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LE NOM DE LA ROSE 40 страница



dis que tu as tout inventé !

— Qu’est-ce que j’en sais, moi, seigneur, comment

elles s’appellent toutes ces ré sies... Paterins, boglolimes,

lé oniens, arnaldistes, jacobites, circoncis... Je ne suis point

homo literatus, peccavi sine malitia et le seigneur Bernard

trè s magnifique el sait, et j’espè re en son indulgentia in

nomine pâ tre et filio et spiritis sanctis...

— Nous serons indulgent autant que notre office

nous le permettra, dit l’inquisiteur, et nous pè serons avec

bienveillance paternelle la bonne volonté avec laquelle tu

nous as ouvert ton â me. Va, va, retourne mé diter dans ta

cellule et espè re en la misé ricorde du Seigneur.

Maintenant nous avons à dé battre une question d’une

tout autre importance. Or donc Ré migio, tu emportais

avec toi des lettres de Dolcino et tu les donnas à ton frè re

qui a charge de la bibliothè que...

— Ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai! » cria le

cellé rier, comme si cette dé fense avait encore quelque

efficacité. Et justement Bernard l’interrompit: « Mais ce

n’est pas de ta part que nous sert une confirmation, bien

plutô t de Malachie de Hildesheim. »

Il fit appeler le bibliothé caire; il ne se trouvait pas

parmi les pré sents. Moi, je savais qu’il é tait dans le

scriptorium, ou autour de l’hô pital, à la recherche de

Bence et du livre. On partit à ses trousses, et lorsqu’il

apparut, troublé et faisant son possible pour ne regarder

personne en face, Guillaume murmura tout dé sappointé :

« Et maintenant Bence pourra faire ce qu’il veut. » Mais il

se trompait, car je vis la tê te de Bence é merger au-dessus

des é paules de tous les moines qui s’entassaient aux

portes de la salle pour suivre l’interrogatoire. Je le

montrai à Guillaume. Nous pensâ mes alors que la

curiosité pour cet é vé nement é tait encore plus forte que

sa curiosité pour le livre. Nous apprî mes plus tard que, à

ce moment- là, il avait dé jà conclu un ignoble marché.

Malachie apparut donc devant les juges, sans jamais

croiser son regard avec celui du cellé rier.

« Malachie, dit Bernard, ce matin, aprè s les aveux de

Salvatore faits dans la nuit, je vous ai demandé si vous

aviez reç u de la part du pré venu ci-pré sent des lettres...

— Malachie! hurla le cellé rier, tu m’as juré il y a peu

que tu ne feras rien contre moi! »

Malachie se tourna à peine vers le pré venu, placé

derriè re lui, et dit d’une voix trè s basse, au point que

j’avais du mal à l’entendre: « Je ne suis pas un parjure. Si

je pouvais faire quelque chose contre toi, c’é tait dé jà fait.

Les lettres avaient é té remises au seigneur Bernard ce

matin, avant que tu n’aies tué Sé verin...

— Mais tu le sais, toi, tu dois le savoir que je n’ai pas

tué Sé verin! Tu le sais, parce que tu é tais dé jà là !

— Moi? demanda Malachie. Moi je suis entré là -bas

aprè s qu’ils t’ont dé couvert.

— Et quand bien mê me ce serait, interrompit

Bernard, que cherchais-tu chez Sé verin, Ré migio? »

Le cellé rier se retourna pour regarder Guillaume

avec des yeux é perdus, puis il regarda Malachie, puis

encore Bernard: « Mais... j’ai entendu ce matin frè re

Guillaume ici pré sent dire à Sé verin de bien garder

certains parchemins... et, depuis hier soir, aprè s la

capture de Salvatore, je tremblais qu’on ne parlâ t de ces

lettres...

