Хелпикс

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Note sur l’édition numérique. 6 страница



Ç a dé pend des pavé s le dé sastre... Ceux de Clignancourt nous firent sauter les trois chaî nes... Ceux de la barriè re de Vanves c’é tait la mort des ressorts avant... On a perdu toutes les lanternes et la trompe à gueule de serpent dans les petits cassis, au-dessus des travaux de La Villette... Vers Picpus et la Grand-Route, on a perdu tellement de choses, que mon pè re en oubliait...

Je l’entends encore jurer derriè re, « que ç a devenait la fin du monde! Qu’on serait surpris par la nuit! »

Tom pré cé dait notre aventure, le trou de son cul c’é tait le repè re. Il avait le temps de pisser partout. L’oncle É douard, pas seulement il é tait adroit, il avait une science infinie de tous les raccommodages. Vers la fin de nos excursions, c’est lui qui retenait tout dans ses mains, la mé canique c’é tait ses doigts, il jonglait entre les cahots avec les ruptures et les tringles, il jouait des fuites comme du piston. C’é tait merveilleux de le voir en acrobatie. Seulement un moment donné quand mê me tout foirait à travers de la route... Alors on prenait de la bande, la direction filochait, on allait à dame au fossé. Ç a crevait, giclait, renâ clait un grand coup dans le fond de la mouscaille.

Mon pè re ralliait en hurlements... Le zinc râ lait une derniè re fois BUUAH!... Et puis c’é tait terminé ! Il s’affalait le dé gueulasse!

On empestait la campagne avec un cambouis é cœ urant. On se dé pê trait du catafalque... On repoussait le tout jusqu’à Asniè res. C’est là qu’il avait son garage. Mon pè re en action puissante, il saillait fort des mollets, en bas de laine à cô tes... Les dames des bords se rinç aient l’œ il. C’é tait la fierté à maman... Il fallait refroidir le moteur, on avait pour ç a un petit seau en toile extensible. On allait puiser aux fontaines. Notre tricar ç a tenait de l’usine sur une voiture des quatre-saisons. En poussant on se mettait en loques, tellement y avait des crochets et des fourbis tout pointus qui dé passaient tout autour...

À la barriè re, mon oncle et papa entraient au bistrot se jeter une canette les premiers. Moi et les dames effondré s, râ lants sur un banc d’en face, attendions notre limonade. Tout le monde é tait excé dé. C’est moi qui prenais finalement. L’orage é tait sur la famille. Auguste tenait à faire sa crise. Il cherchait un petit pré texte. Il é tait soufflé, il reniflait comme un bull-dog. Y avait que moi qui pouvais servir. Les autres l’auraient envoyé moudre... Il se tapait un fort Pernod. Il avait pas l’habitude, c’é tait une extravagance... À propos que j’avais lacé ré mon froc, il me passait la grande correction. Mon oncle intercé dait un peu, ç a l’enfuriait davantage.

C’est en rentrant de la campagne, que j’ai reç u les pires torgnioles. Aux barriè res, y a toujours du monde. Je beuglais exprè s pour l’emmerder, tant que je pouvais. J’ameutais, je me roulais sous les gué ridons. Je lui faisais des hontes abominables. Il rougissait de haut en bas. Il abhorrait qu’on le remarque. J’aurais voulu qu’il en crè ve. On repartait comme des pé teux, courbé s sur l’instrument farouche.

Y avait toujours tellement des disputes à nos retours des excursions qu’à force mon oncle a renoncé.

« Le petit, qu’on a dit alors, l’air lui fait sû rement du bien!... mais l’automobile, ç a l’é nerve!... »

Mlle Mé hon, la boutique juste en face de nous, c’est à pas croire ce qu’elle é tait vache. Elle nous cherchait des raisons, elle arrê tait pas de comploter, elle é tait jalouse. Ses corsets pourtant, elle les vendait bien. Vieille, elle avait sa clientè le encore trè s fidè le et de mè res en filles, depuis quarante ans. Des personnes qu’auraient pas montré leur gorge à n’importe qui.

