Хелпикс

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Note sur l’édition numérique. 11 страница



C’é tait sa phobie à lui qu’elle aille pas ré guliè rement, ç a le hantait. Les traversé es ç a constipe. Il pensait plus qu’à son caca. Au Passage on a pu enfin se sé cher. On avait un rhume tous les trois. On s’en tirait à bon compte. Mon pè re il tenait un beau cocard. On a dit que c’é tait un cheval, que juste il passait derriè re au moment d’une dé tonation...

Mme Divonne é tait curieuse, elle a voulu tout connaî tre. Tous les dé tails de l’aventure... Elle y avait é té aussi, elle, en Angleterre, en voyage de noces. Pour mieux entendre raconter, elle s’est arrê té e du piano... En plein Clair de Lune.

M. Visios, il é tait friand aussi des ré cits et des dé couvertes... É douard est passé avec Tom pour demander des nouvelles... Moi et maman, on avait aussi nos petites impressions... Mais papa voulait pas qu’on cause... Il tenait tout le crachoir lui tout seul... On peut dire qu’il en avait vu des choses prodigieuses... et des fantastiques... des inouï es... des parfaitement impré vues... au bout de la route... tout là -bas aprè s la falaise... Quand il é tait dans les nuages... entre Brigetonne et l’ouragan... Papa tout seul absolument isolé !... perdu entre les bourrasques... entre ciel et terre...

À pré sent, il se gê nait plus, il leur en foutait des merveilles... Il allait de la gueule tant que ç a peut!... Maman le contredisait pas... Toujours elle é tait bien heureuse, quand il remportait son succè s... « N’est-ce pas Clé mence? » qu’il lui demandait, quand le bobard ré sistait un peu... Elle approuvait, sanctionnait tout... Elle se disait bien qu’il allait fort, mais puisque c’é tait son plaisir!...

« Mais Londres, vous y ê tes pas allé s? qu’a demandé M. Lé rosite, le marchand de lunettes du 37, qu’é tait tout à fait pué ril, qui recevait ses verres de là -bas...

— Si! mais seulement aux environs... Nous avons vu le principal!... C’est le Port! C’est la seule chose au fond qui compte! Et puis les faubourgs... Nous n’avions que quelques heures!... » Maman a pas bronché quand mê me... Le bruit s’est ré pandu bientô t qu’on avait eu un grand naufrage... Qu’on avait dé barqué les femmes sur les falaises par un treuil... Il inventait au fur et à mesuré... Et la faç on qu’on s’é tait promené s dans Londres avec des familles rescapé es... Des é trangers la plupart! Il se tenait plus mon papa!... Il imitait leurs accents.

Tous les soirs aprè s-dî ner y avait des nouvelles sé ances... Des mirages... des mirages encore!... Mme Mé hon a recommencé à fermenter dans sa tô le... D’en face, elle traversait pas... On é tait trop brouillé s à mort... Elle faisait chanter son gramophone pour que papa ç a l’interrompe... Qu’il soye forcé de s’arrê ter... Pour qu’on soye vraiment plus tranquille, maman a fermé le magasin. Rabattu les stores à fond... Alors, elle est venue la Mé hon cogner aux carreaux, provoquer papa pour qu’il sorte et qu’il s’explique un petit peu... Ma mè re s’est interposé e... Tous les voisins é taient outré s... Ils é taient tous en notre faveur... Ils prenaient du goû t aux voyages... Un soir, en rentrant de nos courses, on n’entendait plus la Mé hon ni son gramophone... Les habitué s de la sé ance, ils arrivaient un par un... On s’installe dans l’arriè re-boutique... Papa entamait son ré cit... et d’une maniè re toute diffé rente... Quand voilà que de chez la vioque il part... Patatrac!... un bruit formidable!... Et des pé tards qui se renforcent!... Une gerbe immense qui nous aveugle! Ç a explose contre la boutique!... La porte saute! On la voit alors la came qui gesticule dans le milieu, avec une torche et des fusé es... Elle fout le feu aux poudres!... Ç a siffle, ç a tournique! C’est ce qu’elle a trouvé tout ç a pour couper l’imagination! Elle se dé mè ne comme le diable! Elle en fout le feu à ses jupes. Elle s’embrase aussi! On se pré cipite! On l’é touffe dans les rideaux. On l’é teint! Mais sa boutique brû le avec ses corsets! Les pompiers arrivent à la charge! On l’a jamais revue la charogne!... On l’a emmené e à Charenton! Elle y est resté e pour toujours! Personne a voulu qu’elle revienne! ils ont signé une pé tition d’un bout à l’autre du Passage, qu’elle é tait folle et impossible.

