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Note sur l’édition numérique. 1 страница



 

 

 

Louis-Ferdinand

Cé line

 

 

Mort

à cré dit


 

 

MORT À CRÉ DIT

Roman

 

À Lucien Descaves


 

Habillez-vous! Un pantalon!

Souvent trop court, parfois trop long.

Puis veste ronde!

Gilet, chemise et lourd bé ret

Chaussures qui sur mer feraient

Le tour du Monde!...

Chanson de prison.

 

Nous voici encore seuls. Tout cela est si lent, si lourd, si triste... Bientô t je serai vieux. Et ce sera enfin fini. Il est venu tant de monde dans ma chambre. Ils ont dit des choses. Ils ne m’ont pas dit grand-chose. Ils sont partis. Ils sont devenus vieux, misé rables et lents chacun dans un coin du monde.

Hier à huit heures Mme Bé renge, la concierge, est morte. Une grande tempê te s’é lè ve de la nuit. Tout en haut, où nous sommes, la maison tremble. C’é tait une douce et gentille fidè le amie. Demain on l’enterre rue des Saules. Elle é tait vraiment vieille, tout au bout de la vieillesse. Je lui ai dit dè s le premier jour quand elle a toussé : « Ne vous allongez pas surtout!... Restez assise dans votre lit! » Je me mé fiais. Et puis voilà... Et puis tant pis.

Je n’ai pas toujours pratiqué la mé decine, cette merde. Je vais leur é crire qu’elle est morte Mme Bé renge à ceux qui m’ont connu, qui l’ont connue. Où sont-ils?

Je voudrais que la tempê te fasse encore bien plus de boucan, que les toits s’é croulent, que le printemps ne revienne plus, que notre maison disparaisse.

Elle savait Mme Bé renge que tous les chagrins viennent dans les lettres. Je ne sais plus à qui é crire... Tous ces gens sont loin... Ils ont changé d’â me pour mieux trahir, mieux oublier, parler toujours d’autre chose...

Vieille Mme Bé renge, son chien qui louche on le prendra, on l’emmè nera...

Tout le chagrin des lettres, depuis vingt ans bientô t, s’est arrê té chez elle. Il est là dans l’odeur de la mort ré cente, l’incroyable aigre goû t... Il vient d’é clore... Il est là... Il rô de... Il nous connaî t, nous le connaissons à pré sent. Il ne s’en ira plus jamais. Il faut é teindre le feu dans la loge. À qui vais-je é crire? Je n’ai plus personne. Plus un ê tre pour recueillir doucement l’esprit gentil des morts... pour parler aprè s ç a plus doucement aux choses... Courage pour soi tout seul!

Sur la fin ma vieille bignolle, elle ne pouvait plus rien dire. Elle é touffait, elle me retenait par la main... Le facteur est entré. Il l’a vue mourir. Un petit hoquet. C’est tout. Bien des gens sont venus chez elle autrefois pour me demander. Ils sont repartis loin, trè s loin dans l’oubli, se chercher une â me. Le facteur a ô té son ké pi. Je pourrais moi dire toute ma haine. Je sais. Je le ferai plus tard s’ils ne reviennent pas. J’aime mieux raconter des histoires. J’en raconterai de telles qu’ils reviendront, exprè s, pour me tuer, des quatre coins du monde. Alors ce sera fini et je serai bien content.

À la clinique où je fonctionne, à la Fondation Linuty on m’a dé jà fait mille ré flexions dé sagré ables pour les histoires que je raconte... Mon cousin Gustin Sabayot, à cet é gard il est formel: je devrais bien changer mon genre. Il est mé decin lui aussi, mais de l’autre cô té de la Seine, à la Chapelle-Jonction. Hier j’ai pas eu le temps d’aller le voir. Je voulais lui parler justement de Mme Bé renge. Je m’y suis pris trop tard. C’est un mé tier pé nible le nô tre, la consultation. Lui aussi le soir il est vanné. Presque tous les gens ils posent des questions lassantes. Ç a sert à rien qu’on se dé pê che, il faut leur ré pé ter vingt fois tous les dé tails de l’ordonnance. Ils ont plaisir à faire causer, à ce qu’on s’é puise... Ils en feront rien des beaux conseils, rien du tout. Mais ils ont peur qu’on se donne pas de mal, pour ê tre plus sû rs ils insistent; c’est des ventouses, des radios, des prises... qu’on les tripote de haut en bas... Qu’on mesure tout... L’arté rielle et puis la connerie... Gustin lui à la Jonction ç a fait trente ans qu’il pratique. Les miens, mes pilons, j’y pense, je vais les envoyer un beau matin à la Villette, boire du sang chaud. Ç a les fatiguera dè s l’aurore... Je ne sais pas bien ce que je pourrais faire pour les dé goû ter...

