Хелпикс

Главная

Контакты

Случайная статья





Note sur l’édition numérique. 12 страница



Je me trissais dans une autre planque, ailleurs, faire respirer mes « nougats ». Je me les passais au robinet. Pour mes godasses j’avais la lutte de tous cô té s, ma mè re qu’avait fait le sacrifice jamais elle aurait admis qu’elles é taient dé jà trop é troites. C’é tait encore ma fainé antise! L’effet de ma mauvaise volonté ! J’avais pas raison.

Tout là -haut dans la ré serve, où je bagottais avec mes charges, c’é tait l’endroit du petit André, c’est là qu’il retapait ses cartons, qu’il noircissait les numé ros avec du cirage et la brosse. Il avait dé buté André l’anné e pré cé dente. Il demeurait loin, lui, en banlieue, il avait du chemin pour venir... Son bled c’é tait aprè s Vanves, aux « Cocotiers » ç a s’appelait.

Fallait qu’il se lè ve à cinq heures pour ne pas dé penser trop de tramways. Il apportait son panier. Dedans, y avait toute sa bectance, enfermé e avec une tringle et puis en plus un cadenas.

L’hiver, il bougeait jamais, il mangeait dans sa ré serve, mais l’é té il allait croû ter sur un banc au Palais-Royal. Il se barrait un peu avant l’heure pour arriver juste à midi, pour l’explosion du canon. Ç a l’inté ressait.

Il se montrait pas beaucoup non plus, il avait un rhume continuel, il arrê tait pas de se moucher, mê me en plein mois d’aoû t.

Ses nippes c’é tait pire que les miennes, il avait que des piè ces. Du rayon, les autres arpè tes, comme il é tait tout malingre, qu’il avait la morve au blaze, qu’il bé gayait pour rien dire, ils lui cherchaient des raisons, ce qu’ils voulaient c’é tait le dé rouiller... Il pré fé rait rester là -haut, personne venait le provoquer.

Sa tante d’ailleurs, elle le corrigeait dur aussi, surtout qu’il pissait au plume, des volé es affreuses, il me les racontait en dé tail, les miennes c’é tait rien à cô té. Il insistait pour que j’y aille au Palais-Royal avec lui, il voulait me montrer les gonzesses, il pré tendait qu’il leur causait. Il avait mê me des moineaux qui volaient jusque sur son pain. Mais je pouvais pas y aller. Je devais rentrer à la minute. Papa il m’avait bien juré qu’il m’enfermerait à la Roquette si on me trouvait en vadrouille.

Question de femmes, d’abord, il é tait terrible mon pè re, s’il me soupç onnait d’avoir envie d’aller y tâ ter un peu il devenait extrê mement fé roce. Ç a suffisait que je me branle. Il me le rappelait tous les jours et pour les moindres allusions. Il se mé fiait du petit André... Il avait les penchants du peuple... C’é tait un rejeton de voyou... Pour moi c’é tait pas la mê me chose, j’avais des parents honorables, il fallait pas que je l’oublie, on me rappelait aussi chaque soir que je rentrais de chez Berlope, extrê mement fourbu, ahuri. Je prenais encore une vieille trempe si je faisais un peu la ré plique!... Il fallait pas que je me galvaude! J’avais dé jà trop de sales instincts qui me venaient on ne sait d’où !... En é coutant le petit André je deviendrais sû rement assassin. Mon pè re, il en é tait bien sû r. Et puis mes sales vices d’abord ils faisaient partie de ses dé boires et des pires malheurs du Destin...

J’en avais des é pouvantables, c’é tait indé niable et atroce. Voilà. Il ne savait plus par où me sauver... Moi je savais plus par où expier... Y a quelques enfants intouchables.

Le petit André sentait mauvais, une odeur plus â cre que la mienne, une odeur de tout à fait pauvre. Il empestait dans sa ré serve. Sa tante lui tondait ras les tifs, avec ses propres ciseaux, ç a lui faisait comme du gazon avec une seule touffe en avant.

