Хелпикс

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Note sur l’édition numérique. 9 страница



À la maison, ç a recommence, ç a repique en trombe... C’est un ouragan. Mon pè re me dé rouille à fond, à pleins coups de bottes, il me fonce dans les cô tes, il me marche dessus, il me dé culotte. En plus, il hurle que je l’assassine!... Que je devrais ê tre à la Roquette! Depuis toujours!... Ma mè re supplie, é treint, se traî ne, elle vocifè re « qu’en prison ils deviennent encore plus fé roces ». Je suis pire que tout ce qu’on imagine... Je suis à un poil de l’é chafaud. Voilà où que je me trouve!... Popaul y é tait pour beaucoup, mais l’air aussi et la vadrouille... Je cherche pas d’excuses...

On est bien resté s une semaine comme ç a en pleine fré né sie. Papa é tait si furieux, il se congestionnait tellement fort qu’on a redouté une « attaque ». L’oncle É douard est revenu exprè s de Romainville pour le raisonner. L’oncle Arthur avait pas assez d’influence, il é tait pas assez sé rieux. Rodolphe lui, il é tait loin, il parcourait la province avec le cirque Capitol.

Les voisins et les parents, tout le monde au Passage a é té d’avis qu’on devrait me purger et mon pè re aussi en mê me temps, que ç a nous ferait du bien tous les deux. En cherchant les raisons des choses, ils ont fini par conclure, que sû rement c’é taient les vers qui m’avaient rendu si mé chant... On m’a donné une substance... J’ai vu tout jaune et puis marron. Je me suis senti plutô t calmé. Mon pè re, par la ré action, il est resté au moins trois semaines absolument muet. Il me jetait seulement des coups d’œ il, de loin, de temps à autre... des prolongé s, suspicieux... Je restais son tourment, sa croix. On s’est tous repurgé s encore, chacun son mé dicament. Lui l’eau de Janos, moi le ricin, elle la rhubarbe. Aprè s ç a ils ont ré solu qu’on ferait plus jamais les marché s, que le trimard ç a serait ma perte. Je rendais les choses impossibles, avec mes instincts criminels.

Ma mè re m’a reconduit à l’é cole avec mille recommandations. Elle é tait dans tous ses é tats en arrivant rue des Jeû neurs. Les gens l’avaient dé jà pré venue, qu’on me garderait pas huit jours. Je me suis pourtant tenu peinard, on m’a pas chassé. J’apprenais rien, c’est un fait. Ç a me dé sespé rait l’é cole, l’instituteur en barbiche, il en finissait jamais de nous brouter ses problè mes. Il me foutait la poisse rien qu’à le regarder. Moi d’abord d’avoir tâ té, avec Popaul, la vadrouille, ç a me dé bectait complè tement de rester ensuite comme ç a assis pendant des heures et des payes à é couter des inventions.

Dans la cour, les mô mes, ils essayaient de se dé rouiller, mais c’é tait piteux comme effort, le mur devant montait si haut qu’il é crasait tout, l’envie de rigoler leur passait. Ils rentraient chercher des bons points... Merde!

Dans la cour, y avait rien qu’un arbre, et sur la branche, il est venu qu’un seul oiseau. Ils l’ont descendu, les moutards, à coups de pierres et d’arbalè te. Le chat l’a bouffé pendant toute une ré cré ation. Moi j’obtenais des notes moyennes. J’avais peur d’ê tre forcé de revenir. J’é tais mê me considé ré pour ma bonne tenue. On avait tous la merde au cul. C’est moi qui leur ai appris à se garder l’urine dans des petites bouteilles.

À la boutique, les jé ré miades se renouvelaient de plus en plus. Ma mè re ressassait son chagrin. Elle cherchait toutes les occasions pour se souvenir de sa maman, les moindres dé tails... S’il entrait une seule personne pour proposer un petit bibelot au moment de la fermeture, elle fondait tout de suite en larmes... « Si ma mè re é tait encore là ! Elle se foutait à glapir, elle qui savait si bien acheter!... » Des ré flexions dé sastreuses...

