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Note sur l’édition numérique. 3 страницаMireille le ton lui plaisait, elle voulait qu’on en rajoute. Ç a faisait longtemps qu’on ne s’é tait pas si bien compris. Enfin il a fallu rentrer. Dans les allé es de Bagatelle il ne traî nait plus que quelques couples. Mireille é tait consolé e. Elle a voulu qu’on les surprenne... On a quitté ma belle Lé gende pour discuter avec rage si le grand dé sir des dames, c’est pas de s’emmancher entre elles... Mireille par exemple si elle aimerait pas bourrer un peu les copines?... les enculer au besoin?... surtout les petites dé licates, les vé ritables gazelles?... Mireille qu’est balancé e en athlè te des hanches... du bassin... « Y a les godes qu’elle m’a fait remarquer! Mais c’est bien pour ç a qu’on nous regarde! De si prè s quand elles se ré galent! Pour voir si ç a leur pousserait pas!... Qu’elles se dé chirent! Qu’elles s’arrachent tout les salopes! Que ç a saigne autour et partout! Que ç a leur sorte toute leur vacherie!... » Elle comprenait toute la fé erie Mireille, ma mignonne! Elle en profitait tant qu’elle pouvait de mon ciné ma... D’un coup je la pré viens: « Si tu ré pè tes à Rancy... je te ferai manger tes chaussures!... » Et je la saisis sous le bec de gaz... Elle prend dé jà l’air victorieux. Je sens qu’elle va dé bloquer partout que je me conduis comme un vampire!... Au Bois de Boulogne! Alors la colè re me suffoque... Penser qu’encore une fois je suis fleur! Je lui refile une mornifle tassé e... Elle ricane. Elle me dé fie. Des taillis, des petits bosquets, de partout les gens surgissent pour nous admirer, par deux, par quatre, en vraies cohortes. Ils tiennent tous leurs panais en mains, les dames retroussé es derriè re et devant. Des osé es, des pas sé rieuses, des plus prudentes... « Vas-y Ferdinand! » qu’ils m’encouragent tous. C’est une é norme rumeur. Ç a monte des bois. « Dé rouille-la bien ta gamine! Il va lui en sortir une! » Forcé ment ç a me rendait brutal de les entendre me stimuler. Mireille s’est mise à cavaler en poussant des glapissements. Alors moi je la course et je me dé carcasse. Je lui balance des vaches coups de tatane à travers les fesses. Ç a sonne mat et lourd. Des dé bauché s du Ranelagh y en avait encore des centaines qui affluaient, devant ils se groupaient par biroutes, ils poulopaient loin par-derriè re... C’é tait envahi les pelouses, des milliers à travers l’avenue. Il en arrivait tout le temps d’autres du fond de la nuit... Toutes les robes é taient en lambeaux... nichons branlants, arraché s... petits garç ons sans culottes... Ils se renversaient, pié tinaient, se faisaient rejaillir à la volé e... Il en restait pendus aux arbres... aprè s les chaises des morceaux... Une vioque, une Anglaise d’une petite automobile sortait la tê te à se dé mancher, elle me gê nait mê me pour que je travaille... Jamais j’avais vu des yeux si heureux que les siens... « Hurray! Hurray! Garç on magnifique! » qu’elle me criait en plein é lan... « Hurray! Tu vas lui crever l’oignon! y aura du monde dans les é toiles! L’é ternité va lui sortir! Vive la Science chré tienne! » Je me dé pê chais encore plus. J’allais plus vite que son auto. Je me donnais entier à ma tâ che, je dé goulinais la sueur! En chargeant je pensais à ma place... Que j’allais sû rement la perdre. J’en refroidissais: « Mireille! Pitié ! Je t’adore! Vas-tu m’attendre, immondice? Me croiras-tu? » Arrivé e à l’Arc de Triomphe, toute la foule s’est mise en manè ge. Toute la horde poursuivait Mireille. Y avait dé jà plein de morts partout. Les autres s’arrachaient les organes. L’Anglaise coltinait son auto, au-dessus de sa tê te, à bout de bras! Hurray! Hurray! Elle en culbute l’autobus. Le trafic est intercepté par trois rangs de