tout!... Ç a m’est difficile de te juger... Mais les é trangers, les patrons, eux autres qui t’ont eu chez eux tous les jours... Ils ont pas les mê mes faiblesses... Tiens, Gorloge! pas plus tard qu’hier! je l’entends encore... J’ai rien ré pé té à ton pè re!... En partant... Il é tait là depuis une heure... “ Madame, qu’il me fait, je vois à qui je cause... Votre garç on, pour moi, c’est bien simple... Vous ê tes comme tant d’autres mè res... Vous l’avez gâ té ! Pourri! Voilà tout! On croit bien faire, on se dé carcasse! On fait le malheur de ses enfants! ” Je te ré pè te mot pour mot ses propres paroles... “ Absolument sans le vouloir, vous n’en ferez qu’un petit jouisseur! un paresseux! un é goï ste!... ” J’en suis resté e toute baba! Ç a je peux bien l’avouer! J’ai pas fait “ ouf! ” J’ai pas tiqué ! C’é tait pas vraiment dans mon rô le d’aller lui donner raison!... Mais, tu sais, j’en pensais pas moins!... Il avait vu clair aussi... Avec nous c’est pas pareil, Ferdinand... C’est pas la mê me chose. Avec moi surtout!... Si tu n’es pas plus affectueux, plus raisonnable, plus travailleur et surtout plus reconnaissant... Si tu ne te rends pas mieux compte... Si tu ne tentes pas de nous soulager davantage... Dans l’existence... Dans la vie si difficile... Y a une raison, Ferdinand, et moi je vais te la dire tout de suite, moi ta mè re... Je la comprends moi comme une femme... C’est que vraiment tu n’as pas de cœ ur... C’est ç a au fond de toutes les choses... Je me demande souvent de qui tu peux tenir. Je me demande maintenant d’où ç a te vient? Sû rement pas de ton pè re ni de moi-mê me... Il a du cœ ur lui ton pè re... Il en a plutô t trop, le pauvre homme!... Et moi, je crois que tu m’as bien vue comme j’é tais avec ma mè re?... C’est jamais le cœ ur qui m’a manqué... Nous avons é té faibles avec toi... Nous é tions trop occupé s, nous n’avons pas voulu voir clair... Nous avons cru que ç a s’arrangerait... Tu as fini à la fin par manquer mê me de probité !... Quelle terrible abomination!... Nous en sommes un peu fautifs!... Ç a c’est exact... Voilà où tout ç a nous mè ne!... “ Il fera votre malheur!... ” Ah! il me l’a pas envoyé dire! Lavelongue m’avait dé jà pré venue!... C’est pas le seul qui s’est aperç u tu vois, Ferdinand!... Tous ceux qui vivent avec toi, ils finissent par s’apercevoir... Eh bien! je n’insiste pas, je ne veux pas te faire plus mauvais que tu n’es... Puisque tu vas te trouver là -bas dans un milieu tout diffé rent... Tâ che d’oublier le mauvais genre!... Les mauvaises fré quentations!... Ne cherche pas les petits voyous!... Ne les imite pas surtout!... Pense à nous!... Pense à tes parents!... Tâ che là -bas de te corriger... Amuse-toi aux ré cré ations... mais ne t’amuse pas au travail... Essaye d’apprendre vite cette langue et puis tu reviendras... Prends des bonnes maniè res... Essaye de te former le caractè re... Fais des efforts... Les Anglais ont l’air toujours si convenables!... Si propres! Si correctement habillé s!... Je ne sais pas quoi te dire moi mon petit, pour que tu te conduises un peu mieux... C’est la derniè re tentative... Ton pè re t’a tout expliqué... C’est grave à ton â ge la vie... Tu veux faire un honnê te homme!... Je peux pas t’en dire davantage... » Dans le genre c’é tait bien exact, j’avais entendu presque tout... Rien ne me concernait plus... Ce que je voulais c’é tait partir et le plus tô t possible et plus entendre personne causer. L’essentiel, c’est pas de savoir si on a tort ou raison. Ç a n’a vraiment pas d’importance... Ce qu’il faut c’est dé courager le monde qu’il s’occupe de vous... Le reste c’est du vice.

