Хелпикс

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Note sur l’édition numérique. 5 страница



C’est là qu’ils avaient l’habitude de passer toujours leurs vacances. Ils ont mis quand mê me quarante ans toujours ensemble, à se suicider.

La sœ ur à mon pè re, tante Hé lè ne, c’est pas la mê me chose. Elle a pris tout le vent dans les voiles. Elle a bourlingué en Russie. À Saint-Pé tersbourg, elle est devenue grue. À un moment, elle a eu tout, carrosse, trois traî neaux, un village rien que pour elle, avec son nom dessus. Elle est venue nous voir au Passage, deux fois de suite, frusqué e, superbe, comme une princesse et heureuse et tout. Elle a terminé trè s tragiquement sous les balles d’un officier. Y avait pas de ré sistance chez elle. C’é tait tout viande, dé sir, musique. Il rendait papa, rien que d’y penser. Ma mè re a conclu en apprenant son dé cè s: « Voilà une fin bien horrible! Mais c’est la fin d’une é goï ste! »

On avait encore l’oncle Arthur, c’é tait pas non plus un modè le! La chair aussi l’a dé bordé. Mon pè re se sentait pour lui une sorte de penchant, une certaine faiblesse. Il a vé cu en vrai bohè me, en marge de la socié té, dans une soupente, en cheville avec une bonniche. Elle travaillait au restaurant devant l’É cole Militaire. Grâ ce à ç a, il faut en convenir, il arrivait à bien bouffer. Arthur c’é tait un luron, avec barbiche, velours grimpant, tatanes en pointe, pipe effilé e. Il s’en faisait pas. Il donnait fort dans la « conquê te ». Il tombait malade souvent et fort gravement à l’é poque du terme. Alors il restait des huit jours couché avec ses compagnes. Quand on allait le voir le dimanche, il ne se tenait pas toujours trè s bien, surtout avec ma mè re. Il la lutinait un peu. Ç a foutait mon vieux hors de lui. En sortant il jurait cent vingt mille diables qu’on y retournerait plus jamais.

« Vraiment, cet Arthur! Il a des maniè res ignobles!... » On revenait quand mê me.

Il dessinait des bateaux sur sa grande planche, sous la lucarne, des yachts en pleine é cume, c’é tait lui son genre avec des mouettes tout autour... De temps à autre il ponç ait pour un catalogue, mais il avait tellement de dettes que ç a lui ô tait tout courage. Il é tait gai quand il faisait rien.

D’à cô té du quartier de la cavalerie, on entendait toutes les trompettes. Il savait par cœ ur, Arthur, tous les rigodons. Il reprenait à chaque refrain. Il en inventait des salé s. Ma mè re, la bonne, faisaient des « Oh! Oh!... ». Papa il é tait outré à cause de mon â ge innocent.

Mais le plus cloche de la famille, c’é tait sû rement l’oncle Rodolphe, il é tait tout à fait sonné. Il se marrait doucement quand on lui parlait. Il se ré pondait à lui-mê me. Ç a durait des heures. Il voulait vivre seulement qu’à l’air. Il a jamais voulu tâ ter d’un seul magasin, ni des bureaux, mê me comme gardien et mê me de nuit. Pour croû ter, il pré fé rait rester dehors, sur un banc. Il se mé fiait des inté rieurs. Quand vraiment il avait trop faim, alors, il venait à la maison. Il passait le soir. C’est qu’il avait eu trop d’é checs.

La « bagotte », son casuel des gares, c’é tait un mé tier d’entraî nement. Il l’a fait pendant plus de vingt ans. Il tenait la ficelle des « Urbaines », il a couru comme un lapin aprè s les fiacres et les bagages, aussi longtemps qu’il a pu. Son coup de feu c’é tait le retour des vacances. Ç a lui donnait faim son truc, soif toujours. Il plaisait bien aux cochers. À table, il se tenait drô lement. Il se levait le verre en main, il trinquait à la santé, il entonnait une chanson... Il s’arrê tait au milieu... Il se pouffait sans rime ni raison, il en bavait plein sa serviette...