mobiles au port d’armes. Les honneurs c’est alors pour nous. La robe à Mireille s’envole. La vieille Anglaise bondit sur la mô me, lui croche dans les seins, ç a gicle, ç a fuse, tout est rouge. On s’é croule, on grouille tous ensemble, on s’é trangle. C’est une grande furie. La flamme sous l’Arc monte, monte encore, se coupe, traverse les é toiles, s’é parpille au ciel... Ç a sent partout le jambon fumé... Voici Mireille à l’oreille qui vient me parler enfin. « Ferdinand, mon ché ri, je t’aime!... C’est entendu, t’es plein d’idé es! » C’est une pluie de flammes qui retombe sur nous, on en prend des gros bouts chacun... On se les enfonce dans la braguette gré sillantes, tourbillonnantes. Les dames s’en mettent un bouquet de feu... On s’est endormi les uns dans les autres. 25 000 agents ont dé blayé la Concorde. On y tenait plus les uns dans les autres. C’é tait trop brû lant. Ç a fumait. C’é tait l’enfer. ✩ Ma mè re et Mme Vitruve, à cô té, elles s’inquié taient, elles allaient et venaient dans la piè ce en attendant que ma fiè vre tombe. Une ambulance m’avait rapporté. Je m’é tais é talé sur une grille avenue Mac-Mahon. Les flics en roulettes m’avaient aperç u. Fiè vre ou pas, je bourdonne toujours et tellement des deux oreilles que ç a peut plus m’apprendre grand-chose. Depuis la guerre ç a m’a sonné. Elle a couru derriè re moi, la folie... tant et plus pendant vingt-deux ans. C’est coquet. Elle a essayé quinze cents bruits, un vacarme immense, mais j’ai dé liré plus vite qu’elle, je l’ai baisé e, je l’ai possé dé e au « finish ». Voilà ! Je dé conne, je la charme, je la force à m’oublier. Ma grande rivale c’est la musique, elle est coincé e, elle se dé té riore dans le fond de mon esgourde... Elle en finit pas d’agonir... Elle m’ahurit à coups de trombone, elle se dé fend jour et nuit. J’ai tous les bruits de la nature, de la flû te au Niagara... Je promè ne le tambour et une avalanche de trombones... Je joue du triangle des semaines entiè res... Je ne crains personne au clairon. Je possè de encore moi tout seul une voliè re complè te de trois mille cinq cent vingt-sept petits oiseaux qui ne se calmeront jamais... C’est moi les orgues de l’Univers... J’ai tout fourni, la bidoche, l’esprit et le souffle... Souvent j’ai l’air é puisé. Les idé es tré buchent et se vautrent. Je suis pas commode avec elles. Je fabrique l’Opé ra du dé luge. Au moment où le rideau tombe c’est le train de minuit qui entre en gare... La verriè re d’en haut fracasse et s’é croule... La vapeur s’é chappe par vingt-quatre soupapes... les chaî nes bondissent jusqu’au troisiè me... Dans les wagons grands ouverts trois cents musiciens bien vinasseux dé chirent l’atmosphè re à quarante-cinq porté es d’un coup... Depuis vingt-deux ans, chaque soir il veut m’emporter... à minuit exactement... Mais moi aussi je sais me dé fendre... avec douze pures symphonies de cymbales, deux cataractes de rossignols... un troupeau complet de phoques qu’on brû le à feux doux... Voilà du travail pour cé libataire... Rien à redire. C’est ma vie seconde. Elle me regarde. Ce que j’en dis c’est pour expliquer qu’au Bois de Boulogne il m’est venu un petit accè s. Je fais souvent beaucoup de bruit quand je cause. Je parle fort. On me fait signe de parler moins haut. Je bavouche un peu c’est forcé... Il me faut faire des drô les d’efforts pour m’inté resser aux copains. Facilement je les perdrais de vue. Je suis pré occupé. Je vomis quelquefois dans la rue. Alors tout s’arrê te. C’est presque le calme. Mais les murs se remettent en branle et les voitures à reculons. Je tremble avec toute la terre. Je ne dis rien... La vie recommence. Quand je trouverai le Bon Dieu chez lui je lui crè verai, moi, le fond de l’oreille, l’interne, j’ai appris. Je voudrais voir comment ç a