Enfin avant-hier j’é tais dé cidé d’aller le voir, le Gustin, chez lui. Son bled c’est à vingt minutes de chez moi une fois qu’on a passé la Seine. Il faisait pas joli comme temps. Tout de mê me je m’é lance. Je me dis je vais prendre l’autobus. Je cours finir ma sé ance. Je me dé file par le couloir des pansements. Une gonzesse me repè re et m’accroche. Elle a un accent qui traî naille, comme le mien. C’est la fatigue. En plus ç a racle, ç a c’est l’alcool. Maintenant elle pleurniche, elle veut m’entraî ner. « Venez Docteur, je vous supplie!... ma petite fille, mon Alice!... C’est rue Rancienne!... c’est à deux pas!... » Je ne suis pas forcé d’y aller. En principe moi je l’ai finie, ma consultation!... Elle s’obstine... Nous sommes dehors... J’en ai bien marre des é grotants... En voici trente emmerdeurs que je rafistole depuis tantô t... J’en peux plus... Qu’ils toussent! Qu’ils crachent! Qu’ils se dé sossent! Qu’ils s’empé dè rent! Qu’ils s’envolent avec trente mille gaz dans le croupion!... Je m’en tartine!... Mais la pleureuse elle m’agrafe, elle se pend vachement à mon cou, elle me souffle son dé sespoir. Il est plein de « rouquin »... Je suis pas de force à lutter. Elle me quittera plus. Quand on sera dans la rue des Casses qui est longue et sans lampe aucune, peut-ê tre que je vais lui refiler un grand coup de pompe dans les miches... Je suis lâ che encore... Je me dé gonfle... Et ç a recommence, la chansonnette. « Ma petite fille!... Je vous en supplie, Docteur!... Ma petite Alice!... Vous la connaissez?... » La rue Rancienne c’est pas si prè s... Ç a me dé tourne... Je la connais. C’est aprè s les Usines aux câ bles... Je l’é coute à travers ma berlue... « On n’a que 82 francs par semaine... avec deux enfants!... Et puis mon mari qui est terrible avec moi!... C’est une honte, mon cher Docteur!... »

Tout ç a c’est du mou, je le sais bien. Ç a pue le grain pourri, l’haleine des pituites...

On est arrivé devant la tô le...

Je monte. Je m’asseye enfin... La petite mô me porte des lunettes.

Je me pose à cô té de son lit. Elle joue quand mê me un peu encore avec la poupé e. Je vais l’amuser à mon tour. Je suis marrant, moi, quand je m’y donne... Elle est pas perdue la gniarde... Elle respire pas trè s librement... C’est congestif c’est entendu... Je la fais rigoler. Elle s’é touffe. Je rassure la mè re. Elle en profite, la vache, alors que je suis paumé dans sa crè che pour me consulter à son tour. C’est à cause des marques des torgnioles, qu’elle a plein les cuisses. Elle retrousse ses jupes, des é normes marbrures et mê me des brû lures profondes. Ç a c’est le tisonnier. Voilà comme il est son chô meur. Je donne un conseil... J’organise avec une ficelle un petit va-et-vient trè s drô le pour la moche poupé e... Ç a monte, ç a descend jusqu’à la poigné e de la porte... c’est mieux que de causer.

J’ausculte, y a des râ les en abondance. Mais enfin c’est pas si fatal... Je rassure encore. Je ré pè te deux fois les mê mes mots. C’est ç a qui vous pompe... La mô me elle se marre à pré sent. Elle se remet à suffoquer. Je suis forcé d’interrompre. Elle se cyanose... Y a peut-ê tre un peu de diphté rie? Faudrait voir... Pré lever?... Demain!...