Le chagrin est venu quand mê me, d’une faç on pire que j’aurais cru, au moment de partir. C’est difficile de s’empê cher. Quand on s’est trouvé s tous les trois sur le quai de la gare du Nord, on n’en menait pas large... On se retenait par les vê tements, on essayait de rester ensemble... Dè s qu’on é tait dans la foule, on devenait timides, furtifs... Mê me mon pè re, qui gueulait si fort au Passage, dehors, il perdait là tous ses moyens... Il se ratatinait. C’est à la maison seulement qu’il remuait la foudre et les tonnerres. À l’exté rieur, il rougissait qu’on le remarque... Il regardait à la dé robé e...

C’é tait une audace singuliè re, qu’on m’envoye si loin... Tout seul... Comme ç a... On avait la trouille subitement... Ma mè re qu’é tait la plus hé roï que, elle a cherché des personnes qui s’en allaient de mon cô té... Personne connaissait Rochester. Je suis monté retenir ma place... On m’a recommandé encore toutes les choses indispensables... La prudence la plus extrê me... De pas descendre avant l’arrê t... De jamais traverser la voie... De regarder de tous les cô té s... De pas jouer avec la portiè re... De redouter les vents coulis... De rien attraper dans les yeux... De me mé fier aussi du filet des bagages... que ç a vous assomme dans les tamponnements... J’emportais une valise bourré e, et de plus, une couverture, un genre d’é norme carpette, un tapis d’Orient à carreaux multicolores, un « plaid » de voyage vert et bleu... Il nous venait de Grand-mè re Caroline. Personne avait jamais pu le vendre. Je le remportais dans son pays. Il sera parfait pour le climat! Voilà ce qu’on pensait...

Il a fallu dans tout le boucan que je ré cite encore une fois tout ce qu’on m’avait forcé d’apprendre, tout ce qu’on me serinait depuis huit jours... « Brosse-toi chaque matin les dents... Lave-toi les pieds tous les samedis... Demande à prendre des bains de siè ge... Tu as douze paires de chaussettes... Trois chemises de nuit... Torche-toi bien aux cabinets... Mange et mâ che surtout lentement... Tu te dé truiras l’estomac... Prends ton sirop contre les vers... Perds l’habitude de te toucher... »

J’avais encore bien d’autres pré ceptes pour mon relè vement moral, pour ma ré habilitation. On me donnait tout avant que je quitte. J’emportais tout en Angleterre, des bons principes... Des excellents... et la grande honte de mes instincts. Je ne manquerais de rien. Le prix é tait entendu. Deux mois entiers payé s d’avance. J’ai promis d’ê tre exemplaire, obé issant, courageux, attentif, sincè re, reconnaissant, scrupuleux, de ne plus jamais mentir, ni voler surtout, de ne plus mettre les doigts dans mon nez, de revenir mé connaissable, un vrai modè le, d’engraisser, de savoir l’anglais, de ne pas oublier le franç ais, d’é crire au moins tous les dimanches. J’ai promis tout ce qu’on a voulu, pourvu qu’on me laisse tout de suite partir... Qu’on recommence pas une tragé die. Aprè s qu’on avait tant parlé, on é tait à bout de bavardages... C’é tait le moment du dé part. Il me venait des vilaines pensé es, des sensations bien sinistres... Toute la moche incohé rence des vapeurs, des foules, des sifflets, ç a stupé fie... Je voyais là -bas au loin les rails qui foutaient le camp dans le tunnel. Moi aussi j’allais disparaî tre... J’avais des pressentiments tartes, je me demandais si les Anglais, ils seraient pas des fois plus vaches, salauds davantage, et bien pires que ceux d’ici?...

Je les regardais, mes parents, ils tressaillaient, tremblotaient de toute la tronche... Ils retenaient plus des grosses larmes... Je me suis mis du coup à chialer. J’avais honte aussi beaucoup, je fondais comme une fille, je me trouvais infect. Ma mè re m’a saisi à bras-le-corps... C’é tait le moment de fermer les portes... On commandait: « En voiture! »... Elle m’embrassait tellement fort, dans une trombe tellement violente, que j’en vacillais... La force d’un cheval en tendresse qui lui remontait dans ces cas-là du fond de sa carcasse biscornue... Ç a la trempait à l’avance les sé parations. Ç a la retournait tout entiè re, une terrible tornade, comme si son â me lui serait sortie du derriè re, des yeux, du ventre, de la poitrine, qu’elle m’en aurait foutu partout, qu’elle en illuminait la gare... Elle y pouvait rien... C’é tait pas regardable comme effet...