À force de renifler tant de poussiè re, les crottes dans son nez devenaient du mastic. Elles s’en allaient plus... C’é tait sa forte distraction de les dé crocher, de les bouffer ensuite gentiment. Comme on se mouchait dans les doigts, parmi le cirage, les crottes et les matricules, on en devenait parfaitement nè gre.

Il fallait au moins qu’il retape, le petit André, dans les trois cents cartons par jour... Il se dilatait les deux châ sses pour y voir clair dans la soupente. Son falzar, il ne tenait plus qu’avec des ficelles et des é pingles de nourrice.

Depuis que moi, je faisais le treuil, il passait plus par les rayons, c’é tait bien plus commode pour lui. Il é vitait les ramponneaux. Il arrivait par la cour, il se dé filait par le concierge, l’escalier des bonnes... Si y avait trop de « matricules » je restais plus tard pour l’aider. Dans ces moments-là j’enlevais mes godasses.

Pour parler, dans son recoin, on é tait assez peinards. On se mettait entre deux poutres à l’abri des courants d’air, toujours à cause de son nez.

Question des panards, il avait de la veine, il grandissait plus lui, André. Deux frè res à lui demeuraient encore chez une autre tante aux Lilas. Ses sœ urs elles restaient à Aubervilliers chez son vieux. Son dabe, il relevait les compteurs pour tous les gaz de la ré gion... Il le voyait presque jamais, il avait pas le temps.

Parfois, tous les deux, on se montrait la bite. En plus, je lui donnais les nouvelles de ce qui se tramait dans les rayons, les mecs qu’on allait congé dier, parce que y en avait toujours qu’é taient en bascule... Ils pensaient qu’à ç a entre eux, les pilons, à se faire vider les uns par les autres... à coups de ragots bien pernicieux... et puis on causait aussi des trente-six faç ons de regarder le cul des clientes dè s qu’elles sont un peu assises.

Y en avait des bien vicelardes parmi les « coursiè res »... Elles se mettaient quelquefois le pied en l’air exprè s sur un escabeau pour qu’on vise la motte. Elles se trissaient en ricanant... Une comme je passais, elle m’a montré ses jarretelles... Elle me faisait des bruits de suç ons... Je suis remonté là -haut pour lui dire au petit André... On se questionnait tous les deux... Comment qu’elle devait ê tre sa craque? si elle jutait fort? en jaune? en rouge? Si ç a brû lait? Et comment é taient les cuisses? On faisait des bruits nous aussi avec la langue et la salive, on imitait le truc de baiser... Mais on abattait quand mê me vingt-cinq à trente piè ces à l’heure. Il m’a appris le coup d’é pingle le petit André, qu’est l’essentiel dè s qu’on retape les piè ces pour le bout... Aprè s l’entame au biseau... le petit retroussis du satin. C’est là qu’on enfonce de chaque cô té comme des é pines... pour chaque un petit coup sec... Il faut savoir pas saloper les revers lisses... Il faut se laver les poignes d’abord. C’est une vraie technique.

À la maison, ils se rendaient compte que je ne ferais pas long feu chez Berlope, que j’avais raté mes dé buts... Lavelongue en rencontrant maman, par-ci, par-là, dans le quartier, au moment de ses commissions, il lui faisait toujours des sorties. « Ah! Madame, votre garç on, il est pas mé chant c’est certain! Mais comme é tourneau alors!... Ah! comme vous aviez raison!... Une tê te sans cervelle!... Je ne sais vraiment pas ce qu’on en fera!... Il peut rien toucher!... Il renverse tout!... Ah! là ! là !... »

C’é taient des mensonges, c’é tait de l’infecte injustice... Je le sentais nettement. Car j’é tais dé jà affranchi! Ces salades puantes c’é tait pour que je bosse à l’œ il!... Il profitait de mes parents... Qu’ils pouvaient encore me nourrir... Il dé pré ciait mon boulot pour me faire marner gratuitement. J’aurais eu beau dire, beau faire, ils m’auraient pas cru mes vieux si j’avais râ lé... Seulement rengueulé davantage...

