Хелпикс

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Note sur l’édition numérique. 14 страница



Je me suis relancé dans la banlieue... Quand dans la chasse à l’enthousiasme je m’é tais fourvoyé trop loin, que j’é tais saisi par la nuit, que je me sentais un peu perdu, je me payais vite un omnibus, pour pas rentrer quand mê me trop tard. Sur les trente-cinq francs du mois, mes parents m’en laissaient quinze... Ils disparaissaient en transports. Sans le faire exprè s, par force des choses, je devenais assez dispendieux... En principe c’est é vident j’aurais dû aller à pied... mais alors c’é tait les chaussures!...

M. Gorloge, il passait aussi rue de la Paix, toujours pour les rafistolages. Il aurait bien plu aux patronnes, le malheur pour plaire tout à fait c’est qu’il é tait pas trè s propre, à cause de sa barbe. Toujours il é tait plein de croû tes... Son « sycosis » comme il l’appelait...

Je l’ai aperç u bien souvent, dans l’abri d’une porte cochè re, en train de se gratter... furieusement. Il repartait guilleret... Il avait toujours dans ses poches quelques bagues à modifier, à reprendre au numé ro. Une broche à souder... celle qui ferme jamais. Une gourmette à ré tré cir... un bibelot... un autre... Assez pour faire vivre notre crè che... Il é tait pas trè s gourmand.

C’est Antoine, le seul compagnon qui se tapait tous ces petits ouvrages. Gorloge, il y touchait pas. Quand je remontais les boulevards, je le croisais, je l’apercevais de trè s loin... Il marchait pas comme les autres... Il s’inté ressait à la foule... Il biglait dans tous les sens... Je voyais son chapeau pivoter. Il é tait aussi trè s remarquable pour son gilet à petits pois... son genre mousquetaire...

« Eh bien alors Ferdinand!... Toujours d’attaque? Toujours sur la brè che? Ç a va? ç a va bien?...

— Trè s bien! Trè s bien! M. Gorloge!... »

Je me redressais pour lui ré pondre malgré le poids affreux de mes calebasses... L’enthousiasme faiblissait pas. Seulement à force de rien gagner, de rien vendre, de marcher toujours avec une collection si lourde, je maigrissais de plus en plus... Sauf des biceps bien entendu. Je grandissais encore des pieds. Je grandissais de l’â me... de partout... Je devenais sublime...

Quand je rentrais de ma repré sentation, je me tapais encore quelques courses, des commissions pour l’atelier. Chez un faç onnier, chez un autre. Au « Comptoir » chercher des é crins. Tout ç a c’é tait dans la mê me rue.

Le petit Robert, l’apprenti, il é tait bien mieux occupé à rabattre des petits sertis, à profiler des « à jour » ou mê me à balayer la piaule. Ç a marchait jamais trè s fort l’harmonie chez les Gorloge. Ils s’engueulaient à pleins tuyaux et encore plus fort que chez nous. Surtout entre Antoine et le patron ç a flambait continuellement. Y avait plus du tout de respect, surtout vers le samedi soir, au moment qu’ils ré glaient les comptes. Jamais Antoine é tait content... Que ç a soye aux piè ces, à l’heure, « en gros », à n’importe quel systè me, il râ lait toujours. Pourtant, il é tait son maî tre, on n’avait pas d’autres ouvriers. « Votre sale turne, vous pouvez vous la foutre au cul! Je vous l’ai dé jà dit au moins mille fois... »

Voilà comment qu’ils se causaient. L’autre, il faisait une drô le de mine. Il se la grattait alors la barbe... Il grignotait les petites é cailles, tellement qu’il é tait é mu.

Y a des soirs, Antoine, il devenait quelquefois si furieux à propos des sous, qu’il menaç ait de lui balancer son bocal à travers la gueule... Je croyais chaque fois qu’il s’en irait... Et puis pas du tout!... Ç a devenait une vraie habitude, comme chez nous à la maison...