« Calme-toi, voyons, maman!... Y a des gens qui se marrent... »

Je la suppliais qu’elle se retienne, je l’implorais parmi les baisers, les sifflets, le boucan... Mais c’é tait bien plus fort qu’elle... Je me suis tiré de son é treinte, j’ai sauté sur le marchepied, je voulais pas qu’elle recommence... J’osais pas l’avouer, mais quand mê me au fond, j’é tais encore comme curieux... J’aurais bien voulu connaî tre jusqu’où elle pouvait aller dans les effusions?... Au fond de quelles choses dé gueulasses, elle allait chercher tout ç a?...

Mon pè re, au moins lui c’é tait simple, il é tait plus qu’un sale baveux, il avait plus rien dans la caisse, que des fatras, des simulacres, encore des gueulements... Toute une quincaille de connerie... Mais elle, c’é tait pas du mê me... elle gardait tout son ré pondant, elle tenait toute sa musique... Mê me dans la dé bine infecte... pour un rien qu’on la caresse elle se remettait en é moi... C’é tait comme un truc dé glingué, le piano du vrai malheur qu’aurait plus que des notes atroces... Mê me remonté dans le wagon je craignais encore qu’elle me repoisse... J’allais, je revenais, je faisais semblant de chercher des choses... Je suis grimpé sur la banquette... Je cherchais ma couverture... Je pié tinais dessus... J’é tais bien content que ç a s’é branle... On est partis dans un tonnerre... On avait dé passé Asniè res quand je me suis remis comme tout le monde... J’é tais pas encore rassuré...

Arrivé à Folkestone, on m’a montré le chef de train, c’est lui qui devait me surveiller, m’avertir au moment de descendre. Il portait un rouge baudrier avec une petite sacoche suspendue au milieu du dos. Je ne pouvais pas le perdre de vue. À Chatham, il m’a fait des signes. J’ai empoigné ma valise. Le train avait deux heures de retard, les gens de ma pension, du « Meanwell College » ils é taient repartis chez eux, ils m’attendaient plus. Ç a faisait mon affaire dans un sens. Je me trouvais le seul à descendre, les autres, ils continuaient sur Londres.

Il faisait dé jà nuit, c’é tait pas trè s bien é clairé. C’é tait une station en hauteur, comme monté e sur des é chasses, sur des pilotis... C’é tait é tiré, tout enchevê tré, tout en bois, dans la bué e, dans les bariolages d’affiches... Ç a ré sonnait des mille membrures dè s qu’on marchait sur la plateforme...

J’ai pas voulu qu’on m’aide encore, j’en avais assez. Je me suis barré par un portique de cô té et puis ensuite par une passerelle... On m’a rien demandé... Je voyais dé jà plus mon bonhomme, un autre encore avec une espè ce d’uniforme, un bleu et rouge qui me cavalait. Je me suis retourné devant la station, sur une place qu’é tait bien obscure. La ville commenç ait là tout de suite. Elle dé gringolait avec ses petites rues, d’un lumignon vers un autre... C’é tait poisseux, ç a collait comme atmosphè re, ç a dansait autour des becs... c’é tait hagard comme sensation. De loin, de plus bas, il venait des bouffé es de musique... le vent devait porter... des ritournelles... On aurait dit d’un manè ge cassé dans la nuit...

J’arrivais, moi, un samedi, ç a faisait du peuple dans les rues. Ç a moutonnait le long des boutiques. Le tramway, un genre de girafe obè se, il dé passait les bicoques, il laminait la cohue, il godaillait dans les vitres... La foule é tait dense et marron et onduleuse avec une odeur de vase et de tabac et d’anthracite, et puis aussi de pain grillé et un peu de soufre pour les yeux, ç a devenait de plus en plus tenace, plus enveloppant, plus suffocant à mesure qu’on dé valait, ç a se reformait aprè s le tram, comme les poissons aprè s l’é cluse...

Dans les remous, c’é tait plus visqueux, plus adhé rent que les gens de chez nous. J’ai collé aussi aux groupes avec ma valise, je suis passé d’un bide sur un autre. Je reluquais bien la boustifaille des é talages, tout en hauteur. Des petites montagnes de jambons... Des ravins en salaisons... J’avais une dent pas ordinaire, mais j’ai pas osé entrer. J’avais une « Livre » dans une poche et puis des petits sous dans l’autre.