Le petit André, qu’é tait lui tout à fait miteux, il touchait quand mê me 35 francs par mois. Il é tait pas plus exploitable... Mon pè re il s’é cartelait l’imagination à propos de mon avenir, où j’allais pouvoir me caser? Il comprenait plus... J’é tais pas bon pour les bureaux... Encore pire que lui-mê me sans doute!... J’avais pas d’instruction du tout... Si je renâ clais dans le commerce alors c’é tait un naufrage! Il se mettait tout de suite en berne... Il implorait des secours. Je faisais pourtant des efforts... Je me forç ais à l’enthousiasme... J’arrivais au magasin des heures à l’avance... Pour ê tre mieux noté... Je partais aprè s tous les autres... Et quand mê me j’é tais pas bien vu... Je faisais que des conneries... J’avais la panique... Je me trompais tout le temps...

Il faut avoir passé par là pour bien renifler sa hantise... Qu’elle vous soye à travers les tripes, passé e jusqu’au cœ ur...

Souvent j’en croise, à pré sent, des indigné s qui ramè nent... C’est que des pauvres culs coincé s... des petits potes, des raté s jouisseurs... C’est de la ré volte d’enfifré... c’est pas payé, c’est gratuit... Des vraies godilles...

Ç a vient de nulle part... du Lycé e peut-ê tre... C’est de la parlouille, c’est du vent. La vraie haine, elle vient du fond, elle vient de la jeunesse, perdue au boulot sans dé fense. Alors celle-là qu’on en crè ve. Y en aura encore si profond qu’il en restera tout de mê me partout. Il en jutera sur la terre assez pour qu’elle empoisonne, qu’il pousse plus dessus que des vacheries, entre des morts, entre les hommes.

Chaque soir, en rentrant, ma daronne, elle me demandait si des fois j’avais pas reç u mon congé ?... Elle s’attendait toujours au pire. Pendant la soupe on en reparlait. C’é tait le sujet iné puisable. Si je la gagnerais jamais ma vie?...

À force de causer comme ç a, le pain sur la table, il me faisait un effet é norme. J’osais presque plus en demander. Je me dé pê chais d’en finir. Ma mè re aussi elle mangeait vite, mais je l’agaç ais quand mê me:

« Ferdinand! Encore une fois! Tu vois mê me pas ce que tu manges! Tu avales tout ç a sans mâ cher! Tu engloutis tout comme un chien! Regarde-moi un peu ta mine! T’es transparent! T’es verdâ tre!... Comment veux-tu que ç a te profite! On fait pour toi tout ce qu’on peut! mais tu la gâ ches ta nourriture! »

Dans la ré serve, le petit André, il profitait d’un certain calme. Lavelongue montait presque jamais. Pourvu qu’il peigne ses numé ros on l’emmerdait pas beaucoup.

André, il aimait les fleurs, souvent c’est le cas pour les infirmes, il s’en rapportait de la campagne, il les faisait tenir dans des bouteilles... Il en garnissait toutes les solives de la cambuse... Un matin, il a ramené mê me un é norme paquet d’aubé pines. Les autres, ils l’ont vu arriver... Ils ont trouvé que ç a se pouvait pas. Ils ont tellement fait de ré flexions autour de Lavelongue, qu’il est monté là -haut lui-mê me pour se rendre bien compte... André il s’est fait agonir, jeter tout le paquet dans la cour...

En bas dans les grands rayons, c’é tait que des bourriques, surtout les « expé diteurs »; j’ai jamais connu des fumiers plus ragotards, plus sournois... Ils avaient rien à penser qu’à faire des paquets.

Y en avait un calicot, le grand Magadur, des « Envois-Paris » qu’é tait la pire des bourriques. C’est lui qui a monté André, qui m’a scié dans son estime... Ils faisaient souvent route ensemble depuis la Porte des Lilas... Il lui a fait tout un tabac, pour le dé tourner contre mezig... C’é tait facile, il é tait trè s influenç able. Dans son coin, tout seul, des heures entiè res dans la ré serve, il se rongeait facilement. Il suffisait qu’on le baratine, qu’on le mette un peu sur la dé fense. Il s’arrê tait plus... N’importe quel bobard ç a prenait... J’arrive moi, je le trouve bouleversé...

