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LE NOM DE LA ROSE 48 страницаAfricae, parce que là devrait se trouver la ré ponse finale. Ensuite nous devons sauver une personne, je n’ai pas encore dé cidé laquelle. Enfin, nous devrions nous attendre à quelque chose du cô té des é tables, que toi, tu ne perdras pas de vue... Regarde, il y a du mouvement... » De fait, l’espace entre l’É difice et le cloî tre s’é tait singuliè rement animé. Peu auparavant, un novice qui provenait de la ré sidence de l’Abbé avait couru vers l’É difice. A pré sent, Nicolas en sortait, qui prenait la direction des dortoirs. Dans un coin, le groupe de la matiné e, Pacifico, Aymaro et Pierre, parlaient serré avec Alinardo, comme pour le convaincre de quelque chose. Puis ils parurent prendre une dé cision. Aymaro soutint Alinardo, encore ré ticent, et il s’achemina avec lui vers la ré sidence abbatiale. Ils allaient y entrer, lorsque du dortoir sortit Nicolas, qui guidait Jorge dans la mê me direction. Il vit les deux autres qui entraient, susurra quelque chose à l’oreille de Jorge, le vieillard branla du chef, et ils poursuivirent quand mê me vers le chapitre. « L’Abbé prend en main la situation... » murmura Guillaume avec scepticisme. De l’É difice s’é coulait un autre flot de moines qui auraient dû se trouver dans le scriptorium, suivis sitô t aprè s pai Bence, qui se porta à notre rencontre, la mine encore plus pré occupé e. « Il y a effervescence dans le scriptorium, nous dit-il, personne ne, travaille, ils parlent tous entre eux avec agitation... Qu’arrive-t-il? — Il arrive que les personnes sur lesquelles semblaient peser jusqu’à ce matin les soupç ons les plus lourds, sont toutes mortes. Jusqu’à hier, tous se gardaient de Bé renger, sot et faux et lubrique, puis du cellé rier, hé ré tique suspect, enfin de Malachie, si dé testé de chacun... A pré sent, ils ne savent plus de qui se garder, et ils ont un besoin urgent de trouver un ennemi, ou un bouc é missaire. Et chacun de soupç onner l’autre, certains ont peur, comme toi, d’autres ont dé cidé de faire peur à quelqu’un d’autre. Tous autant que vous ê tes, je vous trouve trop agité s. Adso, donne de temps en temps un coup d’oeil aux é curies. Moi, je vais me reposer. » J’aurais dû m’é tonner: aller se reposer quand il n’avait plus qu’une poigné e d’heures à sa disposition, ne semblait pas la solution la plus sage. Mais dé sormais, je connaissais mon maî tre. Plus son corps é tait dé tendu, plus son esprit bouillonnait.
Sixiè me jour ENTRE VÊ PRES ET COMPLIES Où briè vement l’on raconte de longues heures de dé sarroi. Il m’est difficile de raconter ce qu’il advint dans les heures qui suivirent, entre vê pres et complies. Guillaume é tait absent. Moi j’errais autour des é curies, mais sans rien remarquer d’anormal. Les gardiens de chevaux faisaient rentrer les bê tes, que le vent rendait inquiè tes, mais pour le reste tout é tait tranquille. J’entrai dans l’é glise. Ils é taient dé jà tous à leur place dans les stalles, mais l’Abbé releva l’absence de Jorge. D’un geste il retarda le dé but de l’office. Il hé la Bence pour qu’il allâ t le chercher. Bence n’é tait pas là. Quelqu’un fit observer qu’il se disposait probablement à fermer le scriptorium. L’Abbé dit, irrité, qu’il avait é té é tabli que Bence ne fermâ t rien du tout parce qu’il ne connaissait pas les rè gles. Aymaro d’Alexandrie se leva de sa place: « Si votre paternité le consent, je vais l’appeler moi... — Personne ne t’a demandé quoi que ce soit », dit brutalement l’Abbé, et Aymaro regagna sa place, non sans avoir lancé un regard indé finissable à Pacifico de Tivoli. L’Abbé appela Nicolas, qui n’é tait pas là. Ils lui rappelè rent qu’il é tait en train de veiller à la pré paration du repas, et il eut un geste de dé