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LE NOM DE LA ROSE 48 страница



Africae, parce que là devrait se trouver la ré ponse finale.

Ensuite nous devons sauver une personne, je n’ai pas

encore dé cidé laquelle. Enfin, nous devrions nous attendre

à quelque chose du cô té des é tables, que toi, tu ne perdras

pas de vue... Regarde, il y a du mouvement... »

De fait, l’espace entre l’É difice et le cloî tre s’é tait

singuliè rement animé. Peu auparavant, un novice qui

provenait de la ré sidence de l’Abbé avait couru vers

l’É difice. A pré sent, Nicolas en sortait, qui prenait la

direction des dortoirs. Dans un coin, le groupe de la

matiné e, Pacifico, Aymaro et Pierre, parlaient serré avec

Alinardo, comme pour le convaincre de quelque chose.

Puis ils parurent prendre une dé cision. Aymaro

soutint Alinardo, encore ré ticent, et il s’achemina avec lui

vers la ré sidence abbatiale. Ils allaient y entrer, lorsque

du dortoir sortit Nicolas, qui guidait Jorge dans la mê me

direction. Il vit les deux autres qui entraient, susurra

quelque chose à l’oreille de Jorge, le vieillard branla du

chef, et ils poursuivirent quand mê me vers le chapitre.

« L’Abbé prend en main la situation... » murmura

Guillaume avec scepticisme. De l’É difice s’é coulait un

autre flot de moines qui auraient dû se trouver dans le

scriptorium, suivis sitô t aprè s pai Bence, qui se porta à

notre rencontre, la mine encore plus pré occupé e.

« Il y a effervescence dans le scriptorium, nous dit-il,

personne ne, travaille, ils parlent tous entre eux avec

agitation... Qu’arrive-t-il?

— Il arrive que les personnes sur lesquelles

semblaient peser jusqu’à ce matin les soupç ons les plus

lourds, sont toutes mortes. Jusqu’à hier, tous se gardaient

de Bé renger, sot et faux et lubrique, puis du cellé rier,

hé ré tique suspect, enfin de Malachie, si dé testé de

chacun... A pré sent, ils ne savent plus de qui se garder, et

ils ont un besoin urgent de trouver un ennemi, ou un bouc

é missaire. Et chacun de soupç onner l’autre, certains ont

peur, comme toi, d’autres ont dé cidé de faire peur à

quelqu’un d’autre. Tous autant que vous ê tes, je vous

trouve trop agité s. Adso, donne de temps en temps un

coup d’oeil aux é curies. Moi, je vais me reposer. »

J’aurais dû m’é tonner: aller se reposer quand il

n’avait plus qu’une poigné e d’heures à sa disposition, ne

semblait pas la solution la plus sage. Mais dé sormais, je

connaissais mon maî tre. Plus son corps é tait dé tendu, plus

son esprit bouillonnait.

 

Sixiè me jour

ENTRE VÊ PRES ET COMPLIES

Où briè vement l’on raconte de longues heures de

dé sarroi.

Il m’est difficile de raconter ce qu’il advint dans les

heures qui suivirent, entre vê pres et complies.

Guillaume é tait absent. Moi j’errais autour des

é curies, mais sans rien remarquer d’anormal. Les

gardiens de chevaux faisaient rentrer les bê tes, que le

vent rendait inquiè tes, mais pour le reste tout é tait

tranquille.

J’entrai dans l’é glise. Ils é taient dé jà tous à leur

place dans les stalles, mais l’Abbé releva l’absence de

Jorge. D’un geste il retarda le dé but de l’office. Il hé la

Bence pour qu’il allâ t le chercher. Bence n’é tait pas là.

Quelqu’un fit observer qu’il se disposait probablement à

fermer le scriptorium. L’Abbé dit, irrité, qu’il avait é té

é tabli que Bence ne fermâ t rien du tout parce qu’il ne

connaissait pas les rè gles. Aymaro d’Alexandrie se leva de

sa place: « Si votre paternité le consent, je vais l’appeler

moi...

— Personne ne t’a demandé quoi que ce soit », dit

brutalement l’Abbé, et Aymaro regagna sa place, non sans

avoir lancé un regard indé finissable à Pacifico de Tivoli.

L’Abbé appela Nicolas, qui n’é tait pas là. Ils lui

rappelè rent qu’il é tait en train de veiller à la pré paration

du repas, et il eut un geste de dé sappointement, comme

s’il lui dé plaisait fort de montrer à tout le monde qu’il se

trouvait dans cet é tat d’excitation.

