Хелпикс

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Note sur l’édition numérique. 4 страница



Dans la cheminé e derriè re elle, jamais on avait fait de feu! « Il aurait fallu que j’eusse un peu plus de tirage... » En ré alité c’é tait raison d’é conomie.

Avant qu’on se quitte Armide offrait des gâ teaux. Des biscuits bien secs, d’un ré ceptacle bien couvert, qu’on ouvrait que deux fois par an. Tout le monde les refusait bien sû r... Ils é taient plus des enfants... C’é tait pour moi les petits-beurre!... Dans l’é moi de me les taper, de plaisir, fallait que je sautille... Ma mè re me pinç ait pour ç a... J’é chappais vite au jardin, espiè gle toujours, recracher tout dans les poissons...

Dans le noir, derriè re la tante, derriè re son fauteuil, y avait tout ce qui est fini, y avait mon grand-pè re Lé opold qui n’est jamais revenu des Indes, y avait la Vierge Marie, y avait M. le Bergerac, Fé lix Faure et Lustucru et l’imparfait du subjonctif. Voilà.

Je me faisais baiser par l’aï eule encore une fois sur le dé part... Et puis c’é tait la sortie brusqué e; on repassait par le jardin en vitesse. Devant l’é glise on abandonnait des cousins, ceux qui remontaient sur Juvisy. Ils repoussaient tous des odeurs en m’embrassant, ç a fait souffle rance entre les poils et les plastrons. Ma mè re boitait davantage d’avoir é té une heure assise, tout engourdie.

En repassant devant le cimetiè re de Thiais on faisait un bond à l’inté rieur. On avait là deux morts encore à nous, au bout d’une allé e. On regardait leurs tombes à peine. On refoutait le camp comme des voleurs. La nuit vient vite vers la Toussaint. On rattrapait Clotilde, Gustave et Gaston aprè s la fourche Belle-Epine. Ma mè re avec sa jambe en laine à la traî ne, elle butait partout. Elle s’est fait mê me une vraie entorse en essayant de me porter juste devant le passage à niveau.

Dans la nuit on n’espé rait plus qu’arriver au gros bocal du pharmacien. C’é tait la Grand-Rue, le signe qu’on é tait sauvé s... Sur le fond cru du gaz, y avait les musiques des bistrots, leurs portes qui chavirent. On se sentait menacé s. On repassait vite sur l’autre trottoir, ma mè re avait peur des ivrognes.

La gare c’é tait dedans comme une boî te, la salle d’attente pleine de fumé e avec une lampe d’huile en haut, branleuse au plafond. Ç a tousse, ç a graillonne autour du petit poê le, les voyageurs, tout empilé s, ils gré sillent dans leur chaleur. Voici le train qui vrombit, c’est un tonnerre, on dirait qu’il arrache tout. Les voyageurs se tré moussent, se dé carcassent, chargent en ouragan les portiè res. On est les derniers nous deux. Je prends une gifle pour que je laisse la poigné e tranquille.

À Ivry, il faut qu’on descende; on profite qu’on est sortis pour passer chez l’ouvriè re, Mme Hé ronde, la raccommodeuse de dentelles. Elle ré pare toutes les broderies du magasin, surtout les anciennes, si fragiles, si difficiles à teinter.

Elle demeurait au bout d’Ivry à peu prè s, rue des Palisses, une é bauche, au milieu des champs. C’é tait une cabane. On profitait de notre sortie pour aller la stimuler. Jamais elle é tait prê te à l’heure. Les clientes é taient fé roces et râ leuses comme on oserait plus. Je l’ai vue chialer chaque soir ou presque, ma mè re, à cause de son ouvriè re et des dentelles qui revenaient pas. Si elle boudait notre cliente aprè s son accroc de Valenciennes, elle revenait plus pendant un an.

La plaine au-delà d’Ivry, c’é tait encore plus dangereux que la route à la tante Armide. Y avait pas de comparaison. On croisait parfois des voyous. Ils apostrophaient ma mè re. Si je me retournais je prenais une tarte. Quand la boue devenait si molle, si visqueuse qu’on perdait ses godasses dedans, alors c’est que nous é tions plus loin. La bicoque de Mme Hé ronde dominait un terrain vague. Le clebs nous avait repé ré s. Il gueulait tout ce qu’il pouvait. On apercevait la fenê tre.