sappointement, comme s’il lui dé plaisait fort de montrer à tout le monde qu’il se trouvait dans cet é tat d’excitation. « Je veux Jorge ici, cria-t-il, cherchez-le! Va, toi », ordonna-t-il au maî tre des novices. Un autre lui fit remarquer qu’il manquait aussi Alinardo. « Je le sais, dit l’Abbé, il est malade. » Je me trouvais tout prè s de Pierre de Sant’Albano et je l’entendis chuchoter à son voisin, Gunzo de Nola, en une langue vulgaire de l’Italie centrale, qu’en partie je comprenais: « Je crois bien. Aujourd’hui, quand il est sorti aprè s l’entretien, le pauvre vieux é tait bouleversé. Abbon se comporte comme la putain d’Avignon! » Les novices se trouvaient dé sorienté s, avec leur sensibilité d’enfants ignorants, ils ressentaient toutefois la tension qui ré gnait dans le choeur, comme je la ressentais moi aussi. Quelques longs moments de silence et d’embarras passè rent. L’Abbé donna l’ordre de ré citer des psaumes, et il en indiqua trois au hasard, qui n’é taient pas prescrits par la rè gle pour vê pres. Ils se regardè rent tous les uns les autres, puis ils se mirent à prier à voix basse. Revint le maî tre des novices, suivi de Bence qui rejoignit sa place, tê te basse. Jorge n’é tait pas dans le scriptorium et il n’é tait pas dans sa cellule. L’Abbé donna l’ordre que l’office commenç â t. A la fin, avant qu’ils ne descendissent tous pour le souper, je fus appeler Guillaume. Il se trouvait allongé sur son grabat, habillé, immobile. Il dit qu’il ne pensait pas qu’il é tait si tard. Je lui racontai en peu de mots le dernier incident. Il secoua la tê te. Sur le seuil du ré fectoire nous vî mes Nicolas, qui, quelques heures auparavant, avait accompagné Jorge. Guillaume lui demanda si le vieillard é tait entré tout de suite chez l’Abbé. Nicolas dit qu’il avait dû attendre longuement à la porte, car dans la salle il y avait Alinardo et Aymaro d’Alexandrie. Ensuite Jorge é tait entré, il é tait resté dedans un certain temps et lui l’avait attendu. Il é tait sorti et s’é tait fait accompagner dans l’é glise, une heure avant vê pres, encore dé serte. L’Abbé nous aperç ut, qui parlions avec le cellé rier. « Frè re Guillaume, ré primanda-t-il, vous ê tes encore en train d’enquê ter? » Il lui fit signe de s’asseoir à sa table, selon l’usage. L’hospitalité bé né dictine est sacré e. Le souper fut plus silencieux que d’habitude, et triste. L’Abbé mangeait à contrecoeur, opprimé par de sombres pensé es. Finalement, il dit aux moines de se hâ ter pour complies. Alinardo et Jorge é taient encore absents. Les moines se montraient la place vide de l’aveugle, en murmurant. A la fin du rite l’Abbé invita tout le monde à ré citer une priè re particuliè re pour la santé de Jorge de Burgos. On ne sut clairement s’il parlait de la santé corporelle ou de la santé é ternelle. Tous comprirent qu’un nouveau malheur s’apprê tait à bouleverser la communauté. Aprè s quoi l’Abbé ordonna à chacun de se presser, avec plus de diligence que d’habitude, vers son propre grabat. Il ordonna que personne, et il appuya sur le mot personne, ne s’attardâ t à circuler hors du dortoir. Les novices effrayé s sortirent les premiers, le capuchon sur la face, la tê te incliné e, sans s’é changer les plaisanteries, les coups de coude, les petits sourires, les malicieux et mysté rieux crocs-en- jambe par quoi ils é taient accoutumé s à se provoquer (car les novices, encore que moinillons, n’en demeurent pas moins toujours des enfants, et les semonces de leur maî tre n’ont guè re d’effets, qui ne peut les empê cher de se comporter souvent en enfants, comme le veut leur â ge tendre). Lorsque les adultes sortirent je pris la file, sans en avoir l’air, du groupe « italien ». Pacifico glissait à l’oreille d’Aymaro: « Tu crois que vraiment Abbon ne sait pas où est Jorge? » Et Aymaro