« Je veux Jorge ici, cria-t-il, cherchez-le! Va, toi »,

ordonna-t-il au maî tre des novices.

Un autre lui fit remarquer qu’il manquait aussi

Alinardo. « Je le sais, dit l’Abbé, il est malade. » Je me

trouvais tout prè s de Pierre de Sant’Albano et je

l’entendis chuchoter à son voisin, Gunzo de Nola, en une

langue vulgaire de l’Italie centrale, qu’en partie je

comprenais: « Je crois bien. Aujourd’hui, quand il est

sorti aprè s l’entretien, le pauvre vieux é tait bouleversé.

Abbon se comporte comme la putain d’Avignon! »

Les novices se trouvaient dé sorienté s, avec leur

sensibilité d’enfants ignorants, ils ressentaient toutefois la

tension qui ré gnait dans le choeur, comme je la ressentais

moi aussi. Quelques longs moments de silence et

d’embarras passè rent. L’Abbé donna l’ordre de ré citer

des psaumes, et il en indiqua trois au hasard, qui n’é taient

pas prescrits par la rè gle pour vê pres. Ils se regardè rent

tous les uns les autres, puis ils se mirent à prier à voix

basse. Revint le maî tre des novices, suivi de Bence qui

rejoignit sa place, tê te basse. Jorge n’é tait pas dans le

scriptorium et il n’é tait pas dans sa cellule. L’Abbé donna

l’ordre que l’office commenç â t.

A la fin, avant qu’ils ne descendissent tous pour le

souper, je fus appeler Guillaume. Il se trouvait allongé sur

son grabat, habillé, immobile. Il dit qu’il ne pensait pas

qu’il é tait si tard. Je lui racontai en peu de mots le dernier

incident. Il secoua la tê te.

Sur le seuil du ré fectoire nous vî mes Nicolas, qui,

quelques heures auparavant, avait accompagné Jorge.

Guillaume lui demanda si le vieillard é tait entré tout de

suite chez l’Abbé. Nicolas dit qu’il avait dû attendre

longuement à la porte, car dans la salle il y avait Alinardo

et Aymaro d’Alexandrie. Ensuite Jorge é tait entré, il é tait

resté dedans un certain temps et lui l’avait attendu. Il

é tait sorti et s’é tait fait accompagner dans l’é glise, une

heure avant vê pres, encore dé serte.

L’Abbé nous aperç ut, qui parlions avec le cellé rier.

« Frè re Guillaume, ré primanda-t-il, vous ê tes encore en

train d’enquê ter? » Il lui fit signe de s’asseoir à sa table,

selon l’usage. L’hospitalité bé né dictine est sacré e.

Le souper fut plus silencieux que d’habitude, et

triste. L’Abbé mangeait à contrecoeur, opprimé par de

sombres pensé es. Finalement, il dit aux moines de se

hâ ter pour complies.

Alinardo et Jorge é taient encore absents. Les moines

se montraient la place vide de l’aveugle, en murmurant. A

la fin du rite l’Abbé invita tout le monde à ré citer une

priè re particuliè re pour la santé de Jorge de Burgos. On

ne sut clairement s’il parlait de la santé corporelle ou de la

santé é ternelle. Tous comprirent qu’un nouveau malheur

s’apprê tait à bouleverser la communauté. Aprè s quoi

l’Abbé ordonna à chacun de se presser, avec plus de

diligence que d’habitude, vers son propre grabat. Il

ordonna que personne, et il appuya sur le mot personne,

ne s’attardâ t à circuler hors du dortoir. Les novices

effrayé s sortirent les premiers, le capuchon sur la face, la

tê te incliné e, sans s’é changer les plaisanteries, les coups

de coude, les petits sourires, les malicieux et mysté rieux

crocs-en- jambe par quoi ils é taient accoutumé s à se

provoquer (car les novices, encore que moinillons, n’en

demeurent pas moins toujours des enfants, et les

semonces de leur maî tre n’ont guè re d’effets, qui ne peut

les empê cher de se comporter souvent en enfants, comme

le veut leur â ge tendre).