« C’est vrai Ferdinand? qu’il me demande. C’est vrai? que tu veux prendre ma place?... »

À l’agression, je comprenais plus... J’en é tais tout cave... Ç a me dé montait comme surprise... Il a continué...

« Ah! Je t’en prie va! Te donne pas de mal! Tout le monde le sait au magasin! Y a que moi seul qui me doutais pas!... Je suis le con voilà tout!... »

Lui qu’é tait de couleur plutô t blê me il a tourné jaune; lui qu’é tait dé jà affreux avec ses dents brè ches, sa morve, il é tait plus du tout regardable dè s qu’il se mettait en é moi. Sa gourme aussi plein la tê te, ses cheveux en friche, son odeur. On pouvait plus rien lui causer... Il me faisait trop honte...

Plutô t qu’il me soupç onne de vouloir lui faucher son boulot... j’aurais pré fé ré cent fois qu’on me foute à la porte tout de suite... Mais où aller aprè s ç a? C’é tait des grandes ré solutions... Bien au-dessus de tous mes moyens... Fallait au contraire que je m’accroche, que je m’é vertue, que je m’innocente... J’ai essayé de le dé tromper. Il me croyait plus. L’autre charogne, le Magadur, il l’avait complè tement tanné.

À partir de ce moment-là, il se mé fiait à bloc de mes moindres intentions. Il me montrait plus jamais sa bite. Il craignait que j’aille ré pé ter. Il allait seul aux chiots exprè s pour fumer plus tranquillement. Il en parlait plus du Palais-Royal...

Entre deux viré es au septiè me à me farcir tous les cargos, je me ratatinais sous le lambris, j’enlevais mes grolles, mon costard, j’attendais que ç a passe...

André, il faisait semblant de pas me voir, il s’apportait exprè s là -haut Les Belles Aventures Illustré es. Il les lisait pour lui seul. Il les é talait sur les planches... Si je lui causais, mê me au plus fort de ma voix... il faisait semblant de pas m’entendre. Il frottait ses chiffres à la brosse. Tout ce que je pouvais dire ou faire ç a lui semblait louche. Dans son estime j’é tais un traî tre. Si jamais il perdait sa place, il me l’avait souvent raconté, sa tante lui foutrait une telle danse, qu’il s’en irait à l’hô pital... Voilà ! C’é tait convenu depuis toujours... Tout de mê me moi je pouvais plus y tenir qu’il me considè re comme une salope.

« Dis donc, André, que je lui ai fait, à bout d’astuce. Tu devrais tout de mê me bien te rendre compte, que c’est pas moi qui veux te virer!... »

Il me ré pondait rien encore, il continuait de marmonner dans ses images... Il se lisait tout haut. Je me rapproche... Je regarde aussi ce que ç a racontait... C’é tait l’histoire du Roi Krogold... Je la connaissais bien moi l’histoire... Depuis toujours... Depuis la Grand-mè re Caroline... On apprenait là -dedans à lire... Il avait qu’un vieux numé ro, un seul exemplaire...

« Dis donc André, que je lui propose. Moi tu sais je connais toute la suite! Je la connais par cœ ur!... » Il ré pondait toujours rien. Mais quand mê me je l’influenç ais... Il é tait inté ressé... Il l’avait pas l’autre numé ro...