ré pondait: « Il pourrait bien le savoir, et savoir que du lieu où il se trouve il ne reviendra plus jamais. Peut-ê tre le vieux en a-t-il trop voulu, et Abbon n’est-il plus disposé à le laisser tirer sur la corde... » Tandis que Guillaume et moi faisions mine de nous retirer dans l’hô tellerie, nous aperç û mes l’Abbé qui rentrait dans l’É difice par la porte du ré fectoire encore ouverte. Guillaume conseilla d’attendre un peu, puis quand l’esplanade fut vidé e de toute pré sence, il m’invita à le suivre. Nous traversâ mes rapidement les espaces vides et entrâ mes dans l’é glise.
Sixiè me jour APRÈ S COMPLIES Où, presque par hasard, Guillaume dé couvre le secret pour entrer dans le finis Africae. Nous nous embusquâ mes, comme deux sicaires, prè s de l’entré e, derriè re une colonne, d’où l’on pouvait observer la chapelle des tê tes de morts. « Abbon est allé fermer l’É difice, dit Guillaume. Quand il aura barré les portes de l’inté rieur, il ne pourra plus sortir que par l’ossuaire. — Et puis? — Et puis nous verrons ce qu’il fait. » Nous ne pû mes savoir ce qu’il faisait. Une heure aprè s, il n’é tait pas encore sorti. Il est allé dans le finis Africae, dis-je. C’est possible, ré pondit Guillaume. Exercé à formuler mainte hypothè se, j’ajoutai: peut-ê tre est-il sorti de nouveau du ré fectoire pour aller à la recherche de Jorge. Et Guillaume: c’est possible aussi. Peut-ê tre Jorge est-il dé jà mort, imaginai-je encore. Peut-ê tre se trouvet- il dans l’É difice en train de tuer l’Abbé. Peut-ê tre sontils tous deux ailleurs, et quelqu’un leur tend-il un guetapens. Que voulaient les « Italiens »? et pourquoi Bence é tait-il si effrayé ? N’é tait-ce point là peut-ê tre un masque qu’il avait placé sur son visage pour nous tromper? Pourquoi s’é tait-il attardé dans le scriptorium pendant vê pres, s’il ne savait ni comment fermer ni comment sortir? Voulait- il tenter le chemin du labyrinthe? « Tout est possible, dit Guillaume. Mais une seule chose est, ou a é té, ou est en train d’ê tre. Et enfin la misé ricorde divine nous enrichit pré sentement d’une lumineuse certitude. — Laquelle? demandai-je plein d’espoir. — Que frè re Guillaume de Baskerville, qui a dé sormais l’impression d’avoir tout compris, ne sait pas comment entrer dans le finis Africae. Aux é curies, Adso, aux é curies. — Et si l’Abbé nous y trouve? — Nous ferons semblant d’ê tre deux spectres. » La solution ne me sembla pas praticable, mais je me tus. Guillaume devenait nerveux. Nous sortî mes par le portail septentrional et passâ mes à travers le cimetiè re, tandis que le vent sifflait avec force, et je demandai au Seigneur de nous é viter à nous la rencontre de deux spectres, car cette nuit-là il n’y avait pas pé nurie d’â mes en peine dans l’abbaye. Nous parvî nmes aux é curies et entendî mes les chevaux piaffer, de plus en plus inquiets de la furie des é lé ments. La porte principale du bâ timent é tait faite, à hauteur de poitrine d’homme, d’une large grille de mé tal, par où l’on pouvait voir l’inté rieur. Nous entrevî mes dans l’obscurité la silhouette des chevaux, je reconnus Brunei car il é tait le premier à gauche. A sa droite, le troisiè me animal de la rangé e leva la tê te comme il sentait notre pré sence, et il hennit. Je souris: « Tertius equi, dis-je. — Quoi? demanda Guillaume. — Rien, je me souvenais de ce pauvre Salvatore. Il voulait faire qui sait quelle magie avec ce cheval, et avec son latin bien à lui, il le dé signait comme tertius equi. Qui serait le u. — L e u? demanda Guillaume qui avait suivi ma divagation sans y attacher beaucoup d’attention. — Oui, parce que tertius equi voudrait dire non pas le troisiè me cheval, mais le tiers du cheval, et la troisiè me lettre du mot cheval est le u. Mais c’est une bê tise... » Guillaume me regarda, et