Au bout des dé ambulages et des ramponneaux, on a dé bouché sur un quai... Le brouillard é tait bien compact... On s’habitue à tré bucher... Faut pas tomber dans la riviè re... Sur toute l’é tendue c’é tait disposé comme une foire, avec des petits é ventaires et puis encore des vraies estrades... Des quantité s de lumignons et toute la cohue... Des camelots pé chaient dans le tas... ils s’é gosillaient dans leur langue... Y avait une quantité de guitounes tout à travers l’esplanade pour tous les dé sirs... Pour les merlans, pour les frites... la mandoline, la lutte, les poids, l’avaleur, le vé lodrome, les petits oiseaux... le canari qui picore « L’ Avenir » dans la boî te, là y avait un monde formidable... Tous les goû ts sont é moustillé s... le nougat... la groseille qui dé gouline à pleins barils sur la promenade... Il descend du ciel un nuage trè s é pais... il tombe sur la fê te... il cache tout en un instant... Il feutre l’espace... On entend encore trè s bien, mais il dissimule, on voit plus... Ni bonhomme ni acé tylè ne... Ah! un coup de bourrasque! On le retrouve!... un vrai gentleman, redingote... Il montre la Lune pour deux pennies... Pour trois piè ces il vous donne Saturne... C’est é crit sur sa pancarte... Voici des bué es qui rappliquent, elles se jettent sur la foule... elles s’é tendent... Tout est encore é touffé ! Le mec il remet son « claque », il ratatine son té lescope, il râ le, il se barre... La foule se bidonne. Y a plus moyen qu’on avance... On va se perdre, on se rassemble aux devantures, où c’est vraiment miroitant. La musique flotte de partout... On se croit en plein dedans... C’est une espè ce de mirage... On est comme baigné s dans les bruits... C’est un banjo... C’est un nè gre sur le tapis à cô té de moi, il pleurniche à ras du trottoir... il imite une locomotive... Il va é craser tous les gens. On s’amuse bien, on ne se voit plus!...

Les bué es repartent et s’envolent... Je ne me trouve plus pressé du tout... J’ai pas hâ te de me rendre au « Meanwell »... Ç a me plaî t bien moi l’endroit du quai... l’espè ce de foire et les gens vagues... C’est bien agré able une langue dont on ne comprend rien... C’est comme un brouillard aussi qui vadrouille dans les idé es... C’est bon, y a pas vraiment meilleur... C’est admirable tant que les mots ne sortent pas du rê ve... Je m’assois un peu peinard, sur ma couverture, contre une borne, aprè s les chaî nes... Je suis pas mal, je suis adossé... Je vais voir passer tout le spectacle... Toute une ribambelle de marins avec des lampions allumé s au bout de grandes perches... C’est des drô les! C’est la pagaye! la girandole!... Ils sont dé jà saouls, bien heureux!... Ils dé ferlent, culbutent, chahutent. Ils gueulent un peu comme des chats... Ils ameutent la populace. Ils avancent plus, leur farandole est coincé e dans un ré verbè re... Ç a s’enroule, ç a se dé bobine... Y a un traî nard au ruisseau... Ils ont culbuté dans un nè gre... Ils s’interpellent... Ils se dé fient... Y a des insultes!... Tout d’un coup, ils se mettent en rage... Ils veulent le pendre à la poterne du tramway le nè gre!... Ç a fait un boucan affreux!... Une vache bagarre qui s’ensuit... Ç a fume... ç a bourdonne... Sonnent les coups comme du tambour: et des han! et des hia! terribles... Voilà des sifflets... Une autre rafale de frimants... Une nué e stridente!... Toute une escouade de « polices », des bleus, des pointus alors, des é teignoirs noirs sur la pê che!... Ils se grouillent aussi. Ils radinent au galop des rues, des ombres, de partout... Ils se pré cipitent au pas de course... Tous les militaires qui pavanent, badines fré tillantes, le long des baraques, rambinent à toutes pompes... Foncent aussi dans la mê lé e... Ç a va!... Ç a piaille la sarabande! Ç a titube!... Y en a pour toutes les couleurs! Une bataille d’é chantillons!... Des jonquilles!... des verts par là... des violets... C’est l’é chauffouré e! La salade... Les gonzesses se sauvent dans les coins avec les acé tylè nes, les torches en fusion dans le brouillard. Elles poussent toutes des cris horribles, stridents, c’est des é corché es de la peur... Voilà des renforts de gendarmes, cacatoè s en couleurs... Ils entrent majestueux dans la danse... Ils sont retourné s, dé piauté s. C’est une bataille de voliè re... Les badines... les plumets giclent, fusent... Un char à bancs à quatre chevaux surgit en trombe d’une impasse... Il bloque pile en pleine pagaye... C’est d’autres costauds qui dé boulinent... Ils se jettent dans le tas comme des fardeaux, et c’est des colosses et ç a rebondit... Ils agrafent les plus truculents, les mieux hurleurs, les plus chlass... Ils les basculent dans le fourgon, complè tement retourné s... Ç a s’empile, ç a s’agglomè re... La mê lé e s’effrite... L’é meute est dissoute dans la nuit... Leur bagnole repart au galop... Et c’est fini les violences!... La foule reflue vers les cantines, le long des comptoirs acajou... on liche encore davantage... Sur le tremplin c’est dé gagé, c’est des petites voitures qui dé filent... Des frites... des andouilles... des bigorneaux... On trinque à nouveau... On taillade dans les saucisses. Le « battant » du bar arrê te plus de flanquer à droite, à gauche. Un ivrogne tré buche, s’affale au ruisseau... La procession fait des dé tours, les passants traî naillent... C’est des gonzesses, une vraie bande, des vraies glousseuses... aprè s les marins qui les pressent dans les petites portes d’à cô té... Ils se parlent... Ils renvoient... Ils sont aspiré s par le bar... les É cossais butent dedans... Ils voudraient encore se battre, ils peuvent vraiment plus.