l’amuse? Je suis chef de la gare diabolique. Le jour où moi je n’y serai plus, on verra si le train dé raille. M. Bizonde, le bandagiste, pour qui je fais des petits « articles », il me trouvera encore plus pâ le. Il se fera une raison. Je pensais à tout ç a dans ma crè che, pendant que ma mè re et Vitruve dé ambulaient à cô té. La porte de l’enfer dans l’oreille c’est un petit atome de rien. Si on le dé place d’un quart de poil... qu’on le bouge seulement d’un micron, qu’on regarde à travers, alors c’est fini! c’est marre! on reste damné pour toujours! T’es prê t? Tu l’es pas? Ê tes-vous en mesure? C’est pas gratuit de crever! C’est un beau suaire brodé d’histoires qu’il faut pré senter à la Dame. C’est exigeant le dernier soupir. Le « Der des Der » Ciné ma! C’est pas tout le monde qu’est averti! Faut se dé penser coû te que coû te! Moi je serai bientô t en é tat... J’entendrai la derniè re fois mon toquant faire son pfoutt! baveux... puis flac! encore... Il branlera aprè s son aorte... comme dans un vieux manche... Ç a sera terminé. Ils l’ouvriront pour se rendre compte. Sur la table en pente... Ils la verront pas ma jolie lé gende, mon sifflet non plus... La Blê me aura dé jà tout pris... Voilà Madame, je lui dirai, vous ê tes la premiè re connaisseuse!... ✩ J’avais beau ê tre au fond des pommes, la Mireille me revenait quand mê me... J’é tais tranquille qu’elle avait dû aller baver tout son content. « Ah! qu’ils diraient à la Jonction... Le Ferdinand il est devenu insupportable! Il va au Bois se faire miser!... (vu qu’on exagè re toujours). Il amè ne en plus la Mireille!... Il dé bauche toutes les jeunes filles!... On va se plaindre à la Mairie!... Il a sali son emploi! C’est un violeur et un factieux!... » Tel quel! Ç a me faisait bouillir dans mon plume de me repré senter ces salades, je suintais de partout comme un crapaud... J’en é touffais... je me tortille... Je me dé mè ne encore... Je balance toutes les couvertures... Je me retrouve une garce vigueur. Et c’est pourtant bien exact qu’ils nous ont suivis les satyres!... Je sens le brû lé de partout! Une ombre é norme me cache la vue... C’est le chapeau à Lé once... Un chapeau de militant... Des bords si vastes qu’un vé lodrome... Il a dû é teindre le feu... C’est Poitrat Lé once! J’en suis sû r! Il me filature depuis toujours... Il me cherche ce gars-là ! Il passe à la Pré fecture bien plus souvent qu’à son tour... Aprè s 18 heures... Il est par là, il se dé pense, il milite chez les apprentis, il s’adonne aux avortements... Je lui plais pas... Je l’indispose... Il veut ma peau. Il l’avoue... À la clinique c’est lui le comptable... Il porte aussi une lavalliè re. Il me bouche un cô té du sommeil avec son chapeau... La fiè vre monte encore je crois... Je vais é clater... Il est mariole Lé once Poitrat, c’est un fortiche aux ré unions... Dans les chantages confé dé ré s il peut hurler pendant deux heures. Personne le fait taire... Si on a changé sa motion, il devient enragé sur un mot. Il gueule plus fort qu’un colonel. Il est bâ ti en armoire. Pour la jactance il craint personne, pour la queue non plus, il bande dur comme trente-six biceps. Il a un bonheur en acier. Voilà. Il est secré taire du « Syndic des Briques, Couvertures » de Vanves La Ré volte. Secré taire é lu. Les poteaux sont fiers de Lé once, qu’est si fainé ant, si violent. C’est le plus beau maquereau du travail. Quand mê me il é tait pas content, il me jalousait moi, mes idé es, mes tré sors spirituels, ma prestance, la faç on qu’on m’appelle « Docteur ». Il restait là avec les dames, il attendait à cô té... Que je me dé cide? Que je fasse enfin mon paquet?... J’é tais pas bon!... Et rien que pour l’emmerder... Je resterais par terre!... je tournerais au Miracle!... Je l’embrasserais mê me