On le raccompagnait chez lui. Il se marrait encore. Il logeait rue Lepic, au « Rendez-vous du Puy-de-Dô me », une cambuse sur la cour. Il avait son fourbi par terre, pas une seule chaise, pas une table. Au moment de l’Exposition, il é tait devenu « Troubadour ». Il faisait la retape au « Vieux Paris », sur le quai, devant les tavernes en carton. Son cotillon, c’é tait des loques de toutes les couleurs. « Entrez voir le “ Moyen Age! ”... Il se ré chauffait en gueulant, il battait la semelle. Le soir, quand il venait dî ner, attifé en carnaval, ma mè re lui faisait un « moine » exprè s. Il avait toujours froid aux pieds. Il a compliqué les choses il s’est mis avec une « Ribaude », une qui faisait la postiche, la Rosine, à l’autre porte, dans une caverne en papier peint. Une pauvre malheureuse, elle crachait dé jà ses poumons. Ç a a pas duré trois mois. Elle est morte dans sa chambre mê me au « Rendez-vous ». Il voulait pas qu’on l’emmè ne. Il avait bouclé sa lourde. Il revenait chaque soir coucher à cô té. C’est à l’infection qu’on s’est aperç u. Il est devenu alors furieux. Il comprenait pas que les choses pé rissent. C’est de force qu’on l’a enterré e. Il voulait la porter lui-mê me, sur « un crochet », jusqu’à Pantin.

Enfin, il a repris sa faction en face l’Esplanade, ma mè re é tait indigné e. « Habillé comme un chienlit! avec un froid comme il y en a! c’est vraiment un crime! » Ce qui la tracassait surtout, c’est qu’il mette pas son pardessus. Il en avait un à papa. On m’envoyait pour me rendre compte, moi qu’avais pas l’â ge je pouvais passer le tourniquet franco sans payer.

Il é tait là, derriè re la grille, en troubadour. Il é tait redevenu tout souriant Rodolphe. « Bonjour! qu’il me faisait. Bonjour, mon petit fi!... Tu la vois hein ma Rosine?... » Il me dé signait plus loin que la Seine, toute la plaine... un point dans la brume... « Tu la vois? » Je lui disait « Oui ». Je le contrariais pas. Mes parents je les rassurais. Tout esprit Rodolphe!

À la fin de 1913, il est parti dans un cirque. On a jamais pu savoir ce qu’il é tait devenu. On l’a jamais revu.

On a quitté rue de Babylone, pour se remettre en boutique, tenter encore la fortune, Passage des Bé ré sinas, entre la Bourse et les Boulevards. On avait un logement au-dessus de tout, en é tages, trois piè ces qui se reliaient par un tire-bouchon. Ma mè re escaladait sans cesse, à cloche-pied. Ta! pa! tam! Ta! pa! tam! Elle se retenait à la rampe. Mon pè re, ç a le crispait de l’entendre. Dé jà il é tait mauvais à cause des heures qui passaient pas. Sans cesse il regardait sa montre. Maman en plus, et sa guibole, ç a le foutait à cran pour des riens.

En haut, notre derniè re piaule, celle qui donnait sur le vitrage, à l’air c’est-à -dire, elle fermait par des barreaux, à cause des voleurs et des chats. C’é tait ma chambre, c’est là aussi que mon pè re pouvait dessiner quand il revenait de livraisons. Il fignolait les aquarelles et puis quand il avait fini, il faisait souvent mine de descendre pour me surprendre à me branler. Il se planquait dans l’escalier. J’é tais plus agile que lui. Il m’a surpris qu’une seule fois. Il trouvait moyen quand mê me de me foutre la raclé e. C’é tait un combat entre nous. À la fin je lui demandais pardon d’avoir é té insolent... Pour la comé die, puisque c’é tait pas vrai du tout.

C’est lui qui ré pliquait pour moi. Une fois qu’il m’avait corrigé il restait longtemps encore derriè re les barreaux, il contemplait les é toiles, l’atmosphè re, la lune, la nuit, haute devant nous. C’é tait sa dunette. Je le savais moi. Il commandait l’Atlantique.