dans l’obscurité j’eus l’impression que son visage s’alté rait: « Que Dieu te bé nisse, Adso! dit-il. Mais bien sû r, suppositio materialis, il faut prendre le discours de dicto et pas de re... Quel idiot je fais! » Il s’envoya une grande tape sur le front, la main largement ouverte, tant et si bien qu’un claquement s’ensuivit, et je crois qu’il s’é tait fait mal. « Mon garç on, c’est la deuxiè me fois aujourd’hui que par ta bouche parle la sagesse, d’abord en rê ve et à pré sent en é tat de veille! Cours, cours dans ta cellule prendre la lampe, mieux: les deux que nous avons caché es. Ne te fais pas voir, et rejoins-moi aussitô t dans l’é glise! Ne pose pas de questions, va! » J’allai sans poser de questions. Les lampes é taient sous ma paillasse, remplies d’huile, car j’avais dé jà pris soin de les alimenter. J’avais la pierre à feu dans ma coule. Avec les deux pré cieux instruments contre ma poitrine, je courus à l’é glise. Guillaume é tait sous le tré pied et relisait le parchemin annoté par Venantius. « Adso, me dit-il, primum et septimum{222} de quatuor ne signifie pas le premier et le septiè me des quatre, mais du quatre, du mot quatre! » Je ne comprenais toujours pas, puis j’eus une illumination: « Super thronos viginti quatuor! L’inscription! Le verset! Les mots qui sont gravé s au-dessus du miroir! — Allons! dit Guillaume, peut-ê tre pouvons-nous encore sauver une vie! — La vie de qui? demandai-je alors qu’il é tait dé jà en train de s’affairer autour des crâ nes et d’ouvrir le passage de l’ossuaire. — De quelqu’un qui ne le mé rite pas », dit-il. Et nous é tions dé jà dans le boyau souterrain, les lampes allumé es, vers la porte qui menait aux cuisines. J’ai dé jà dit qu’à ce point-là on poussait un huis de bois et qu’on se retrouvait dans les cuisines derriè re la cheminé e, au pied de l’escalier à vis qui desservait le scriptorium. Et pré cisé ment au moment où nous poussions cette porte, nous entendî mes sur notre gauche des bruits sourds dans le mur. Ils provenaient de la paroi jouxtant la porte, le long de laquelle se terminait la rangé e des niches dé bordant de crâ nes et d’os. A cet endroit, au lieu de la derniè re niche, il y avait un pan de paroi pleine, fait de grands blocs de pierre carré s, avec une vieille plaque au centre, qui portait gravé s des monogrammes en partie effacé s. Les coups provenaient, semblait-il, de derriè re la plaque de pierre, ou bien de dessus la plaque, en partie derriè re la paroi, en partie au-dessus de notre tê te. Si un tel bruit s’é tait produit la premiè re nuit, j’eusse aussitô t pensé aux moines morts. Dé sormais j’é tais prê t à attendre le pire de la part des moines vivants. « Qui cela peut-il ê tre? » demandai-je. Guillaume ouvrit la porte et sortit derriè re la cheminé e. Les coups, on les entendait aussi le long de la paroi qui longeait l’escalier à vis, comme si quelqu’un é tait prisonnier dans le mur, autrement dit dans cette é paisseur de paroi (imposante en vé rité ) qui é tait comprise, selon toute probabilité, entre le mur inté rieur de la cuisine et l’exté rieur de la tour mé ridionale. « Il y a quelqu’un d’enfermé là -dedans, dit Guillaume. Je m’é tais toujours demandé s’il n’existait pas un autre accè s au finis Africae, dans cet É difice aux multiples passages. Evidemment, il existe; dans l’ossuaire, avant de monter aux cuisines, s’ouvre un pan de paroi et on grimpe à travers un escalier parallè le à celui-ci, dé robé dans le mur, donnant directement dans la piè ce muré e. — Mais à pré sent, qui y a-t-il dedans? — La seconde personne. L’une est dans le finis Africae, l’autre a cherché à la rejoindre, mais celle d’en haut doit avoir bloqué le mé canisme qui commande les deux entré es. C’est ainsi que le visiteur a é té pris au piè ge. Et il doit s’agiter