Хелпикс

Главная

Контакты

Случайная статья





Note sur l’édition numérique. 2 страница



« Gustin que je lui ai fait comme ç a, tu n’as pas toujours é té aussi connard qu’aujourd’hui, abruti par les circonstances, le mé tier, la soif, les soumissions les plus funestes... Peux-tu encore, un petit moment, te ré tablir en poé sie?... faire un petit bond de cœ ur et de bite au ré cit d’une é popé e, tragique certes, mais noble... é tincelante!... Te crois-tu capable?... »

Il restait là Gustin assoupi sur son escabeau, devant les é chantillons, le placard bé ant... Il ne pipait plus... il ne voulait pas m’interrompre...

« Il s’agit, que je l’ai pré venu, de Gwendor le Magnifique, Prince de Christianie... Nous arrivons... Il expire... au moment mê me où je te cause... Son sang s’é chappe par vingt blessures... L’armé e de Gwendor vient de subir une abominable dé faite... Le Roi Krogold lui-mê me au cours de la mê lé e a repé ré Gwendor... Il l’a pourfendu... Il n’est pas fainé ant Krogold... Il fait sa justice lui-mê me... Gwendor a trahi... La mort arrive sur Gwendor et va terminer son boulot... É coute un peu!

« Le tumulte du combat s’affaiblit avec les derniè res lueurs du jour... Au loin disparaissent les derniers Gardes du Roi Krogold... Dans l’ombre montent les râ les de l’immense agonie d’une armé e... Victorieux et vaincus rendent leurs â mes comme ils peuvent... Le silence é touffe tour à tour cris et râ les, de plus en plus faibles, de plus en plus rares...

« É crasé sous un monceau de partisans, Gwendor le Magnifique perd encore du sang... À l’aube la mort est devant lui.

« “ As-tu compris Gwendor?

« — J’ai compris ô Mort! J’ai compris dè s le dé but de cette journé e... J’ai senti dans mon cœ ur, dans mon bras aussi, dans les yeux de mes amis, dans le pas mê me de mon cheval, un charme triste et lent qui tenait du sommeil... Mon é toile s’é teignait entre tes mains glacé es. . Tout se mit à fuir! Ô Mort! Grands remords! Ma honte est immense!... Regarde ces pauvres corps!... Une é ternité de silence ne peut l'adoucir!...

« — Il n’est point de douceur en ce monde Gwendor! rien que de lé gende! Tous les royaumes finissent dans un rê ve!...

« — Ô Mort! Rends-moi un peu de temps... un jour ou deux! Je veux savoir qui m’a trahi...

« — Tout trahit Gwendor... Les passions n’appartiennent à personne, l’amour, surtout, n’est que fleur de vie dans le jardin de la jeunesse. ”

« Et la mort tout doucement saisit le prince... Il ne se dé fend plus... Son poids s’est é chappé... Et puis un beau rê ve reprend son â me... Le rê ve qu’il faisait souvent quand il é tait petit, dans son berceau de fourrure, dans la chambre des Hé ritiers, prè s de sa nourrice la morave, dans le châ teau du Roi René... »

Gustin il avait les mains qui lui pendaient entre les genoux...

« C’est pas beau? » que je l’interroge.

Il se mé fiait. Il voulait pas trop rajeunir. Il se dé fendait. Il a voulu que je lui explique encore tout... le pourquoi?... Et le comment?... C’est pas si facile... C’est fragile comme papillon. Pour un rien ç a s’é parpille, ç a vous salit. Qu’est-ce qu’on y gagne? J’ai pas insisté.

Pour bien enchaî ner ma Lé gende j’aurais pu me documenter auprè s de personnes dé licates... accoutumé es aux sentiments... aux mille variantes des tons d’amour...

J’aime mieux me dé brouiller tout seul.

Souvent les personnes dé licates c’est des personnes qui peuvent pas jouir. C’est une question de martinet. Ces choses-là ne se pardonnent pas. Je vais toujours vous dé crire le châ teau du Roi Krogold:

«... Un formidable monstre au cœ ur de la forê t, masse tapie, é crasante, taillé e dans la roche... pé trie de sentines, cré dences bourrelé es de frises et de redans... d’autres donjons... Du lointain, de la mer là -bas... les cimes de la forê t ondulent et viennent battre jusqu’aux premiè res murailles...