pour qu’il en crè ve!... Par contagion!... À l’é tage au-dessus, ç a ré sonne... Des bruits diffé rents... c’est l’artiste qui donne ses leç ons... Il s’entraî ne... Il est inquiet... il doit ê tre seul... Do!... do!... do!... Les choses ne vont guè re!... Si!... si!... Encore un petit peu... Mi! mi!... Ré ! Tout peut s’arranger!... Et puis un arpè ge à gauche!... Et puis la droite qui se requinque... Si diè se!... Nom de Dieu! Par ma fenê tre on voit Paris... En bas ç a s’é tale... Et puis ç a se met à grimper... vers nous... vers Montmartre... Un toit pousse un autre, c’est pointu, ç a blesse, ç a saigne le long des lumiè res, des rues en bleu, en rouge, en jaune... Plus bas aprè s, c’est la Seine, les brumes pâ les, une remorque qui fait son chemin... dans un cri de fatigue... Encore plus loin c’est les collines... Les choses se rassemblent... La nuit va nous prendre. C’est ma bignolle qui cogne au mur? Pour qu’elle monte il faut que je sois à fond dé collé... Elle est trop vieille la mè re Bé renge pour se taper mes é tages... D’où qu’elle peut sortir?... Elle traverse ma piaule tout doucement... Elle touche pas par terre. Elle regarde mê me plus à droite à gauche... Elle sort par la fenê tre dans le vide... La voilà partie dans le noir tout au-dessus des maisons... Elle s’en va là -bas... ✩ Ré !... fa!... sol diè se!... mi!... Merde! Il en finira jamais! Ç a doit ê tre l’é lè ve qui recommence... Quand la fiè vre s’é tale, la vie devient molle comme un bide de bistrot... On s’enfonce dans un remous de tripes. Ma mè re je l’entends qui insiste... Elle raconte son existence à Mme Vitruve... Elle recommence pour qu’elle comprenne combien j’ai é té difficile!... Dé pensier!... Insoucieux!... Paresseux!... Que je tenais pas du tout de mon pè re... Lui si scrupuleux alors... si laborieux... si mé ritant... si dé veinard... qu’est dé cé dé l’autre hiver... Oui... Elle lui raconte pas les assiettes qu’il lui brisait sur le cocon... Non! Ré, do, mi! ré bé mol!... C’est l’é lè ve qui se remet en difficulté... Il escalade des doubles croches... Il passe dans les doigts du maî tre... Il dé rape... Il en sort plus... Il a des diè ses plein les ongles... « Au temps! » que je gueule un fort coup. Ma mè re raconte pas non plus comment qu’il la trimbalait, Auguste, par les tifs, à travers l’arriè re-boutique. Une toute petite piè ce vraiment pour des discussions... Sur tout ç a elle l’ouvre pas... Nous sommes dans la poé sie... Seulement qu’on vivait à l’é troit mais qu’on s’aimait é normé ment. Voilà ce qu’elle raconte. Il me ché rissait si fort papa, il é tait si sensible en tout que ma conduite... les inquié tudes... mes pé rilleuses dispositions, mes avatars abominables ont pré cipité sa mort... Par le chagrin é videmment... Que ç a s’est porté sur son cœ ur!... Vlan! Ainsi que se racontent les histoires... Tout ç a c’est un peu raisonnable, mais c’est rempli bien plus encore d’un tas d’immondes crasseux mensonges... Les garces elles s’animent tellement fort à se bourrer la caisse toutes les deux qu’elles couvrent les bruits du piano... Je peux dé gueuler à mon aise. Vitruve est pas en retard de bobards... elle é numè re ses sacrifices... la Mireille c’est sa vie entiè re!... Je comprends pas tout... Faut que j’aille vomir aux cabinets... En plus sû rement c’est le paludisme... J’en ai rapporté du Congo... Je suis avancé par tous les bouts... Quand je me recouche, ma mè re est en plein dans ses fianç ailles... à Colombes... Quand Auguste faisait du vé lo... L’autre pas en reste... se fait reluire ignoblement... sur la faç on qu’elle se dé voue pour sauver ma ré putation... chez Linuty... Ah! Ah! Ah! Je me soulè ve alors... Je n’en peux plus... Je ne bouge plus... Je me penche seulement pour vomir de l’autre cô té du pageot... Tant