« Tu vois », que j’enchaî ne... Je profite de la circonstance. « Toute la ville de Christianie s’est ré fugié e dans l’é glise... Dans la cathé drale, sous les voû tes, grandes comme quatre fois Notre-Dame... Ils se mettent tous à genoux... là -dedans... Tu entends?... Ils ont peur du Roi Krogold... Ils demandent pardon au Ciel d’avoir trempé dans la guerre!... D’avoir dé fendu Gwendor!... Le Prince fé lon!... Ils savent plus où se dé poser... Ils tiennent à cent mille sous la voû te!... Personne oserait plus sortir!... Ils savent mê me plus leurs priè res tellement qu’ils en sont é pouvanté s!... Ils bafouillent à bloc! les vieux, les marchands, les jeunes, les mè res, les curé s, les foireux, les petits enfants, les belles gonzesses, les archevê ques, les sergents de ville, ils en font tous dans leurs frocs... Ils se prosternent les uns dans les autres... C’est un amalgame terrible... Ç a grogne, ç a gé mit... Ils osent mê me plus respirer tellement l’heure est grave... Ils supplient... Ils implorent... Qu’il brû le pas tout le Roi Krogold... Mais seulement un peu les faubourgs... Qu’il brû le pas tout pour les punir!... Les Halles, ils y tiennent! les greniers, la balance, le presbytè re, la Justice et la Cathé drale!... La Sainte Christianie... La plus magnifique de toutes! Ils savaient plus personne où se mettre! Tellement qu’ils sont ratatiné s... Ils savent plus comment disparaî tre...

« On entend alors, d’en bas, de l’autre cô té des murailles l’é norme rumeur qui monte... C’est l’avant-garde du Roi Krogold... la rafale des lourdes ferrures sur le Pont-Levis... Ah! oui certainement! Et la cavalerie d’escorte!... Le Roi Krogold est devant la porte... Il se dresse sur ses é triers... On entend cliqueter mille armures... Les chevaliers qui traversent tout le faubourg Stanislas... La ville immense semble dé serte... Plus personne devant le Roi... À la suite voici la cohue des valets... La porte n’est jamais assez large... Le charroi s’é trangle à passer... On é ventre de chaque cô té les hautes murailles... Tout s’é croule!... Les fourgons, les lé gions, les barbares se ruent, les catapultes, les é lé phants, la trompe en l’air, dé ferlent par la brè che... Dans la ville tout est muet, transi... Beffrois... Couvents... Demeures... É choppes... Rien qui bouge...

« Le Roi Krogold s’est arrê té aux premiè res marches du parvis... Autour de lui, les 23 dogues jappent, bondissent, escaladent... Sa meute est cé lè bre dans les combats d’ours et d’aurochs... Ils ont dé pecé, ces molosses, des forê ts entiè res... de l’Elbe aux Carpates... Krogold, malgré le vacarme, entend la rumeur des cantiques... de cette foule tassé e, caché e, traqué e sous la voû te... Cette noire priè re... Les é normes battants pivotent... Il voit Krogold alors, que ç a grouille tout devant lui... Au fond de cette ombre... Tout un peuple ré fugié ?... Il craint la traî trise... Il ne veut pas s’engager... Les orgues grondent... Leur tonnerre dé ferle tout à travers les trois porches... La dé fiance!... Cette ville est fé lonne!... Le sera toujours!... Il lance au Pré vô t l’ordre qu’on vide à l’instant mê me toutes les voû tes... Trois mille valets foncent, cabossent, tabassent... dé sossent... La mê lé e cè de, se reforme autour d’eux... s’é crase aux portes... s’agglomè re dans les pourtours... Les spadassins sont absorbé s... Autant de charges ne servent à rien... Le Roi toujours en selle attend... Son percheron, l’é norme et poilu piaffe... Le Roi dé vore une grosse barbaque, un gigot; il mord en plein dedans, à pleins crocs... Il dé chiquette, il enrage... Là -dessous ç a n’avance donc plus?... Le Roi se redresse encore un coup sur ses é triers... Il est le plus costaud de la horde... Il siffle... Il appelle... Il rassemble la meute tout autour... Il brandit sa grosse bidoche par-dessus sa couronne... Il la balance à pleine volé e... au loin dans le noir... Elle retombe au milieu de l’é glise... En plein dans les accroupis... Toute la meute rebondit hurlante, jaillissante partout... Les dogues à tort à travers dé chirent... é gorgent... arrachent... C’est une panique atroce. Les beuglements redoublent... Toute la houle en transe dé ferle, vers les porches... C’est l’é crabouillade... le torrent, l’avalanche jusqu’aux ponts-levis... Contre les murailles, ç a va s’é craser... Entre les piques et les chariots... À pré sent devant le Roi la perspective est dé gagé e... Toute la cathé drale est à lui... Il pousse son cheval... Il entre... Il ordonne un grand silence... À la meute... aux gens... à l’orgue... à l’armé e... Il avance encore deux longueurs... Il a passé les trois portiques... Il dé gaine lentement... Son immense é pé e... Il fait avec un grand signe de croix... Et puis il l’envoie au loin... tout à fait loin à la volé e... Jusqu’au beau milieu de l’autel!... La guerre est finie!... Son frè re, l’é vê que, se rapproche... Il se met à genoux... Il va chanter son “ credo ”. »