« Le guetteur auquel la peur d’ê tre pendu fait é carquiller les yeux... Plus haut... Tout en haut... Au sommet de Morehande, la Tour du Tré sor, l’É tendard claque dans la bourrasque... Il porte les armes royales. Un serpent tranché, saignant au ras du cou! Malheur aux traî tres! Gwendor expie!... »

Gustin, il n’en pouvait plus. Il somnolait... Il roupillait mê me. Je retourne fermer sa boutique. Je lui dis: « On s’en va! Viens faire une promenade par la Seine!... Ç a te fera du bien... » Il pré fé rait ne pas bouger... Enfin comme j’insiste, il se dé cide. Je lui propose un petit café de l’autre cô té de l’î le aux Chiens... Là, malgré le jus, il se rendort. On y est bien, c’est exact, sur les quatre heures, c’est le moment songeur des bistrots... Y a trois fleurs fausses dans le vase d’é tain. Tout est oublié sur le quai. Mê me le vieil ivrogne au comptoir il se fait une raison que la patronne l’é coutera plus. Je le laisse tranquille, moi, Gustin. Le prochain remorqueur le ré veillera certainement. Le chat il a quitté sa rombiè re pour venir se faire les griffes.

À la maniè re qu’il a, Gustin, de retourner les mains quand il pionce c’est facile de lui voir l’avenir. Y a le poil et tout l’homme dans les poignes. Chez Gustin c’est sa ligne de vie qu’est plutô t en force. Chez moi, ç a serait plutô t la chance et la destiné e. Je suis pas fadé question longueur d’existence... Je me demande pour quand ç a sera? J’ai un sillon au bas du pouce... Ç a sera-t-il une arté riole qui pé tera dans l’encé phale? Au dé tour de la Rolandique?... Dans le petit repli de la « troisiè me »?... On l’a souvent regardé avec Metitpois à la Morgue cet endroit-là... Ç a fait minuscule un ictus... Un petit cratè re comme une é pingle dans le gris des sillons... L’â me y a passé, le phé nol et tout. Ç a sera peut-ê tre hé las un né o fongueux du rectum... Je donnerais beaucoup pour l’arté riole... À la bonne vô tre!... Avec Metitpois, un vrai maî tre, on y a passé bien des dimanches à fouiller comme ç a les sillons... pour les maniè res qu’on a de mourir... Ç a le passionnait ce vieux daron... Il voulait se faire une idé e. Il faisait tous les vœ ux personnels pour une inondation pé pè re des deux ventricules à la fois quand sa cloche sonnerait... Il é tait chargé d’honneurs!...

« Les morts les plus exquises, retenez bien ceci Ferdinand, ce sont celles qui nous saisissent dans les tissus les plus sensibles... » Il parlait pré cieux, fignolé, subtil, Metitpois, comme les hommes des anné es Charcot. Ç a lui a pas beaucoup servi de prospecter la Rolandique, « la troisiè me » et le noyau gris... Il est mort du cœ ur finalement dans des conditions pas pé pè res... d’un grand coup d’angine de poitrine, d’une crise qu’a duré vingt minutes. Il a bien tenu cent vingt secondes avec tous ses souvenirs classiques, ses ré solutions, l’exemple à Cé sar... mais pendant dix-huit minutes il a gueulé comme un putois... Qu’on lui arrachait le diaphragme, toutes les tripes vivantes... Qu’on lui passait dix mille lames ouvertes dans l’aorte... Il essayait de nous les vomir... C’é tait pas du charre. Il rampait pour ç a dans le salon... Il se dé fonç ait la poitrine... Il rugissait dans son tapis... Malgré la morphine. Ç a ré sonnait dans les é tages jusque devant sa maison... Il a fini sous le piano. Les arté rioles du myocarde quand elles é clatent une par une, c’est une harpe pas ordinaire... C’est malheureux qu’on revienne jamais de l’angine de poitrine aurait de la sagesse et du gé nie pour tout le monde.