— Alors tu sais quelque chose sur ces lettres! »

s’exclama triomphalement Bernard. Le cellé rier dè s lors

é tait pris au piè ge. Il se trouvait coincé entre deux

urgences, se disculper de l’accusation d’hé ré sie et é loigner

de lui le soupç on d’homicide. Il se ré solut probablement à

affronter la seconde accusation, d’instinct, car dé sormais il

agissait sans rè gle, et sans prudence: « Je parlerai des

lettres aprè s... je justifierai... je dirai comment j’en vins en

possession... Mais laissez-moi vous expliquer ce qui s’est

passé ce matin. Je pensais bien qu’on parlerait de ces

lettres, quand j’ai vu Salvatore tomber entre les mains du

seigneur Bernard, il y a des anné es que le souvenir de ces

lettres me tourmente le coeur... Alors quand j’entendis

Guillaume et Sé verin parler de feuillets... je ne sais, pris

par la peur, je pensai que Malachie s’en é tait dé barrassé

et les avait donné s à Sé verin... je voulais les dé truire et

c’est ainsi que j’allai chez Sé verin... la porte é tait ouverte

et Sé verin é tait dé jà mort, je me suis mis à fouiller au

milieu de ses affaires pour chercher les lettres... je

n’é prouvais que ma peur... »

Guillaume me murmura à l’oreille: « Pauvre idiot,

effrayé par un danger il a foncé tê te baissé e dans un

autre... »

« Admettons que tu dises presque – je dis presque –

la vé rité, intervint Bernard. Tu pensais que Sé verin avait

les lettres et tu les as cherché es chez lui. Et pourquoi astu

pensé qu’il les avait? Et pourquoi as-tu tué d’abord tes

autres frè res aussi? Peut-ê tre pensais-tu que ces lettres

circulaient depuis beau temps dans les mains de

beaucoup? Peut-ê tre a-t-on coutume dans cette abbaye

de donner la chasse aux reliques des hé ré tiques brû lé s? »

Je vis l’Abbé tressaillir. Il n’y avait rien de plus

insidieux que l’accusation de recueillir des reliques

d’hé ré tiques, et Bernard é tait trè s habile de mê ler les

crimes à l’hé ré sie, et le tout à la vie de l’abbaye. Je fus

interrompu dans mes ré flexions par le cellé rier qui criait

qu’il n’avait rien à voir avec les autres crimes. Bernard,

indulgent, le tranquillisa: ce n’é tait pas là, pour le

moment, la question dont on discutait, il é tait interrogé

pour crime d’hé ré sie, et qu’il ne tentâ t pas (et ici la voix

se fit sé vè re) de dé tourner l’attention de son passé

d’hé ré tique en parlant de Sé verin ou en cherchant de

faire peser des soupç ons sur Malachie. Qu’on en revî nt

donc aux lettres.

« Malachie de Hildesheim, dit-il tourné vers le

té moin, vous n’ê tes pas ici en tant qu’accusé. Ce matin

vous avez ré pondu à mes demandes et à ma requê te sans

essayer de rien cacher. Maintenant vous ré pé terez

devant ce tribunal ce que vous m’avez dit ce matin et

vous n’aurez rien à craindre.

— Je ré pè te ce que j’ai dit ce matin, dit Malachie.

Peu aprè s son arrivé e en ce lieu, Ré migio commenç a de

s’occuper des cuisines, et nous avions de fré quents

contacts pour des raisons de travail... moi, en tant que

bibliothé caire, je suis chargé de la fermeture nocturne de

tout l’É difice, et par consé quent des cuisines aussi... je n’ai

aucun motif de cacher que nous devî nmes des amis

fraternels, je n’avais aucune raison de nourrir des

soupç ons contre lui. Et lui me raconta qu’il avait certains

documents de nature secrè te, confié s à lui en confession,

qui ne devaient pas tomber sous les yeux de profanes, et

qu’il n’osait pas dé tenir plus longtemps. Comme j’avais la

garde de l’unique lieu du monastè re interdit à quiconque,

il me demanda de lui conserver ces feuilles de parchemin

loin de tout regard curieux, et je consentis, n’imaginant

pas que les documents é taient de nature hé ré tique, et je

ne les lus mê me pas avant de les placer... de les placer

dans l’endroit le plus retiré, le plus inaccessible de la

bibliothè que, et depuis lors j’avais oublié cet incident,

jusqu’au moment où ce matin le seigneur inquisiteur y a

fait allusion, et alors je suis allé les rechercher et les lui ai

remises... »

L’Abbé prit la parole, courroucé : « Pourquoi ne

m’as-tu pas tenu au courant de ton pacte avec le

cellé rier? La bibliothè que n’est pas une ré serve d’affaires

appartenant aux moines! » L’Abbé avait mis au clair que

l’abbaye n’avait rien à voir avec cette histoire.