Mais Mme Gorloge, elle se frappait pas comme maman... ç a l’arrê tait pas de tricoter les esclandres et les rugissements. Mais le petit Robert aussitô t que ç a tournait au tragique, il se planquait vite sous l’é tabli... Perdant rien de la corrida. Sans se faire é corner du tout. Il se faisait une petite tartine...

Quand y avait plus un picotin pour ré gler Antoine le samedi, on retrouvait quand mê me au dernier moment au fond d’un tiroir un petit sou pour finir la somme... Un expé dient ou un autre. Il restait mê me une Providence dans le grand placard de la cuisine... La cargaison des camé es... Le stock abracadabrant!... C’é tait notre suprê me ressource!... Le tré sor des mythologies!... Y avait plus à hé siter.

Dans les semaines de grandes disettes j’allais les fourguer au kilo n’importe où... n’importe qui!... au Village Suisse... au Temple en face... À mê me le tas, porte Kremlin... Ç a faisait toujours dans les cent sous...

Jamais depuis la fin de la ciselure, il é tait resté plus de trois jours un seul gramme d’or chez Gorloge. Les ré parations qu’on glanait, on les rendait vite dans la semaine. Personne n’avait confiance de trop... Trois et quatre fois les samedis je m’appuyais les livraisons de la Place des Vosges, rue Royale, au pas de gymnastique encore! La peine en ce temps-là on en parlait pas. C’est en somme que beaucoup plus tard qu’on a commencé à se rendre compte que c’é tait chiant d’ê tre travailleurs. On avait seulement des indices. Vers sept heures du soir, en plein é té, il faisait pas frais sur le « Poissonniè re », quand je remontais de mes performances. Je me souviens qu’à la Wallace, qu’est sous les arbres à l’Ambigu, on s’en jetait deux ou trois timbales, on faisait mê me pour ç a la queue... On se retapait un petit moment, assis sur les marches du thé â tre. Y avait des traî nards de partout, qui recherchaient encore leur souffle... C’é tait un perchoir parfait pour les mé gotiers, les « sandwiches », les « barbotins » en faction, les bookmakers à la traî ne, les petits placeurs, et les « pilons », les sans-emploi de toute la frime, des quantité s, des douzaines... On parlait des difficulté s, des petits « paris » qu’on pouvait prendre... des chevaux à « placer » et des nouvelles du vé lodrome... On se repassait La Patrie pour les courses et les annonces...

Dé jà l’air c’é tait la « Matchiche », le refrain à la mode... Tout le monde le sifflait en se dandinant autour du kiosque... En attendant pour pisser... Et puis on repiquait dans le carrefour. La poussiè re où qu’elle est le plus dense c’est aprè s les travaux du Temple... Ils creusaient pour le mé tro... Ensuite c’é tait le square de verdure, les impasses, Greneta, Beaubourg... La rue Elzé vir, c’est une paye... comme ç a vers sept heures! C’est tout de l’autre cô té du quartier.

Le petit Robert l’apprenti, sa mè re restait à É pernon, il lui envoyait toute sa paye, douze francs par semaine, il é tait nourri en plus, il couchait sous l’é tabli, sur un matelas, qu’il roulait lui-mê me le matin. Avec le mô me j’ai fait gafe! J’ai é té extrê mement prudent, j’ai pas raconté d’histoires, je voulais me tenir à carreau...

Antoine, le seul ouvrier, il é tait des plus sé vè res, il le calottait pour des riens. Mais la place lui plaisait quand mê me parce que à partir de sept heures il é tait tranquille. Il se marrait dans les escaliers. Y avait plein de matous dans la cour, il leur portait les é pluchures. En remontant dans les é tages, il reluquait dans toutes les serrures... C’é tait sa grande distraction.

Quand on s’est connus davantage, c’est lui qui m’a tout raconté. Il m’a montré le systè me pour regarder par les gogs, pour voir les gonzesses pisser, sur notre palier mê me, deux trous dans le montant de la porte. Il remettait des petits tampons. Comme ç a, il les avait toutes vues, et Mme Gorloge aussi, c’é tait mê me elle la plus salope, d’aprè s ce qu’il avait remarqué, la faç on qu’elle retroussait ses jupes...