Fallait qu’on cesse de mé diter, c’é tait bientô t l’heure pour les vé né riens. Ç a se passait à La Pourneuve de l’autre cô té de la Garenne. On s’y mettait tous les deux. Juste comme je l’avais pré vu un remorqueur a siré né. C’é tait le moment qu’on se sauve. Comme systè me les vé né riens c’é tait, ingé nieux. Les gonos et les vé roles en attendant les piqû res ils se cré aient des connaissances. Au dé but y avait de la gê ne, aprè s y avait du plaisir. Prè s de l’abattoir au bout de la rue ils allaient s’unir en vitesse dè s qu’il faisait nuit l’hiver. Ils sont toujours trè s pressé s ces genres de malades, ils ont peur que ç a revienne plus la bandaison des familles. La mè re Vitruve en venant me voir elle avait repé ré ces choses-là... Les petits jeunes hommes à la « chaude-lance » leur premiè re, ç a les rend tout mé lancoliques, ç a les affecte é normé ment. Elle venait attendre à la sortie... Elle leur faisait au sentiment... à la touchante sollicitude... « Ç a te cuit fort hein, mon petit gars?... Je sais ce que c’est... J’en ai soigné... Je connais une tisane é tonnante... Viens à la maison je t’en ferai une... » Encore deux ou trois café s-crè me et le mô me lui donnait sa sè ve. Un soir au mur y a eu scandale, un Sidi monté comme un â ne englandait un petit pâ tissier, pour le plaisir, tout prè s de la gué rite du gardien. Lui le bourrin qu’avait l’habitude du jeton, il a d’abord tout é couté, les murmures, les plaintes, et puis alors les hurlements... Le mô me il se convulsait, ils é taient quatre à le maintenir... N’empê che qu’il s’est jeté quand mê me dans la turne du dabe, pour qu’on le protè ge des dé goû tants. L’autre alors a refermé la lourde. « Il s’est fait finir! Mais oui! » qu’é tait certaine la Vitruve. En commentant ç a.

« Je l’ai vu moi le cogne par la persienne! Ils prenaient leur pied tous les deux! Le gros et le petit c’est le mê me os!... »

Elle croyait pas aux sentiments. Elle jugeait bas, elle jugeait juste. Pour aller à La Pourneuve nous devions prendre l’autobus. « T’as bien encore cinq minutes! » que me faisait Gustin. Il é tait pas du tout pressé. On s’est assis juste au refuge, celui qu’est devant la rampe du Pont.

C’est sur ce quai-là, au 18, que mes bons parents firent de bien tristes affaires pendant l’hiver 92, ç a nous remet loin.

C’é tait un magasin de « Modes, fleurs et plumes ». Y avait en tout comme modè les que trois chapeaux, dans une seule vitrine, on me l’a souvent raconté. La Seine a gelé cette anné e-là. Je suis né en mai. C’est moi le printemps. Destiné e ou pas, on en prend marre de vieillir, de voir changer les maisons, les numé ros, les tramways et les gens de coiffure, autour de son existence. Robe courte ou bonnet fendu, pain rassis, navire à roulettes, tout à l’aviation, c’est du mê me! On vous gaspille la sympathie. Je veux plus changer. J’aurais bien des choses à me plaindre mais je suis marié avec elles, je suis navrant et je m’adore autant que la Seine est pourrie. Celui qui changera le ré verbè re crochu au coin du numé ro 12 il me fera bien du chagrin. On est temporaire, c’est un fait, mais on a dé jà temporé assez pour son grade.

Voilà les pé niches... Elles ont un cœ ur chacune à pré sent. Il bat tout gros et bourru à plein dans l’é cho noir des arches. Ç a suffit. Je me dé sagrè ge. Je me plains plus. Mais faut pas m’en faire davantage. Si les choses nous emportaient en mê me temps qu’elles, si mal foutues qu’on les trouve, on mourrait de poé sie. Ç a serait commode dans un sens. Gustin, question des sé ductions et des charmes infimes il se rangeait à mon avis, seulement pour l’oubli il se fiait plutô t aux boissons. Bon... Dans ses moustaches à la Gauloise il en restait toujours un peu de la bibine et des regrets...