Les mauvais jours sont revenus. On a plus parlé des vacances, ni des marché s ni de l’Angleterre... Notre vitrail a bourdonné sous les averses, notre galerie s’est refermé e sur l’odeur aigre des passants, des petits chiens à la traî ne.

C’é tait l’Automne...

J’ai repris des beignes à la volé e pour vouloir jouer au lieu d’apprendre. Je comprenais pas grand-chose en classe. Mon pè re, il a redé couvert que j’é tais vraiment un cré tin. La mer ç a m’avait fait grandir, mais rendu encore plus inerte. Je me perdais dans la distraction. Il a repiqué des crises terribles. Il m’accusait de vachardise. Maman s’est remise à gé mir.

Son commerce devenait impossible, les modes arrê taient pas de changer. On est revenu aux « batistes », on a ressorti les « fonds de bonnets ». Il a fallu que les clientes s’en posent plein les té tons, dans les cheveux, en ronds de serviettes. Mme Hé ronde, dans la bagarre, s’appuyait les transformations. Elle a construit des bolé ros en « dure Irlande » qu’é taient faits pour durer vingt ans. Ce ne furent, hé las, que caprices! Aprè s le Grand Prix, on les remonta sur fil de fer, ils sont devenus des abat-jour... Quelquefois, Mme Hé ronde, elle é prouvait une telle fatigue, qu’elle confondait toutes les commandes, elle nous a rendu comme ç a des « petits bavoirs » en broderie qu’on attendait comme é dredons... C’é tait alors des drames pé pè res... la cliente en bouffait sa morve, et brandissait les tribunaux! Le dé sespoir é tait inouï, on remboursait tous les dommages et deux mois de nos nouilles y passaient... La veille de mon certificat, y a eu volcan dans la boutique, Mme Hé ronde venait de teindre en jaune coucou un « saut de lit » qu’é tait pourtant bien entendu comme « robe de marié e »! C’é tait un coup à se faire é tendre!... La bé vue é tait effrayante! La cliente pouvait nous bouffer!... Et cependant c’é tait é crit et trè s nettement sur le calepin!... Elle sanglotait Mme Hé ronde, effondré e, en bas sur ma mè re. Mon pè re, au premier rugissait!

« Ah! tu seras toujours la mê me! Toujours trop bonne! Ne t’ai-je pas assez pré venue? Qu’elles nous foutront sur la paille! Toutes tes ouvriè res!... Ah! suppose que moi, tiens, je fasse seulement le quart d’une erreur à la Coccinelle!... Ah! je me vois propre au Bureau! » L’hypothè se é tait si horrible qu’il se sentait dé jà perdu!... Il tournait pâ le!... On l’asseyait... C’é tait fini!... Je reprenais mon arithmé tique... C’est lui qui me faisait ré pé ter... Alors j’avais plus rien à dire, il m’en foutait la berlue, tellement qu’il s’embarbouillait dans ses propres explications. Je m’y prenais moi tout de travers... Je comprenais dé jà pas grand-chose... J’abandonnais la partie... Il considé rait mes lacunes... Il me trouvait indé crottable... Moi je le trouvais con comme la lune... Il se refoutait à râ ler à propos de mes « divisions ». Il s’empê trait jusqu’aux racines... Il me bigornait encore la trompe... Il m’en arrachait les esgourdes... Il pré tendait que je rigolais... Que je me foutais de sa binette.