C’est à propos de Tom, que les choses se sont envenimé es, pour l’habitude qu’il avait prise de pisser contre les devantures. Il é tait pas le seul pourtant. Tous les clebs des environs ils en faisaient bien davantage. Le Passage c’é tait leur promenade.

Elle a traversé exprè s, la Mé hon, pour venir provoquer ma mè re, lui faire un esclandre. Elle a gueulé que c’é tait infâ me, l’ignoble faç on qu’il cochonnait toute sa vitrine, notre petit galeux... Ç a s’amplifiait ses paroles de deux cô té s du magasin et jusqu’en haut dans le vitrail. Les passants prenaient fait et cause. Ce fut une discussion fatale. Grand-mè re pourtant bien mesuré e dans ses paroles lui a ré pondu vertement.

Papa en rentrant du bureau, apprenant les choses, a piqué une colè re, une si folle alors qu’il é tait plus du tout regardable! Il roulait des yeux si horribles vers l’é talage de la rombiè re qu’on avait peur qu’il l’é trangle. Tous on a fait de la ré sistance, on se pendait à son pardessus... Il devenait fort comme un tricar. Il nous traî nait dans la boutique... Il rugissait jusqu’au troisiè me qu’il allait en faire des charpies de cette corsetiè re infernale... « J’aurais pas dû te raconter ç a! »... que chialait maman. Le mal é tait fait.

Pendant les semaines qu’ont suivi, j’ai é té un peu plus tranquille. Mon pè re é tait tout absorbé. Dè s qu’il avait un instant libre, il reluquait chez la Mé hon. Elle en faisait autant de son cô té. Derriè re les rideaux, ils s’é piaient, é tage par é tage. Dè s qu’il rentrait du bureau, il se demandait ce qu’elle pouvait faire. C’é tait vis-à -vis... Quand elle se trouvait dans sa cuisine, au premier, il se planquait dans un coin de la nô tre. Il grognait des menaces terribles...

« Regarde! Elle s’empoisonnera jamais cette infecte charogne!... Elle bouffera pas des champignons!... Elle bouffera pas son râ telier! Va! elle se mé fie du verre pilé !... Ô pourriture!... » Il arrê tait pas de la fixer. Il s’occupait plus de mes instincts... Dans un sens c’é tait bien commode.

Les voisins, ils osaient pas trop se compromettre. Les chiens urinaient partout, et sur leurs vitrines aussi, pas spé cialement sur la Mé hon. On avait beau ré pandre du soufre, c’é tait quand mê me un genre d’é gout le Passage des Bé ré sinas. La pisse ç a amè ne du monde. Pissait qui voulait sur nous, mê me les grandes personnes; surtout dè s qu’il pleuvait dans la rue. On entrait pour ç a. Le petit conduit adventice l’allé e Primorgueil on y faisait caca couramment. On aurait eu tort de nous plaindre. Souvent ç a devenait des clients, les pisseurs, avec ou sans chien.

Au bout d’un moment, mon pè re, ç a a plus suffi qu’il se monte contre la Mé hon, il en voulait à Grand-mè re.

« Cette vieille saloperie, tiens! avec son cabot puant je vais te dire moi ce qu’elle a combiné !... Tu ne sais pas!... Elle est rusé e!... Elle est perfide! Elle est complice! Tiens voilà ! C’est un coup infect qu’elles manigancent toutes les deux!... Et c’est pas d’hier! Ah! les deux charognes!... Pourquoi? Tu me le demandes encore? Pour me faire sortir de mes gonds! Voilà ! Voilà tout!...

— Mais non Auguste, voyons, je t’assure!... Tu te fais des idé es! Tu t’exagè res les moindres mots!...

— Des idé es moi? Dis donc tout de suite que je dé conne!... Vas-y! des idé es! Ah! Clé mence! Tiens! Tu es incorrigible! La vie passe et ne t’apprend rien!... On nous persé cute! On nous pié tine! On nous bafoue! On me dé shonore! Et que trouves-tu à ré pondre? Que j’exagè re!... C’est le comble! »

Du coup, il fondait en sanglots... C’é tait bien son tour.