Le papa rentre. Avec ses 82 francs, on se tape rien que du cidre chez lui, plus de vin du tout. « Je bois au bol. Ç a fait pisser! » qu’il m’annonce tout de suite. Il boit au goulot. Il me montre... on se congratule qu’elle est pas si mal la mignonne. Moi, c’est la poupé e qui me passionne... Je suis trop fatigué pour m’occuper des adultes et des pronostics. C’est la vraie caille les adultes! J’en ferai plus un seul avant demain.

Je m’en fous qu’on me trouve pas sé rieux. Je bois à la santé encore. Mon intervention est gratuite, absolument supplé mentaire. La mè re me ramè ne à ses cuisses. Je donne un suprê me avis. Et puis, je descends l’escalier. Sur le trottoir voilà un petit chien qui boite. Il me suit d’autorité. Tout m’accroche ce soir. C’est un petit fox ce chien-là, un noir et blanc. Il est perdu ç a me paraî t. C’est ingrat les chô meurs d’en haut. Ils ne me raccompagnent mê me pas. Je suis sû r qu’ils recommencent à se battre. Je les entends qui gueulent. Qu’il lui fonce donc son tison tout entier dans le trou du cul! Ç a la redressera la salope! Ç a l’apprendra à me dé ranger!

À pré sent je m’en vais sur la gauche... Sur Colombes, en somme. Le petit chien, il me suit toujours... Aprè s Asniè res c’est la Jonction et puis mon cousin. Mais le petit chien boite beaucoup, Il me dé visage. Ç a me dé goû te de le voir traî nasser. Faut mieux que je rentre aprè s tout. On est revenu par le Pont Bineux et puis le rebord des usines. Il é tait pas tout à fait fermé le dispensaire en arrivant... J’ai dit à Mme Hortense: « On va nourrir le petit clebs. Il faut que quelqu’un cherche de la viande... Demain à la premiè re heure on té lé phonera... Ils viendront de la « Protectrice » le chercher avec une auto. Ce soir il faudrait l’enfermer. » Alors je suis reparti tranquille. Mais c’é tait un chien trop craintif. Il avait reç u des coups trop durs. La rue c’est mé chant. Le lendemain en ouvrant la fenê tre, il a mê me pas voulu attendre, il a bondi à l’exté rieur, il avait peur de nous aussi. Il a cru qu’on l’avait puni. Il comprenait rien aux choses. Il avait plus confiance du tout. C’est terrible dans ces cas-là.

Il me connaî t bien Gustin. Quand il est à jeun il est d’un excellent conseil. Il est expert en joli style. On peut se fier à ses avis. Il est pas jaloux pour un sou. Il demande plus grand-chose au monde. Il a un vieux chagrin d’amour. Il a pas envie de le quitter. Il en parle tout à fait rarement. C’é tait une femme pas sé rieuse. Gustin c’est un cœ ur d’é lite. Il changera pas avant de mourir.

Entre-temps, il boit un petit peu...

Mon tourment à moi c’est le sommeil. Si j’avais bien dormi toujours j’aurais jamais é crit une ligne.

« Tu pourrais, c’é tait l’opinion à Gustin, raconter des choses agré ables... de temps en temps... C’est pas toujours sale dans la vie... » Dans un sens c’est assez exact. Y a de la manie dans mon cas, de la partialité. La preuve c’est qu’à l’é poque où je bourdonnais des deux oreilles et encore bien plus qu’à pré sent, que j’avais des fiè vres toutes les heures, j’é tais bien moins mé lancolique... Je trafiquais de trè s beaux rê ves... Mme Vitruve, ma secré taire, elle m’en faisait aussi la remarque. Elle connaissait bien mes tourments. Quand on est si gé né reux on é parpille ses tré sors, on les perd de vue... Je me suis dit alors: « La garce de Vitruve, c’est elle qui les a planqué s quelque part... » Des vé ritables merveilles... des bouts de lé gende... de la pure extase... C’est dans ce rayon-là que je vais me lancer dé sormais... Pour ê tre plus sû r je trifouille le fond de mes papiers... Je ne retrouve rien... je té lé phone à Delumelle mon placeur; je veux m’en faire un mortel ennemi... Je veux qu’il râ le sous les injures... Il en faut pour le cailler!... Il s’en fout! Il a des millions. Il me ré pond de prendre des vacances... Elle arrive enfin, ma Vitruve. Je me mé fie d’elle. J’ai des raisons fort sé rieuses. Où que tu l’as mise ma belle œ uvre? que je l’attaque comme ç a de but en blanc. J’en avais au moins des centaines des raisons pour la suspecter...