Ma mè re radinait un moment... Il redoublait de furie... Il gueulait qu’il voulait mourir!

Le matin du certificat, ma mè re a fermé sa boutique pour pouvoir mieux m’encourager. Ç a se passait à la Communale prè s de Saint-Germain-l’Auxerrois dans le pré au mê me. Elle me recommandait en route d’avoir bien confiance en moi-mê me. Le moment é tait solennel, elle pensait à Caroline, ç a la faisait encore pleurnicher...

Tout autour du Palais-Royal, elle m’a fait ré citer mes Fables et la liste des Dé partements... À huit heures juste, devant la grille, nous é tions là, qu’on nous inscrive. Y avait du soin dans les habits, tous les mô mes é taient dé crotté s, mais é nervé s au possible, les mè res aussi.

Y a eu d’abord la dicté e, ensuite des problè mes. C’é tait pas trè s difficile, je me souviens, y avait qu’à copier. On faisait, nous, partie des refusé s de l’automne, de la session pré cé dente. Pour presque tous c’é tait tragique... Qui voulaient devenir apprentis... À l’oral, je suis tombé trè s bien, sur un bonhomme tout corpulent, qu’avait des verrues plein son nez. Il portait une grande lavalliè re, un peu dans le genre de l’oncle Arthur, c’é tait pourtant pas un artiste... Pharmacien qu’il avait é té, rue Gomboust. Y a des personnes qui le connaissaient. Il m’a posé deux questions à propos des plantes... Ç a je ne savais pas du tout... Il s’est ré pondu à lui-mê me. J’é tais bien confus. Alors il m’a demandé la distance entre le Soleil et la Lune et puis la Terre et l’autre cô té... Je n’osais pas trop m’avancer. Il a fallu qu’il me repê che. Sur la question des saisons je savais un petit peu mieux. J’ai marmonné des choses vagues... Vrai il é tait pas exigeant... Il finissait tout à ma place.

Alors il m’a posé la question sur ce que j’allais faire dans l’avenir si j’avais un Certificat?

« Je vais entrer, que j’ai dit lâ chement, dans le commerce.

— C’est dur le commerce mon petit!... qu’il m’a ré pondu... Vous pourriez peut-ê tre encore attendre?... Peut-ê tre encore une autre anné e?... »

Il devait pas me trouver costaud... Du coup j’ai cru que j’é tais collé... Je pensais au retour à la maison, au drame que j’allais dé clencher... Je sentais monter un vertige... Je croyais que j’allais dé faillir... tellement que je me sentais battre... Je me suis raccroché... Le vieux il m’a vu pâ lir...

« Mais non mon petit! qu’il me fait, rassurez-vous donc! Tout ç a n’a pas d’importance! Moi je vais vous recevoir! Vous y entrerez dans la vie! Puisque vous y tenez tant que ç a! »

J’ai é té me rasseoir sur le banc, à distance, en face du mur!... J’é tais quand mê me bouleversé. Je me demandais si c’é tait pas un mensonge commode... Pour se dé barrasser. Ma mè re é tait devant l’é glise sur la petite place, elle attendait les ré sultats...

C’é tait pas fini pour tout le monde... Il restait des mô mes... Je les voyais les autres à pré sent. Ils bafouillaient leurs confidences, par-dessus le tapis... la Carte de France, les continents...

Depuis qu’il m’avait dit ces mots à propos d’entrer dans la vie, je les regardais les petits compagnons, comme si jamais je les avais vus... L’angoisse d’ê tre reç us les coinç ait tous contre la table, ils se tortillaient comme dans un piè ge.

C’é tait ç a rentrer dans la vie? Ils essayaient dans l’instant mê me, de s’arrê ter d’ê tre que des mô mes... Ils faisaient des efforts de figure, pour dé jà prendre des allures d’hommes...