Y avait pas que nous dans le Passage qui tenions des gué ridons, des haricots, des petits siè ges, des cannelé s Louis XVI. Nos concurrents, les bricoleurs, ils ont pris le parti de la Mé hon. Fallait s’y attendre. Papa, il en dormait plus. Son cauchemar c’é tait le nettoyage du carré devant notre boutique, les dalles qu’il fallait qu’il rince tous les matins avant de partir au bureau.

Il sortait avec son seau, son balai, sa toile et en plus la petite truelle qui servait pour les é trons, à glisser dessous, les faire sauter dans la sciure. C’é tait la pire avanie pour un homme de son instruction. Des é trons, il en venait toujours davantage, et bien plus devant chez nous qu’ailleurs, en large comme en long. C’é tait sû rement un complot.

La Mé hon, de sa fenê tre au premier, elle se fendait la gueule à regarder mon pè re se dé battre dans les colombins. Elle jouissait pour toute une journé e. Les voisins, ils accouraient pour compter les crottes.

On faisait des paris, qu’il pourrait pas enlever tout.

Il se dé pê chait, il rentrait vite pour mettre son col et sa cravate. Il devait ê tre avant les autres à la Coccinelle pour l’ouverture du courrier.

Le Baron Mé faise, le directeur gé né ral, comptait sur lui absolument.

C’est à ce moment-là qu’est survenue la tragé die chez les Cortilè ne. Un drame de passion au 147 du Passage. On l’a mis dans tous les journaux; pendant huit jours une foule é paisse a dé filé, grogné, ruminé, glavioté devant leur boutique.

Mme Cortilè ne, je l’avais vue trè s souvent, c’est maman qui faisait ses corsages, en Irlande « entre-deux » guipure. Je me souviens bien de ses longs cils, de ses regards pleins de douceur et des coups de châ sse qu’elle me filait, mê me à moi, mô me. Je me suis souvent branlé pour elle.

Pendant les essayages, on dé couvre les é paules, la peau... Aussitô t qu’elle é tait partie, ç a manquait jamais, je bondissais aux gogs, au troisiè me, me taper un violent rassis. Je redescendais tout cerné.

Chez eux aussi y avait des scè nes, mais alors pour la jalousie. Son mari voulait pas qu’elle sorte. C’est lui qui sortait toujours. C’é tait un ancien officier, un petit brun rageur. Ils faisaient commerce de caoutchouc au 147. Les drains, les instruments, les articles...

Tout le monde ré pé tait au Passage, qu’elle é tait trop jolie pour tenir une boutique pareille...

Un jour, il est revenu son jaloux à l’improviste. Il l’a retrouvé e, la jolie, en discussion au premier avec deux Messieurs; ç a lui a donné un choc tel, qu’il a sorti son revolver, il a tiré sur elle d’abord et puis sur lui-mê me, ensuite, une balle en pleine bouche. Ils sont morts dans les bras l’un de l’autre.

Ç a faisait un quart d’heure à peine qu’il é tait sorti.

Mon pè re, son revolver à lui, c’é tait un modè le d’ordonnance, il le cachait dans sa table de nuit. Il é tait é norme comme calibre. Il l’avait ramené du service.

Mon pè re, le drame des Cortilè ne, ç a aurait pu lui fournir des occasions pour des transes et des motifs de pires gueulements. Au contraire ç a l’a renfermé. Il ne nous parlait presque plus.

C’est pas les é trons qui manquaient sur notre dallage et devant la porte. Avec tout le monde qui passait y avait tant de glaviots ré pandus que ç a en devenait gluant. Il nettoyait tout. Il pipait mê me plus. Ç a faisait une telle transformation dans ses habitudes que maman s’est mise à le guetter quand il s’enfermait dans la chambre. Il restait là pendant des heures. Il né gligeait les livraisons. Il dessinait plus du tout. Elle le regardait par la serrure. Il prenait son pé tard en main, il faisait tourner le barillet, on entendait les « cluc! cluc! »... Il s’entraî nait qu’on aurait dit.