Si ma mè re l’interrompait, l’appelait qu’il descende, il recommenç ait à râ ler. Ils se butaient dans le noir ensemble, dans la cage é troite, entre le premier et le deuxiè me. Elle é copait d’un ramponneau et d’une bordé e d’engueulades. Ta! ga! dam! Ta! ga! dam! Pleurnichant sous la rafale elle redé gringolait au sous-sol, compter sa camelote. « Je veux plus qu’on m’emmerde! Bordel de Nom de Dieu! Qu’ai-je donc fait au Ciel?... » La question vocifé ré e é branlait toute la cambuse. Au fond de la cuisine é troite, il allait se verser un coup de rouge. On pipait plus. Il avait sa tranquillité.

Dans la journé e j’avais Grand-mè re, elle m’apprenait un peu à lire. Elle-mê me savait pas trè s bien, elle avait appris trè s tard, ayant dé jà des enfants. Je peux pas dire qu’elle é tait tendre ni affectueuse, mais elle parlait pas beaucoup et ç a dé jà c’est é norme; et puis elle m’a jamais giflé !... Mon pè re, elle l’avait en haine. Elle pouvait pas le voir avec son instruction, ses grands scrupules, ses fureurs de nouille, tout son rataplan d’emmerdé. Sa fille, elle la trouvait con aussi d’avoir marié un cul pareil, à soixante-dix francs par mois, dans les Assurances. Moi, le moujingue, elle savait pas trop ce qu’elle devait encore en penser, elle m’avait en observation. C’é tait une femme de caractè re.

Au Passage, elle nous a aidé s aussi longtemps qu’elle a pu, avec ce qui lui restait de son fonds, de la brocante. On allumait qu’une seule vitrine, une seule qu’on pouvait garnir... C’é tait ingrat comme bibelots, des trucs qui vieillissent de travers, du rossignol, du panais, avec ç a on « é tait fleurs »... On se dé fendait qu’en restrictions... toujours à coups de nouilles, et avec les « boucles » à maman engagé es au « clou » chaque fin de mois... C’é tait jamais qu’à un fil, qu’on boive encore le bouillon.

Ce qui nous donnait un peu de rentré es c’é tait les ré parations. On s’en chargeait à tous les prix, bien moins cher que n’importe où. On les livrait à toute heure. Pour quarante sous de bé né fice on se tapait le Parc Saint-Maur aller et retour.

« Jamais trop tard pour les braves »! remarquait ma mè re plaisamment. Son fort, c’é tait l’optimisme. Cependant Mme Hé ronde, elle exagé rait comme retard. À chaque attente, c’é tait un drame, on faillait bien tous en crever. Mon pè re, dè s cinq heures du soir, rentrant de son bureau, tré moussait dé jà d’angoisse, quittait plus sa montre des doigts.

« Je te le ré pè te encore, Clé mence, pour la centiè me fois... Si cette femme se fait voler, que deviendrons-nous? Son mari bazardera tout!... Il ne quitte pas le bordel, je le sais pertinemment!... C’est clair!... »

Il escaladait au troisiè me. Là -haut il rugissait encore. Il refonç ait dans la boutique. Notre tô le pour la contenance, c’est un vrai accordé on. Ç a s’amplifiait de haut en bas.

J’allais guetter Mme Hé ronde, jusqu’à la rue des Pyramides. Si je la voyais pas arriver avec son paquet plus gros qu’elle, je revenais au galop, bredouille. Je repartais cavaler encore. Enfin comme c’é tait fini, qu’elle é tait perdue corps et biens, je tombais dessus au large de la rue Thé rè se, elle soufflait dans un remous de la foule, croulante sous son balluchon. Je la tirais jusqu’au Passage. Dans la boutique, elle s’é croulait. Ma mè re rendait grâ ce au Ciel. Mon pè re voulait pas voir ç a. Il remontait dans sa soupente, zyeutant sa montre à chaque pas, il requinquait toute sa hantise. Il pré parait l’autre panique, et le « Dé luge » qui tarderait pas... Il s’entraî nait...

On s’est fait possé der chez les Pinaise. Avec ma mè re, on s’é lance pré senter notre choix de guipures, un cadeau pour un mariage.

C’é tait un palais chez eux, en face du Pont Solferino. Je me souviens de ce qui me frappa d’abord... C’é tait les potiches, des si hautes, si grosses qu’on aurait pu se cacher dedans. Ils en avaient mis partout. Ils é taient trè s riches ces gens-là. On nous fait monter au salon. La belle Mme Pinaise et son mari é taient pré sents... ils nous attendaient. Ils nous reç oivent de faç on aimable. Ma mè re, tout de suite, é tale son bazar, devant eux... sur le tapis. Elle se met à genoux, c’est plus commode. Elle s’é gosille, elle en fout un vaillant coup. Ils traî nent, ils se dé cideront pas, ils font des mines et des chichis.