On se ressemblait tous à peu prè s, comme ç a vê tus, en tablier, c’é taient des enfants comme moi, de petits commerç ants du centre, des faç onniers, des « bazars »... Ils é taient tous assez ché tifs... Ils s’é carquillaient les mirettes, ils en haletaient comme des petits clebs, dans l’effort de ré pondre au vieux...

Les parents le long de la muraille, ils surveillaient la procé dure... Ils jetaient des regards vers leurs moutards, des coups de châ sse carabiné s, des ondes à leur couper la chique.

Les gosses, ils se gouraient à tout coup... Ils se ratatinaient davantage... Le vieux il é tait inlassable... Il ré pondait pour tout le monde... C’é tait la session des cré tins... Les mè res s’empourpraient à mesure... Elles menaç aient de mille raclé es... Ç a sentait le massacre dans la piaule... Enfin tous les mô mes y ont passé... Il restait plus que le palmarè s... C’é tait le plus beau du miracle!... Tout le monde é tait reç u finalement! L’inspecteur d’Acadé mie l’a proclamé sur l’estrade... Il avait un bide à chaî ne, une grosse breloque qui sautillait entre chaque phrase. Il bafouillait un petit peu, il s’est gouré dans tous les noms... Ç a n’avait aucune importance...

Il a profité de l’occasion pour prononcer quelques paroles tout à fait aimables... et trè s cordiales... Trè s encourageantes... Il nous a bien assuré s, que si on se conduisait plus tard dans la vie, dans l’existence, d’une faç on aussi valeureuse, on pouvait ê tre bien tranquilles, qu’on serait sû rement ré compensé s.

J’avais pissé dans ma culotte et recaqué é normé ment, j’avais du mal à me bouger. J’é tais pas le seul. Tous les enfants allaient de travers. Mais ma mè re a bien senti l’odeur, en mê me temps qu’elle m’é treignait... J’é tais tellement infectieux, qu’il a fallu qu’on se dé pê che. On a pas pu dire « au revoir » aux petits copains... Les é tudes é taient terminé es... Pour rentrer encore plus vite on a pris un fiacre...

On a fait un courant d’air... C’é taient des drô les de carreaux qui branlaient tout le long du chemin. Elle a reparlé de Caroline. « Comme elle aurait é té heureuse de te voir ré ussir!... Ah! si elle a une double vue!... »

Mon pè re attendait au premier é tage, tous feux é teints, les ré sultats. Il avait rentré tout seul l’é talage, les lustres, tellement qu’il é tait fré missant...

« Auguste! Il est reç u!... Tu m’entends?... Il est reç u!... Il a passé facilement!... »

Il m’a accueilli à bras ouverts... Il a rallumé pour me voir. Il me regardait affectueusement. Il é tait é mu au possible... Toute sa moustache tremblotait...

« Ç a c’est bien mon petit! Tu nous as donné bien du mal! À pré sent je te fé licite!... Tu vas entrer dans la vie... L’avenir est à toi!... Si tu sais prendre le bon exemple!... Suivre le droit chemin!... Travailler!... Peiner!... »

Je lui ai demandé bien pardon d’avoir é té toujours mé chant. Je l’ai embrassé de bon cœ ur... Seulement j’empestais si fort, qu’il s’est mis à renifler...

« Ah! Comment? qu’il m’a repoussé... Ah! le cochon!... le petit sagouin!... Mais il est tout rempli de merde!... Ah! Clé mence! Clé mence!... Emmè ne-le là -haut, je t’en prie!... Je vais encore me mettre en colè re! Il est é cœ urant!... » Ce fut la fin des effusions...

On m’a nettoyé tant et plus, on m’a enduit d’eau de Cologne.

Le lendemain, on s’est mis en quê te d’une maison ré ellement sé rieuse pour que je commence dans le commerce. Une place mê me un peu sé vè re, où on ne me laisserait rien passer.

Pour bien apprendre, il faut que ç a barde! Telle é tait l’opinion d’É douard. Il avait vingt ans de ré fé rences. Tout le monde é tait de son avis.