Un jour qu’il est sorti tout seul, il est revenu avec des balles, une boî te entiè re, il l’a ouverte devant nous, pour qu’on la voye bien. Il a pas dit un seul mot, il l’a posé e sur la table à cô té des nouilles. Ma mè re alors é pouvanté e horriblement s’est traî né e à ses genoux, elle l’a supplié qu’il jette ç a aux ordures. Rien n’y faisait. Il é tait buté. Il lui ré pondait mê me pas. Il s’est dé gagé brutalement. Il a bu tout seul, un litre entier, de rouge. Il a pas voulu bouffer. Ma mè re, comme elle le harcelait, il l’a bousculé e dans le placard. Il s’est sauvé dans la cave. Il a refermé la trappe sur lui.

On l’a entendu qui tirait: Peng! Peng! Peng!... Il prenait son temps, ç a claquait, ç a faisait un é norme é cho. Il devait taper dans les fû ts vides. Ma mè re criait aprè s lui, elle s’é gosillait dans les fentes...

« Auguste! Auguste! Je t’en prie! Pense au petit. Pense à moi! Appelle ton pè re, Ferdinand!...

— Papa! Papa! que je hurlais à mon tour... »

Je me demandais qui il allait tuer? La Mé hon? Grand-mè re Caroline? Les deux comme chez Cortilè ne? Il faudrait qu’il les trouve ensemble?

Peng! Peng! Peng!... Il arrê tait pas de tirer... Les voisins sont accourus. Ils croyaient à une hé catombe...

À force, il a plus eu de balles. Il est remonté finalement... Quand il a soulevé la trappe, il é tait livide comme un mort. On l’a entouré, on l’a soutenu, installé dans le fauteuil Louis XIV, au milieu du magasin. On lui parlait tout doucement. Son revolver fumait encore pendu au poignet.

Mme Mé hon en entendant cette mitraille, elle a foiré dans ses jupes... Elle a traversé pour se rendre compte. Alors là au milieu des gens, ma mè re lui a crié ce qu’elle pensait. Elle pourtant qu’é tait pas osé e.

« Entrez! Venez voir! Regardez Madame! Dans quel é tat vous l’avez mis! Un honnê te homme! Un pè re de famille! Vous n’avez donc pas honte! Ah! Vous ê tes une vilaine femme!... »

La Mé hon, elle en menait plus large. Elle est rentré e vite chez elle. Les voisins la regardaient durement. Ils ont ré conforté papa. « J’ai ma conscience pour moi! » qu’il ruminait tout doucement. M. Visios, le marchand de pipes qu’avait servi dans la marine pendant sept ans, il l’a raisonné.

Ma mè re a enveloppé l’arme dans des é paisseurs de journaux et puis dans un châ le des Indes.

Mon pè re est monté se coucher. Elle lui a posé des ventouses. Les tremblements l’ont saisi pendant encore au moins deux heures...

« Viens mon petit!... Viens! » qu’elle m’a dit une fois tout seuls.

Il é tait tard, on a couru par la rue des Pyramides jusqu’au pont Royal... On a regardé à droite, à gauche si il venait personne. On a jeté le paquet dans la flotte.

On est rentré s encore plus vite. On a raconté à mon pè re qu’on avait reconduit Caroline.

Le lendemain matin il avait eu des courbatures extrê mement violentes... un mal atroce à se redresser. Encore au moins pendant huit jours, c’est maman qu’a lavé le carrelage.

Grand-mè re, elle s’est bien mé fié e de l’Exposition qu’on annonç ait. L’autre, celle de 82, elle avait servi à rien qu’à contrarier le petit commerce, qu’à faire dé penser aux idiots leur argent de travers. De tant de tapage, de remuements et d’esbroufe, il é tait rien subsisté, que deux ou trois terrains vagues et des plâ tras si dé gueulasses, que vingt ans plus tard encore personne voulait les enlever... Sans compter deux é pidé mies que les Iroquois, des sauvages, des bleus, des jaunes et des marrons avaient apporté es de chez eux.