Il é tait voyeur par instinct. Il paraî t qu’elle avait des cuisses comme des monuments, des é normes piliers, et puis alors du poil au cul, tellement que ç a remontait la fourrure, ç a lui recouvrait tout le nombril... Il l’avait vue le petit Robert en plein moment de ses arcagnats... Elle s’en mettait du rouge partout et tellement que c’é tait sanglant, ç a é claboussait tous les chiots, toute sa motte en dé goulinait. Jamais on aurait supposé un foiron si extraordinaire... Il me promettait de me la montrer et une chose encore bien plus forte, un autre trou qu’il avait percé, alors absolument terrible, dans le mur mê me de la chambre, juste prè s du lit. Et puis, encore une position... En escaladant le fourneau... dans le coin de la cuisine, on plongeait par le vasistas, on voyait alors tout le plumard.

Robert, il se relevait exprè s. Il les avait regardé s souvent, pendant qu’ils baisaient les Gorloge. Le lendemain, il me racontait tout, seulement il tenait plus en l’air... Il avait les yeux qui refermaient tellement qu’il s’é tait astiqué...

Le petit Robert, son tapin c’é tait surtout les filigranes... les entames... Il passait dans les petits « à jour » les plus minuscules avec une lime grosse comme un cheveu... En plus il donnait la patine dans tous les « finis »... C’é tait mê me plus des ré silles... des vé ritables toiles d’araigné e... À force de loucher sur ses piè ces il s’en faisait mal aux calots... Il s’interrompait alors pour arroser l’atelier.

Antoine, il lui passait rien, il l’avait toujours à la caille. Il pouvait pas me blairer non plus. On aurait voulu le poirer nous en train de se farcir la patronne. Il paraî t que c’é tait arrivé... Robert, il le pré tendait toujours, mais il en é tait pas certain... C’é tait peut-ê tre que des ragots. À table, il é tait intraitable, Antoine, au moment des repas, personne pouvait le contredire. À la moindre remarque de travers il se foutait en crosse, il paquetait dé jà ses outils. On lui promettait une augmentation... Dix francs... mê me cent sous... « Va chier! qu’il ré pondait, brû le-pourpoint, au miteux Gorloge... Vous me faites transpirer!... Vous avez plutô t pas de godasses!... De quoi que vous allez me promettre?... Encore des “ salades ”?

— Vous emportez pas, Antoine! Je vous assure que ç a reprendra!... Un jour!... J’en suis persuadé !... Bientô t... Plus tô t que vous pensez!...

— Ç a reprendra la peau de mes burnes! Oui!... Ç a reprendra quand je serai Archevê que!... »

Voilà comment qu’ils se ré pondaient. Ç a n’avait plus de bornes. Le patron il tolé rait tout. Il avait trop peur qu’il s’en aille. Il voulait rien foutre par lui-mê me... Il voulait pas se gâ cher les mains. En attendant le Renouveau... Son plaisir c’é tait le café -crè me et puis de regarder par la fenê tre en fumant sa pipe... Le Panorama du Marais... Surtout s’il pleuvait un peu... Ç a le dé rangeait qu’on lui cause... On pouvait faire tout ce qu’on voulait du moment qu’on lui demandait rien. Il nous pré venait franchement lui-mê me: « Faites donc comme si j’é tais pas là ! »

Je trouvais toujours pas d’acqué reurs, ni pour le « gros » ni en « dé tail »... Elles me restaient toutes sur les bras mes rousselettes et mes chimè res... Cependant j’avais tout entrepris... De la Madeleine jusqu’à Belleville... Tout parcouru... Tout tenté... Pas une porte que je n’aie poussé e tô t ou tard de la Bastille à Saint-Cloud... Toutes les brocantes... les horlogeries... depuis la rue de Rivoli jusqu’au cimetiè re de Bagneux... Les moindres juifs ils me connaissaient... Tous les « zizis »... tous les orfè vres... Je remportais jamais que des vestes... Ils voulaient de rien... Ç a pouvait pas durer toujours... Les malheurs ç a se fatigue aussi...