qu’à battre la vache campagne j’aime mieux rouler dans des histoires qui sont à moi... Je vois Thibaud le Trouvè re... Il a toujours besoin d’argent... Il va tuer le pè re à Joad... ç a fera toujours un pè re de moins... Je vois des splendides tournois qui se dé roulent au plafond... Je vois des lanciers qui s’emmanchent... Je vois le Roi Krogold lui-mê me... Il arrive du Nord... Il est invité à Bredonnes avec toute sa Cour... Je vois sa fille Wanda la blonde, l’é blouissante... Je me branlerais bien mais je suis trop moite... Joad est amoureux tendu... C’est la vie!... Il faut que j’y retourne... Je dé gueule soudain toute une bile... Je rugis dans les efforts. Mes vieilles quand mê me ont entendu... Elles rappliquent, elles me rafistolent. Je les expulse à nouveau... Dans le couloir elles recommencent à divaguer. Aprè s m’avoir traité si moche y a reflux dans les expressions... On me remet un peu à la sauce... On dé pend de moi pour bien des choses... On reprend soudain les notions... On s’é tait laissé emporter... C’est moi qui fais rentrer l’oseille... Ma mè re chez M. Bizonde, le bandagiste en renom, elle gagne pas beaucoup... ç a ne suffirait pas... C’est dur à son â ge de se dé fendre à la commission. Mme Vitruve et sa niè ce c’est moi qui douille le mé nage avec des condé s ingé nieux... Soudain elles se mé fient elles serpentent... « Il est brutal... hurluberlu!... Mais il a le cœ ur sur la main... » Ç a il faut l’admettre. C’est bien entendu. Devant y a le terme et la pitance... Il faut pas trop dé conner. On se dé pê che de se rassurer. Ma mè re, c’est pas une ouvriè re... Elle se ré pè te, c’est sa priè re... C’est une petite commerç ante... On a crevé dans notre famille pour l’honneur du petit commerce... On est pas nous des ouvriers ivrognes et pleins de dettes... Ah! non. Pas du tout!... Il faut pas confondre!... Trois vies, la mienne, la sienne et puis surtout celle à mon pè re ont fondu dans les sacrifices... On ne sait mê me pas ce qu’elles sont devenues... Elles ont payé toutes les dettes... À pré sent ma mè re, elle se redonne un mal horrible pour retrouver nos existences... Elle est forcé e d’imaginer... Elles sont disparues nos vies... nos passé s aussi... Elle s’é vertue dè s qu’elle a un petit moment... elle remet un peu debout les choses... et puis ç a retombe fatalement!... Elle pique des colè res terribles si seulement je me mets à tousser, parce que mon pè re c’é tait un costaud de la caisse, il avait les poumons solides... Je veux plus la voir, elle me crè ve! Elle veut que je dé lire avec elle... Je suis pas bon! Je ferai un malheur! Je veux dé conner de mon cô té... Do! mi! la! l’é lè ve est parti... L’artiste se dé lasse... Il est en « berceuse »... Je voudrais qu’É milie monte... Elle vient le soir faire mon mé nage... Elle parle presque pas... Je la voyais plus! Tiens, elle est là !... Elle voudrait que je prenne du rhum... À cô té les ivrognes vocifè rent... « Il a une grosse fiè vre vous savez!.,. Je suis bien inquiè te! ré pè te encore maman. — Il est gentil pour les malades!... » qu’elle gueule à son tour la Vitruve... Moi alors j’avais si chaud que je me suis traî né à la fenê tre. « Par le travers de l’É toile mon beau navire il taille dans l’ombre... chargé de toile jusqu’au tré mat... Il pique droit sur l’Hô tel-Dieu... La ville entiè re tient sur le Pont, tranquille... Tous les morts je les reconnais... Je sais mê me celui qui tient la barre... Le pilote je le tutoyé... Il a compris le professeur... il joue en bas l’air qu’il nous faut... Black Joe... Pour les croisiè res... Pour bien prendre le Temps... le Vent... les menteries... Si j’ouvre la fenê tre, il fera froid d’un coup... Demain j’irai le tuer M. Bizonde qui nous fait vivre... le bandagiste, dans sa