comme un diable, car j’imagine qu’il ne passe pas beaucoup d’air dans ce boyau. — Et qui est-ce? Sauvons-le! — Qui c’est, nous le verrons d’ici peu. Et quant à le sauver, on ne pourra le faire qu’en dé bloquant le mé canisme d’en haut, parce que de ce cô té -ci nous ne connaissons pas le secret. Donc, grimpons vite. » Ainsi fî mes-nous; nous montâ mes au scriptô rium, et de là au labyrinthe, et nous atteignî mes en trè s peu de temps la tour mé ridionale. Il me fallut, à deux reprises, brider mon é lan, car le vent de ce soir-là pé né trant dans les rayè res, cré ait des courants d’air qui, s’insinuant à travers ces fentes, parcouraient les salles en gé missant, soufflant sur les tables aux feuillets é pars, et je devais proté ger la flamme de ma main. Nous fû mes promptement rendus dans la piè ce au miroir, tout à fait pré paré s au jeu dé formant qui nous attendait. Nous é levâ mes nos lampes pour é clairer les versets qui bordaient le sommet du cadre, super thronos viginti quatuor... Dé sormais le secret é tait é clairci: le mot quatuor a sept lettres, il fallait actionner le q et le r. Tout excité, je pensai le faire moi-mê me: d’un geste vif je dé posai ma lampe sur la table au centre de la piè ce, mais mon mouvement fut si nerveux que la flamme lé cha la reliure d’un livre qui s’y trouvait posé. « Attention, ne fais pas l’idiot! » cria Guillaume, et d’un souffle il é teignit la flamme. « Tu veux mettre le feu à la bibliothè que? » Je m’excusai et m’apprê tai à rallumer la lampe. « Peu importe, dit Guillaume, la mienne suffit. Prends-la et é claire-moi, car l’inscription est trop haute, et toi tu n’y arriverais pas. Pressons. — Et si dedans il y avait quelqu’un d’armé ? » demandai-je, tandis que Guillaume, presque à tâ tons, cherchait les lettres fatales, se dressant sur la pointe des pieds, grand comme il é tait, pour toucher le verset apocalyptique. « Eclaire-moi, par le dé mon, et n’aie crainte, Dieu est avec nous! » me ré pondit-il sans trop de cohé rence. Ses doigts touchaient le q de quatuor, et moi qui me trouvais quelques pas en arriè re, je voyais mieux que lui ce qu’il faisait. J’ai dé jà dit que les lettres des versets paraissaient gravé es en creux dans le mur: d’é vidence celles du mot quatuor é taient fabriqué es avec des formes de mé tal, derriè res lesquelles se trouvait encastré et muré un prodigieux mé canisme. Car, lorsqu’il fut poussé en avant, le q fit entendre comme un dé clic sec, et il arriva de mê me lorsque Guillaume actionna le r. Le cadre entier du miroir eut comme un sursaut, et la surface vitré e se dé plaç a brusquement en arriè re. Le miroir é tait une porte, qui tournait du cô té gauche sur ses gonds. Guillaume glissa la main dans l’ouverture qui s’é tait cré é e entre le bord droit et le mur, et il tira à lui. En grinç ant la porte s’ouvrit vers nous. Guillaume se faufila dans l’espace libre et je me coulai dans ses pas, la lampe haute au-dessus de ma tê te. Deux heures aprè s complies, à la fin du sixiè me jour, au coeur de la nuit où commenç ait le septiè me jour, nous avions pé né tré dans le finis Africae. SEPTIÈ ME JOUR Septiè me jour NUIT Où, à ré sumer les ré vé lations prodigieuses dont on parle ici, le titre devrait ê tre aussi long que le chapitre, ce qui est contraire à l’usage. Nous nous trouvâ mes sur le seuil d’une piè ce semblable par sa forme aux trois autres piè ces aveugles heptagonales, où ré gnait une forte odeur de renfermé et de livres macé ré s dans l’humidité. La lampe que je tenais haut é claira d’abord la voû te, puis j’abaissai le bras, à droite et à gauche, et la flamme souffla de vagues clarté s sur les é tagè res é loigné es, le long des murs. Enfin nous vî mes au centre une table, chargé e de parchemins, et derriè re la table, une silhouette assise, qui