La nouvelle Exposition ç a serait sû rement encore bien pire. On aurait sû r du cholé ra. Grand-mè re en é tait trè s certaine.

Dé jà les clients, ils faisaient leurs é conomies, ils se pré paraient de l’argent de poche, ils se dé fendaient par mille chichis, ils attendaient qu’on « inaugure »! Une sale bande de vilains râ leux. Les boucles d’oreilles à maman elles ne quittaient plus le Mont-de-Pié té.

« Si c’é tait pour faire sortir les paysans de leur campagne, y avait qu’à leur offrir des bals au Trocadé ro!... Il est assez grand pour tout le monde! C’é tait pas la peine pour ç a d’é ventrer de fond en comble la ville et de boucher la Seine!... C’est pas une raison pour dilapider, parce qu’on s’amuse plus entre soi! Mais non! »

Voilà comment elle raisonnait Grand-mè re Caroline. Aussitô t qu’elle é tait partie, mon pè re se creusait la cervelle, il se demandait ce qu’elle voulait dire avec des paroles si amè res...

Il dé couvrait un sens profond... Des allusions personnelles... Des espè ces de menaces... Il se mettait sur la dé fensive...

« Je vous dé fends de lui causer de mes affaires tout au moins!... L’Exposition? Clé mence, veux-tu que je te dise? C’est un pré texte! Ce qu’elle veut ta mè re? Tu veux le savoir? Eh bien moi je l’ai senti tout de suite. Notre di‑ vor‑ ce!... Voilà !... »

Puis de loin, moi dans le coin, il me dé signait, moi l’ingrat! Le petit profiteur sournois... Le petit gavé des sacrifices... Moi... ma merde au cul... Mes furoncles... et mes chaussures insatiables... J’é tais là !... Les conclusions me concernaient, moi, le bouc é missaire de tous les dé boires...

« Ah! Nom de Dieu! De mille bons Dieux! S’il existait pas celui-là ! Ah! Tu dis? La paire! Pouah! Ah! Je peux t’assurer que ç a serait fait depuis longtemps!... Bien longtemps! Pas une heure! Tu entends! Tout de suite! Merde alors! Si y avait pas ce petit fumier! Elle insisterait pas va! Tu peux me croire! Divorce! Ah! DIVORCE!... »

Il se ratatinait, crispé en secousses. Il faisait le diable, comme au ciné ma, mais en plus, lui, il jurait...

« Ah! sacré mille bordels du tonnerre! La liberté ! Ah! Abné gation? Oui! Renoncement? Oui! Privations? Ah! Ah! Tout! Encore! Et toujours davantage pour ce merdeux dé naturé ! Ah! Ah! La liberté ! Liberté !... » Il disparaissait en coulisse. Il s’é branlait la poitrine à grands coups mats, tout en montant.

Au seul mot « Divorce » ma mè re entrait en convulsions...

« Mais je fais tout ce que je peux, Auguste! Tu le sais bien quand mê me! Je me mets en quatre! Je me mets en dix, tu le vois bien! Ç a ira mieux! Je te jure! Je t’en supplie! Un jour, nous serons heureux tous les trois!...

— Moi aussi, je fais ce que je peux! Hi! Ah! qu’il lui ré pliquait d’en haut. Et c’est du propre!... »

Elle s’abandonnait au chagrin, c’é tait un dé luge.

« On l’é lè vera bien! tu verras! Je te jure Auguste! T’é nerve pas! Il comprendra plus tard!... Il fera son possible aussi... il sera comme nous! Il sera comme toi! Tu verras! Il sera comme nous!... Pas mon petit?... »

On est reparti aux livraisons. On l’a vue se construire, au coin de la Concorde, la grande porte, la monumentale. Elle é tait si dé licate, tellement ouvragé e, en gaufrerie, en fanfreluche du haut en bas, qu’on aurait dit une montagne en robe de marié e. Chaque fois qu’on passait à cô té on voyait de nouveaux travaux.

Enfin, ils ont ô té les planches. Tout é tait prê t pour les visites... D’abord, mon pè re, il a boudé, et puis il y est allé quand mê me et tout seul un samedi tantô t...