« Seigneur, ré pondit confus Malachie, ce m’avait

semblé chose de peu d’importance. J’ai pé ché sans malice.

— Certes, certes, dit Bernard d’un ton cordial, nous

sommes tous convaincus que le bibliothé caire a agi de

bonne foi, et la franchise avec laquelle il a collaboré avec

ce tribunal en est la preuve. Je prie fraternellement Votre

Magnificence de ne pas lui faire grief de cette ancienne

imprudence. Nous croyons à Malachie. Et nous lui

demandons seulement de nous confirmer à pré sent sous

serment que les parchemins que je lui montre sont bien

ceux qu’il m’a donné s ce matin et sont bien ceux que

Ré migio de Varagine lui remit il y a des anné es, aprè s son

arrivé e à l’abbaye. » Il montrait deux parchemins qu’il

avait extraits des feuillets posé s sur la table. Malachie les

regarda et dit d’une voix ferme: « Je jure sur Dieu le

Pè re tout-puissant, sur la trè s sainte Vierge et sur tous

les saints qu’il en est et en a é té bien ainsi.

— Cela me suffit, dit Bernard. Vous pouvez disposer,

Malachie de Hildesheim. »

Tandis que Malachie sortait tê te basse, peu avant

qu’il ne parvî nt à la porte, on entendit une voix s’é lever

du groupe des curieux entassé s au fond de la salle: « Toi,

tu lui cachais les lettres et lui, il te montrait le cul des

novices aux cuisines! » Des é clats de rire fusè rent,

Malachie sortit rapidement en jouant des coudes à gauche

et à droite, moi j’aurais juré que le timbre é tait celui de

Aymaro, mais la phrase avait é té crié e d’une voix de

fausset. L’Abbé, le visage cramoisi, hurla de faire silence

et menaç a de terribles punitions pour tous, intimant aux

moines d’é vacuer la salle. Bernard souriait lubriquement,

le cardinal Bertrand, d’un autre cô té de la salle, se

penchait à l’oreille de Jean d’Anneaux et lui disait quelque

chose, à quoi l’autre ré agissait en se couvrant la bouche de

sa main et en inclinant la tê te comme s’il toussait.

Guillaume me dit: « Le cellé rier n’é tait pas seulement un

pé cheur charnel pour son plaisir, mais il faisait aussi le

rufian. Cependant, rien de cela n’importe à Bernard, si ce

n’est juste ce qu’il faut pour mettre Abbon, mé diateur

impé rial, en embarras... »

Il fut interrompu pré cisé ment par Bernard qui

maintenant s’adressait à lui: « Il m’inté resserait ensuite

de savoir de vous, frè re Guillaume, de quels feuillets vous

parliez ce matin avec Sé verin, lorsque le cellé rier vous

entendit et commit son erreur. »

Guillaume soutint son regard: « Il commit une

erreur, justement. Nous parlions d’un exemplaire du

traité sur l’hydrophobie canine de Ayyub al Ruhawi, livre

admirable de doctrine que certainement vous connaissez

de renommé e et qui vous aura souvent é té de grande

utilité... L’hydrophobie, dit Ayyub, se reconnaî t d’aprè s

vingt-cinq signes é vidents... »

Bernard, qui appartenait à l’ordre des domini

canes{209}, ne jugea pas opportun d’affronter une nouvelle

bataille. « Il s’agissait donc de choses é trangè res au cas en

question », dit-il rapidement. Et il poursuivit l’instruction.

« Revenons à toi, frè re Ré migio minorite, bien plus

dangereux qu’un chien hydrophobe. Si frè re Guillaume

avait ces jours-ci prê té plus d’attention à la bave des

hé ré tiques qu’à celle des chiens, peut-ê tre aurait-il

dé couvert lui aussi quel serpent nichait dans l’abbaye.