Un jour enfin, j’ai dé rouillé. Ce miracle, il est survenu au coin de la rue Saint-Lazare... J’y passais cependant tous les jours!... Jamais je m’é tais arrê té là. Un magasin de chinoiseries... À cent mè tres de la Trinité. J’aurais dû remarquer pourtant qu’ils aimaient aussi les grimaces et pas des petites, des é normes! Ils en tenaient des pleines vitrines! Et pas pour rire, des vraies horreurs! Dans le genre des miennes au fond... En somme aussi laides... Mais plutô t eux en « salamandres »... en dragons volants... en bouddhas sur d’é normes bides... complè tement doré s tout autour... qui roulaient des yeux furibards... Ils fumaient par-derriè re le socle... Genre « rê veries d’opium »... Et des rangé es d’arquebuses et des hallebardes jusqu’au plafond... avec des franges et des verroteries clignotantes. De quoi rigoler. Il en redescendait plein de reptiles qui crachaient des feux... Vers les parquets... Entortillé s sur les colonnes... Et cent parasols aux murs flamboyants des vifs incendies et puis un diable prè s de la porte, grandeur nature, tout environné de crapauds, leurs calots tout é carquillé s par dix mille lanternes...

Puisqu’ils vendaient des trucs semblables, la ré flexion m’est venue... un trait d’astuce... qu’ils pourraient bien aimer aussi mes petites marchandises personnelles?

Je me paye alors de culot, je pé nè tre dans la portiè re... avec mes calebasses, je dé balle... je bafouille forcé ment d’abord... j’amè ne enfin mon boniment.

Le mec, c’é tait un petit nougat tout bridé de la tronche, avec une voix de vieille daronne, tout futé, menu, il portait aussi une robe de soie à ramages, et des babouches sur planchettes, enfin le vé ritable magot, sauf le chapeau mou... D’abord, il mouffte pas grand-chose... Mais tout de mê me j’ai discerné que je lui tape un peu dans l’œ il avec mon grand choix de sortilè ges... mes mandragores... toutes mes mé duses en tire-bouchon... mes broches en peaux de Samothrace... C’est du nanan pour un Chinois!... Il fallait venir d’aussi loin pour goû ter mon assortiment...

Enfin, il sort de sa ré serve... Il s’é meut mê me trè s franchement... Il s’enthousiasme... Il exulte... Il en bé gaie d’impatience... Il me dit comme ç a à brû le-pourpoint... « Je crois, mon cher petit jeune homme, que je vais ê tre en mesure de faire quelque chose pour vous... » Il chantonne encore...

Il connaissait un amateur prè s du Luxembourg... Un Monsieur extrê mement convenable... Un vé ritable savant... qui raffolait des bijoux de grand style et d’art... tout à fait ma notorié té... C’é tait un Mandchou ce mec-là, il venait en vacances... il m’a rencardé du genre... Il fallait pas que je parle trop fort... Il dé testait tous les bruits... Il m’a refilé son adresse... C’é tait pas un bel hô tel, c’é tait rue Soufflot... Le Chinois de la rue Saint-Lazare il demandait pour lui-mê me qu’une « fleur »... Si j’obtenais la commande... Rien que cinq pour cent... C’é tait pas exagé ré... J’ai signé son petit papelard... J’ai pas perdu une seconde... J’ai mê me sauté rue des Martyrs, dans l’omnibus « Odé on ».

Je le dé couvre mon amateur. Je montre mes cartons, je me pré sente. Je dé piaute mes é chantillons. Il est plus bridé que l’autre encore... Il s’habille aussi en robe longue. Il est ravi de ce que j’apporte... Il en devient tout é loquent à dé couvrir de si belles choses...

