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LE NOM DE LA ROSE 40 страницаdis que tu as tout inventé ! — Qu’est-ce que j’en sais, moi, seigneur, comment elles s’appellent toutes ces ré sies... Paterins, boglolimes, lé oniens, arnaldistes, jacobites, circoncis... Je ne suis point homo literatus, peccavi sine malitia et le seigneur Bernard trè s magnifique el sait, et j’espè re en son indulgentia in nomine pâ tre et filio et spiritis sanctis... — Nous serons indulgent autant que notre office nous le permettra, dit l’inquisiteur, et nous pè serons avec bienveillance paternelle la bonne volonté avec laquelle tu nous as ouvert ton â me. Va, va, retourne mé diter dans ta cellule et espè re en la misé ricorde du Seigneur. Maintenant nous avons à dé battre une question d’une tout autre importance. Or donc Ré migio, tu emportais avec toi des lettres de Dolcino et tu les donnas à ton frè re qui a charge de la bibliothè que... — Ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai! » cria le cellé rier, comme si cette dé fense avait encore quelque efficacité. Et justement Bernard l’interrompit: « Mais ce n’est pas de ta part que nous sert une confirmation, bien plutô t de Malachie de Hildesheim. » Il fit appeler le bibliothé caire; il ne se trouvait pas parmi les pré sents. Moi, je savais qu’il é tait dans le scriptorium, ou autour de l’hô pital, à la recherche de Bence et du livre. On partit à ses trousses, et lorsqu’il apparut, troublé et faisant son possible pour ne regarder personne en face, Guillaume murmura tout dé sappointé : « Et maintenant Bence pourra faire ce qu’il veut. » Mais il se trompait, car je vis la tê te de Bence é merger au-dessus des é paules de tous les moines qui s’entassaient aux portes de la salle pour suivre l’interrogatoire. Je le montrai à Guillaume. Nous pensâ mes alors que la curiosité pour cet é vé nement é tait encore plus forte que sa curiosité pour le livre. Nous apprî mes plus tard que, à ce moment- là, il avait dé jà conclu un ignoble marché. Malachie apparut donc devant les juges, sans jamais croiser son regard avec celui du cellé rier. « Malachie, dit Bernard, ce matin, aprè s les aveux de Salvatore faits dans la nuit, je vous ai demandé si vous aviez reç u de la part du pré venu ci-pré sent des lettres... — Malachie! hurla le cellé rier, tu m’as juré il y a peu que tu ne feras rien contre moi! » Malachie se tourna à peine vers le pré venu, placé derriè re lui, et dit d’une voix trè s basse, au point que j’avais du mal à l’entendre: « Je ne suis pas un parjure. Si je pouvais faire quelque chose contre toi, c’é tait dé jà fait. Les lettres avaient é té remises au seigneur Bernard ce matin, avant que tu n’aies tué Sé verin... — Mais tu le sais, toi, tu dois le savoir que je n’ai pas tué Sé verin! Tu le sais, parce que tu é tais dé jà là ! — Moi? demanda Malachie. Moi je suis entré là -bas aprè s qu’ils t’ont dé couvert. — Et quand bien mê me ce serait, interrompit Bernard, que cherchais-tu chez Sé verin, Ré migio? » Le cellé rier se retourna pour regarder Guillaume avec des yeux é perdus, puis il regarda Malachie, puis encore Bernard: « Mais... j’ai entendu ce matin frè re Guillaume ici pré sent dire à Sé verin de bien garder certains parchemins... et, depuis hier soir, aprè s la capture de Salvatore, je tremblais qu’on ne parlâ t de ces lettres... — Alors tu sais quelque chose sur ces lettres! » s’exclama triomphalement Bernard. Le cellé rier dè s lors é tait pris au piè ge. Il se trouvait coincé entre deux urgences, se disculper de l’accusation d’hé ré sie et é loigner de lui le soupç on d’homicide. Il se ré solut probablement à affronter la seconde accusation, d’instinct, car dé sormais il agissait sans rè gle, et sans prudence: « Je parlerai des lettres aprè s... je justifierai... je dirai comment j’en vins en possession... Mais laissez-moi vous expliquer ce qui s’est passé ce matin. Je pensais bien qu’on parlerait de ces lettres, quand j’ai vu Salvatore tomber entre les mains du seigneur Bernard, il y a des anné es que le souvenir de ces lettres me tourmente le coeur... Alors quand j’entendis Guillaume et Sé verin parler de feuillets... je ne sais, pris par la peur, je pensai que Malachie s’en é tait dé barrassé et les avait donné s à Sé verin... je voulais les dé truire et c’est ainsi que j’allai chez Sé verin... la porte é tait ouverte et Sé