Aux vé né riens, notre pratique ç a consistait en bâ tons, qu’on traç ait sur un grand papier au fur et à mesure... Ç a suffisait. Un bâ ton rouge: Novars... Vert: Mercure!... Et allez donc! La routine emportait le reste... bien contente... avait plus qu’à piquer la sauce dans les fesses, dans les plis du bras... Ç a lardait le pilon comme du beurre... Vert!... Bras!... Jaune!... Fesses!... Rouge... double-fesses!... Taille foiron! Refesses encore. Bismuth! Salope! Bleu! Veine qui pisse! Pourri!... Reculotte!... Tampon!... Une cadence sans dé faillance. Des bordé es et puis encore d’autres... Des filaments qui n’en finissent... Mandrins moulus! Polanars! Bites en gouttes! Suintent! Purulent! Gros linge empesé, dur carton! Gono! marche en travers! Reine du monde! Le cul son trô ne! Chauffé l’é té comme l’hiver!...

Froids les paumé s qui se mé fient! Et puis se confient mille recettes d’enculé s pour trancher encore bien mieux! Davantage!... Que Julienne n’y voye que du bleu... Ne pas revenir... Mentir à nous! Hurlant de joie... Urè tre plein, aiguilles! Guizot tout fendu! Bite en bouche! En avant la fente!

Voici le « dossier 34 », l’employé aux lorgnons noirs, le timide, le petit futé, il va l’attraper sa chtouille tout exprè s, chaque six mois, cour d’Amsterdam, pour mieux expier par la verge... il pisse ses lames de rasoir dans les connasses des petites annonces... C’est sa priè re! comme il dit... C’est un microbe é norme, « 34 »! il l’a é crit dans nos gogs! : « Je suis la terreur des vagins... J’ai enculé ma grande sœ ur... Je me suis fiancé douze fois! » C’est un client bien ponctuel, silencieux et pas difficile et toujours heureux de nous revenir.

C’est le bifteck pour nous autres, moins pé nibles que de remblayer le chemin de fer.

En arrivant à La Pourneuve, il m’a fait comme ç a Gustin: « Dis donc Ferdinand, tout à l’heure... pendant que je somnolais, essaye pas de me contredire... tu m’as fait les lignes de la main... Qu’est-ce que tu as donc vu? »

Je savais bien ce qui l’inquié tait, c’é tait son foie, depuis longtemps, le rebord sensible et puis des cauchemars infects... Il se constituait sa cirrhose...

Le matin souvent je l’entendais vomir dans l’é vier... Je l’ai rassuré, ç a servait à rien de l’inquié ter. Le mal é tait fait. Le principal c’é tait qu’il conserve ses boulots.

À la Jonction, il l’avait eue presque tout de suite, sa place au bureau de Bienfaisance. À la sortie de ses é tudes, grâ ce à un petit avortement, on peut pas dire le contraire, sur la bonne amie d’un Conseiller Municipal trè s conservateur à l’é poque... Il venait juste de s’é tablir Gustin, à cô té, pelé comme un rat. Ç a s’é tait effectué pé pè re, sa main tremblait pas encore. À la fois suivante, c’é tait sur la femme du maire. Encore un succè s!... Pour la gratitude il fut nommé mé decin des pauvres.

Tout d’abord, il avait bien plu, et à tout le monde, dans ses fonctions. Et puis à un moment donné il a cessé de plaire... Ils en ont eu marre de sa gueule et de ses faç ons... Ils pouvaient plus le renifler. Alors ils ont mis tout en œ uvre. C’est à qui lui ferait des misè res. On s’est bien ré galé de sa fiole; on l’accusait à peu prè s de tout, depuis d’avoir les mains sales, de se gourer dans les doses, de pas savoir les poisons... De puer de la gueule en excè s... D’avoir des chaussures à boutons... Quand on l’a eu bien tracassé, qu’il avait honte mê me de sortir et qu’on lui a bien ré pé té qu’on pouvait le vider comme un pet, alors on s’est ravisé, on s’est remis à le tolé rer, sans aucune raison nouvelle, seulement qu’on é tait fatigué de le trouver si moche et si veule...