À la surprise gé né rale, il fut ravi de cette é preuve... Heureux, content, comme un mô me qu’aurait é té voir les Fé es...

Tous les voisins du Passage, sauf la Mé hon bien entendu, ils sont accourus pour qu’il leur raconte. À dix heures du soir il y é tait encore en train de les charmer. En moins d’une heure dans l’enceinte, il avait tout vu mon pè re, tout visité, tout compris et encore bien davantage, du pavillon des serpents noirs jusqu’à la Galerie des Machines, et du Pô le Nord aux Cannibales...

Visios, le gabier qu’avait voyagé tant et plus, il dé clarait tout magnifique. Jamais il aurait cru ç a!... Il s’y connaissait pourtant. Mon oncle Rodolphe qu’é tait lui depuis l’ouverture employé dans les attractions et habillé en troubadour, il existait pas comme ré cit. Il é tait là, lui aussi avec les autres dans la boutique, et drapé dans ses oripeaux, il ricanait sans raison, il faisait des cocottes en papier, il attendait qu’on serve la soupe.

Mme Mé hon derriè re sa fenê tre, elle é tait salement inquié té e de voir comme ç a tous ces voisins attroupé s chez nous. Elle se demandait si des fois ç a finirait pas en complot. Grand-mè re ç a la ré pugnait l’effervescence à papa. Elle est resté e huit jours sans venir. Et chaque soir, il recommenç ait tout son discours, avec des incidents nouveaux. Rodolphe, il a eu des billets, des gratuits. Alors, on s’est é lancé s nous trois dans la foule, un dimanche.

À la place de la Concorde, on a é té vraiment pompé s à l’inté rieur par la bousculade. On s’est retrouvé s ahuris dans la Galerie des Machines, une vraie catastrophe en suspens dans une cathé drale transparente, en petites verriè res jusqu’au ciel. Tellement le boucan é tait immense, que mon pè re on l’entendait plus, et pourtant il s’é gosillait. La vapeur giclait, bondissait par tous les bords. Y avait des marmites prodigieuses, hautes comme trois maisons, des bielles é clatantes qui fonç aient sur nous à la charge du fond de l’enfer... À la fin on y tenait plus, on a pris peur, on est sortis... On est passé devant la grande Roue... Mais on a pré fé ré encore les bords de la Seine.

C’é tait curieux l’installation de l’Esplanade, c’é tait mirifique... Deux rangé es d’é normes gâ teaux, de choux à la crè me fantastiques, farcis de balcons, bourré s de tziganes entortillé s dans les drapeaux, dans la musique et des millions de petites ampoules encore allumé es en plein midi. Ç a c’é tait un gaspillage. Grand-mè re avait bien raison. On a dé filé, toujours plus pressé s, les uns dans les autres. Juste au-dessus des pieds je me trouvais, la poussiè re é tait si é paisse que je voyais plus la direction. J’en avalais de telles bouffé es que je recrachais comme du ciment... Enfin, on est parvenu au « Pô le Nord »... Un explorateur bien aimable expliquait les trucs aussi, mais en confidence, si bas, emmitouflé dans ses fourrures, qu’on entendait presque plus rien. Mon pè re nous a mis au courant. Les phoques sont survenus alors pour casser la croû te. Ils hurlaient si fort ceux-là que rien n’existait. On s’est encore une fois barré s.

Au grand Palais de la Boisson, nous avons vu à queue leu leu et de trè s loin les orangeades, les belles gratuites tout le long d’un petit comptoir roulant... Entre nous et elles ç a faisait une é meute... Une foule en é bullition pour parvenir jusqu’aux gobelets. C’est impitoyable la soif. On aurait rien retrouvé de nous autres si on s’é tait aventuré s. On s’est enfuis par une autre porte... On est allé s aux indigè nes...