En peignoir enrubanné, elle se pré lasse Mme Pinaise, sur le divan. Lui il me fait passer par-derriè re, il me donne des petites claques d’amitié, il me pelote un peu... Ma mè re, par terre, elle s’é vertue, elle brasse, elle brandit la camelote... Dans l’effort son chignon trisse, sa figure ruisselle. Elle est affreuse à regarder. Elle s’essouffle! elle s’affole, elle rattrape ses bas, son chignon chahute... lui retombe dans les yeux.

Mme Pinaise se rapproche. Ils s’amusent à m’agacer, tous les deux. Ma mè re parle toujours. Ses boniments servent à rien. Je vais jouir dans mon froc... Un é clair, j’ai vu la Pinaise. Elle a fauché un mouchoir. Il est pincé dans ses nichons. « Je vous fais mon compliment! Vous avez vraiment Madame un bien gentil petit garç on!... » C’é tait pour la frime, ils avaient plus envie de rien. On a refait vite nos paquets. Elle suait à grosses gouttes maman, elle souriait quand mê me. Elle voulait pas froisser personne... « Ç a sera pour une autre fois!... qu’elle s’excusait bien poliment. Je suis dé solé e de n’avoir pu vous sé duire!... »

 Dans la rue, devant le portique, elle m’a demandé chuchotante, si je l’avais pas vue moi le piquer le mouchoir dans le corset. J’ai ré pondu non.

« Ton pè re en fera une maladie! C’est un mouchoir à condition! Un “ ajouré Valenciennes ”! Il est aux Gré guè s! Il est pas à nous! Mais pense! Si je le lui avais repris, nous la perdions comme cliente!... Et toutes ses amies avec!... C’é tait un scandale!... » « Clé mence t’as des mè ches. T’en as plein les yeux! Tu es verte ma pauvre! Et dé composé e! Tu vas crever avec tes courses!... »

C’est les premiers mots qu’il a dits comme on arrivait.

Pour pas perdre de vue sa montre il l’accrochait dans la cuisine au-dessus des nouilles. Il regardait encore ma mè re. « Tu es livide, Clé mence, positivement! » La montre c’é tait pour qu’on en finisse, des œ ufs, du rata, des pâ tes... de toute la fatigue et l’avenir. Il en voulait plus.

« Je vais faire la cuisine » qu’elle propose. Il voulait pas qu’elle touche à rien... Qu’elle manipule la bouteille ç a le dé goû tait encore plus... « Tu as les mains sales! Voyons! Tu es é reinté e! » Elle alors mettait la table. Elle foutait une assiette en l’air. Il s’emportait, se ruait au secours. C’é tait si petit dans notre piaule qu’on butait partout. Y avait jamais de place pour un furieux dans son genre. La table elle carambolait, les chaises entraient dans la valse. C’é tait une pagaye affreuse. Ils tré buchaient l’un dans l’autre. Ils se relevaient pleins de ramponneaux. On retournait aux poireaux à l’huile. C’é tait le moment des aveux...

« En somme, tu n’as rien vendu?... Tout ce mal c’é tait pour des prunes?... Ma pauvre amie!... »

Il poussait des sacré s soupirs. Il la prenait en pitié. Il voyait l’avenir à la merde, qu’on en sortirait jamais...

Alors, elle lui lâ che d’un coup tout le morceau entier... Qu’on s’est fait rafler un mouchoir... et les circonstances...

« Comment? » Il comprenait plus! « Tu n’as pas crié au voleur! tu te laisses ainsi filouter! Le produit de notre travail! » Il s’en faisait pé ter les contours, tellement qu’il é tait en furie... Son veston craquait de partout... « C’est atroce! » qu’il vocifé rait. Ma mè re glapissait tout de mê me des espè ces d’excuses... Il é coute plus. Il empoigne alors son couteau, il le plante en plein dans l’assiette, le fond pè te, le jus des nouilles s’é coule partout. « Non! non! je n’y tiens plus! » Il circule, il se dé mè ne encore, il é branle le petit buffet, le Henri III. Il le secoue comme un prunier. C’est une avalanche de vaisselle.