Il me montre alors sur la carte, d’où qu’il vient lui... Du bout du monde... et mê me d’un peu plus loin encore, à gauche dans la marge... C’é tait le mandarin en vacances... Il voulait se ramener un bijou, seulement il voulait le faire ciseler... Il connaissait mê me son modè le, il y tenait absolument. Il fallait que je le lui exé cute... Une vraie commande... Il m’a expliqué où je pouvais aller le copier... C’é tait au musé e Galliera, au deuxiè me, dans la vitrine du milieu... Je pouvais pas me tromper, il m’a fait un petit dessin. Il m’a é crit le nom en grosses lettres: Ç Â KYA-MOUNI, ç a s’appelait... Le Dieu du Bonheur!... Il voulait l’avoir trè s exact, en é pingle pour sa cravate, parce que là -bas qu’il m’a pré venu: « Je m’habille à l’europé enne. C’est moi qui rends la Justice! »

C’é tait une idé e... Il avait entiè rement confiance. Il m’a donné deux cents francs de la main à la main, pour que j’achè te le mé tal pré cieux... C’é tait plus commode. Comme ç a on perdrait pas de temps...

J’en ai fait du coup, j’en suis sû r, la gueule de bouddha moi-mê me en prenant ses deux fafiots... Ç a me bluffait ces é tranges faç ons... Je chancelais en remontant le boulevard, j’ai failli me faire é craser tellement j’avais la berlue...

Enfin j’arrive rue Elzé vir... Je raconte toute mon aventure... C’est la chance inespé ré e!... C’est le renouveau de la ciselure! Gorloge l’avait bien pré dit!... On trinque à la ronde! On m’embrasse!... Tout le monde est raccommodé !... On va changer les deux cents balles! Ç a faisait dé jà plus que cent cinquante...

On part au musé e ensemble avec Gorloge dessiner le fameux magot. Il é tait bien inté ressant dans sa petite vitrine, absolument seul et peinard, sur un minuscule pliant, il se marrait tout à lui-mê me, houlette au cô té...

On prend bien notre temps nous autres, on copie, on ré duit l’esquisse au centiè me... On pré pare une petite maquette... Tout ç a se passe admirablement. Je pique avec Robert, rue Francœ ur, au comptoir Judé o-Suisse, chercher de l’or « à dix-huit » pour cent francs d’un coup et puis pour cinquante francs de soudure... On le range bien ce petit lingot, on le boucle à deux tours dans la caisse... C’é tait pas arrivé depuis quatre ans, qu’on ait gardé du mé tal passer la nuit rue Elzé vir... Quand le modelage a é té fini, on l’a envoyé au moule... Trois fois de suite ils l’ont loupé !... Il a fallu qu’ils recommencent... Ç a comprend jamais les fondeurs!... Le temps passait... On finissait par s’agacer... Et puis tout de mê me ils ont pigé. C’é tait pas mal dans l’ensemble... Il commenç ait le dieu à prendre forme... Il s’agissait d’en finir, de dé caper, de buriner à mê me la piè ce...

Voilà juste à ce moment-là, qu’il arrive une tuile... Les gendarmes cherchent aprè s Gorloge... Toute la maison est en é moi... C’é tait pour qu’il parte immé diatement faire ses vingt-huit jours... Il avait plus de dé lai possible... Il les avait dé jà tous eus... Il couperait pas aux grandes manœ uvres... Il fallait qu’il abandonne le « Dieu de Bonheur » en train... C’é tait pas une chose à bâ cler... C’é tait une question de fignolage...

Puisqu’il pouvait plus transiger, Gorloge a dé cidé comme ç a... Que c’est Antoine qui terminerait... qui l’achè verait posé ment... Que c’est moi qui livrerais... Y avait plus que cent francs à toucher... Pour ç a Gorloge irait lui-mê me!... Il l’a nettement spé cifié !... En revenant de sa pé riode... Il gardait une sacré e mé fiance.