Chaque fois c’é tait la surprise pour notre ouvriè re, elle restait saisie de nous voir. Ma mè re la couvrait de reproches. Y avait dé ballage de griefs. Finalement, elles fondaient en larmes toutes les deux. J’avais moi plus qu’à attendre à regarder dehors... le plus loin possible... la plaine lourde d’ombre qu’allait jusqu’au bout finir dans les quais de la Seine, dans la ribambelle des lotis.

C’est à la lumiè re au pé trole qu’elle ré parait, notre ouvriè re. Elle s’enfumait, elle se crevait les yeux avec ç a. Ma mè re la relanç ait toujours, pour qu’elle se fasse enfin poser le gaz. « Vraiment c’est indispensable! » qu’elle insistait en partant.

Pour rafistoler des « entre-deux » minuscules, des toiles d’araigné es, sû rement c’est un fait qu’elle se dé té riorait les ré tines. Ma mè re c’é tait pas tant par inté rê t qu’elle lui faisait des remarques, c’é tait aussi par amitié. Je l’ai jamais visité e que la nuit la cabane de Mme Hé ronde.

« On nous le posera en septembre! » qu’elle affirmait à chaque coup. C’é tait des mensonges, c’é tait pour pas qu’on insiste... Ma mè re malgré ses dé fauts l’estimait beaucoup.

Sa terreur, maman, c’é taient les voleuses. Mme Hé ronde é tait honnê te, elle, comme pas une. Jamais elle faisait tort d’un centime. Et pourtant dans sa mouscaille ce qu’on lui a confié comme tré sors! Des Venises entiers en chasubles, comme y en a plus dans les musé es! Quand elle en parlait ma mè re plus tard dans l’intimité, elle s’enthousiasmait encore. Il lui venait des larmes. « C’é tait une vraie fé e, cette femme-là ! qu’elle reconnaissait, c’est triste qu’elle aye pas de parole! Jamais elle m’a livré à l’heure!... » Elle est morte la fé e avant qu’on y ait posé le gaz, de fatigue, enlevé e par la grippe, et aussi sû rement du chagrin d’avoir un mari trop coureur... Elle est morte en couches... Je me souviens bien, de son enterrement. C’é tait au Petit Ivry. On é tait que nous trois, mes parents, le mari s’est mê me pas dé rangé ! C’é tait un bel homme, il avait bu tous ses sous. Il restait des anné es entiè res au bar, au coin de la rue Gaillon. Pendant encore au moins dix ans on l’a vu là quand on passait. Et puis il a disparu.

Quand nous sortions de chez l’ouvriè re, on avait pas fini nos courses. À Austerlitz, on repiquait encore un galop et puis un coup d’omnibus jusqu’à la Bastille. C’é tait du cô té du Cirque d’Hiver qu’é tait l’atelier des Wurzem, é bé nistes, des Alsaciens, toute une famille. Tous nos petits meubles, les haricots, les consoles, c’est lui qui les maquillait « genre ancien ». Depuis vingt ans, il ne faisait que ç a pour Grand-mè re et puis pour d’autres. La marqueterie ç a ne tient jamais, c’est une discussion perpé tuelle. Un artiste aussi Wurzem, un ouvrier sans pareil. Ils gî taient tous dans les copeaux, sa femme, sa tante, un beau-frè re, deux cousines et quatre enfants. Il é tait jamais prê t non plus. Son vice à lui c’é tait la pê che. Il passait souvent une semaine canal Saint-Martin, au lieu de pousser les commandes. Ma mè re se fâ chait tout rouge. Il ré pondait insolemment. Aprè s il faisait des excuses. La famille é clatait en larmes, ç a en faisait neuf pour pleurer, nous, deux seulement. Ils é taient des « paniers percé s ». À force de pas payer leur terme, il a fallu qu’ils dé campent, qu’ils se ré fugient dans un maquis, rue Caulaincourt.