Lorsque les adultes sortirent je pris la file, sans en

avoir l’air, du groupe « italien ». Pacifico glissait à l’oreille

d’Aymaro: « Tu crois que vraiment Abbon ne sait pas où

est Jorge? » Et Aymaro ré pondait: « Il pourrait bien le

savoir, et savoir que du lieu où il se trouve il ne reviendra

plus jamais. Peut-ê tre le vieux en a-t-il trop voulu, et

Abbon n’est-il plus disposé à le laisser tirer sur la

corde... »

Tandis que Guillaume et moi faisions mine de nous

retirer dans l’hô tellerie, nous aperç û mes l’Abbé qui

rentrait dans l’É difice par la porte du ré fectoire encore

ouverte. Guillaume conseilla d’attendre un peu, puis

quand l’esplanade fut vidé e de toute pré sence, il m’invita

à le suivre. Nous traversâ mes rapidement les espaces

vides et entrâ mes dans l’é glise.

 

Sixiè me jour

APRÈ S COMPLIES

Où, presque par hasard, Guillaume dé couvre le secret

pour entrer dans le finis Africae.

Nous nous embusquâ mes, comme deux sicaires, prè s

de l’entré e, derriè re une colonne, d’où l’on pouvait

observer la chapelle des tê tes de morts.

« Abbon est allé fermer l’É difice, dit Guillaume.

Quand il aura barré les portes de l’inté rieur, il ne pourra

plus sortir que par l’ossuaire.

— Et puis?

— Et puis nous verrons ce qu’il fait. »

Nous ne pû mes savoir ce qu’il faisait. Une heure

aprè s, il n’é tait pas encore sorti. Il est allé dans le finis

Africae, dis-je. C’est possible, ré pondit Guillaume. Exercé

à formuler mainte hypothè se, j’ajoutai: peut-ê tre est-il

sorti de nouveau du ré fectoire pour aller à la recherche de

Jorge. Et Guillaume: c’est possible aussi. Peut-ê tre Jorge

est-il dé jà mort, imaginai-je encore. Peut-ê tre se trouvet-

il dans l’É difice en train de tuer l’Abbé. Peut-ê tre sontils

tous deux ailleurs, et quelqu’un leur tend-il un guetapens.

Que voulaient les « Italiens »? et pourquoi Bence

é tait-il si effrayé ? N’é tait-ce point là peut-ê tre un

masque qu’il avait placé sur son visage pour nous

tromper? Pourquoi s’é tait-il attardé dans le scriptorium

pendant vê pres, s’il ne savait ni comment fermer ni

comment sortir? Voulait- il tenter le chemin du

labyrinthe?

« Tout est possible, dit Guillaume. Mais une seule

chose est, ou a é té, ou est en train d’ê tre. Et enfin la

misé ricorde divine nous enrichit pré sentement d’une

lumineuse certitude.

— Laquelle? demandai-je plein d’espoir.

— Que frè re Guillaume de Baskerville, qui a

dé sormais l’impression d’avoir tout compris, ne sait pas

comment entrer dans le finis Africae. Aux é curies, Adso,

aux é curies.

— Et si l’Abbé nous y trouve?

— Nous ferons semblant d’ê tre deux spectres. »

La solution ne me sembla pas praticable, mais je me

tus. Guillaume devenait nerveux. Nous sortî mes par le

portail septentrional et passâ mes à travers le cimetiè re,

tandis que le vent sifflait avec force, et je demandai au

Seigneur de nous é viter à nous la rencontre de deux

spectres, car cette nuit-là il n’y avait pas pé nurie d’â mes

en peine dans l’abbaye. Nous parvî nmes aux é curies et

entendî mes les chevaux piaffer, de plus en plus inquiets

de la furie des é lé ments. La porte principale du bâ timent

é tait faite, à hauteur de poitrine d’homme, d’une large

grille de mé tal, par où l’on pouvait voir l’inté rieur. Nous

entrevî mes dans l’obscurité la silhouette des chevaux, je

reconnus Brunei car il é tait le premier à gauche. A sa

droite, le troisiè me animal de la rangé e leva la tê te comme

il sentait notre pré sence, et il hennit. Je souris: « Tertius

equi, dis-je.

— Quoi? demanda Guillaume.

— Rien, je me souvenais de ce pauvre Salvatore. Il

voulait faire qui sait quelle magie avec ce cheval, et avec

son latin bien à lui, il le dé signait comme tertius equi. Qui

serait le u.

— L e u? demanda Guillaume qui avait suivi ma

divagation sans y attacher beaucoup d’attention.