paraissait nous attendre immobile dans le noir, si toutefois elle é tait encore vivante. Avant que la lumiè re n’en illuminâ t le visage, Guillaume parla. « Bonne et heureuse nuit, vé né rable Jorge, dit-il. Tu nous attendais? » La lampe à pré sent, comme nous avanç â mes de quelques pas, é clairait le visage du vieux, qui nous regardait comme s’il voyait. « C’est toi, Guillaume de Baskerville? demanda-t-il. Je t’attends depuis cet aprè s-midi avant vê pres, quand je vins m’enfermer ici. Je savais que tu viendrais. — Et l’Abbé ? demanda Guillaume. C’est lui qui s’agite dans l’escalier secret? » Jorge eut un instant d’hé sitation: « Il est encore vivant? demanda-t-il. Je croyais que l’air lui avait dé jà manqué. — Avant que nous commencions à parler, dit Guillaume, je voudrais le sauver. Toi, tu peux ouvrir de ce cô té. — Non, dit Jorge avec lassitude, je ne le puis plus. Le mé canisme se manoeuvre d’en bas en pressant sur la plaque, et ici, en haut, se dé clenche un levier qui ouvre une porte là au fond, derriè re cette armoire (et il fit un signe par-dessus son é paule), tu pourrais voir à cô té de l’armoire une roue avec des contrepoids, qui commande le mé canisme d’en haut. Mais lorsque d’ici j’ai entendu la roue tourner, signe qu’Abbon é tait entré en bas, j’ai donné un coup sec à la corde qui soutient les poids, et la corde s’est rompue. A pré sent le passage est fermé, d’un cô té comme de l’autre, et tu ne pourrais pas renouer les fils de ce dispositif. L’Abbé est mort. — Pourquoi l’as-tu tué ? — Aujourd’hui, quand il m’a mandé d’urgence, c’é tait pour me dire que grâ ce à toi il avait tout dé couvert. Il ne savait pas encore ce que j’avais voulu proté ger, il n’a jamais compris exactement quels é taient les tré sors, et les fins de la bibliothè que. Il m’a demandé de lui expliquer ce qu’il ne savait pas. Il voulait voir ouvrir le finis Africae. Le groupe des Italiens lui avait demandé de mettre fin à ce qu’ils appelaient le mystè re alimenté par moi et par mes pré dé cesseurs. Ils sont tourmenté s par la convoitise de choses nouvelles... — Et toi, tu as dû lui promettre que tu viendrais ici et que tu mettrais fin à ta vie, comme tu avais mis fin à celle des autres, de maniè re que l’honneur de l’abbaye fû t sauf et que personne ne sû t rien. Ensuite tu lui as indiqué le chemin pour venir, plus tard, vé rifier. En revanche, tu l’attendais pour le tuer, lui. Tu ne pensais pas qu’il pû t entrer par le miroir? — Non, Abbon est petit de taille, il n’aurait pas é té capable d’arriver tout seul au verset. Je lui ai indiqué ce passage, que moi seul connaissais encore. C’est celui que j’ai utilisé moi-mê me pendant tant d’anné es, car c’é tait plus simple, dans le noir. Il suffisait d’arriver à la chapelle, et puis de suivre les os des morts, jusqu’au bout du passage. — Ainsi tu l’as fait venir ici en sachant que tu le tuerais... — Je ne pouvais plus avoir confiance en lui non plus. Il é tait é pouvanté. Il é tait devenu cé lè bre à Fossanova pour avoir ré ussi à faire descendre un corps le long d’un escalier à vis. Injuste gloire. Maintenant il est mort pour n’avoir pas ré ussi à faire monter le sien. — Tu t’en es servi pendant quarante ans. Quand tu t’es aperç u que tu devenais aveugle et que tu ne pourrais pas continuer à contrô ler la bibliothè que, tu as habilement manoeuvré. Tu as fait é lire abbé un homme auquel tu pouvais te fier, et tu as fait nommer bibliothé caire d’abord Robert de Bobbio, que tu pouvais instruire selon ton bon plaisir, puis Malachie, qui avait besoin de ton aide et ne faisait pas un pas sans te consulter. Pendant quarante ans tu as é té le maî tre de cette abbaye. Voilà ce que le groupe des Italiens avait compris, voilà ce qu’Alinardo ré pé tait,
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