Leur cahute c’é tait à pic tout en bas d’une fondriè re, on y arrivait par des planches. De loin, on poussait des gueulements, on se dirigeait vers leur lanterne. Ce qui me taquinait chez eux, c’é tait de foutre en l’air le pot de colle, toujours en branle sur le ré chaud. Un jour je me suis dé cidé. Mon pè re en apprenant ç a, il a pré venu tout de suite Maman, que je l’é tranglerais un jour, que c’é tait bien dans mes tendances. Il voyait tout ç a.

Chez les Wurzem, l’agré able c’est qu’ils avaient pas de rancune. Aprè s les pires engueulades, dè s qu’on les douillait un peu, ils se remettaient à chanter. Pour eux rien é tait tragique, des impré voyants ces ouvriers! Pas des consciencieux comme nous autres! Ma mè re profitait de ces incidents comme exemples pour me faire horreur. Moi je les trouvais bien gentils. Je roupillais dans leurs copeaux. Fallait encore qu’on me secoue pour pouloper jusqu’au Boulevard, bondir dans l’omnibus « Halle aux Vins ». L’inté rieur, je trouvais ç a splendide à cause du gros œ il en cristal qui donne des figures de lumiè re à toute la rangé e des banquettes. C’est magique.

Les bourrins galopent la rue des Martyrs, tout le monde s’é carte pour qu’on passe. Quand on arrive à la boutique on est trè s en retard quand mê me.

Grand-mè re ramè ne dans son coin, mon pè re Auguste rabat sa casquette à fond. Il dé ambule comme un lion sur la passerelle d’un navire. Ma mè re s’affale sur l’escabeau. Elle a tort, c’est pas la peine qu’elle s’explique. Tout ce qu’on avait fait en route ç a ne plaî t à personne, ni à Grand-mè re ni à papa. On ferme enfin le magasin... On dit « au revoir » bien poliment. On part tous les trois se coucher. C’est encore une sacré e trotte jusque chez nous. C’est de l’autre cô té du « Bon Marché ».

Mon pè re il é tait pas commode. Une fois sorti de son bureau, il mettait plus que des casquettes, des maritimes. Ç ’avait é té toujours son rê ve d’ê tre capitaine au long cours. Ç a le rendait bien aigri comme rê ve.

Notre logement, rue de Babylone, il donnait sur « les Missions ». Ils chantaient souvent les curé s, mê me la nuit ils se relevaient pour recommencer leurs cantiques. Nous on pouvait pas les voir à cause du mur qui bouchait juste notre fenê tre. Ç a faisait un peu d’obscurité.

À la Coccinelle-Incendie, mon pè re ne gagnait pas beaucoup.

Pour traverser les Tuileries il fallait souvent qu’il me porte. Les flics en ce temps-là, ils avaient tous des gros bides. Ils restaient planqué s sous les lampes.

La Seine ç a surprend les mô mes, le vent qui fait trembler les reflets, le grand gouffre au fond, qui bouge et ronchonne. On tournait à la rue Vanneau et puis on arrivait chez nous. Pour allumer la suspension y avait encore une comé die. Ma mè re savait pas. Mon pè re Auguste, il tripotait, sacrait, jurait, dé glinguait chaque fois la douille et le manchon.

C’é tait un gros blond, mon pè re, furieux pour des riens, avec un nez comme un bé bé tout rond, au-dessus de moustaches é normes. Il roulait des yeux fé roces quand la colè re lui montait. Il se souvenait que des contrarié té s. Il en avait eu des centaines. Au bureau des Assurances, il gagnait cent dix francs par mois.

En fait d’aller dans la marine, il avait tiré au sort sept anné es dans l’artillerie. Il aurait voulu ê tre fort, confortable et respecté. Au bureau de la Coccinelle ils le traitaient comme de la pane. L’amour-propre le torturait et puis la monotonie. Il n’avait pour lui qu’un bachot, ses moustaches et ses scrupules. Avec ma naissance en plus, on s’enfonç ait dans la mistoufle.