Si il plaisait à notre Chinois, on en ferait des autres voilà tout, des Ç â kya-Mouni, tout en or! On s’arrê terait pas pour si peu. On arrangeait l’avenir en rose... Le renouveau de la ciselure, il viendrait peut-ê tre d’Extrê me-Orient... Ah! tout l’escalier, le nô tre, le B, il en bourdonnait de notre histoire, ils en bavaient des bigornos tous les bricoleurs des é tages, ils en revenaient pas de notre chance! D’une aubaine pareille! Dé jà, ils parlaient partout qu’on recevait des chè ques de Pé kin.

Gorloge, il traî naillait encore à la toute derniè re seconde. Il allait avoir des ennuis. Avec Antoine, ils se relayaient sur le petit bonhomme. Y avait des dé tails insensé s, des si menus, si infimes, que mê me à la loupe on les voyait pas tout à fait. Sur sa petite chaise... la houlette... et puis sur la petite gueule surtout... Un tout minuscule sourire... ç a c’é tait difficile à rendre! Ils rognaient encore des grains avec une pré celle aiguë, affiné e, comme un ongle... Il lui manquait presque plus rien... Il é tait la copie « au poil »! Mais quand mê me c’é tait pré fé rable qu’Antoine ré flé chisse encore... S’y remettre dans quatre ou cinq jours... Ç a ferait un boulot raffiné...

Gorloge, enfin, s’est dé cidé, il a bien fallu qu’il s’é lance. Les gendarmes sont revenus encore...

Le lendemain, je le vois, quand j’arrive, il é tait nippé en soldat et de pied en cap... Il avait mis l’é norme roupane, la godailleuse à deux boutons, les coins relevé s en cornet de frite... Ké pi, pompon vert et grimpants garance assortis... Ainsi, il est descendu... Le petit Robert portait sa musette. Elle é tait sé rieusement chargé e, avec trois camemberts d’abord, et des « vivants » que tout le monde en faisait la remarque... Et deux litres de blanc et encore des petites canettes, un assortiment de chaussettes... et la chemise de nuit en tricot pour coucher dehors...

Les voisins sont tous descendus en foule des é tages, en treillis, savates... Ils ont molardé tant et plus, ils ont rempli les paillassons... Ils ont souhaité bon courage. Je l’ai accompagné Gorloge, jusque devant la gare de l’Est, aprè s le carrefour Magenta. Ç a le souciait beaucoup de partir, au moment juste de cette commande. Il me ré pé tait ses instructions. Il se tracassait infiniment de pas pouvoir finir lui-mê me... Enfin il m’a fait « Au revoir »... Il m’a recommandé d’ê tre sage... Il a suivi la pancarte... C’é tait dé jà rempli de griffetons tous les abords... Y avait des mecs qui râ laient qu’on barrait la route tous les deux à nous faire des boniments... Il a fallu que je me tire...

En arrivant rue Elzé vir, quand je suis repassé devant la loge, la bignolle elle m’interpelle:

« Hé dis donc! qu’elle me fait comme ç a. Viens voir par ici, Ferdinand!... Alors dis donc, il est parti?... Il s’est dé cidé quand mê me! Eh bien il a ré flé chi!... Il aura pas froid là -bas! Il en aura des chaleurs! Heureusement qu’il a pris de quoi boire. Il en rotera pour les manœ uvres! Merde! La vache! Il va transpirer ton cocu!... »

Elle me disait ç a pour me mettre en train, pour me faire causer un peu. J’ai rien ré pondu. J’en avais plein le bouc des ragots. Ah! oui alors! Je devenais extrê mement soupç onneux... J’avais bien raison... Et pas encore assez d’ailleurs!... La suite me l’a bien prouvé.

Dè s que le patron a mis les bouts, le petit Robert, il se tenait plus. Il voulait à toute force les voir, Antoine et la patronne en train de s’emmancher. Il disait que ç a arriverait, que c’é tait fatal... Il é tait voyeur par nature.

Pendant toute la premiè re semaine, on a pas aperç u grand-chose... Question de faire rouler l’atelier c’est moi qui passais à pré sent, rue de Provence et par le Boulevard à la pê che aux ré parations... Je ramenais ce que je trouvais. C’é tait que juste suffisant. Je baladais plus ma collection. Ç a m’aurait fait plutô t virer.