La Fondation Linuty c’é tait devant le ballon en bronze à la Porte Pereire. Elle venait là me rendre mes copies, presque tous les jours quand j’avais fini mes malades. Un petit bâ timent temporaire et rasé depuis. Je m’y plaisais pas. Les heures é taient trop ré guliè res. Linuty qui l’avait cré é e c’é tait un trè s grand millionnaire, il voulait que tout le monde se soigne et se trouve mieux sans argent. C’est emmerdant les philanthropes. J’aurais pré fé ré pour ma part un petit business municipal... Des vaccinations en douce... Un petit condé de certificats... Un bain-douche mê me... Une espè ce de retraite en somme. Ainsi soit-il. Mais je suis pas Zizi, mé tè que, ni Franc-Maç on, ni Normalien, je sais pas me faire valoir, je baise trop, j’ai pas la bonne ré putation... Depuis quinze ans, dans la Zone, qu’ils me regardent et qu’ils me voient me dé fendre, les plus ré sidus tartignolles, ils ont pris toutes les liberté s, ils ont pour moi tous les mé pris. Encore heureux de ne pas ê tre viré. La litté rature ç a compense. J’ai pas à me plaindre. La mè re Vitruve tape mes romans. Elle m’est attaché e. « É coute! que je lui fais, chè re Daronne, c’est la derniè re fois que je t’engueule!... Si tu ne retrouves pas ma Lé gende, tu peux dire que c’est la fin, que c’est le bout de notre amitié. Plus de collaboration confiante!... Plus de rassis!... Fini le tutu!... Plus d’haricots!... »

Elle fond alors en jé ré miades. Elle est affreuse en tout Vitruve, et comme visage et comme boulot. C’est une vraie obligation. Je la traî ne depuis l’Angleterre. C’est la consé quence d’un serment. C’est pas d’hier qu’on se connaî t. C’est sa fille Angè le à Londres qui me l’a fait autrefois jurer de toujours l’aider dans la vie. Je m’en suis occupé je peux le dire. J’ai tenu ma promesse. C’est le serment d’Angè le. Ç a remonte à pendant la guerre. Et puis en somme elle sait plein de choses. Bon. Elle est pas bavarde en principe, mais elle se souvient... Angè le, sa fille: c’é tait une nature. C’est pas croyable ce qu’une mè re peut devenir vilaine. Angè le a fini tragiquement. Je raconterai tout ç a si on me force. Angè le avait une autre sœ ur, Sophie la grande nouille, à Londres, é tablie là -bas. Et Mireille ici, la petite niè ce, elle a le vice de toutes les autres, une vraie peau de vache, une synthè se.

Quand j’ai dé mé nagé de Rancy, que je suis venu à la Porte Pereire, elles m’ont escorté toutes les deux. C’est changé Rancy, il reste presque rien de la muraille et du Bastion. Des gros dé bris noirs crevassé s, on les arrache du remblai mou, comme des chicots. Tout y passera, la ville bouffe ses vieilles gencives. C’est le « P. Q. bis » à pré sent qui passe dans les ruines, en trombe. Bientô t ç a ne sera plus partout que des demi-gratte-ciel terre cuite. On verra bien. Avec la Vitruve on é tait toujours en chicane sur la question des misè res. C’est elle qui pré tendait toujours qu’elle avait souffert davantage. C’é tait pas possible. Pour les rides, ç a c’est bien sû r, elle en a bien plus que moi! C’est iné puisable les rides, le fronton infect des belles anné es dans la viande. « Ç a doit ê tre Mireille qui les a rangé es vos pages! »

Je pars avec elle, je l’accompagne, quai des Minimes. Elles demeurent ensemble, prè s des chocolats Bitronnelle, ç a s’appelle l’Hô tel Mé ridien.