Mme Mé hon, la corsetiè re, de l’autre boutique en face de nous, elle s’approche des fenê tres pour mieux se marrer. C’est une ennemie infatigable, elle nous dé teste depuis toujours. Les Pé rouquiè re, qui revendent des livres, deux magasins plus loin que le nô tre, ils ouvrent franchement leur fenê tre. Ils ont pas besoin de se gê ner. Ils s’accoudent à leur vitrine... Maman va dé rouiller c’est sû r. De mon cô té je pré fè re personne. Pour les gueulements et la connerie, je les trouve pareils... Elle cogne moins fort, mais plus souvent. Lequel que j’aimerais mieux qu’on tue? Je crois que c’est encore mon papa.

On me laissera pas voir. « Monte dans ta chambre, petit saligaud!... Va te coucher! Fais ta priè re!... »

Il mugit, il fonce, il explose, il va bombarder la cuistance. Aprè s les clous il reste plus rien... Toute la quincaillerie est en bombe... ç a fuse... ç a gicle... ç a ré sonne... Ma mè re à genoux implore le pardon du Ciel... La table il la catapulte d’un seul grand coup de pompe... Elle se renverse sur elle...

« Sauve-toi Ferdinand! » qu’elle a encore le temps de me crier. Je bondis. Je passe à travers d’une cascade de verres et de dé bris... Il carambole le piano, le gage d’une cliente... Il se connaî t plus. Il rentre dedans au talon, le clavier é clate... C’est le tour de ma mè re, c’est elle qui prend à pré sent... De ma chambre je l’entends qui hurle...

« Auguste! Auguste! Laisse-moi!... » et puis des brefs é touffements...

Je redescends un peu pour voir... Il la traî ne le long de la rampe. Elle se raccroche. Elle l’enserre au cou. C’est ç a qui la sauve. C’est lui qui se dé gage... Il la renverse. Elle culbute... Elle fait des bonds dans l’é tage... Des bonds mous... Elle se relè ve en bas... Il se barre alors lui... Il se tire par le magasin... Il s’en va dehors. Elle arrive à se remettre debout... Elle remonte dans la cuisine. Elle a du sang dans les cheveux. Elle se lave sur l’é vier... Elle pleure... Elle suffoque... Elle rebalaye toute la casse... Il rentre trè s tard dans ces cas-là... C’est redevenu tout tranquille...

Grand-mè re, elle se rendait bien compte que j’avais besoin de m’amuser, que c’é tait pas sain de rester toujours dans la boutique. D’entendre mon pè re l’é nergumè ne beugler ses sottises, ç a lui donnait mal au cœ ur. Elle s’est acheté un petit chien pour que je puisse un peu me distraire en attendant les clients. J’ai voulu lui faire comme mon pè re. Je lui foutais des vaches coups de pompes quand on é tait seuls. Il partait gé mir sous un meuble. Il se couchait pour demander pardon. Il faisait comme moi exactement.

Ç a me donnait pas de plaisir de le battre, l’embrasser je pré fé rais ç a encore. Je finissais par le peloter. Alors il bandait. Il venait avec nous partout, mê me au Ciné ma, au Robert Houdin, en matiné e du jeudi. Grand-mè re me payait ç a aussi. On restait trois sé ances de suite. C’é tait le mê me prix, un franc toutes les places, du silencieux cent pour cent, sans phrases, sans musique, sans lettres, juste le ronron du moulin. On y reviendra, on se fatigue de tout sauf de dormir et de rê vasser. Ç a reviendra le Voyage dans la Lune... Je le connais encore par cœ ur.

Souvent l’é té y avait que nous deux, Caroline et moi dans la grande salle au premier. À la fin l’ouvreuse nous faisait signe qu’il fallait qu’on é vacue. C’est moi qui les ré veillais le chien et Grand-mè re. On se grouillait ensuite à travers la foule, les boulevards et la cohue. À chaque coup nous avions du retard. On arrivait essoufflé s.

« T’as aimé ç a? » qu’elle me demandait Caroline. Je ré pondais rien, j’aime pas les questions intimes. « Cet enfant est renfermé » que pré tendaient les voisins...