Revenons à ces lettres. A pré sent nous savons sans

l’ombre d’un doute qu’elles furent entre tes mains et que

tu pris soin de les cacher comme un poison mortel, et que

tu es allé jusqu’à tuer... (il arrê ta d’un geste une tentative

de dé ni)... et du meurtre nous parlerons ensuite... jusqu’à

tuer, disais-je, pour qu’elles ne vinssent jamais en ma

possession. Alors, tu reconnais ces feuillets comme

t’appartenant? »

Le cellé rier ne ré pondit pas, mais son silence é tait

suffisamment é loquent. Raison pour quoi Bernard

poursuivit: « Et que sont ces parchemins? Deux pages

ré digé es de la main mê me de l’hé ré siarque Dolcino, peu

de jours avant d’ê tre pris, et qu’il confiait à l’un de ses

acolytes pour qu’il les portâ t à d’autres de ses sectateurs

encore é parpillé s à travers l’Italie. Je pourrais vous lire

tout ce qu’elles renferment, et comment Dolcino,

redoutant sa fin imminente, confie un message

d’espé rance – à ses frè res dit-il – en Satan! Il les

console en annonç ant que, si les dates pré vues ici ne

concordent pas avec celles de ses lettres pré cé dentes, où il

avait promis pour l’anné e 1305 la destruction complè te de

tous les prê tres par les soins de l’empereur Fré dé ric,

cette destruction ne serait toutefois pas é loigné e. Une fois

de plus, l’hé ré siarque mentait, car plus de vingt ans ont

passé depuis ce jour et aucune de ses pré dictions né fastes

ne s’est ré alisé e. Cependant ce n’est pas sur la risible

pré somption de ces prophé ties que nous devons discuter,

mais bien sur le fait que Ré migio en é tait le porteur.

Peux-tu encore nier, frè re hé ré tique et impé nitent, que tu

as eu commerce et contubernalité {210} avec la secte des

pseudo-apô tres? »

Le cellé rier ne pouvait plus nier dé sormais.

« Seigneur, dit-il, ma jeunesse a é té peuplé e d’erreurs

trè s funestes. Quand j’eus vent de la pré dication de

Dolcino, dé jà sé duit comme je l’é tais par les erreurs des

frè res de pauvre vie, je crus en ses paroles et je m’unis à

sa bande. Oui, c’est vrai, je fus avec eux dans les ré gions

de Brescia, de Bergame, je fus avec eux à Cô me et en

Valsesia, avec eux je me ré fugiai à la Paroi Chauve et en

val de Rassa, et enfin sur le mont Rebello. Mais je ne pris

part à aucun mé fait, et quand ils commirent saccages et

violences, je portais encore en moi l’esprit de mansué tude

qui fut le propre des fils de Franç ois et pré cisé ment sur le

mont Rebello je dis à Dolcino que je n’avais plus le coeur à

participer à leur lutte, et il me donna la permission de

m’en aller, car, dit-il, il ne voulait pas de femmelette avec

lui, et il me demanda de lui porter ces lettres à Bologne...

— A qui? questionna le cardinal Bertrand.

— A certains de ses sectateurs, dont il me semble me

rappeler le nom, et comme je me le rappelle je vous le dis,

seigneur », se hâ ta d’assurer Ré migio. Et il prononç a

certains noms que le cardinal Bertrand devait connaî tre,

parce qu’il sourit d’un air satisfait, en faisant un signe

d’entente à Bernard.

« Fort bien », dit Bernard, et il prit note de ces

noms. Puis il demanda à Ré migio: « Et comment se fait-il

qu’à pré sent tu nous livres tes amis?

— Ce ne sont pas mes amis, seigneur, preuve en soit

que les lettres, je ne les remis jamais. Mieux, je fis

davantage, et je le dis maintenant aprè s avoir tenté de

l’oublier pendant tant d’anné es: afin de pouvoir quitter

ces lieux sans ê tre pris par l’armé e de l’é vê que de Verceil

qui nous attendait dans la plaine, je parvins à me mettre

en contact avec certains d’entre les assié geants, et en

é change d’un sauf-conduit je leur indiquai les bons

passages pour aller prendre d’assaut les fortifications de

Dolcino, en raison de quoi partie du succè s des forces de

l’Eglise fut due à ma collaboration...

— Trè s inté ressant. Ce qui nous apprend que non

seulement tu fus hé ré tique, mais aussi que tu fus vil et

traî tre. Ta situation n’en est pas pour autant changé e.

Comme aujourd’hui pour te sauver tu as tenté d’accuser

Malachie, qui pourtant t’avait rendu un service, ainsi

naguè re pour te sauver tu remis tes compagnons de

pé ché dans les mains de la justice. Mais tu as trahi leurs

corps, tu n’as pas trahi leurs enseignements, et tu as

conservé ces lettres comme des reliques, et espé rant un

jour avoir le courage, et la possibilité, sans courir de

risques, de les remettre, pour que de nouveau

t’accueillent avec faveur les pseudo-apô tres.