Dans le commerce, bien repré senter c’est tout à fait essentiel. Un employé qui se né glige, c’est de la honte pour ses patrons... Sur les chaussures, vous ê tes jugé s!... Ne pas faire pauvre pour les arpions!...

Au « Prince Ré gent » devant les Halles, c’é tait la maison centenaire... On pouvait pas dé sirer mieux! Une ré putation de tout temps pour les formes fé roces et pointues... « bec de canard » genre habillé. Les ongles vous rentrent tous dans la viande, c’est le moignon d’Elé gant! Ma mè re m’en a payé deux paires qu’é taient pratiquement inusables. On est passé s ensuite en face aux « Classes Mé ritantes » Confections... On a profité des soldes, fallait finir de m’é quiper.

Elle m’a payé trois pantalons, si impeccables, si solides, qu’on les a pris un peu plus grands, avec de l’ourlet pour dix ans. Je grandissais encore beaucoup. Le veston é tait le plus sombre, je gardais aussi mon brassard, le deuil de Grand-mè re. Je devais faire tout à fait sé rieux. En cols non plus faut pas se tromper... C’est par la largeur qu’on se rachè te tant qu’on est jeune et grê le d’en haut. La seule coquetterie permise c’é tait la cravate lé gè re, le papillon, monté systè me. Une chaî ne de montre é videmment, mais brunie aussi pour le deuil. J’avais tout ç a. J’é tais correct. J’é tais lancé. Papa aussi portait une montre, mais en or lui, un chronomè tre... Il a compté dessus toutes les secondes jusqu’à la fin... La grande aiguille, ç a le fascinait, celle qui court vite. Il bougeait plus à la regarder pendant des heures...

Ma mè re m’a conduit elle-mê me chez M. Berlope, Rubans Garnitures, rue de la Michodiè re, juste aprè s le Boulevard, pour me pré senter.

Comme elle é tait trè s scrupuleuse, elle l’a bien renseigné d’avance... Qu’il aurait du mal avec moi, que je leur donnerais du fil à retordre, que j’é tais assez paresseux, fonciè rement dé sobé issant, et passablement é tourdi. C’é taient des idé es à elle... Je faisais toujours ce que je pouvais. En plus, elle les a pré venus, que je me fouillais le nez sans cesse, que c’é tait une vraie passion. Elle a recommandé qu’on me fasse honte. Que depuis toujours ils essayaient de m’amé liorer, qu’ils arrivaient pas à grand-chose... M. Berlope, en é coutant ces dé tails, il se curait lui lentement les ongles... Il restait grave et soucieux. Il portait un fameux gilet parsemé d’abeilles en or... Je me souviens aussi de sa barbe é ventail et de sa calotte ronde brodé e, qu’il a pas ô té e pour nous.

Enfin, il a ré pondu... Il essayerait de me dresser... Il me regardait toujours pas... Si je montrais de la bonne volonté, de l’intelligence et du zè le... Eh bien, il verrait... Aprè s quelques mois au rayon, on m’enverrait peut-ê tre dehors... Avec un placier... Porter les marmottes... Ç a me ferait voir les clients... Mais avant de m’aventurer, il faudrait d’abord qu’il se rende compte à quoi j’é tais bon... Si j’avais le sens du commerce!... La vocation d’employé... La compé tence... Le dé vouement...

D’aprè s ce qu’avait dit ma mè re, ç a demeurait tout de mê me bien douteux...

Tout en causant, M. Berlope, il se redonnait un coup de peigne, il se bichonnait, il se vé rifiait de profil, il avait des glaces partout... C’é tait un honneur qu’il nous reç oive... Dans la suite, maman souvent l’a ré pé té, qu’on avait eu la faveur d’ê tre questionné par le patron.

« Berlope et fils » ne prenaient pas n’importe qui, mê me à l’essai, mê me gratuitement!