— Oui, parce que tertius equi voudrait dire non pas

le troisiè me cheval, mais le tiers du cheval, et la troisiè me

lettre du mot cheval est le u. Mais c’est une bê tise... »

Guillaume me regarda, et dans l’obscurité j’eus

l’impression que son visage s’alté rait: « Que Dieu te

bé nisse, Adso! dit-il. Mais bien sû r, suppositio materialis,

il faut prendre le discours de dicto et pas de re... Quel idiot

je fais! » Il s’envoya une grande tape sur le front, la main

largement ouverte, tant et si bien qu’un claquement

s’ensuivit, et je crois qu’il s’é tait fait mal. « Mon garç on,

c’est la deuxiè me fois aujourd’hui que par ta bouche parle

la sagesse, d’abord en rê ve et à pré sent en é tat de veille!

Cours, cours dans ta cellule prendre la lampe, mieux: les

deux que nous avons caché es. Ne te fais pas voir, et

rejoins-moi aussitô t dans l’é glise! Ne pose pas de

questions, va! »

J’allai sans poser de questions. Les lampes é taient

sous ma paillasse, remplies d’huile, car j’avais dé jà pris

soin de les alimenter. J’avais la pierre à feu dans ma coule.

Avec les deux pré cieux instruments contre ma poitrine, je

courus à l’é glise.

Guillaume é tait sous le tré pied et relisait le

parchemin annoté par Venantius.

« Adso, me dit-il, primum et septimum{222} de

quatuor ne signifie pas le premier et le septiè me des

quatre, mais du quatre, du mot quatre! » Je ne

comprenais toujours pas, puis j’eus une illumination:

« Super thronos viginti quatuor! L’inscription! Le

verset! Les mots qui sont gravé s au-dessus du miroir!

— Allons! dit Guillaume, peut-ê tre pouvons-nous

encore sauver une vie!

— La vie de qui? demandai-je alors qu’il é tait dé jà

en train de s’affairer autour des crâ nes et d’ouvrir le

passage de l’ossuaire.

— De quelqu’un qui ne le mé rite pas », dit-il. Et nous

é tions dé jà dans le boyau souterrain, les lampes allumé es,

vers la porte qui menait aux cuisines.

J’ai dé jà dit qu’à ce point-là on poussait un huis de

bois et qu’on se retrouvait dans les cuisines derriè re la

cheminé e, au pied de l’escalier à vis qui desservait le

scriptorium. Et pré cisé ment au moment où nous

poussions cette porte, nous entendî mes sur notre gauche

des bruits sourds dans le mur. Ils provenaient de la paroi

jouxtant la porte, le long de laquelle se terminait la rangé e

des niches dé bordant de crâ nes et d’os. A cet endroit, au

lieu de la derniè re niche, il y avait un pan de paroi pleine,

fait de grands blocs de pierre carré s, avec une vieille

plaque au centre, qui portait gravé s des monogrammes en

partie effacé s. Les coups provenaient, semblait-il, de

derriè re la plaque de pierre, ou bien de dessus la plaque,

en partie derriè re la paroi, en partie au-dessus de notre

tê te.

Si un tel bruit s’é tait produit la premiè re nuit, j’eusse

aussitô t pensé aux moines morts. Dé sormais j’é tais prê t à

attendre le pire de la part des moines vivants. « Qui cela

peut-il ê tre? » demandai-je.

Guillaume ouvrit la porte et sortit derriè re la

cheminé e. Les coups, on les entendait aussi le long de la

paroi qui longeait l’escalier à vis, comme si quelqu’un é tait

prisonnier dans le mur, autrement dit dans cette

é paisseur de paroi (imposante en vé rité ) qui é tait

comprise, selon toute probabilité, entre le mur inté rieur

de la cuisine et l’exté rieur de la tour mé ridionale.

« Il y a quelqu’un d’enfermé là -dedans, dit

Guillaume. Je m’é tais toujours demandé s’il n’existait pas

un autre accè s au finis Africae, dans cet É difice aux

multiples passages. Evidemment, il existe; dans

l’ossuaire, avant de monter aux cuisines, s’ouvre un pan

de paroi et on grimpe à travers un escalier parallè le à

celui-ci, dé robé dans le mur, donnant directement dans la

piè ce muré e.

— Mais à pré sent, qui y a-t-il dedans?

— La seconde personne. L’une est dans le finis

Africae, l’autre a cherché à la rejoindre, mais celle d’en

haut doit avoir bloqué le mé canisme qui commande les

deux entré es. C’est ainsi que le visiteur a é té pris au

piè ge. Et il doit s’agiter comme un diable, car j’imagine

qu’il ne passe pas beaucoup d’air dans ce boyau.