On avait toujours pas bouffé. Ma mè re trifouillait les casseroles. Elle é tait dé jà en jupon à cause des taches de la tambouille. Elle pleurait qu’il appré ciait pas son Auguste, ses bonnes intentions, les difficulté s du commerce... Il ruminait lui son malheur sur un coin de la toile ciré e... De temps en temps, il faisait mine qu’il se contenait plus... Elle essayait de le rassurer toujours et quand mê me. Mais c’est au moment pré cis qu’elle tirait sur la suspension, le beau globe jaune à cré maillè re, qu’il entrait franchement en furie. « Clé mence! Voyons! Nom de Dieu! Tu vas nous foutre un incendie! Je t’ai bien dit de la prendre à deux mains! » Il poussait des affreuses clameurs, il s’en serait fait pé ter la langue tellement qu’il é tait indigné. Dans la grande transe, il se poussait au carmin, il se gonflait de partout, ses yeux roulaient comme d’un dragon. C’é tait atroce à regarder. On avait peur ma mè re et moi. Et puis il cassait une assiette et puis on allait se coucher...

« Tourne-toi du cô té du mur! petit saligaud! Te retourne pas! » J’avais pas envie... Je savais... J’avais honte... C’é tait les jambes à maman, la petite et la grosse... Elle allait encore boiter d’une chambre à une autre... Il lui cherchait des raisons... Elle insistait pour terminer la vaisselle... Elle essayait un petit air pour dé rider la sé ance...

 

Et le soleil par les trous

Du toit descendait chez nous...

 

Auguste, mon pè re, lisait La Patrie. Il s’asseyait prè s de mon lit-cage. Elle venait l’embrasser. La tempê te l’abandonnait... Il se relevait jusqu’à la fenê tre. Il faisait semblant de chercher quelque chose dans le fond de la cour. Il pé tait un solide coup. C’é tait la dé tente.

Elle pé tait aussi un petit coup à la sympathie, et puis elle s’enfuyait mutine, au fond de la cuisine.

Aprè s ils refermaient leur porte... celle de leur chambre... Je couchais dans la salle à manger. Le cantique des missionnaires passait par-dessus les murs... Et dans toute la rue de Babylone y avait plus qu’un cheval au pas... Bum! Bum! ce fiacre à la traî ne...

Mon pè re pour m’é lever, il s’est tapé bien des boulots supplé mentaires. Lempreinte son chef l’humiliait de toutes les faç ons. Je l’ai connu moi ce Lempreinte, c’é tait un rouquin qu’avait tourné pâ le, avec des longs poils en or, quelques-uns seulement à la place de barbe. Mon pè re, il avait du style, l’é lé gance lui venait toute seule, c’é tait naturel chez lui. Lempreinte, ce don l’agaç ait. Il s’est vengé pendant trente ans. Il lui a fait recommencer presque toutes ses lettres.

Quand j’é tais plus petit encore, à Puteaux, chez la nourrice, mes parents montaient là -haut me voir le dimanche. Y avait beaucoup d’air. Ils ont toujours ré glé d’avance. Jamais un sou de dette. Mê me au milieu des pires dé boires. À Courbevoie seulement à force de soucis et de se priver sur bien des choses, ma mè re s’est mise à tousser. Elle arrê tait plus. Ce qui l’a sauvé e c’est le sirop de limaces et puis la mé thode Raspail.

M. Lempreinte, il se mé fiait que mon pè re il aye des drô les d’ambitions avec un style comme le sien.

De chez ma nourrice à Puteaux, du jardin, on dominait tout Paris. Quand il montait me voir papa, le vent lui é bouriffait les moustaches. C’est ç a mon premier souvenir.

Aprè s la faillite dans les Modes à Courbevoie, il a fallu qu’ils travaillent double mes parents, qu’ils en mettent un fameux coup. Elle comme vendeuse chez Grand-mè re, lui toutes les heures qu’il pouvait, en plus, à la Coccinelle. Seulement plus il montrait son beau style, plus Lempreinte le trouvait odieux. Pour é viter la rancune il s’est lancé dans l’aquarelle. Il en faisait le soir aprè s la soupe. On m’a ramené à Paris. Je le voyais tard dessiner, des bateaux surtout, des navires sur l’océ an, des trois-mâ ts par forte brise, en noir, en couleurs. C’é tait dans ses cordes... Plus tard des souvenirs d’artillerie, des mises en batterie au galop, et puis des é vê ques... À la demande des clients... À cause de la robe é clatante... Et puis des danseuses enfin, avec des cuisses volumineuses... Ma mè re allait pré senter le choix, pendant l’heure du dé jeuner, à des revendeurs en galeries... Elle a tout fait pour que je vive, c’est naî tre qu’il aurait pas fallu.