Le lendemain, à sept heures tout juste, j’é tais dé jà rue Michodiè re, devant leur rideau... J’ai tout de suite aidé le garç on des courses... Je lui ai tourné sa manivelle... Je voulais d’autor montrer mon zè le...

C’est pas Berlope bien sû r lui-mê me qui s’est occupé de mes dé buts, c’est monsieur Lavelongue... Celui-là, c’é tait é vident... il é tait la crè me des salopes. Il vous pistait toute la journé e toujours en traî tre, et dè s le premier instant... Il vous quittait plus à la trace, feutré, à la semelle... Sinueux, derriè re vous, d’un couloir à l’autre... Les bras pendants, prê ts à bondir, à vous é tendre... À l’affû t de la cigarette... du plus petit mince mé got... du mec vanné qui s’assoit...

Comme j’ô tais mon pardessus, tout de suite, il m’a rencardé.

« Je suis votre chef du personnel!... Et comment vous appelez-vous?

— Ferdinand, Monsieur...

— Alors, moi je vais vous avertir... Pas de guignols dans cette maison! Si, d’ici un mois, vous n’ê tes pas tout à fait au point... C’est moi, vous m’entendez bien, qui vous fous dehors! Voilà ! C’est net? C’est compris? »

Ceci é tant bien entendu, il s’est dé filé en fantô me entre les piles de cartons. Il marmonnait toujours des choses... Quand on le croyait encore loin, il é tait à un fil de vous... Il é tait bossu. Il se flanquait derriè re les clientes... Les calicots, ils en tremblaient de pé toche du matin au soir. Lui, il gardait son sourire, mais alors un pas ordinaire... Une vraie infection...

La pagaye, la confusion des camelotes, c’est encore pire pour la soierie que pour n’importe quel autre tissu. Toutes les largeurs, les mé trages, les é chantillons, les entamé s qui s’é parpillent, s’emberlificotent, se retortillent à l’infini... C’est pas regardable, le soir venu. Y en a des fouillis prodigieux, tout emmê lé s comme des buissons.

Toute la journé e, les « coursiè res », les petites râ leuses de la couture, elles viennent glousser dans les comptoirs. Elles trifouillent, ramè nent, é claboussent. Tout un dé lire en chichis. Ç a serpente sous les tabourets...

Aprè s sept heures, pour rembobiner, c’est un monde! Y en a trop qui foutent le bordel. On é touffe dans la fanfreluche. C’est une orgie « dé pareillé e ». Des mille et des mille couleurs... Moires, satins, tulles... Où qu’elles s’amè nent les cré celles pour chipoter la camelote, c’est plus qu’un massacre. Y a plus un carton disponible. Tous les numé ros sont en bombe. On se fait agonir... Redouble!...

Par tous les fumiers du rayon! Les commis gras à cheveux lisses ou à toupet comme le Mayol.

C’est aux roupiots le repliage. Ils sont bons pour la « bobinette ». L’é pinglage au « pieu » des rubans. Le retournement des « comè tes ». Tous les taupins à l’entame, le macramé, le velours bergame... La danse des taffetas, les changeants... Tout le bouillon, l’avalanche flasque des « invendus » c’est pour leur gueule. À peine que c’é tait remis d’é querre d’autres carambouilleuses radinaient... revenaient encore tout dé glinguer!... Refoutre en l’air tout notre boulot...

Leurs mines, leurs salades, leurs mutineries dé gueulasses leurs « balandars » à la main, toujours à la pê che d’un autre coloris, celui qu’on n’a pas...

En plus, moi j’avais un train-train, une consigne assez é puisante... je devais me taper la navette dans les « Ré serves ». Environ cinquante fois par jour. Elles é taient placé es au septiè me. Je me colletinais tous les cartons. Des pleines charges de piè ces en rebut, bardas en vrac, ou dé tritus. Tous les rendus c’é tait pour moi. Les « marquisettes », les grands mé trages, toutes les modes d’une saison jolie je les ai transporté es sept é tages. Un condé vraiment salement tarte. Assez pour crever un baudet. Mon col à « papillon » dans l’exercice et l’effort, il me godaillait jusqu’aux oreilles. Pourtant on le faisait empeser à double amidon.