Nous avions une vieille copine, elle a bien su en profiter des mé lancolies à maman... Elle s’appelait Mme Divonne, elle é tait presque aussi ancienne que la tante Armide. Aprè s la guerre de 70, elle avait fait une fortune avec son mari, dans le commerce des gants « d’agneau », Passage des Panoramas. C’é tait une boutique cé lè bre, ils en avaient une autre encore, Passage du Saumon. À un moment, ils employaient dix-huit commis. « Ç a s’arrê tait pas d’entrer et de sortir. » Grand-mè re le racontait toujours. Le mari, de remuer tant de pognon ç a l’avait grisé. Il avait d’un coup tout perdu et davantage, dans le Canal de Panama. Les hommes ç a n’a pas de ressort, au lieu de remonter le courant, il s’est barré au loin avec une donzelle. Ils avaient tout lavé à perte. À pré sent c’é tait la dé bine. Elle vivait Mme Divonne, de droite à gauche. Son refuge c’é tait sa musique. Il lui restait des petits moyens, mais alors des si minuscules, qu’elle avait à peine pour bouffer et encore pas tous les jours. Elle profitait des connaissances. Elle s’é tait marié e par amour avec l’homme des gants. Elle é tait pas né e dans le commerce, son pè re é tait Pré fet d’Empire. Elle jouait du piano à ravir. Elle quittait pas ses mitaines à cause de ses mains dé licates et des moufles é paisses en hiver, mais à ré sille, et orné es de roses pompon. Elle é tait coquette pour toujours.

Elle est entré e dans la boutique, elle é tait pas venue depuis longtemps. La mort de Grand-mè re ç a l’avait beaucoup affecté e. Elle en revenait pas! « Si jeune! » qu’elle ré pé tait aprè s chaque phrase. Elle en parlait dé licatement de Caroline, de leur passé, de leurs maris, du « Saumon » et des Boulevards... Avec bien des nuances et des pré cautions exquises. Elle é tait vraiment bien é levé e. Je m’en rendais bien compte... À mesure qu’elle racontait, tout devenait comme un rê ve fragile. Elle ô tait pas sa voilette, ni son chapeau... à cause du teint qu’elle pré textait... Surtout à cause de sa perruque... Pour dî ner, il nous restait jamais beaucoup... On l’a invité e quand mê me... Mais au moment de finir la soupe, elle la relevait sa voilette et son chapeau et tout le bazar... Elle lampait le fond de l’assiette... Elle trouvait ç a bien plus commode... Sans doute à cause du râ telier. On l’entendait qui jouait avec... Elle se mé fiait des cuillers. Les poireaux, elle adorait ç a, mais il fallait qu’on les lui dé coupe, c’é tait un tintouin. Quand on avait fini de croû ter, elle voulait pas encore partir. Elle devenait frivole. Elle se tournait vers le piano, un gage oublié d’une cliente. Il é tait jamais accordé, pourtant il marchait encore bien.

Mon pè re, comme tout l’agaç ait, elle lui portait sur les nerfs, la vieille noix aussi avec ses mimiques. Et cependant, il s’amadouait quand elle se lanç ait dans certains airs comme le Lucie de Lammermoor et surtout le Clair de Lune.

Elle est revenue plus souvent. Elle attendait plus qu’on l’invite... Elle se rendait compte du dé sarroi. Pendant qu’on rangeait la boutique, elle grimpait là -haut en moins de deux, elle s’installait au tabouret, elle é bauchait deux ou trois valses et puis Lucie et puis Werther. Elle possé dait un ré pertoire, tout le Chalet et Fortunio. On é tait bien forcé de monter. Elle se serait jamais interrompue si on s’é tait pas mis à table. « Coucou!... » qu’elle faisait en vous revoyant. Pendant le dî ner, elle pleurait bien gentiment en mê me temps que ma mè re. Ç a lui coupait pas l’appé tit. Les nouilles ne la gê naient pas. La faç on qu’elle en redemandait m’a toujours é pouvanté. Elle faisait ç a encore ailleurs, le truc des souvenirs, avec bien d’autres commerç ants, qu’é taient plus ou moins é ploré s, par-ci, par-là, dans les boutiques. Elle avait plus ou moins connu les dé funts des quatre quartiers, Mail et Gaillon. Ç a finissait par la nourrir.