Leur chambre c’est un fatras incroyable, une carambouille en articles de colifichets, surtout des lingeries, rien que du fragile, de l’extrê mement bon marché.

Mme Vitruve et sa niè ce elles sont de la fesse toutes les deux. Trois injecteurs qu’elles possè dent, en plus d’une cuisine complè te et d’un bidet en caoutchouc. Tout ç a tient entre les deux lits et un grand vaporisateur qu’elles n’ont jamais su faire gicler. Je veux pas dire trop de mal de Vitruve. Elle a peut-ê tre connu plus de dé boires que moi dans la vie. C’est toujours ç a qui me tempè re. Autrement si j’é tais certain je lui filerais des trempes affreuses. C’é tait au fond de la cheminé e qu’elle garait la Remington qu’elle l’avait pas fini de payer... Soi-disant. Je donne pas cher pour mes copies, c’est exact encore... soixante-cinq centimes la page, mais ç a cube quand mê me à la fin... Surtout avec des gros volumes.

Question de loucher, la Vitruve, j’ai jamais vu pire. Elle faisait mal à regarder.

Aux cartes, aux tarots c’est-à -dire, ç a lui donnait du prestige cette loucherie farouche. Elle leur faisait aux petites clientes des bas de soie... l’avenir aussi à cré dit. Quand elle é tait prise alors par l’incertitude et la ré flexion, derriè re ses carreaux, elle en voyageait du regard comme une vraie langouste.

Depuis les « tirages » surtout elle gagnait en influence dans les environs. Elle connaissait tous les cocus. Elle me les montrait par la fenê tre, et mê me les trois assassins « j’ai les preuves! » En plus je lui ai fait don pour la pression arté rielle d’un vieil appareil Laubry et je lui ai enseigné un petit massage pour les varices. Ç a ajoutait à son casuel. Son ambition c’é tait les avortements ou bien encore de tremper dans une ré volution sanglante, que partout on parle d’elle, que ç a se propage dans les journaux.

Quand je la voyais farfouiller dans les recoins de son bazar je pourrais jamais tout é crire combien qu’elle me dé goû tait. À travers le monde entier y a des camions chaque minute qui é crasent des gens sympathiques... La mè re Vitruve elle é manait une odeur poivré e. C’est souvent le cas des rouquines. Elles ont je crois, les rousses, le destin des animaux, c’est brute, c’est tragique, c’est dans le poil. Je l’aurais bien é tendue moi quand je l’entendais causer trop fort, parler des souvenirs... Le feu au cul comme elle avait, ç a lui é tait difficile de trouver assez d’amour. À moins d’un homme saoû l. Et en plus qu’il fasse trè s nuit, elle avait pas de chance! De ce cô té -là je la plaignais. Moi j’é tais plus avancé sur la route des belles harmonies. Elle trouvait pas ç a juste non plus. Le jour où il le faudrait, j’avais presque de quoi en moi me payer la mort... J’é tais un rentier d’Esthé tique. J’en avais mangé de la fesse et de la merveilleuse... je dois le confesser de la vraie lumiè re. J’avais bouffé de l’infini.

Elle avait pas d’é conomies, tout ç a se pressent trè s bien, y a pas besoin d’en causer. Pour croû ter et jouir en plus il fallait qu’elle coince le client par la fatigue ou la surprise. C’é tait un enfer.

Aprè s sept heures, en principe, les petits boulots sont rentré s. Leurs femmes sont dans la vaisselle, le mâ le s’entortille dans les ondes radios. Alors Vitruve abandonne mon beau roman pour chasser sa subsistance. D’un palier à l’autre qu’elle tapine avec ses bas un peu grillé s, ses jerseys sans ré putation. Avant la crise elle pouvait encore se dé fendre à cause du cré dit et de la maniè re qu’elle ahurissait les chalands, mais on la donne à pré sent sa fourgue identique en prime, aux perdants râ leux du bonneteau. C’est plus des conditions loyales. J’ai essayé de lui expliquer que c’é tait la faute tout ç a aux petits Japonais... Elle me croyait pas. Je l’ai accusé e de me dissoudre exprè s ma jolie Lé gende dans ses ordures mê me...