Chez Grand-mè re, rue Montorgueil, aprè s la faillite, elle crachait parfois du sang le matin en faisant l’é talage. Elle dissimulait ses mouchoirs. Grand-mè re survenait... « Clé mence essuie-toi les yeux!... Pleurer n’arrange pas les choses!... » Pour arriver de trè s bonne heure, on se levait au jour, on traversait les Tuileries, mé nage dé jà terminé, papa retournait les matelas.

Dans la journé e c’é tait pas drô le. C’é tait rare que je pleure pas une bonne partie de l’aprè s-midi. Je prenais plus de gifles que de sourires, au magasin. Je demandais pardon à propos de n’importe quoi, j’ai demandé pardon pour tout.

Fallait se mé fier du vol et de la casse, les rogatons c’est fragile. J’ai dé figuré sans le faire exprè s des tonnes de camelote. L’antique ç a m’é cœ ure encore, c’est de ç a pourtant qu’on bouffait. C’est triste les raclures du temps... c’est infect, c’est moche. On en vendait de gré ou de force. Ç a se faisait à l’abrutissement. On sonnait le chaland sous les cascades de bobards... les avantages incroyables... sans pitié aucune... Fallait qu’il cè de à l’argument... Qu’il perde son bon sens... Il repassait la porte é bloui, avec la tasse Louis XIII en fouille, l’é ventail ajouré bergè re et minet dans un papier de soie. C’est é tonnant ce qu’elles me ré pugnaient moi les grandes personnes qui emmenaient chez elles des trucs pareils...

Grand-mè re Caroline se planquait pendant le travail à l’abri de L’Enfant Prodigue, l’é norme panneau tapisserie. Elle avait l’œ il Caroline pour gafer les mains. C’est vicelard comme tout la cliente, plus c’est huppé e mieux c’est voleuse. Un petit contrepoint Chantilly c’est un vé ritable souffle dans un manchon bien entraî né.

On ruisselait pas dans les lumiè res au magasin... Et l’hiver c’est tout à fait traî tre à cause des volants... des velours, fourrures, baldaquins, qui font trois fois le tour des nichons... Et des é paules il part encore toutes sortes de boas lointains, des flots de mousseline onduleuse... Les oiseaux d’un deuil immense... Elle pavanait la cliente, chassait les monceaux de bricoles, gloussante, revient encore sur ses pas... é parpille... Toujours picoreuse, cacotante... querelleuse pour le plaisir. À deviner la convoitise on s’é carquillait les châ sses y avait du choix dans la tô le... Grand-mè re elle arrê tait pas d’aller à la remonte... d’aller piquer du « rossignol » à la salle des ventes... Elle rapportait de tout, des toiles à l’huile, des amé thystes, des buissons de candé labres, des tulles brodé s par cascades, des cabochons, des ciboires, des empaillé s, des armures et des ombrelles, des horreurs doré es du Japon, et des vasques, des bien plus lointains encore, et des fourbis qui n’ont plus de noms, et des trucs qu’on saura jamais.

La cliente elle s’é moustille dans le tré sor des tessons. Le tas se reforme derriè re elle. Ç a culbute, ç a clinque, ç a tournoie. Elle est entré e pour s’instruire. Il pleut, elle vient s’abriter. Quand elle en a marre, elle se barre avec une promesse. Il faut se manier le train alors pour rassembler toute la bricole. À genoux on s’é tale au plus bas, on racle sous les meubles. Si tout y est... mouchoirs... bibelots... verres filé s... brocante... on pousse alors un beau soupir.