Je les suis moi et ma valise... On me demande pas... On me sert d’abord... Tout un vrai bocal de sirop, du bien é pais moussu noir... c’est amer... c’est de la biè re! C’est de la fumé e en compote... On me rend deux ronds à « la reine », c’est celle qu’est morte justement, la gueule en peau de fesse... la belle Victoria... Je peux pas finir leur breuvage, ç a m’é cœ ure et j’ai bien honte! Je retourne dans la procession. On repasse devant les voitures, les petites qui portent un lumignon entre les brancards... J’entends un vé ritable orchestre... Je cherche et je m’oriente... C’est tout prè s du dé barcadè re... Ç a barde, ç a fulmine, ç a trombone dessous l’é tamine é tendue... Ils chantent en chœ ur... tout à fait faux... C’est é tonnant comme ils arrivent à se torturer toute la bouche, la dilater, l’é vaser comme un vé ritable trombone... Et se la rattraper encore... Ils en agonisent... Ils en crè vent dans les convulsions... C’est la priè re, c’est les cantiques!... Une grande daronne elle a qu’un œ il, elle va le sortir tant plus qu’elle gueule!... Elle se tré mousse tant que son chignon lui retombe lentement sur le blaze avec le galure à rubans... Elle fait pas encore assez de bruit, elle arrache le piston de son homme, elle souffle dedans à son tour, elle en rend tout un poumon... Mais c’est un air de polka, un vé ritable rigodon... C’est terminé la tristesse... L’assistance se met à guincher, on s’enlace, on s’é mulsionne, on se tré mousse... L’autre frimant, celui qui la regarde, ç a doit ê tre sû rement son frangin, il lui ressemble avec de la barbe, en plus il a des lunettes et une belle « bâ che » à inscription. Il a l’air de bouder celui-là... Il est plongé dans un bouquin... Tout d’un coup le voilà qui repart et en transe aussi! Il arrache le clairon à sa sœ ur!... Il grimpe sur le tabouret, il crache un bon coup d’abord... Il se met à jacter... De la faç on qu’il gesticule, qu’il se frappe le torse, qu’il fait l’extase, je vois que ç a doit ê tre un sermon... Les mots, il les fait gé mir, il les torture d’une maniè re qu’est difficile à supporter... Les mecs d’à cô té ils se gondolent. Il les dé fie, les interpelle, rien ne l’arrê te... pas mê me les sirè nes, celles des bateaux qui forcent au courant... Rien l’empê che de fulminer... Moi, il m’é puise... Il me ferme les châ sses... Je m’assois sur ma couverture... Je me recouvre, personne me voit, je suis à l’abri des hangars... Il gueule toujours le « Salvation », il s’é poumone, il m’abrutit... Il fait froid, mais je me protè ge... J’ai un peu plus chaud... c’est blanc la bué e, c’est bleu aprè s. Je suis juste contre une gué rite... Il fait noir là, peu à peu... Je vais roupiller... De là -bas, qu’elle vient la musique... C’est un manè ge... un Barbarie... De l’autre cô té de la riviè re... Ç a c’est le vent... C’est le clapotis...