« C’est un chef-d’œ uvre! que j’ajoutai. Alors sû rement on le retrouvera! »

Elle s’est bidonné e... On a fourgonné ensemble dans le tas de la camelote.

La niè ce est arrivé e à la fin, trè s en retard. Fallait voir ses hanches! Un vrai scandale sur pé tard... Toute plissé e sa jupe... Pour que ç a tienne bien la note. L’accordé on du fendu. Rien ne se perd. Le chô meur c’est dé sespé ré, c’est sensuel, ç a n’a pas le rond pour inviter... Ç a ramè ne. « Ton pot! » qu’ils lui jetaient... En pleine face. Au bout des couloirs, à force de bander pour des prunes. Les jeunots qui ont les traits fins plus que les autres, ils sont bien doué s pour en croquer, se faire bercer dans la vie. Ç a c’est venu plus tard seulement qu’elle est descendue se dé fendre!... aprè s bien des catastrophes... Pour le moment elle s’amusait...

Elle l’a pas trouvé e non plus ma jolie Lé gende. Elle s’en foutait du « Roi Krogold »... C’est moi seulement que ç a tracassait. Son é cole pour s’affranchir, c’é tait le « Petit Panier » un peu avant le Chemin de Fer, le musette de la Porte Brancion.

Elles me quittaient pas des yeux comme je me mettais en colè re. Comme « paumé » à leur idé e, je tenais le maximum! Branleur, timide, intellectuel et tout. Mais à pré sent à la surprise, elles avaient les foies que je me tire. Si j’avais pris de l’air, je me demande ce qu’elles auraient boutiqué ? Je suis tranquille que la tante elle y pensait assez souvent. Comme sourire c’é tait du frisson ce qu’elles me refilaient dè s que je parlais un peu de voyages...

La Mireille en plus du cul é tonnant, elle avait des yeux de romance, le regard preneur, mais un nez solide, un tarin, sa vraie pé nitence. Quand je voulais un peu l’humilier: « Sans char! que je lui faisais, Mireille! t’as un vrai nez d’homme!... » Elle savait raconter aussi de trè s belles histoires, comme un marin elle aimait ç a. Elle a inventé mille choses pour me faire plaisir d’abord et puis pour me nuire ensuite. Ma faiblesse à moi c’est d’é couter les bonnes histoires. Elle abusait voilà tout. Y a eu de la violence entre nous pour terminer nos rapports, mais c’est qu’elle avait mille fois mé rité la danse et mê me que je l’é tende. Elle en a convenu finalement. J’é tais vraiment bien gé né reux... Je l’ai punie pour le bon motif... Tout le monde l’a dit... Des gens qui savent...

Gustin Sabayot, sans lui faire de tort, je peux bien ré pé ter quand mê me qu’il s’arrachait pas les cheveux à propos des diagnostics. C’est sur les nuages qu’il s’orientait.

En quittant de chez lui il regardait d’abord tout en haut: « Ferdinand, qu’il me faisait, aujourd’hui ç a sera sû rement des rhumatismes! Cent sous! »... Il lisait tout ç a dans le ciel. Il se trompait jamais de beaucoup puisqu’il connaissait à fond la tempé rature et les tempé raments divers.

« Ah! voilà un coup de canicule aprè s les fraî cheurs! Retiens! C’est du calomel tu peux le dire dé jà ! La jaunisse est au fond de l’air! Le vent a tourné... Nord sur l’Ouest! Froid sur Averse!... C’est de la bronchite pendant quinze jours! C’est mê me pas la peine qu’ils se dé piautent!... Si c’est moi qui commandais, je ferais les ordonnances dans mon lit!... Au fond Ferdinand dè s qu’ils viennent c’est des bavardages!... Pour ceux qui en font commerce encore ç a s’explique... mais nous autres?... au Mois?... À quoi ç a rime?... je les soignerais moi sans les voir tiens les pilons! D’ici mê me! Ils en é toufferont ni plus ni moins! Ils vomiront pas davantage, ils seront pas moins jaunes, ni moins rouges, ni moins pâ les, ni moins cons... C’est la vie!... » Pour avoir raison Gustin, il avait vraiment raison.