Toute la crasse, l’envie, la rogne d’un canton s’é tait exercé e sur sa pomme. La hargne fielleuse des plumitifs de sa propre turne il l’avait sentie passer. L’aigreur au ré veil des 14 000 alcooliques de l’arrondissement, les pituites, les ré tentions exté nuantes des 6 422 blennorrhé es qu’il n’arrivait pas à tarir, les sursauts d’ovaire des 4 376 mé nopauses, l’angoisse questionneuse de 2 266 hypertendus, le mé pris inconciliable de 722 biliaires à migraine, l’obsession soupç onneuse des 47 porteurs de tæ nias, plus les 352 mè res des enfants aux ascarides, la horde trouble, la grande tourbe des masochistes de toutes lubies. Eczé mateux, albumineux, sucré s, fé tides, trembloteurs, vagineuses, inutiles, les « trop », les « pas assez », les constipé s, les enfoiré s du repentir, tout le bourbier, le monde en transferts d’assassins, é tait venu refluer sur sa bouille, cascader devant ses binocles depuis trente ans, soir et matin.

À la Jonction, il logeait à mê me la mouscaille, juste au-dessus des Rayons X. Il avait là ses trois piè ces, un bâ timent en pierre de taille, pas de la cloison comme aujourd’hui. Pour se dé fendre contre la vie faudrait des digues dix fois plus hautes qu’au Panama et de petites é cluses invisibles. Il logeait là depuis l’exposition, la grande, depuis les beaux jours d’Argenteuil.

Maintenant y avait des grands « buildings » tout autour de l’é tablissement.

De temps en temps il cherchait encore, Gustin, son petit dé rivatif... Il faisait monter une mignonne, mais ç a recommenç ait pas souvent. Son grand chagrin lui revenait, dè s que ç a devenait du sentiment. Aprè s la troisiè me rencontre... Il pré fé rait picoler... De l’autre cô té de sa rue, c’é tait un bistrot: la verte faç ade, à banjo le dimanche, c’é tait commode pour les frites, la bonne les faisait incomparables. La gniole le brû lait Gustin, moi je peux mê me pas tenter de boire depuis que je bourdonne jour et nuit. Ç a me bousille, ç a me donne des mines de pesteux. Quelquefois alors, il m’ausculte Gustin. Il me dit pas non plus ce qu’il pense. C’est le seul endroit qu’on est discret. J’ai de la peine moi aussi, faut le dire. Il connaî t mon cas, il essaye de m’encourager: « Vas-y Ferdinand, lis-le-moi, je l’é coute tiens ton machin! lis pas trop vite par exemple! Fais pas des gestes. Ç a te fatigue et moi ç a me donne la berlue... »

« Le Roi Krogold, ses preux, ses pages, son frè re l’Archevê que, le clergé du camp, toute la cour, allè rent aprè s la bataille s’affaler sous la tente au milieu du bivouac. Le lourd croissant d’or, le don du Khalife, ne fut point retrouvé au moment du repos... Il couronnait le dais royal. Le capitaine du convoi, responsable, fut battu comme plâ tre. Le roi s’allonge, veut s’endormir... Il souffre encore de ses blessures. Il ne dort pas. Le sommeil se refuse... Il insulte les ronfleurs. Il se lè ve. Il enjambe, il é crase des mains, il sort... Dehors, il fait si froid qu’il est saisi. Il boite, il marche quand mê me. La longue file des chariots cerne le camp. Les hommes de garde se sont endormis. Krogold longe les grands fossé s de la dé fense... Il se parle à lui-mê me, il tré buche, reprend juste à temps son aplomb. Au fond du fossé quelque chose a brillé, une lame é norme qui tremblote... Un homme est là qui tient l’objet luisant dans ses bras. Krogold se jette sur le tout, renverse l’homme, le ligote, c’est un soldat, il l’é gorge de sa propre courte lame comme un porc... “ Hoc! Hoc! ” glousse le voleur par son trou. Il lâ che tout. C’est fini. Le roi se baisse, ramasse le croissant au Khalife. Il remonte au bord du fossé. Il s’endort là dans la brume... Le voleur est bien châ tié. »

Vers cette é poque y a eu la crise, j’ai bien failli ê tre dé gommé du dispensaire. À cause des ragots encore.