boutique... Je veux qu’il voyage... Il ne sort jamais... Mon navire souffre et il malmè ne au-dessus du Parc Monceau... Il est plus lent que l’autre nuit... Il va buter dans les Statues... Voici deux fantô mes qui descendent à la Comé die-Franç aise... Trois vagues é normes emportent les arcades Rivoli. La sirè ne hurle dans mes carreaux... Je pousse ma lourde... Le vent s’engouffre... Ma mè re radine exorbité e... Elle me semonce... Que je me tiens mal comme toujours!... La Vitruve se pré cipite!... Assaut des recommandations... Je me ré volte... Je les agonise... Mon beau navire est à la traî ne. Ces femelles gâ chent tout infini... il bourre en cap, c’est une honte!... Il incline sur bâ bord quand mê me... Y a pas plus gracieux que lui sous voiles... Mon cœ ur le suit... Elles devraient courir, les garces, aprè s les rats qui vont saloper la manœ uvre!... Jamais il ne pourra border tellement ses drisses sont souqué es fort!... Il faudrait dé tendre... Prendre trois rouleaux avant la « Samaritaine »! Je hurle tout ç a sur tous les toits... Et puis ma piaule va couler!... Je l’ai payé e à la fin! Tout payé ! sou par sou! De la garcerie de ma putaine existence!... Je chie dans mon pyjama! La combinaison trempé e... Ç a va terriblement mal! Je vais dé bloquer sur la Bastille. « Ah! si ton pè re é tait là ! »... J’entends ces mots... Je m’embrase! C’est encore elle! Je me retourne. Je traite mon pè re comme du pourri!... Je m’é poumone!... « Y avait pas un pire dé gueulasse dans tout l’Univers! de Dufayel au Capricorne!... » D’abord c’est une vraie stupeur! Elle se fige! Transie qu’elle demeure... Puis elle se ressaisit. Elle me traite plus bas qu’un trou. Je sais plus où je vais me poser. Elle pleure à chaudes larmes. Elle se roule dans le tapis de dé tresse. Elle se remet à genoux. Elle se redresse. Elle m’attaque au parapluie. Elle me branle des grands coups de riflard en plein dans la tronche. Le manche lui en pè te dans la main. Elle fond en sanglots. La Vitruve se jette entre nous. « Elle pré fè re me revoir jamais!... » Voilà comment qu’elle me juge! Elle fait trembler toute la crè che... Sa mé moire c’est tout ce qu’il a laissé mon pè re et des tombereaux d’emmerdements. Ç a la possè de le Souvenir! Plus qu’il est mort et plus qu’elle l’aime! C’est comme une chienne qu’en finit pas... Mais moi je suis pas d’accord! Mê me à crever, je me rebiffe! Je lui ré pè te qu’il é tait sournois, hypocrite, brutal et dé gonflé de partout! Elle retourne à la bataille. Elle se ferait tuer pour son Auguste. Je vais la dé rouiller. Merde!... Je suis pas malarien pour de rire. Elle m’injurie, elle s’emporte, elle respecte pas mon é tat. Je me baisse alors, je lui retrousse sa jupe, dans la furie. J’y vois son mollet dé charné comme un bâ ton, pas de viande autour, le bas qui godaille, c’est infect!... J’y ai vu depuis toujours... Je dé gueule dessus un grand coup... « T’es fou Ferdinand! » qu’elle recule... Elle sursaute!... Elle se barre! « T’es fou » qu’elle regueule dans l’escalier. Je tré buche moi. Je m’é tale. Je l’entends qui boite jusqu’en bas. La fenê tre est resté e bé ante... Je pense à Auguste, il aimait aussi les bateaux... C’é tait un artiste au fond... Il a pas eu de chance. Il dessinait des tempê tes de temps en temps sur mon ardoise... La bonne elle est resté e au bord du lit... Je lui ai dit: « Couche-toi là tout habillé e... On est en voyage... Mon bateau, il a perdu toutes les lumiè res sur la gare de Lyon... Je donnerai le reç u au Capitaine pour qu’il revienne quai Arago, quand on montera les guillotines... Le quai du Matin... » É milie, elle en rigole... Elle comprend pas les astuces... « Demain qu’elle a dit... Demain!... » Elle est repartie trouver son mô me. Alors là j’é tais vraiment seul!... Alors j’ai