On en a vu un seulement, derriè re une grille, il se faisait un œ uf à la coque. Il ne nous regardait pas, il nous tournait le dos. Là, comme y avait du silence mon pè re s’est remis à bavarder avec beaucoup de verve, il voulait nous initier aux curieux usages des pays dans les tropiques. Il a pas pu terminer, le nè gre aussi en avait marre. Il est rentré dans sa cahute, il a craché de notre cô té... Moi d’ailleurs j’y voyais plus et je pouvais plus ouvrir la bouche. J’avais tellement reniflé de poussiè re que j’avais les conduits bouché s. D’un remous à l’autre on a vogué vers la sortie. J’ai é té encore pié tiné, carambolé un peu aprè s les Invalides. On ne se reconnaissait mê me plus, tellement qu’on é tait bousculé s, moulus, dé catis par la fatigue et les é mois. On s’est faufilé s au plus court... Vers le marché Saint-Honoré. Chez nous au premier, on a bu toute l’eau de la cuisine.

Les voisins, Visios surtout, notre gabier, le parfumeur du 27, la gantiè re Mme Gratat, Dorival, le pâ tissier, M. Pé rouquiè re, ils sont venus tout de suite aux nouvelles, demander qu’on leur en raconte... Encore davantage... Si on é tait entré partout?... Si on m’avait pas perdu? Combien on avait dé pensé ?... à chaque tourniquet?...

Papa il racontait les choses avec les quinze cents dé tails... des exacts... et des moins valables... Ma mè re elle é tait contente, elle se trouvait ré compensé e... Pour une fois Auguste é tait tout entier à l’honneur... Elle en é tait bien fiè re pour lui... Il plastronnait. Il installait devant tout le monde... Des bobards elle se rendait bien compte... Mais ç a faisait partie de l’instruction... Elle avait pas souffert pour rien... Elle s’é tait donné e à quelqu’un... À un esprit... C’est le cas de le dire. Les autres pilons, ils demeuraient la gueule ouverte... Ç a c’é tait de l’admiration.

Papa leur foutait du mirage au fur et à mesure, absolument comme on respire... Y avait magie dans notre boutique... le gaz é teint. Il leur servait à lui tout seul un spectacle mille fois é tonnant comme quatre douzaines d’Expositions... Seulement il voulait pas du bec!... Rien que des bougies!... Les petits tô liers nos amis, ils amenaient les leurs de calebombes, du fond de leurs soupentes. Ils sont revenus tous les soirs pour é couter encore papa et toujours ils en redemandaient...

C’é tait un prestige terrible... Ils connaissaient rien de meilleur. Et la Mé hon à la fin, elle en serait tombé e malade, dans le fond de sa cambuse, hanté e par les sentiments... On lui avait tout ré pé té, les moindres paroles...

Le quinziè me soir environ, elle pouvait plus ré sister... Elle est descendue toute seule, elle a traversé le Passage... On aurait dit un fantô me... Elle é tait en chemise de nuit. Elle a cogné à notre vitrine. Tout le monde s’est retourné alors. Elle a pas dit un seul mot. Elle a collé un papier, c’é tait court en grosses majuscules... : MENTEUR...

Tout le monde s’est mis à rigoler. Le charme é tait bien rompu... Chacun est rentré chez soi... Papa avait plus rien à dire...

La seule fierté de notre boutique, c’é tait le gué ridon du milieu, un Louis XV, le seul vraiment qu’on é tait sû r. On nous le marchandait fré quemment, on essayait pas trop de le vendre. On aurait pas pu le remplacer.

Les Bré tonté, nos clients fameux du Faubourg, ils l’avaient remarqué depuis longtemps... Ils ont demandé qu’on le leur prê te, pour meubler une scè ne de thé â tre, une comé die qu’ils donnaient, avec des autres gens du monde, en leur hô tel particulier. En faisaient partie les Pinaise et puis les Courmanche, et les Dorange dont les filles louchaient si fort, et puis encore de nombreux autres, qu’é taient des clients plus ou moins. Les Girondet, les Camadour et les de Lambiste, les parents des ambassadeurs... Le dessus du panier!... Ç a se passerait un dimanche tantô t. Mme Bré tonté é tait sû re qu’ils remporteraient un vif succè s avec leur thé â tre.



  

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