Un terrible râ le de chaudiè re m’a ré veillé en sursaut!... Un bateau longeait la rive... Il forç ait contre courant... Les « Salvations » de tout à l’heure ils é taient barré s... Les nè gres sautaient sur l’estrade... Ils cabriolaient en jaquette... Ils rebondissaient sur la chaussé e... Les pans mauves fré tillaient derriè re, dans la boue et l’acé tylè ne. Les « Ministrels » c’é tait inscrit sur leur tambour... Ils arrê taient pas... Roulements... Dé gagements... Pirouettes!... Une grande é norme sirè ne a dé chiré tous les é chos... Alors la foule s’est figé e... On s’est rapproché s du bord, pour voir la manœ uvre d’abordage... Je me suis calé dans l’escalier, juste tout prè s des vagues...

La marmaille des petits canots s’é moustillait dans les remous à la recherche du filin... La chaloupe, la grosse avec au milieu sa bouillotte, l’é norme tout en cuivre, elle roulait comme une toupie... Elle apportait les papiers. Il ré sistait dur au courant le « cargo » des Indes... Il tenait toujours la riviè re dans le milieu du noir... Il voulait pas rapprocher... Avec son œ il vert et son rouge... Enfin, il s’est buté quand mê me, le gros sournois, contre un é norme fagot qui retombait du quai... Et ç a craquait comme un tas d’os... Il avait le nez dans le courant, il mugissait dans l’eau dure... Il ravinait dans sa boué e... C’é tait un monstre, à l’attache... Il a hurlé un petit coup... Il é tait battu, il est resté là tout seul dans les lourds remous luisants... On est retourné s vers le manè ge, celui des orgues et des montagnes... La fê te é tait pas terminé e... Je me sentais mieux du roupillon... D’abord ç a devenait une magie... Ç a faisait tout un autre monde... Un inouï !... comme une image pas sé rieuse... Ç a me semblait tout d’un coup qu’on ne me rattraperait plus jamais... que j’é tais devenu un souvenir, un mé connaissable, que j’avais plus rien à craindre, que personne me retrouverait jamais... J’ai payé pour les chevaux de bois, j’ai pré senté ma petite monnaie. J’en ai fait trois tours complets avec des mô mes qu’é taient bringues et des militaires... Elles é taient appé tissantes, elles avaient des fioles de poupé es, des mirettes comme des bonbons bleus... Je m’é tais é tourdi... J’ai voulu tournoyer encore... J’avais peur de montrer mon flouze... Je suis allé un peu dans le noir... J’ai dé chiré ma doublure, je voulais sortir mon fafiot, la « Livre » entiè re. Et puis l’odeur d’une friture m’a dirigé vers l’endroit tout prè s d’une é cluse... C’é tait les beignets... je sentais bien ç a de loin, sur une carriole à petites roues.

La mô me qui trifouillait la sauce, je peux pas dire qu’elle é tait jolie... Il lui manquait deux dents de devant... Elle arrê tait pas de rigoler... Elle avait un chapeau à franges qui croulait sous le poids des fleurs... C’é tait un jardin suspendu... et des voiles, des longues mousselines qui retombaient dans sa marmite, elle les enlevait aimablement... Elle paraissait extrê mement jeune pour s’affubler d’un truc pareil mê me à l’heure où nous nous trouvions... dans les conditions bizarres... il m’é tonnait son bibi... Je pouvais pas m’en dé tacher. Elle me souriait toujours... Elle avait pas vingt piges la mô me et des petits né né s insolents... et la taille de guê pe... et un pé tard comme je les aime, tendu, musclé, bien fendu... J’ai fait le tour pour me rendre compte. Elle é tait toujours absorbé e au-dessus des graillons... Elle é tait ni fiè re ni sauvage... Je lui ai montré ma monnaie... Elle m’a servi des fritures assez pour gaver une famille. Elle m’a pris qu’une petite piè ce... Nous é tions en sympathie... Elle voit bien avec ma valise que je descends tout juste du train... Elle tente de me faire comprendre des choses... Elle doit m’expliquer... Elle me parle trè s lentement... Elle dé taille les mots... Alors là, je me sens tout ré tif!... Je me ré tracte... Il me passe des venins... Je fais affreux dè s qu’on me cause!... J’en veux plus moi des parlotes!... Ç a va! J’ai mon compte!... Je sais où ç a mè ne! je suis plus bon! Elle redouble de courtoisie, d’amé nité, d’entreprise... Son trou de sourire il me dé goû te d’abord!... Je lui montre que je vais faire un tour du cô té des bars... M’amuser!... Je lui laisse ma valise en é change, ma couverture... Je les pose à cô té de son pliant... Je lui fais signe qu’elle me les conserve... Et je repique dans la vadrouille...



  

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