Au coin de notre « Passage » en rentrant, elle m’achetait encore à la marchande sur sa chaufferette Les Belles Aventures Illustré es. Elle me les cachait mê me dans son froc, sous ses trois é pais jupons. Papa voulait pas que je lise des futilité s pareilles. Il pré tendait que ç a dé voyé, que ç a pré pare pas à la vie, que je devrais plutô t apprendre l’alphabet dans des choses sé rieuses.

J’allais atteindre mes sept ans, bientô t j’irais à l’é cole, il fallait pas qu’on m’é gare... Les autres enfants des boutiques, ils iraient aussi prochainement. C’é tait plus le moment de badiner. II me faisait des petits sermons sur le sé rieux dans l’existence, en revenant des livraisons.

Les baffes, ç a suffit pas tout de mê me.

Mon pè re, en pré vision que je serais sans doute voleur, il mugissait comme un trombone. J’avais vidé le sucrier avec Tom un aprè s-midi. Jamais on l’a oublié. Comme dé faut en plus j’avais toujours le derriè re sale, je ne m’essuyais pas, j’avais pas le temps, j’avais l’excuse, on é tait toujours trop pressé s... Je me torchais toujours aussi mal, j’avais toujours une gifle en retard... Que je me dé pê chais d’é viter... Je gardais la porte des chiots ouverte pour entendre venir... Je faisais caca comme un oiseau entre deux orages...

Je bondissais, à l’autre é tage, on me retrouvait pas... Je gardais la crotte au cul des semaines. Je me rendais compte de l’odeur, je m’é cartais un peu des gens.

« Il est sale comme trente-six cochons! Il n’a aucun respect de lui-mê me! Il ne gagnera jamais sa vie! Tous ses patrons le renverront! »... il me voyait l’avenir à la merde...

« Il pue!... Il retombera à notre charge!... »

Papa voyait lourd, voyait loin. Il renforç ait ç a en latin: Sana... Corpore sano... Ma mè re savait pas quoi ré pondre.

Un peu plus loin que nous dans le Passage y avait une famille de relieurs. Leurs enfants ne sortaient jamais.

La mè re c’é tait une baronne, de Caravals c’é tait son nom. Elle voulait pas surtout que ses mô mes apprennent des gros mots.

Ils jouaient ensemble toute l’anné e, derriè re les carreaux à se mettre le nez dans la bouche et les deux mains en mê me temps. De teint, c’é taient des vraies endives.

Une fois par an, elle s’en allait toute seule Mme de Caravals, en vacances, faire une visite à ses cousins dans le Pé rigord. Elle racontait à tout le monde que ses parents venaient la chercher à la gare, avec leur « break » et quatre chevaux « hors concours ». Et puis ils traversaient ensemble des domaines à l’infini... Dans l’avenue du châ teau les paysans accouraient, pour s’agenouiller sur leur passage... comme ç a qu’elle causait.

Une anné e, elle a emmené ses deux mô mes. Elle est revenue seule à l’hiver, beaucoup plus tard que d’habitude. Elle portait un deuil immense. On voyait plus sa figure recouverte de voiles. Elle a rien expliqué du tout. Elle est monté e en haut se coucher. Elle a plus parlé à personne.

Les mô mes qui ne sortaient jamais, la transition leur fut trop forte. Ils é taient morts au grand air!... Ç a a fait ré flé chir tout le monde une telle catastrophe. On n’a plus parlé que d’oxygè ne de la rue Thé rè se à la Place Gaillon... Pendant plus d’un mois...

 

Nous autres on avait l’occasion d’aller souvent à la campagne. L’oncle É douard, le frè re à maman, il ne demandait pas mieux que de nous faire plaisir. Il proposait des excursions. Papa les acceptait jamais. Il trouvait toujours des pré textes pour se dé filer. Il voulait rien devoir à personne, c’é tait son principe.