bien vu revenir les mille et mille petits canots au-dessus de la rive gauche... Ils avaient chacun dedans un petit mort ratatiné dessous sa voile... et son histoire... ses petits mensonges pour prendre le vent... ✩ Le siè cle dernier je peux en parler, je l’ai vu finir... Il est parti sur la route aprè s Orly... Choisy-le-Roi... C’é tait du cô té d’Armide où elle demeurait aux Rungis, la tante, l’aï eule de la famille... Elle parlait de quantité de choses dont personne se souvenait plus. On choisissait à l’automne un dimanche pour aller la voir, avant les mois les plus durs. On reviendrait plus qu’au printemps s’é tonner qu’elle vive encore... Les souvenirs anciens c’est tenace... mais c’est cassant, c’est fragile... Je suis sû r toujours qu’on prenait le « tram » devant le Châ telet, la voiture à chevaux... On grimpait avec nos cousins sur les bancs de l’impé riale. Mon pè re restait à la maison. Les cousins ils plaisantaient, ils disaient qu’on la retrouverait plus la tante Armide, aux Rungis. Qu’en ayant pas de bonne, et seule dans un pavillon elle se ferait sû rement assassiner qu’à cause des inondations on serait peut-ê tre avertis trop tard... Comme ç a on cahotait tout le long jusqu’à Choisy à travers des berges. Ç a durait des heures. Ç a me faisait prendre l’air. On devait revenir par le train. Arrivé s au terminus fallait faire alors vinaigre! Enjamber les gros pavé s, ma mè re me tirait par le bras pour que je la suive à la cadence... On rencontrait d’autres parents qui allaient voir aussi la vieille. Elle avait du mal ma mè re avec son chignon, sa voilette, son canotier, ses é pingles... Quand sa voilette é tait mouillé e elle la mâ chait d’é nervement. Les avenues avant chez la tante c’é tait plein de marrons. Je pouvais pas m’en ramasser, on n’avait pas une minute... Plus loin que la route, c’est les arbres, les champs, le remblai, des mottes et puis la campagne... plus loin encore c’est les pays inconnus... la Chine... Et puis rien du tout. On avait si hâ te d’arriver que je faisais dans ma culotte... d’ailleurs j’ai eu de la merde au cul jusqu’au ré giment, tellement j’ai é té pressé tout le long de ma jeunesse. On parvenait tout trempé s aux premiè res maisons. C’é tait un village amusant, je m’en rends bien compte aujourd’hui; avec des petits coins tranquilles, des ruelles, de la mousse, des dé tours, tout le fromage du pittoresque. C’é tait fini la rigolade en arrivant devant sa grille. Ç a grinç ait. La tante elle avait soldé la « toilette » au Carreau du Temple pendant prè s de cinquante ans... Son pavillon aux Rungis c’é tait toutes ses é conomies. Elle demeurait au fond d’une piè ce, devant la cheminé e, elle restait dans son fauteuil. Elle attendait qu’on vienne la voir. Elle fermait aussi ses persiennes à cause de sa vue. Son pavillon tenait du genre suisse, c’é tait le rê ve à l’é poque. Devant, des poissons mijotaient dans un bassin puant. On marchait encore un petit bout, on arrivait à son perron. On s’enfonç ait dans les ombres. On touchait quelque chose de mou. « Approche, n’aie pas peur mon petit Ferdinand!... » Elle m’invitait aux caresses. J’y coupais donc pas. C’é tait froid et rê che et puis tiè de, au coin de la bouche, avec un goû t effroyable. On allumait une bougie. Les parents formaient leur cercle de papoteurs. De me voir embrasser l’aï eule ç a les excitait. J’é tais pourtant bien é cœ uré par ce seul baiser... Et puis d’avoir marché trop vite. Mais quand elle se mettait à causer ils é taient tous forcé s de se taire. Ils ne savaient pas quoi lui ré pondre. Elle ne conversait la tante qu’à l’imparfait du subjonctif. C’é taient des modes pé rimé es. Ç a coupait la chique à tout le monde. Il é tait temps qu’elle dé campe.
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