Ma mè re s’affale, se masse la jambe, la crampe d’avoir tant pié tiné, complè tement aphone. Voilà qu’il surgit de l’ombre, juste avant la fermeture, le client honteux. Il entre en douceur celui-là, il s’explique à voix trè s basse, il veut fourguer son petit objet, un souvenir de sa famille, il le dé plie du journal. On l’estime à peu de chose. On va laver cette trouvaille sur l’é vier de la cuisine. On le payera demain matin. Il barre, il dit à peine « au revoir »... L’omnibus Panthé on-Courcelles passe en trombe au ras de la boutique.

Mon pè re arrive de son bureau, il regarde toutes les secondes sa montre. Il est nerveux. Il faut maintenant qu’on se dé grouille.

Il pose son chapeau. Il prend sa casquette au clou.

Il faut encore qu’on bouffe les nouilles et puis qu’on se barre aux livraisons.

On é teignait la boutique. Ma mè re é tait pas cuisiniè re, elle faisait tout de mê me une ratatouille. Quand c’é tait pas « panade aux œ ufs » c’é tait sû rement « macaroni ». Aucune pitié. Aprè s les nouilles on restait un moment tranquilles, à ré flé chir pour l’estomac. Ma mè re essayait de nous distraire, de diluer la gê ne. Si je ré pondais pas aux questions elle insistait gentiment... « Tu sais elles sont passé es au beurre! » Là derriè re la tapisserie c’é tait l’é clairage papillon. Il faisait obscur dans les assiettes. Ma mè re elle reprenait des nouilles, stoï que, pour nous inciter... Il fallait une bonne gorgé e de vin rouge pour s’empê cher de les vomir.

Le ré duit des repas, il servait en plus, pour la lessive et pour garer les rogatons... Y en avait des monceaux, des piles... Ceux qu’é taient pas rafistolables, les invendables, les pas montrables, les pires horreurs. Du vasistas des toiles pendaient dans la soupe. Il restait je ne sais pas comment un grand « fourneau jardiniè re » avec une hotte é norme, ç a tenait la moitié de l’espace. À la fin on retournait l'assiette pour goû ter à la confiture.

Un dé cor de musé e sale.

Depuis la retraite de Courbevoie, Grand-mè re et papa se parlaient plus. Maman bavardait sans cesse pour qu’ils s’envoient pas des objets. La nouille maî trisé e, la confiture dé gusté e, on se mettait en route. On enveloppait le truc vendu dans une grande « toilette ». Presque toujours c’é tait un meuble de salon, un « haricot », parfois une poudreuse. Papa se l’arrimait sur la nuque et on allait vers la Concorde. À partir des Fontaines Gicleuses, j’avais un peu peur avec lui. En montant les Champs-É lysé es, c’est une nuit é norme. Il trissait comme un voleur. J’avais peine à le suivre. On aurait dit qu’il tenait à me perdre.

J’aurais bien voulu qu’il me cause, il grognait seulement des insultes à des inconnus. En arrivant à l’É toile il é tait en sueur. On faisait un temps d’arrê t. Devant l’immeuble du client fallait chercher l’ « entré e de service ».

Quand on livrait à Auteuil, mon pè re é tait plus aimable. Il sortait moins souvent sa montre. Je montais sur le parapet, il m’expliquait les remorqueurs... les feux verts... les sifflets des convois entre eux... « Il sera bientô t au « Point du jour! » On l’admirait le rafiot poussif... On faisait des vœ ux pour sa manœ uvre...