« Tu les crois malades?... Ç a gé mit... ç a rote... ç a titube... ç a pustule... Tu veux vider ta salle d’attente? Instantané ment? mê me de ceux qui s’en é tranglent à se ramoner les glaviots?... Propose un coup de ciné ma!... un apé ro gratuit en face!... tu vas voir combien qu’il t’en reste... S’ils viennent te relancer c’est d’abord parce qu’ils s’emmerdent. T’en vois pas un la veille des fê tes... Aux malheureux, retiens mon avis, c’est l’occupation qui manque, c’est pas la santé... Ce qu’ils veulent c’est que tu les distrayes, les é moustilles, les intrigues avec leurs renvois... leurs gaz... leurs craquements... que tu leur dé couvres des rapports... des fiè vres... des gargouillages... des iné dits!... Que tu t’é tendes... que tu te passionnes... C’est pour ç a que t’as des diplô mes... Ah! s’amuser avec sa mort tout pendant qu’il la fabrique, ç a c’est tout l’Homme, Ferdinand! Ils la garderont leur chaude-pisse, leur vé role, tous leurs tubercules. Ils en ont besoin! Et leur vessie bien baveuse, le rectum en feu, tout ç a n’a pas d’importance! Mais si tu te donnes assez de mal, si tu sais les passionner, ils t’attendront pour mourir, c’est ta ré compense! Ils te relanceront jusqu’au bout. » Quand la pluie revenait un coup entre les cheminé es de l’usine é lectrique: « Ferdinand! qu’il m’annonç ait, voilà les sciatiques!... S’il en vient pas dix aujourd’hui, je peux rendre mon papelard au Doyen! » Mais quand la suie rabattait vers nous de l’Est, qu’est le versant le plus sec, par-dessus les fours Bitronnelle, il s’é crasait une suie sur le nez: « Je veux ê tre enculé ! tu m’entends! si cette nuit mê me les pleuré tiques crachent pas leurs caillots! Merde à Dieu!... Je serai encore ré veillé vingt fois!... »

Des soirs il simplifiait tout. Il montait sur l’escabeau devant la colossale armoire aux é chantillons. C’é tait la distribution directe, gratuite et pas solennelle de la pharmacie...

« Vous avez des palpitations? vous l’Haricot vert? qu’il demandait à la miteuse. — J’en ai pas!... — Vous avez pas des aigreurs?... Et des pertes?... — Si! un petit peu... — Alors prenez de ç a où je pense... dans deux litres d’eau... ç a vous fera un bien é norme!... Et les jointures? Elles vous font mal!... Vous avez pas d’hé morroï des? Et à la selle on y va?... Voilà des suppositoires Pepet!... Des vers aussi? Avez remarqué ?... Tenez vingt-cinq gouttes miroboles... Au coucher!... »

Il proposait tous ses rayons... Y en avait pour tous les dé rè glements, toutes les diathè ses et les manies... Un malade c’est horriblement cupide. Du moment qu’il peut se jeter une saloperie dans le cornet il en demande pas davantage il est content de se trisser, il a grand-peur qu’on le rappelle.

Au coup du cadeau je l’ai vu moi, Gustin, ré tré cir à dix minutes des consultations qu’auraient duré au moins deux heures conduites avec des pré cautions. Mais j’avais plus rien à apprendre sur la maniè re d’abré ger. J’avais mon petit systè me à moi.

C’est à propos de ma Lé gende que je voulais lui causer. On avait retrouvé le dé but sous le lit de Mireille. J’é tais bien dé ç u de la relire. Elle avait pas gagné au temps ma romance. Aprè s des anné es d’oubli c’est plus qu’une fê te dé modé e l’ouvrage d’imagination... Enfin avec Gustin j’aurais toujours une opinion libre et sincè re. Je l’ai mis tout de suite dans l’ambiance.



  

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