— Non, seigneur, non, disait le cellé rier, couvert de

sueur, les mains tremblantes. Non, je vous jure que...

— Un serment! dit Bernard. Voilà une autre preuve

de ta malice! Tu veux jurer car tu sais que je sais que les

hé ré tiques vaudois sont prê ts à n’importe quelle ruse, et

mê me à la mort, plutô t que de jurer! Et s’ils sont poussé s

par la peur, ils feignent de jurer et marmonnent de faux

serments! Mais moi je le sais bien que tu n’es pas de la

secte des pauvres de Lyon, maudit renard, et que tu

cherches à me convaincre que tu n’es pas ce que tu es afin

que je ne dise pas que tu es ce que tu es! Tu jures alors?

Jure pour ê tre absous, mais sache qu’un seul serment ne

me suffit pas! Je peux en exiger un, deux, trois, cent, tant

que j’en voudrai. Je sais pertinemment que vous, les

pseudo-apô tres, vous accordez des dispenses à qui jure le

faux pour ne point trahir la secte. Et ainsi tout serment

sera une nouvelle preuve de ta culpabilité !

— Mais alors, que dois-je faire? hurla le cellé rier, en

tombant à genoux.

— Ne te prosterne pas comme un bé guin! Tu ne dois

rien faire. Moi seul dé sormais sais ce qu’il faudra faire, dit

Bernard avec un sourire effrayant. Toi, tu n’as qu’à

avouer. Et tu seras damné et condamné si tu avoues, et tu

seras damné et condamné si tu n’avoues pas, parce que tu

seras puni comme parjure! Alors avoue, au moins pour

abré ger ce fort douloureux interrogatoire, qui trouble nos

consciences et notre sens de l’indulgence et de la

compassion!

— Mais que dois-je avouer?

— Deux ordres de pé ché s. Que tu as é té de la secte

de Dolcino, que tu en as partagé les propositions

hé ré tiques, et les coutumes et les offenses à la dignité des

é vê ques et des magistrats citadins, qu’impé nitent tu

continues à en partager les mensonges et les illusions, fû tce

aprè s la mort de l’hé ré siarque et la dispersion de sa

secte, mê me si elle n’est pas tout à fait vaincue et

dé truite. Et que, corrompu au plus profond de ton â me

par les pratiques que tu appris dans la secte immonde, tu

es coupable des dé sordres contre Dieu et les hommes

perpé tré s dans cette abbaye, pour des raisons qui encore

m’é chappent mais qui n’auront pas mê me besoin d’ê tre

complè tement é claircies, une fois qu’il sera

lumineusement dé montré (comme nous sommes en train

de le faire) que l’hé ré sie de ceux qui prê chè rent et

prê chent la pauvreté, contre les enseignements du

seigneur pape et de ses bulles, ne peut que conduire à des

agissement criminels. C’est ce que devront apprendre les

fidè les et cela me suffira. Avoue. »

Ce que Bernard voulait fut alors é vident. Nullement

inté ressé à savoir qui avait tué les autres moines, il

voulait uniquement dé montrer que Ré migio partageait

d’une certaine faç on les idé es soutenues par les

thé ologiens de l’empereur. Et aprè s avoir montré le lien

entre ces idé es, qui é taient aussi celles du chapitre de

Pé rouse, et celles des fraticelles et des dolciniens, et avoir

montré qu’un seul homme, dans cette abbaye, participait

de toutes ces hé ré sies, et avait é té l’auteur de nombreux

crimes, de cette maniè re il porterait un coup vraiment

mortel à ses adversaires. Je regardai Guillaume et je

compris qu’il avait compris, mais ne pouvait rien y faire,

mê me s’il l’avait pré vu. Je regardai l’Abbé et je lui vis un

air sombre: il se rendait compte, trop tard, d’avoir é té lui

aussi attiré dans un piè ge, et que son autorité mê me de

mé diateur se dé litait, à pré sent qu’il allait apparaî tre

comme le seigneur d’un lieu où toutes les infamies du

siè cle s’é taient donné rendez-vous. Quant au cellé rier, il

ne savait plus dé sormais quel é tait le crime dont il pouvait

encore se disculper. Mais sans doute, il ne fut capable à ce

moment-là d’aucun calcul, le cri qui sortit de sa bouche

é tait le cri de son â me, et en lui et avec lui il expulsait des

anné es de longs et secrets remords. Ou encore, aprè s une

vie d’incertitudes, enthousiasmes et dé ceptions, lâ cheté s

et trahisons, placé devant l’iné luctabilité de sa ruine, il

dé cidait de professer la foi de sa jeunesse, sans plus se

demander si elle é tait juste ou erroné e, mais comme pour

se dé montrer à lui-mê me qu’il é tait capable de croire en

quelque chose.