C’est les soirs qu’on se tapait les Ternes qu’il devenait affreux, surtout si c’é tait des gonzesses... Il les avait en horreur. Dé jà au dé part, il é tait à cran. Je me souviens des circonstances, on s’en allait rue Demours. Devant l’é glise, il me fout une baffe, un coup de pompe tout à fait rageur, pour que je traverse au galop. En arrivant chez la cliente, je pouvais plus m’empê cher de pleurer. « Petit salopard, qu’il m’engueulait, je te ferai chialer pour des raisons!... » Avec son gué ridon perché, il escaladait derriè re moi. On se trompe de porte. Toutes les bonniches s’inté ressent... Je ramè ne comme un veau... Je le fais exprè s. Je veux qu’il en bave! C’est un scandale! Enfin on la trouve, notre sonnette. La femme de chambre nous accueille. Elle compatit à mon chagrin. La patronne arrive en frous-frous: « Oh! le petit mé chant! le vilain! Il fait enrager son papa! » Lui il savait plus où se fourrer. Il se serait planqué dans le tiroir. La cliente elle veut me consoler. Elle verse un cognac à mon pè re. Elle lui dit comme ç a: « Mon ami, faites donc reluire la tablette! Avec la pluie, je crains que ç a tache... » La bonne lui donne un chiffon. Il se met au boulot. La dame me propose un bonbon. Je la suis dans la chambre. La bonne vient aussi. La cliente alors elle s’allonge parmi les dentelles. Elle retrousse son peignoir brusquement, elle me montre toutes ses cuisses, des grosses, son croupion et sa motte poilue, la sauvage! Avec ses doigts elle fouille dedans...

« Tiens mon tout mignon!... Viens mon amour!... Viens me sucer là -dedans!... » Elle m’invite d’une voix bien douce... bien tendre... comme jamais on m’avait parlé. Elle se l’é carte, ç a bave.

La bonniche, elle se tenait plus de rigolade. C’est ç a qui m’a empê ché. Je me suis sauvé dans la cuisine. Je pleurais plus. Mon pè re il a eu un pourliche. Il osait pas le mettre dans sa poche, il le regardait. La bonniche elle se marrait encore. « Alors t’en veux pas? » qu’elle lui faisait. Il a bondi dans l’escalier. Il m’oubliait, je courais aprè s lui dans la rue. Je l’appelais dans l’Avenue: « Papa! Papa! » Place des Ternes je l’ai rattrapé. On s’est assis. Il faisait froid. Il m’embrassait pas souvent. Il me serrait la main.

« Oui mon petit!... Oui mon petit!... » qu’il se ré pé tait comme ç a à lui-mê me... fixe devant lui... Il avait du cœ ur au fond. Moi aussi j’avais du cœ ur. La vie c’est pas une question de cœ ur. On est rentré rue de Babylone directement.

Mon pè re, il se mé fiait des jeux de l’imagination. Il se parlait tout seul dans les coins. Il voulait pas se faire entraî ner... À l’inté rieur ç a devait bouillir...

Au Havre, qu’il é tait né. Il savait tout sur les navires. Un nom lui revenait souvent, celui du Capitaine Dirouane, qui commandait la Ville-de-Troie. Il l’avait vu son bateau s’en aller, dé coller du bassin de la Barre. Il é tait jamais revenu. Il s’é tait perdu corps et biens au large de Floride. « Un magnifique trois-mâ ts barque! »

Un autre le Gondriolan un norvé gien surchargé, qu’avait dé foncé l’é cluse... Il racontait la fausse manœ uvre. Il en restait horrifié, à vingt ans de distance... Il s’en indignait encore... Et puis il rebarrait dans le coin. Il se refoutait à ruminer.

Son frè re, Antoine, c’é tait autre chose. Il avait vaincu brutalement tous les é lans de la vadrouille, d’une faç on vraiment hé roï que. Il é tait né lui aussi tout prè s du grand Sé maphore... Quand leur pè re à eux é tait mort, un professeur de Rhé torique, il s’é tait pré cipité dans les « Poids et Mesures » une place vraiment stable. Pour ê tre tout à fait certain il avait mê me é pousé une demoiselle des « Statistiques ». Mais ç a revenait le tracasser des envies lointaines... Il gardait du vent dans la peau, il se sentait pas assez enfoui, il arrê tait pas de s’é triquer.

Avec sa femme, il venait nous voir au Jour de l’An. Tellement ils faisaient d’é conomies, ils mangeaient si mal, ils parlaient à personne, que le jour où ils sont crounis, on se souvenait plus d’eux dans le quartier. Ce fut la surprise. Ils ont fini francs-maç ons, lui d’un cancer, elle d’abstinence. On l’a retrouvé e sa femme, la Blanche, aux Buttes-Chaumont.



  

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