Voilà, on a beau dire, beau pré tendre, ç a fait quand mê me son effet. Petit André, il aurait bien demandé au fond que je raconte la suite... que j’ajoute encore des dé tails... Il aimait bien les belles histoires... Mais il redoutait que je l’influence... Il trifouillait dans le fond de sa boî te... Il chahutait ses petits zincs... ses bichons... Il voulait pas que je l’ensorcelle... Qu’on redevienne amis comme avant...

Le mê me tantô t, je remonte encore avec une autre cargaison... Il me recausait toujours pas... J’é tais bien fatigué, je m’installe. Je voulais absolument qu’il me parle. Je fais: « Tiens, André, je connais encore tout l’autre chapitre quand ils partent tous les marchands et qu’ils s’en vont en Palestine... Avec Thibaud pour la Croisade... Qu’ils laissent pour garder le châ teau... le troubadour, avec Wanda la princesse... Tu ne sais rien toi, de ces choses-là ? C’est superbe à é couter! la vengeance de Wanda surtout, la maniè re qu’elle lave son injure dans le sang... qu’elle va humilier son pè re. »

Le petit André il é cartait les esgourdes. Il voulait pas m’interrompre, mais je l’ai entendu le frô lement le long du couloir... Je voulais garder le charme des choses. D’un coup je vois au petit carreau la tronche à Lavelongue!... Je bondis... Il avait dû monter à la seconde pour me prendre... On l’a sû rement rencardé... Je sursaute... Je renfile mes pompes... Il me fait seulement un petit signe...

« Trè s bien! trè s bien Ferdinand! Nous ré glerons tout ç a plus tard! Ne bougez plus mon garç on!... »

Ç a n’a pas traî né. Le lendemain j’arrive à midi, ma mè re me pré vient...

« Ferdinand, qu’elle commence tout de suite... Dé jà tout à fait ré signé e, absolument convaincue... M. Lavelongue sort d’ici!... en personne!... lui-mê me! Tu sais ce qu’il m’a dit?... Il ne veut plus de toi au magasin! Voilà ! C’est du propre! Il é tait dé jà mé content, mais à pré sent c’est un comble! Tu restes, me dit-il, des heures caché au grenier!... Au lieu d’avancer ton travail!... Et tu dé bauches le petit André !... Il t’a surpris! Ne nie pas!... En train de raconter des histoires! des dé goû tantes mê me!... Tu ne peux pas dire le contraire! Avec un enfant du peuple! Un enfant abandonné ! M. Lavelongue nous connaî t depuis dix ans, heureusement mon Dieu! Il sait que nous n’y sommes pour rien! Il sait comment nous trimons! Tous les deux ton pè re et moi pour te donner le né cessaire!... Il sait bien ce que nous valons! Il nous estime! Il a pour nous des é gards. Il m’a demandé de te reprendre... Par considé ration pour nous, il ne te renverra pas... Il nous é pargnera cet affront!... Ah! quand je vais lui dire à ton pè re!... Il en fera une maladie!... »