« Oui, c’est vrai, s’é cria-t-il, j’ai vé cu avec Dolcino et

j’en ai partagé les crimes, les licences, peut-ê tre é tais-je

fou, je confondais l’amour de Jé sus-Christ Notre Seigneur

avec le besoin de liberté et notre haine pour les é vê ques,

c’est vrai, j’ai pé ché, mais je suis innocent de ce qui est

arrivé à l’abbaye, je le jure!

— En attendant nous avons obtenu quelque chose,

dit Bernard. Tu admets donc avoir pratiqué l’hé ré sie de

Dolcino, de la sorciè re Marguerite et de ses pairs.

Admets-tu avoir é té avec eux tandis que prè s de Trivero

ils pendaient un grand nombre de fidè les de Christ parmi

lesquels un enfant innocent de dix ans? Et lorsqu’ils

pendirent d’autres hommes en pré sence de leurs é pouses

et de leurs parents parce qu’ils refusaient de s’en

remettre à la volonté de ces chiens? Et parce que,

dé sormais, aveuglé s par votre fureur et votre orgueil,

vous pensiez que personne ne pouvait ê tre sauvé sans

appartenir à votre communauté ? Parle!

— Oui, oui, j’ai cru à ceci et fait cela!

— Et tu é tais pré sent lorsqu’ils s’emparè rent de

plusieurs fidè les des é vê ques, et que, certains, ils les firent

mourir de faim dans une fosse, et qu’ils coupè rent un bras

et une main à une femme grosse, la laissant ensuite

accoucher d’un enfant qui mourut aussitô t sans

baptê me? Et tu é tais avec eux, lorsqu’ils rasè rent au sol

et livrè rent aux flammes les villages de Mosso, Trivero,

Cossila et Flecchia, et beaucoup d’autres localité s de la

ré gion de Crè vecoeur et un grand nombre de maisons à

Mortiliano et à Quorino, et incendiè rent l’é glise de

Trivero, souillant d’abord les images saintes, dé chaussant

la pierre des autels, brisant un bras à la statue de la

Vierge, saccageant les calices, les ornements sacré s et les

livres, dé truisant le clocher, cassant l’airain des cloches,

s’appropriant tous les vases de la confré rie et les biens du

prê tre?

— Oui, oui, j’y é tais, et personne ne savait plus ce

qu’il faisait; nous voulions devancer l’heure du châ timent,

nous é tions les avant- gardes de l’empereur envoyé par le

ciel et par le pape saint, nous devions hâ ter le moment de

la descente de l’ange de Philadelphie, et alors tous

auraient reç u la grâ ce de l’Esprit Saint et l’Eglise eû t é té

renouvelé e, et aprè s la destruction de tous les pervers, les

seuls parfaits auraient ré gné ! »

Le cellé rier paraissait possé dé et illuminé à la fois, on

eû t dit que maintenant la digue du silence et de la

simulation s’é tait rompue, que son passé revenait non

seulement en mots, mais en images, et qu’il é prouvait de

nouveau les é motions qui l’avaient exalté autrefois.

« Alors, le talonnait Bernard, tu avoues que vous

avez honore comme martyr Gé rard Segalelli, que vous

avez nié toute autorité à l’Eglise romaine, que vous

affirmiez que ni le pape ni aucune autorité ne pouvait

vous prescrire un mode de vie diffé rent du vô tre, que

personne n’avait le droit de vous excommunier, que

depuis le temps de saint Sylvestre tous les pré lats de

l’Eglise avaient é té des pré varicateurs et des sé ducteurs,

sauf Pierre du Morron, que les laï cs ne sont pas tenus de

payer les dî mes aux prê tres qui n’observeraient pas un

é tat de perfection absolue et de pauvreté comme

l’observaient les premiers apô tres, que les dî mes donc



  

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