Elle connaissait les histoires de toutes les familles des Passages En plus quand il y avait un piano, elle avait pas son pareil... À plus de soixante-dix ans d’â ge, elle pouvait encore chanter Faust, mais elle prenait des pré cautions. Elle se gavait de boules de gomme pour pas s’é railler la voix... Elle faisait les chœ urs à elle toute seule, avec les deux mains en trompette. « Gloire Immortelle! »... Elle arrivait à le tré pigner en mê me temps qu’elle tapait les notes.

À la fin, on pouvait plus se retenir tellement qu’on se marrait. On en é clatait par le nez. La mè re Divonne une fois en train elle s’arrê tait pas pour si peu. C’é tait une nature d’artiste. Maman avait honte, mais elle rigolait quand mê me... Ç a lui faisait du bien...

Ma mè re pouvait plus se passer d’elle, malgré ses dé fauts, ses espiè gleries. Elle l’emmenait partout. Le soir on l’accompagnait jusqu’à la Porte de Bicê tre. Elle rentrait chez elle à pied au Kremlin, à cô té de l’Asile.

Le dimanche matin, c’est elle qui venait nous chercher pour qu’on parte ensemble au cimetiè re. Le nô tre c’é tait le Pè re-Lachaise, la 43e division. Mon pè re il y entrait jamais. Il avait horreur des tombeaux. Il dé passait pas le Rond-Point en face la Roquette. Il lisait là son journal, il attendait qu’on redescende.

Le caveau de Grand-mè re il é tait trè s bien entretenu. Tantô t on vidait les lilas, l’autre fois c’é tait les jasmins. On ramenait toujours des roses. C’é tait le seul luxe de la famille. On changeait les vases, on astiquait les carreaux. Dedans, ç a faisait comme un guignol avec les statues en couleur et les nappes en vraie dentelle. Ma mè re en rajoutait toujours, c’é tait sa consolation. Elle fignolait l’inté rieur.

Pendant qu’on faisait le nettoyage, elle arrê tait pas de sangloter... Caroline é tait pas loin là -dessous... Je pensais à Asniè res toujours... À la faç on qu’on s’é tait dé carcassé s là -bas pour les locataires. Je la revoyais pour ainsi dire. Ç a avait beau ê tre reluisant et relavé tous les dimanches, il montait quand mê me du fond une drô le de petite odeur... une petite poivré e, subtile, aigrelette, bien insinuante... quand on l’a sentie une fois... on la sent aprè s partout... malgré les fleurs... dans le parfum mê me... aprè s soi... Ç a vous tourne... ç a vient du trou... on croit qu’on l’a pas sentie. Et puis la revoilà !... C’est moi qu’allais au bout de l’allé e pomper les brocs pour les vases... Une fois qu’on avait fini... je ne disais plus rien... Et puis il me revenait encore un peu sur le cœ ur le petit relent... On bouclait la lourde... On faisait la priè re... On redescendait vers Paris...

Mme Divonne arrê tait plus de bavarder, tout en marchant... De s’ê tre levé e de si bonne heure, de s’ê tre dé pensé e sur les fleurs, d’avoir pleurniché si longtemps, ç a lui ouvrait l’appé tit... Y avait aussi son diabè te... Toujours est-il qu’elle avait faim... Dè s qu’on é tait hors du cimetiè re, elle voulait qu’on casse la croû te. Elle arrê tait pas d’en causer, ç a devenait une vraie obsession. « Tu sais moi Clé mence, ce que j’aimerais? Tiens! sans ê tre gourmande!... C’est un petit carré de galantine sur un petit pain pas trop rassis... Qu’est-ce que t’en dirais? »

Ma mè re elle ré pondait rien. Elle é tait embarrassé e. Moi du coup l’idé e me montait de tout dé gueuler sur place... Je pensais plus à rien qu’à vomir... Je pensais à la galantine... À la tê te qu’elle devait avoir là -dessous, maintenant Caroline... à tous les vers, les bien gras... des gros qu’ont des pattes... qui devaient ronger... grouiller dedans... Tout le pourri... des millions dans tout ce pus gonflé, le vent qui pue...