Il é tait moderne l’oncle É douard, il ré ussissait trè s bien dans la mé canique. D’abord, il é tait habile et faisait ce qu’il voulait de ses dix doigts. C’é tait pas un dé pensier, il nous aurait pas entraî né s, mais quand mê me la moindre sortie ç a revient forcé ment assez cher... « Cent sous, comme disait maman, ç a fond dè s qu’on est dehors! »

La triste histoire des Caravals avait quand mê me é mu le Passage, si profondé ment qu’il a fallu prendre des mesures. Soudain, on a dé couvert que tout le monde é tait « pâ lot ». On se refilait des conseils entre boutiques et magasins. On ne pensait plus que par microbes et aux dé sastres de l’infection. Les mô mes ils l’ont sentie passer la sollicitude des familles. Il a fallu qu’ils se la tapent l’Huile de Foie de Morue, renforcé e, à redoublement, par bonbonnes et par citernes. Franchement ç a faisait pas grand-chose... Ç a leur donnait des renvois. Ils en devenaient encore plus verts, dé jà qu’ils tenaient pas en l’air, l’huile leur coupait toute la faim.

Il faut avouer que le Passage, c’est pas croyable comme croupissure. C’est fait pour qu’on crè ve, lentement mais à coup sû r, entre l’urine des petits clebs, la crotte, les glaviots, le gaz qui fuit. C’est plus infect qu’un dedans de prison. Sous le vitrail, en bas, le soleil arrive si moche qu’on l’é clipse avec une bougie. Tout le monde s’est mis à suffoquer. Le Passage devenait conscient de son ignoble asphyxie!... On ne parlait plus que de campagne, de monts, de vallé es et merveilles...

É douard s’est encore offert pour nous sortir un dimanche, nous promener jusqu’à Fontainebleau. Papa s’est laissé convaincre, enfin. Il a pré paré nos habits et les provisions.

Le premier tricycle d’É douard c’é tait un monocylindre, trapu comme un obusier avec un demi-fiacre par-devant.

On s’est levé ce dimanche-là encore bien plus tô t que d’habitude. On m’a torché le cul à fond. On a attendu une heure, au rendez-vous de la rue Gaillon que l’engin arrive. Le dé part pour la randonné e c’é tait pas une petite affaire. Ils s’é taient mis au moins six pour le pousser depuis le Pont Bineau. On a rempli les ré servoirs. Le gicleur a bavé partout. Le volant avait des renvois... Y a eu des explosions horribles. On a remis ç a à la volé e, à la courroie... On s’attelait dessus à trois ou six... Enfin une grande dé tonation!... Le moteur se met à tourner. Il a pris feu encore deux fois... On l’a rapidement é teint. Mon oncle a dit: « Montez Mesdames! Je crois à pré sent qu’il est chaud! On va pouvoir se mettre en route!... » Le courage c’é tait de rester dessus. La foule se pressait alentour. On s’est coincé s Caroline, ma mè re et moi-mê me, si bien ficelé s sur la banquette, empaqueté s de telle faç on, si fort souqué s dans les nippes et par les agrè s que seule ma langue a dé passé. Avant de partir je prenais quand mê me une bonne petite beigne, pour pas que je me croye tout permis.

Le tricar, il se cabrait d’abord et puis il retombait sur lui-mê me... Il ruait encore deux, trois secousses... Des cracs affreux et des hoquets... La foule refluait d’é pouvante. On croyait dé jà tout fini... Mais le truc en saccades intenses gravissait la rue Ré aumur... Mon pè re avait loué un vé lo... Il profitait de la monté e pour en mettre un coup par-derriè re... Le moindre arrê t c’é tait la panne dé finitive... Il fallait qu’il nous pousse à fond... Au Square du Temple on faisait la pause. On repartait à toute violence. Mon oncle dé versait la graisse, en pleine marche, à plein goulot, à travers les bielles, la chaî ne et le bastringue. Fallait que ç a jute comme un paquebot. Dans le coupé avant c’est la crise... Ma mè re a dé jà mal au bide. Si elle se relâ che, si on s’arrê te, ç a peut ê tre la fin du moteur... Qu’il s’é trangle et nous sommes foutus!... Ma mè re se maintient hé roï que. Mon oncle juché sur son enfer, en scaphandrier poilu, environné de mille flammè ches, nous adjure au-dessus du guidon de nous cramponner au bazar!... Mon pè re nous suit à la trace. Il pé dale à notre secours. Il ramasse tous les morceaux au fur et à mesure qu’ils se dé binent, des bouts de commande et des boulons, des petites goupilles et des grosses piè ces. On l’entend jurer, sacrer plus fort que tout son pé tard.



  

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