Alors lui il est arrivé, il rentrait tout juste du bureau. Quand il a ouvert la porte, elle s’est remise au ré cit... En entendant les circonstances, il se retenait à la table. Il en croyait pas ses oreilles... Il me regardait du haut en bas, il en haussait les é paules... Elles retombaient d’accablement... Devant un tel monstre plus rien n’é tait compré hensible! Il rugissait pas... Il cognait mê me plus... Il se demandait comment subir?... Il abandonnait la partie. Il se balanç ait sur sa chaise... « Hum!... Hum!... Hum!... » qu’il faisait seulement aller et retour... Il a dit à la fin quand mê me... :

« Alors tu es encore plus dé naturé, plus sournois, plus abject que j’imaginais, Ferdinand? »

Aprè s il a regardé ma mè re, il la prenait à té moin qu’il y avait plus rien à tenter... Que j’é tais irré mé diable...

Moi-mê me je restais atterré, je me cherchais dans les tré fonds, de quels vices immenses, de quelles inouï es dé pravations je pouvais ê tre à la fin coupable?... Je ne trouvais pas trè s bien... J’é tais indé cis... J’en trouvais des multitudes, j’é tais sû r de rien...

Mon pè re, il a levé la sé ance, il est remonté dans la chambre, il voulait penser tout seul... J’ai dormi dans un cauchemar... Je voyais tout le temps, le petit André, en train de raconter des horreurs à M. Berlope...

Le lendemain tantô t, on a é té avec maman chercher mon certificat... M. Lavelongue nous l’a remis en personne... En plus il a voulu me causer...

« Ferdinand! qu’il a fait comme ç a: Eu é gard à vos bons parents, je ne vous renverrai pas... Ce sont eux qui vous reprennent!... De leur plein gré ! Vous comprenez la diffé rence?... J’é prouve de la peine, croyez-le, à vous voir partir de chez nous. Seulement voilà ! vous avez par votre inconduite semé beaucoup d’indiscipline à travers tous les rayons!... Moi, n’est-ce pas, je suis responsable!... Je sé vis! c’est juste!... Mais que cet é chec vous fasse sé rieusement ré flé chir! Le peu que vous avez appris vous servira sû rement ailleurs! Aucune expé rience n’est perdue! Vous allez connaî tre d’autres patrons, peut-ê tre moins indulgents encore!... C’est une leç on qu’il vous fallait... Eh bien! vous l’avez Ferdinand! Et qu’elle vous profite!... À votre â ge tout se rattrape!... » Il me serrait la main avec beaucoup de conviction. Ma mè re é tait é mue comme il est pas possible de dire... Elle se tamponnait les yeux.

« Fais des excuses, Ferdinand! qu’elle m’a ordonné, comme on se levait pour partir... Il est jeune, Monsieur, il est jeune!... Remercie M. Lavelongue de t’avoir donné malgré tout un excellent certificat... Tu ne le mé rites pas, tu sais!

— Mais ce n’est rien, ma chè re Madame, absolument rien, je vous assure. C’est bien là moindre des choses! Ferdinand n’est pas le premier jeune homme qui part un peu du mauvais pied! Hé ! là ! là ! non. Dans dix ans d’ici, tenez, c’est lui-mê me, j’en suis certain, qui viendra me dire... là... À moi! tout en personne:

« “ M. Lavelongue, vous avez bien fait! Vous ê tes un brave homme! Grâ ce à vous j’ai compris! ”... Mais aujourd’hui, il m’en veut!... Mais c’est bien normal!... » Ma mè re protestait... Il me tapotait sur l’é paule. Il nous montrait la sortie.

Dè s le lendemain, pour la ré serve, ils ont fait venir un autre roupiot... Je l’ai su... Il a pas duré trois mois... Il se ramassait dans toutes les rampes... Il é tait crevé au boulot.

Mais moi ç a m’avanç ait pas d’ê tre coupable ou innocent... Je devenais un vrai problè me pour toute la famille. L’oncle É douard il s’est mis en chasse d’une autre place pour moi, dans la Commission, que je refasse encore mes dé buts. Ç a lui é tait plus si commode... Il fallait que je change de « partie »...



  

© helpiks.su При использовании или копировании материалов прямая ссылка на сайт обязательна.