C’est par Lucie Keriben qu’é tait é tablie modiste, boulevard Moncontour, que j’ai é té averti. Elle voyait des quantité s de gens. On ragotait beaucoup chez elle. Elle m’a rapporté des cancans bien moches. Poissonneux à ce degré -là, ce pouvait ê tre que la Mireille... Je me suis pas trompé... Pures calomnies bien entendu. Ç a parlait seulement que j’avais arrangé des partouzes avec des clientes du quartier. Des horreurs en somme... Lucie Keriben en douce, elle é tait assez satisfaite que je me mouille un peu... Elle é tait jalouse.

J’attends donc la Mireille qu’elle rentre, je me planque dans l’impasse Viviane, elle devait passer là fatalement. Je touchais pas encore assez de flouze pour aller faire l’é crivain... Je pouvais en reprendre dans la mistoufle. Je me sentais pas bon. Je la vois venir... elle passe devant. Je lui carre un tel envoi dans le pot qu’elle en a sauté du trottoir. Elle m’a compris sé ance tenante mais ç a l’a pas fait causer. Elle attendait de revoir sa tante. Elle voulait pas avouer la came. Rien du tout.

Cette faç on de ré pandre des bobards, c’é tait dans le but que je m’inquiè te... Je me dé pê chais le lendemain alors de leur donner satisfaction. La brutalité servait pas. Surtout avec la Mireille, ç a la rendait plus vache encore. Elle voulait se marier. Avec moi ou n’importe qui. Elle en avait marre des usines. À seize ans elle en avait dé jà fait sept dans la banlieue Ouest.

« C’est fini! » qu’elle annonç ait. Aux « Happy Suce », aux bonbons anglais, elle avait surpris le Directeur bien en train de se faire pomper par un apprenti. Ah! la bonne usine! Pendant six mois elle a balancé tous les rats crevé s dans la grande cuve aux pralines. À Saint-Ouen une contremaî tresse l’avait dé jà prise en mé nage, elle lui foutait des volé es dans les cabinets. Elles s’é taient barré es ensemble.

Le Capital et ses lois, elle les avait compris, Mireille... Qu’elle avait pas encore ses rè gles. Au camp des Pupilles à Marty-sur-Oise on y trouvait de la branlette, du bon air et des beaux discours. Elle s’é tait bien dé veloppé e. Le jour annuel des Fé dé ré s, elle faisait honneur au patronage, c’est elle qui brandissait Lé nine, tout en haut d’une gaule, de la Courtine au Pè re-Lachaise. Les bourriques en revenaient pas tellement qu’elle é tait crâ neuse! Mais alors des molletons splendides, elle levait le boulevard derriè re elle à bander l’internationale!

Les petits maries, du Musette qu’elle fré quentait ils se rendaient pas compte de ce qu’ils avaient dans la main. Mineure, elle se mé fiait des « mœ urs ». Elle passait pour l’instant derriè re Robert, Gé gè ne et Gaston. Mais ils se pré paraient ces petits des vé ritables malheurs. Elle les ferait tomber.

De la Vitruve et de sa niè ce je pouvais m’attendre à bien des choses, la vieille surtout en savait trop pour ne pas s’en servir un jour.

Je l’atté nuais par du pognon, mais la mô me voulait davantage, elle voulait tout. Si je l’abordais à la tendresse, ç a lui paraissait bien douteux. Je vais l’emmener au Bois que je me dis. Elle me garde des rancunes. Ce qu’il faut c’est que je l’inté resse. Au Bois j’avais mes intentions, je lui raconterais une belle histoire, je flatterais sa vanité.

« Demande à ta tante que je lui fais... Tu seras rentré e avant minuit... Attends-moi au café Byzance! »

Nous voilà partis tous les deux.