Papa é tait là... Il a juste eu le temps de me raccrocher aprè s l’arbre... j’ai tout, tout dé gueulé dans la grille... Mon pè re il a fait qu’un bond... Il a pas tout esquivé...

« Ah! saligaud!... » qu’il a crié... Il avait en plein é copé sur son pantalon... Les gens nous regardaient. Il avait trè s honte. Il est reparti vite tout seul, de l’autre cô té vers la Bastille. Il voulait plus nous connaî tre. Avec les dames, on est entré s dans un petit bistrot prendre un tilleul pour me remettre. C’é tait un tout petit café tout juste en face de la Prison.

Plus tard, je suis repassé souvent là. Et j’ai regardé toujours chaque fois. Jamais dedans j’ai vu personne.

 

L’oncle Arthur é tait ravagé par les dettes. De la rue Cambronne à Grenelle, il avait emprunté tellement et jamais rendu à personne que sa vie é tait plus possible, un panier percé. Une nuit, il a dé mé nagé à la cloche de bois. Un poteau est venu pour l’aider. Ils ont arrimé leur bazar sur une voiture avec un â ne. Ils s’en allaient aux environs. Ils sont passé s nous avertir, comme on é tait dé jà couché s.

La compagne d’Arthur, la bonniche, il profitait pour la plaquer... Elle avait parlé de vitriol... Enfin c’é tait le moment qu’il se barre!

Ils avaient repé ré une cambuse avec son copain, où personne viendrait l’emmerder, sur les coteaux d’Athis-Mons. Le lendemain dé jà les cré anciers, ils se sont rabattus sur nous. Ils dé marraient plus du Passage les vaches!... Ils allè rent mê me relancer Papa au bureau à la Coccinelle. C’é tait une honte. Du coup, il faisait atroce mon pè re... Il retournait au pé tard.

« Quelle clique! Quelle engeance!... Quelle sale racaille toute cette famille! Jamais une minute tranquille! On vient me faire chier mê me au boulot!... Mes frè res se tiennent comme des bagnards! Ma sœ ur vend son cul en Russie! Mon fils a dé jà tous les vices! Je suis joli! Ah! je suis fadé !... » Ma mè re elle trouvait rien à redire... Elle essayait plus de discuter... Il pouvait s’en payer des tranches.

Les cré anciers, ils se rendaient compte que Papa respectait l’honneur... Ils dé mordaient plus d’une semelle. Ils quittaient plus notre boutique... Nous qu’avions dé jà du mal à bouffer... Si on avait payé les dettes on aurait crevé tout à fait...

« Nous irons le voir dimanche prochain!... qu’a alors dé cidé mon pè re. Je lui dirai, moi, d’homme à homme, toute ma maniè re de penser!... »

Nous partî mes à l’aube pour le trouver à coup sû r pour pas qu’il soye dé jà en bombe... D’abord on s’est trompé s de route... Enfin on l’a dé couvert... Je croyais le trouver l’oncle Arthur, ratatiné, repentant, tout à fait foireux, dans un recoin d’une caverne, traqué par trois cents gendarmes... et grignotant des rats confits... Ç a se passait ç a dans Les Belles Images pour les forç ats é vadé s... L’oncle Arthur c’é tait autre chose... Nous le trouvâ mes attablé dé jà au bistrot à la « Belle Adè le ». Il nous fit fê te sous les bosquets... Il buvait sec et à cré dit et pas du vinaigre!... Un petit muscadet rosé... Un « reglinguet » de premiè re zone... Il se portait à merveille... Jamais il s’é tait senti mieux... Il é gayait tout le voisinage... On le trouvait incomparable... On accourait pour l’entendre... Jamais il y avait eu tant de clients à la « Belle Adè le »... Toutes les chaises é taient occupé es, y en avait des gens plein les marches... Tous les petits proprié taires depuis Juvisy... en faux panamas... Et tous les pê cheurs du bief, en sabots, remontaient à la « Belle Adè le » pour l’apé ritif, exprè s pour rencontrer l’oncle Arthur. Jamais ils rigolaient autant.