M. Lavelongue, il m’a traité fort durement et de mauvaise foi. Dè s qu’il arrivait une cliente, il me faisait signe que je me barre. Je devais jamais rester autour. J’é tais pas montrable... Forcé ment à cause des poussiè res si é paisses dans les ré serves et de l’abondante transpiration, j’é tais barbouillé jusqu’aux tiffes. Mais à peine que j’é tais sorti qu’il recommenç ait à m’agonir, parce que j’avais disparu. Y avait pas moyen de l’obé ir...

Les autres merdeux des rayons, ç a les faisait marrer la maniè re que je bagottais, la vitesse que j’atteignais pour passer d’un é tage à l’autre. Lavelongue, il voulait pas que je pause:

« C’est la jeunesse, c’est le sport!... » Voilà comment il m’arrangeait. À peine que j’é tais descendu qu’on me refilait un autre paquesson!... Vas-y poupette! Je te connais bien!

On portait pas de blouse à l’é poque dans les magasins du Sentier, c’é tait pas convenable. Avec des boulots semblables, on lui a vite vu la trame à mon beau veston.

« Tu vas user plus que tu ne gagnes! » que s’inquié tait dé jà maman. C’é tait pas bien difficile puisque je touchais rien du tout. C’est vrai que dans certains mé tiers les roupiots payaient pour apprendre. En somme, j’é tais favorisé... C’é tait pas le moment que je ramè ne. « L’é cureuil » qu’ils m’intitulaient les collè gues tellement que j’y mettais de l’ardeur à grimper dans les ré serves. Seulement n’empê che que Lavelongue il m’avait toujours à la caille. Il pouvait pas me pardonner d’ê tre entré par M. Berlope. Rien que de me voir ç a lui faisait du mal. Il pouvait pas sentir ma tronche. Il voulait me dé courager.

Il a encore trouvé à redire à propos de mes grolles, que je faisais avec trop de bruit dans les escaliers. Je talonnais un peu c’est exact, le bout me faisait un mal terrible surtout arrivé sur le soir, ils devenaient comme des vrais tisons.

« Ferdinand! qu’il m’interpellait, vous ê tes assommant! vous faites ici, à vous tout seul, plus de raffut qu’une ligne d’omnibus! »... Il exagé rait.

Mon veston cé dait de partout, j’é tais un gouffre pour les complets. Il a fallu m’en faire un autre, dans un ancien à l’oncle É douard. Mon pè re il dé colé rait plus, d’autant qu’il avait des ennuis et de plus en plus lancinants avec son bureau. Pendant ses vacances, les autres salopards, les ré dacteurs, ils en avaient profité. Ils l’avaient calomnié beaucoup...

M. Lempreinte son supé rieur, il croyait tout ç a mot pour mot. Il avait lui des crises gastriques. Quand il avait vraiment trè s mal, il voyait des tigres au plafond... Ç a arrangeait pas les affaires.

Je savais plus comment m’y prendre pour plaire chez Berlope. Plus je poulopais dans l’escalier, plus Lavelongue il me prenait en grippe. Il pouvait plus me voir en peinture.

Sur les cinq heures, comme il allait se taper un crè me, moi je profitais dans la ré serve pour ô ter un peu mes tatanes, je faisais ç a aussi dans les chiots quand y avait plus personne. Du coup, les autres enfoiré s, ils allaient me cafeter au singe. Lavelongue piquait un cent mè tres, j’é tais sa manie... Je l’avais tout de suite sur le paletot.

« Sortirez-vous? petit rossard! Hein! C’est ç a que vous appelez du travail?... À vous branler dans tous les coins!... C’est ainsi que vous apprendrez? N’est-ce pas? Les cô tes en long! La queue en l’air!... Voilà le programme de la jeunesse!... »



  

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