Antoine continuait le petit bonze, il le fignolait à ravir. Il é tait capable. Comme ç a, vers la seconde semaine, la patronne a changé subitement de maniè re. Elle qu’é tait plutô t distante, qui me causait presque jamais tant que Gorloge é tait par là, d’un seul coup, elle devint aimable, engageante et personnelle. Je trouvais d’abord que c’é tait louche. Enfin tout de mê me j’ai pas tiqué. J’ai ré flé chi que c’é tait peut-ê tre parce que je devenais plus utile?... Parce que je ramenais des petits boulots?... Et cependant ç a donnait pas de pè ze... Il rentrait pas une seule facture...

Gorloge, qui se mé fiait toujours... Il avait nettement spé cifié qu’on encaisse pas une seule note! Qu’il irait lui-mê me toucher ç a aussitô t qu’il serait revenu. Il avait fait le « serre » aux clients.

Un matin arrivant de bonne heure, je trouve Mme Gorloge dé jà levé e, à se promener dé jà dans la turne... Elle faisait semblant de chercher quelque chose le long de l’é tabli... Elle é tait en peignoir froufrou... Je la trouve trè s curieuse, singuliè re... Elle se rapproche. Elle me dit comme ç a:

« Ferdinand! En revenant ce soir de vos courses, vous seriez tout à fait gentil de me rapporter un petit bouquet, voulez-vous? Ç a é gayerait bien la maison... » Elle pousse aussi un soupir... « Depuis le dé part de mon mari, j’ai pas le courage de descendre. »

Elle dandinait des miches autour. Elle me faisait la sé duction. C’é tait é vident. La lourde é tait grande ouverte, celle de sa chambre. Je voyais son plumard... Je ne bronche pas... Je ne tente rien... Les autres remontent du bistrot, Antoine et Robert... Je ne fais aucune confidence...

Le soir, j’ai remonté trois pivoines. C’est tout ce que je pouvais acheter. On n’avait plus rien dans la caisse. De ma part c’é tait dé jà bien. Je savais que je serais pas remboursé.

Et puis c’est Antoine à son tour, qui est devenu assez courtois et mê me absolument copain... Lui qui faisait que nous engueuler, une semaine auparavant... Il devenait charmeur... Il voulait mê me plus que je descende, que je reparte au tapin... Il me disait comme ç a:

« Reposez-vous!... Restez un peu à l’atelier... Inté ressez-vous aux bricoles!... vous reprendrez la tourné e plus tard!... »

On avait beau lanterner, l’é pingle é tait quand mê me finie... Elle est revenue du polisseur. C’é tait mon tour de la livrer... À ce moment-là juste, la patronne elle a reç u une lettre de Gorloge... Il recommandait qu’on ne se presse pas... qu’on le garde à la maison le bijou... Qu’on attende un peu son retour. Qu’il irait lui-mê me le porter au petit Chinois... Qu’en attendant si j’y tenais, je pouvais le montrer le beau bijou, à quelques clients amateurs...

Du coup, je ne fus plus tranquille! Tout le monde l’admirait, c’est un fait, ce petit magot... Il é tait bien ré ussi sur son petit pavois, « Câ kya-Mouni » tout en or!... Ç a faisait du mé tal quand mê me à dix-huit carats!... Surtout à l’é poque dont je cause! On ne pouvait pas rê ver mieux!... Tous les voisins, des connaisseurs, ils sont venus faire des compliments... Ç a faisait honneur à la maison!... Le client aurait pas à se plaindre!... Gorloge rentrait que dix jours plus tard... Ç a me laissait encore bien du temps, pour le promener dans les boutiques...

« Ferdinand! qu’elle m’a conseillé la patronne, laissez-le donc le soir ici, dans votre tiroir... Personne n’y touchera vous savez! Vous le reprendrez le lendemain matin! »



  

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