Il y en avait pour tous les goû ts! Tous les jeux! Toutes les attractions! Du bouchon à la palette... Le discours!... Les devinettes!... Entre les arbres!... Pour les dames... L’oncle Arthur c’é tait l’entrain... la coqueluche... Il se dé menait, se mettait à toutes les sauces... Mais il enlevait pas son chapeau, sa poê le à marrons d’artiste! Mê me comme ç a au fort de l’é té, il transpirait à ruisseaux... Il changeait rien à sa tenue... Ses tatanes bec de canard, ses grimpants velours à cô tes... sa cravate é norme, la feuille de laitue...

Avec son goû t pour les bonniches il avait tombé les trois... Heureuses de servir et d’aimer... Il voulait plus qu’on lui en parle de ses misè res de Vaugirard... Dé jà, c’é tait oublié !... Il allait refaire toute sa vie!... Il laissait pas mon pè re finir... Ratiociner ses bê tises... Il nous embrassait tour à tour... Il é tait bien content de nous revoir...

« Arthur! Veux-tu m’é couter un instant!... Tes cré anciers sont suspendus à notre porte!... du matin au soir!... Ils nous harcè lent!... M’entends-tu? » Arthur balayait d’un geste ces é vocations miteuses. Et mon pè re il le regardait comme un pauvre obstiné ballot... Il avait pitié en somme! « Allons venez tous par ici!...  Viens Auguste! Tu parleras plus tard! Je vais vous montrer le plus beau point de vue de la ré gion!... Saint-Germain n’existe pas!... Encore un petit raidillon... Le chemin de gauche et puis la voû te de verdure... Au bout c’est mon atelier!... »

Il appelait ainsi sa cabane... Elle é tait pé pè re c’est exact comme situation. De chez lui on dominait toute la vallé e... La Seine jusqu’à Villeneuve-Saint-Georges et de l’autre cô té les bois de Sé nart. On pouvait pas rê ver mieux. Il avait de la veine. Il ne payait aucun loyer, pas un fifrelin. Soi-disant il gardait l’é tang d’un proprié taire...

L’é tang se remplissait qu’en hiver, l’é té y avait pas d’eau du tout. Il é tait bien vu par les dames. Il avait affranchi les bonnes. Y avait à croû ter chez lui et en abondance!... Du muscadet comme en bas, du saucisson, des artichauts et des petits suisses... En pagaye alors! Dont ma mè re é tait si friande. Il é tait pas malheureux... Il nous a parlé de ses commandes... Des enseignes pour tous les bistrots, les é piceries, les boulangeries... « Ils feront l’utile, moi l’agré able! » C’est ainsi qu’il voyait la vie... Y avait plein d’esquisses sur les murs: Au Brochet Farci avec un poisson comac en bleu, rouge et vermillon... La Belle Mariniè re pour une blanchisseuse amie, avec des té tons lumineux, une idé e trè s ingé nieuse... L’avenir é tait assuré. On pouvait se ré jouir.

Avant qu’on reparte au village, il a tout enfoui dans trois ou quatre cruches, toute la boustifaille et le tutu blanc, comme un tré sor dans un sillon... Il voulait pas laisser sa trace. Il se mé fiait des gens qui passent. Il a é crit avec une craie sur sa porte: Je reviendrai jamais.