À partir de la Porte Dauphine elle se sentait dé jà plus contente. Elle aimait bien les beaux quartiers. À l’Hô tel Mé ridien, son horreur c’é tait les punaises. Quand elle se trouvait un petit giron, et qu’il fallait qu’elle ô te sa chemise, les marques alors lui faisaient honte. Ils savaient tous que c’en é taient des cloques de punaises... Ils connaissaient tous les liquides et les dé sinfectants qu’on brû le... Son rê ve à Mireille c’é tait une crè che sans totos... Si elle s’é tait barré e maintenant sa tante l’aurait fait repoisser. Elle comptait sur elle pour la croû te mais je lui connaissais un petit marle qui pré tendait bien aussi, le Bé bert du Val-de-Grâ ce. Il a fini dans la « coco ». Il lisait le Voyage celui-là...

Comme on approchait de la Cascade, j’ai commencé les confidences...

« Je sais que t’as un employé des Postes qui prend le martinet comme pas un... »

Elle é tait trop heureuse alors de me faire des chichis, des confesses. Elle me raconta tout. Mais en arrivant au Catelan elle osait plus s’avancer, le noir lui faisait peur. Elle croyait que je l’entraî nais pour la corriger dans les bois. Elle me tâ tait dans le fond de la poche pour se rendre compte si j’avais pas pris un pé tard. J’avais rien. Elle me tâ tait la queue. À cause des autos qui passent je lui propose d’aller dans l’Ile qu’on serait mieux pour se causer. Elle é tait garce, elle jouissait trè s difficilement et le danger ç a la fascinait. Les rameurs du bord cafouillent, s’embobinent toujours dans les branches, sacrent, culbutent, saccagent leurs petits lampions.

« Entends les canards qui s’é touffent dans l’urine à l’eau!

— Mireille! que je lui fais, une fois comme ç a installé s. Je sais que t’es forte en mensonges... la vé rité ç a ne te gê ne pas...

— Moi, qu’elle ré pond, si je ré pé tais seulement le quart de ce que j’entends!...

— Ç a va! que je l’arrê te... Je suis plein d’indulgence pour toi et de faiblesse mê me... C’est pas à cause de ton corps... ni de ton visage avec ton nez... C’est ton imagination qui me retient à toi... Je suis voyeur! Tu me raconteras des saloperies... Moi je te ferai part d’une belle lé gende... Si tu veux on signera ensemble?... fifty-fifty? tu y gagneras!... »

Elle aimait ç a parler des sous... Je lui ai raconté tout le boulot... Je lui ai garanti qu’il y aurait partout des princesses, et des vrais velours à la traî ne... des broderies à pleines doublures... des fourrures et des bijoux... Comme on en a pas idé e... On s’est parfaitement entendu pour toutes les choses du dé cor et mê me des costumes. Et puis voilà finalement comme notre histoire s’emmanchait:

« Nous sommes à Bredonnes en Vendé e... C’est le moment des Tournois...

« La ville s’apprê te à recevoir... Voici les galants paré s... Voici les lutteurs à poil... les baladins... Leur chariot passe... fend la foule... voici les crê pes en train de frire... Un brelan de chevaliers tout bardé s d’armures damasquiné es... ils arrivent tous de fort loin... du Midi... du Nord... se lancent de vaillants dé fis...

« Voici Thibaud le Mé chant, trouvè re, il parvient au petit jour juste à la porte de la ville, par le sentier du halage. Il est fourbu... Il vient chercher à Bredonnes asile et couvert... Il vient relancer Joad le fils sournois du Procureur. Il vient lui rappeler la vilaine histoire, l’assassinat d’un archer à Paris prè s du Pont au Change quand ils é taient é tudiants...

« Thibaud se rapproche... Au bac Sainte-Geneviè ve il refuse net son dé cime... Il se peigne avec le passeur... Les archers accourent... le terrassent, l’entraî nent... Le voici, pieds et poings lié s, é cumant, en loques, traî né devant le Procureur. Il se dé bat, forcené, lui hurle la vilaine histoire... »



  

© helpiks.su При использовании или копировании материалов прямая ссылка на сайт обязательна.