— Et qui est-ce? Sauvons-le!

— Qui c’est, nous le verrons d’ici peu. Et quant à le

sauver, on ne pourra le faire qu’en dé bloquant le

mé canisme d’en haut, parce que de ce cô té -ci nous ne

connaissons pas le secret. Donc, grimpons vite. »

Ainsi fî mes-nous; nous montâ mes au scriptô rium, et

de là au labyrinthe, et nous atteignî mes en trè s peu de

temps la tour mé ridionale. Il me fallut, à deux reprises,

brider mon é lan, car le vent de ce soir-là pé né trant dans

les rayè res, cré ait des courants d’air qui, s’insinuant à

travers ces fentes, parcouraient les salles en gé missant,

soufflant sur les tables aux feuillets é pars, et je devais

proté ger la flamme de ma main.

Nous fû mes promptement rendus dans la piè ce au

miroir, tout à fait pré paré s au jeu dé formant qui nous

attendait. Nous é levâ mes nos lampes pour é clairer les

versets qui bordaient le sommet du cadre, super thronos

viginti quatuor... Dé sormais le secret é tait é clairci: le mot

quatuor a sept lettres, il fallait actionner le q et le r. Tout

excité, je pensai le faire moi-mê me: d’un geste vif je

dé posai ma lampe sur la table au centre de la piè ce, mais

mon mouvement fut si nerveux que la flamme lé cha la

reliure d’un livre qui s’y trouvait posé.

« Attention, ne fais pas l’idiot! » cria Guillaume, et

d’un souffle il é teignit la flamme. « Tu veux mettre le feu

à la bibliothè que? »

Je m’excusai et m’apprê tai à rallumer la lampe.

« Peu importe, dit Guillaume, la mienne suffit. Prends-la

et é claire-moi, car l’inscription est trop haute, et toi tu n’y

arriverais pas. Pressons.

— Et si dedans il y avait quelqu’un d’armé ? »

demandai-je, tandis que Guillaume, presque à tâ tons,

cherchait les lettres fatales, se dressant sur la pointe des

pieds, grand comme il é tait, pour toucher le verset

apocalyptique.

« Eclaire-moi, par le dé mon, et n’aie crainte, Dieu est

avec nous! » me ré pondit-il sans trop de cohé rence. Ses

doigts touchaient le q de quatuor, et moi qui me trouvais

quelques pas en arriè re, je voyais mieux que lui ce qu’il

faisait. J’ai dé jà dit que les lettres des versets paraissaient

gravé es en creux dans le mur: d’é vidence celles du mot

quatuor é taient fabriqué es avec des formes de mé tal,

derriè res lesquelles se trouvait encastré et muré un

prodigieux mé canisme. Car, lorsqu’il fut poussé en avant,

le q fit entendre comme un dé clic sec, et il arriva de mê me

lorsque Guillaume actionna le r. Le cadre entier du miroir

eut comme un sursaut, et la surface vitré e se dé plaç a

brusquement en arriè re. Le miroir é tait une porte, qui

tournait du cô té gauche sur ses gonds. Guillaume glissa la

main dans l’ouverture qui s’é tait cré é e entre le bord droit

et le mur, et il tira à lui. En grinç ant la porte s’ouvrit vers

nous. Guillaume se faufila dans l’espace libre et je me

coulai dans ses pas, la lampe haute au-dessus de ma tê te.

Deux heures aprè s complies, à la fin du sixiè me jour,

au coeur de la nuit où commenç ait le septiè me jour, nous

avions pé né tré dans le finis Africae.

SEPTIÈ ME JOUR

Septiè me jour

NUIT

Où, à ré sumer les ré vé lations prodigieuses dont on parle

ici, le titre devrait ê tre aussi long que le chapitre, ce qui

est contraire à l’usage.

Nous nous trouvâ mes sur le seuil d’une piè ce semblable

par sa forme aux trois autres piè ces aveugles

heptagonales, où ré gnait une forte odeur de renfermé et

de livres macé ré s dans l’humidité. La lampe que je tenais

haut é claira d’abord la voû te, puis j’abaissai le bras, à

droite et à gauche, et la flamme souffla de vagues clarté s

sur les é tagè res é loigné es, le long des murs. Enfin nous

vî mes au centre une table, chargé e de parchemins, et

derriè re la table, une silhouette assise, qui paraissait nous

attendre immobile dans le noir, si toutefois elle é tait

encore vivante. Avant que la lumiè re n’en illuminâ t le

visage, Guillaume parla.