On est descendu vers l’é cluse, il connaissait les mariniers. Ç a faisait une longue trotte par les chemins à pic, ma mè re claudiquait derriè re. En arrivant elle avait mal, elle est resté e sur une borne. On a regardé les remorqueurs, le mouvement du sas des pé niches qu’ont l’air si sensible, fragile comme du verre contre les murailles... Elles osent aborder nulle part.

L’é clusier bouffi crache trois fois sa chique, tombe la veste, ramone et râ le sur la chignole... La porte aux pivots tremblote, grince et dé marre à petits coups... Les remous pè sent... les battants suintent et cè dent enfin... l’Arthé mise pique un long sifflet... le convoi rentre...

Plus loin, c’est Villeneuve-Saint-Georges... La travé e grise de l’Yvette aprè s les coteaux... En bas, la campagne... la plaine... le vent qui prend son é lan... tré buche au fleuve... tourmente le bateau-lavoir... C’est l’infini clapotis... les triolets des branches dans l’eau... De la vallé e... En vient de partout... Ç a module les brises... Il est plus question des dettes... On n’en parle plus... C’est la force de l’air qui nous grise... On dé conne avec l’oncle Arthur... Il veut nous faire traverser. Ma mè re refuse qu’on s’embarque... Il monte tout seul dans un bachot. Il va nous montrer ses talents. Il rame à contre-courant. Mon pè re s’anime et lui prodigue mille conseils, l’exhorte à toutes les prudences. Mê me ma pauvre mè re se passionne. Elle se mé fie dé jà du pire. Elle boite, elle nous accompagne tout le long de la rive...

L’oncle Arthur dé range les pê cheurs, de leur banquette ils sè ment au vol les asticots... Ils l’enguirlandent é normé ment... Il cafouille dans les né nuphars... Il va se remettre en action... Il transpire comme trois athlè tes. Il tourne, il prend le petit goulet, il faut qu’il oblique en vitesse vers les sabliè res, qu’il se ré fugie de la « grande Touilleuse ». Elle s’annonce de loin, La Fleur-des-carriè res elle avance à la force des chaî nes, dans un formidable boucan... Elle tire sur le fond du fleuve... Elle fait tout remonter alors... Tous les limons et les cadavres et les brochets... Elle é clabousse, dé fonce les deux rives à la fois... C’est la terreur et le dé sastre partout quand elle passe. La flottille des bords capote, carambole dans les piquets... Trois biefs à la fois chahutent... C’est la catastrophe des bateaux! La voilà qui sort de sous le pont, La Fleur des carriè res. Elle bringuebale dans le fond de sa carcasse et sur ses balcons, toute la quincaillerie, les catapultes et la timonerie d’un enfer. Elle traî ne derriè re elle au moins vingt chalands bourré s d’escarbilles... C’est pas le moment de pavaner!... Mon oncle il se prend dans un filin... Il a pas le temps de toucher la rive... Au clapot, son bachot soulè ve... son beau galure tombe au jus... Il se penche, il veut faire un effort... Il perd sa rame... Il s’affole... Il rebiffe... Il bascule... Il tombe au sirop exact comme « les Joutes Lyonnaises » en arriè re « plat cul »!... Heureusement qu’il sait nager!... On se pré cipite, on le cajole, on le fé licite... l’Apocalypse est dé jà loin... là -bas vers Ris-Orangis en train de semer d’autres terreurs.

Tout le monde se retrouve à la Perte du Goujon, le rendez-vous des é clusiers, on se congratule... C’est le moment des apé ros... À peine le temps de se sé cher, mon oncle Arthur ré unit toutes ses connaissances... Il a une idé e!... Pour un club des « Frè res de la Voile ». Les pê cheurs sont moins enthousiastes... Il ramasse les cotisations... Les petites amies viennent l’embrasser... Nous restons encore pour la soupe... Sous les lampions, entre les moustiques et le potage, l’oncle pousse dé jà sa romance: « Un poè te m’a dit... » On ne veut plus du tout qu’il retourne à l’é tang l’oncle Arthur... On l’accapare... Il ne sait plus où se donner...

Nous sommes repartis vers la gare... On s’est é clipsé s en douce pendant qu’il roucoulait encore... Mais mon pè re é tait pas content... Surtout à la ré flexion... Il marronnait à l’inté rieur... Il s’en voulait é normé ment de pas lui avoir dit son fait... Il avait manqué d’aplomb. On y est retourné encore une fois. Il avait un nouveau canot avec une vraie voile Arthur... et mê me un petit foc au bout... Il louvoyait en chantant Sole mio. Il faisait beaucoup d’é cho dans les Sabliè res avec sa jolie chanson. Il é tait ravi... C’é tait plus tenable pour papa... Ç a pouvait pas continuer... Bien avant l’apé ritif, on a filé comme des pé teux... On nous a pas vus repartir... On y est jamais retourné le voir... C’é tait plus possible sa fré quentation... Il nous dé bauchait...

Comme y avait juste dix ans qu’il faisait partie de la Coccinelle, mon pè re il a eu des vacances, quinze jours et payé s...

Qu’on s’en aille comme ç a tous les trois c’é tait pas trè s raisonnable... C’é tait des sommes folles... Mais il faisait un é té terrible et dans le Passage on en crevait, moi surtout qu’é tais le plus livide, qui souffrais de croissance. Je tenais plus en l’air d’ané mie. On a é té voir le mé decin, il m’a trouvé inquié tant... « C’est pas quinze jours! C’est trois mois qu’il lui faudrait, au grand air!... » Voilà comment il a parlé.

« Votre Passage, qu’il a dit en plus, c’est une vé ritable cloche infecte... On n’y ferait pas venir des radis! C’est une pissotiè re sans issue... Allez-vous-en!... »

Il é tait si caté gorique, que ma mè re est rentré e en larmes... Il a fallu qu’on trouve un joint. On voulait pas taper trop fort dans les trois mille francs d’hé ritage... Ils ont donc alors ré solu de tenter encore les marché s: Mers... Onival et surtout Dieppe... Il a fallu que je promette de me tenir tout à fait peinard... de plus bombarder les cadrans... de plus obé ir aux voyous... de plus quitter ma mè re d’un pouce... J’ai juré tout ce qu’on a voulu... d’ê tre sage et mê me reconnaissant... qu’en revenant je ferais bien des efforts pour passer mon certificat...

Ainsi rassuré s sur mon compte, ils ont dit qu’on pouvait partir. On a fermé le magasin. On irait d’abord à Dieppe, avec ma mè re, se rendre compte un mois d’avance... Mme Divonne viendrait regarder de temps à autre s’il se passait rien d’insolite pendant notre absence... Papa il nous rejoindrait plus tard, il ferait la route en bicyclette... Il passerait deux semaines avec nous...

Aussitô t là -bas, nous deux, on s’est dé brouillé s trè s vite, on n’a vraiment pas eu trop de mal. On logeait au-dessus d’un café Aux Mé sanges. Deux matelas par terre chez une employé e des Postes. Le seul ennui c’é tait l’é vier, il sentait pas bon.

Quand il s’est agi de dé baller sur la Grand-Place les marchandises, ma mè re a pris peur tout d’un coup. Nous avions pris un choix complet de fanfreluches, de broderies et de colifichets extrê mement volages. C’é tait bien risqué d’é tablir tout ç a en plein air, dans une ville qu’on ne connaissait pas... Ré flexion faite, on a pré fé ré relancer nous-mê mes les clientes, c’é tait bien du mal certainement, mais on risquait moins d’ê tre fauché s... D’un bout à l’autre de l’Esplanade, devant la mer, on s’est tapé le porte à porte... C’é tait un boulot. Il pesait lourd notre barda. On attendait devant les villas, sur le banc d’en face. Y avait des moments opportuns, c’est quand ils avaient bien bouffé... Fallait entendre leur piano... Les voici qu’ils passent au salon!...

Ma mè re alors bondissait, sautillait sur la sonnette... Elle é tait reç ue mal ou bien... Elle arrivait à vendre quand mê me...



  

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