« Bonne et heureuse nuit, vé né rable Jorge, dit-il. Tu

nous attendais? »

La lampe à pré sent, comme nous avanç â mes de

quelques pas, é clairait le visage du vieux, qui nous

regardait comme s’il voyait.

« C’est toi, Guillaume de Baskerville? demanda-t-il.

Je t’attends depuis cet aprè s-midi avant vê pres, quand je

vins m’enfermer ici. Je savais que tu viendrais.

— Et l’Abbé ? demanda Guillaume. C’est lui qui

s’agite dans l’escalier secret? »

Jorge eut un instant d’hé sitation: « Il est encore

vivant? demanda-t-il. Je croyais que l’air lui avait dé jà

manqué.

— Avant que nous commencions à parler, dit

Guillaume, je voudrais le sauver. Toi, tu peux ouvrir de ce

cô té.

— Non, dit Jorge avec lassitude, je ne le puis plus. Le

mé canisme se manoeuvre d’en bas en pressant sur la

plaque, et ici, en haut, se dé clenche un levier qui ouvre

une porte là au fond, derriè re cette armoire (et il fit un

signe par-dessus son é paule), tu pourrais voir à cô té de

l’armoire une roue avec des contrepoids, qui commande le

mé canisme d’en haut. Mais lorsque d’ici j’ai entendu la

roue tourner, signe qu’Abbon é tait entré en bas, j’ai donné

un coup sec à la corde qui soutient les poids, et la corde

s’est rompue. A pré sent le passage est fermé, d’un cô té

comme de l’autre, et tu ne pourrais pas renouer les fils de

ce dispositif. L’Abbé est mort.

— Pourquoi l’as-tu tué ?

— Aujourd’hui, quand il m’a mandé d’urgence, c’é tait

pour me dire que grâ ce à toi il avait tout dé couvert. Il ne

savait pas encore ce que j’avais voulu proté ger, il n’a

jamais compris exactement quels é taient les tré sors, et les

fins de la bibliothè que. Il m’a demandé de lui expliquer ce

qu’il ne savait pas. Il voulait voir ouvrir le finis Africae. Le

groupe des Italiens lui avait demandé de mettre fin à ce

qu’ils appelaient le mystè re alimenté par moi et par mes

pré dé cesseurs. Ils sont tourmenté s par la convoitise de

choses nouvelles...

— Et toi, tu as dû lui promettre que tu viendrais ici

et que tu mettrais fin à ta vie, comme tu avais mis fin à

celle des autres, de maniè re que l’honneur de l’abbaye fû t

sauf et que personne ne sû t rien. Ensuite tu lui as indiqué

le chemin pour venir, plus tard, vé rifier. En revanche, tu

l’attendais pour le tuer, lui. Tu ne pensais pas qu’il pû t

entrer par le miroir?

— Non, Abbon est petit de taille, il n’aurait pas é té

capable d’arriver tout seul au verset. Je lui ai indiqué ce

passage, que moi seul connaissais encore. C’est celui que

j’ai utilisé moi-mê me pendant tant d’anné es, car c’é tait

plus simple, dans le noir. Il suffisait d’arriver à la chapelle,

et puis de suivre les os des morts, jusqu’au bout du

passage.

— Ainsi tu l’as fait venir ici en sachant que tu le

tuerais...

— Je ne pouvais plus avoir confiance en lui non plus.

Il é tait é pouvanté. Il é tait devenu cé lè bre à Fossanova

pour avoir ré ussi à faire descendre un corps le long d’un

escalier à vis. Injuste gloire. Maintenant il est mort pour

n’avoir pas ré ussi à faire monter le sien.

— Tu t’en es servi pendant quarante ans. Quand tu

t’es aperç u que tu devenais aveugle et que tu ne pourrais

pas continuer à contrô ler la bibliothè que, tu as habilement

manoeuvré. Tu as fait é lire abbé un homme auquel tu

pouvais te fier, et tu as fait nommer bibliothé caire d’abord

Robert de Bobbio, que tu pouvais instruire selon ton bon

plaisir, puis Malachie, qui avait besoin de ton aide et ne

faisait pas un pas sans te consulter. Pendant quarante ans

tu as é té le maî tre de cette abbaye. Voilà ce que le groupe

des Italiens avait compris, voilà ce qu’Alinardo ré pé tait,



  

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