verin é tait dé jà mort, je me suis mis à fouiller au milieu de ses affaires pour chercher les lettres... je n’é prouvais que ma peur... » Guillaume me murmura à l’oreille: « Pauvre idiot, effrayé par un danger il a foncé tê te baissé e dans un autre... » « Admettons que tu dises presque – je dis presque – la vé rité, intervint Bernard. Tu pensais que Sé verin avait les lettres et tu les as cherché es chez lui. Et pourquoi astu pensé qu’il les avait? Et pourquoi as-tu tué d’abord tes autres frè res aussi? Peut-ê tre pensais-tu que ces lettres circulaient depuis beau temps dans les mains de beaucoup? Peut-ê tre a-t-on coutume dans cette abbaye de donner la chasse aux reliques des hé ré tiques brû lé s? » Je vis l’Abbé tressaillir. Il n’y avait rien de plus insidieux que l’accusation de recueillir des reliques d’hé ré tiques, et Bernard é tait trè s habile de mê ler les crimes à l’hé ré sie, et le tout à la vie de l’abbaye. Je fus interrompu dans mes ré flexions par le cellé rier qui criait qu’il n’avait rien à voir avec les autres crimes. Bernard, indulgent, le tranquillisa: ce n’é tait pas là, pour le moment, la question dont on discutait, il é tait interrogé pour crime d’hé ré sie, et qu’il ne tentâ t pas (et ici la voix se fit sé vè re) de dé tourner l’attention de son passé d’hé ré tique en parlant de Sé verin ou en cherchant de faire peser des soupç ons sur Malachie. Qu’on en revî nt donc aux lettres. « Malachie de Hildesheim, dit-il tourné vers le té moin, vous n’ê tes pas ici en tant qu’accusé. Ce matin vous avez ré pondu à mes demandes et à ma requê te sans essayer de rien cacher. Maintenant vous ré pé terez devant ce tribunal ce que vous m’avez dit ce matin et vous n’aurez rien à craindre. — Je ré pè te ce que j’ai dit ce matin, dit Malachie. Peu aprè s son arrivé e en ce lieu, Ré migio commenç a de s’occuper des cuisines, et nous avions de fré quents contacts pour des raisons de travail... moi, en tant que bibliothé caire, je suis chargé de la fermeture nocturne de tout l’É difice, et par consé quent des cuisines aussi... je n’ai aucun motif de cacher que nous devî nmes des amis fraternels, je n’avais aucune raison de nourrir des soupç ons contre lui. Et lui me raconta qu’il avait certains documents de nature secrè te, confié s à lui en confession, qui ne devaient pas tomber sous les yeux de profanes, et qu’il n’osait pas dé tenir plus longtemps. Comme j’avais la garde de l’unique lieu du monastè re interdit à quiconque, il me demanda de lui conserver ces feuilles de parchemin loin de tout regard curieux, et je consentis, n’imaginant pas que les documents é taient de nature hé ré tique, et je ne les lus mê me pas avant de les placer... de les placer dans l’endroit le plus retiré, le plus inaccessible de la bibliothè que, et depuis lors j’avais oublié cet incident, jusqu’au moment où ce matin le seigneur inquisiteur y a fait allusion, et alors je suis allé les rechercher et les lui ai remises... » L’Abbé prit la parole, courroucé : « Pourquoi ne m’as-tu pas tenu au courant de ton pacte avec le cellé rier? La bibliothè que n’est pas une ré serve d’affaires appartenant aux moines! » L’Abbé avait mis au clair que l’abbaye n’avait rien à voir avec cette histoire. « Seigneur, ré pondit confus Malachie, ce m’avait semblé chose de peu d’importance. J’ai pé ché sans malice. — Certes, certes, dit Bernard d’un ton cordial, nous sommes tous convaincus que le bibliothé caire a agi de bonne foi, et la franchise avec laquelle il a collaboré avec ce tribunal en est la preuve. Je prie fraternellement Votre Magnificence de ne pas lui faire grief de cette ancienne imprudence. Nous croyons à Malachie. Et nous lui demandons seulement de nous confirmer à pré sent sous serment que les parchemins que je lui montre sont bien ceux qu’il m’a donné s ce matin et sont bien ceux que Ré migio de Varagine lui remit il y a des anné es, aprè s son arrivé e à l’abbaye. » Il montrait deux parchemins qu’il avait extraits des feuillets posé s sur la table. Malachie les regarda et dit d’une voix ferme: « Je jure sur Dieu le Pè re tout-puissant, sur la trè s sainte Vierge et sur tous les saints qu’il en est et en a é té bien ainsi. — Cela me suffit, dit Bernard. Vous pouvez disposer, Malachie de Hildesheim. » Tandis que Malachie sortait tê te basse, peu avant qu’il ne parvî nt à la porte, on entendit une voix s’é lever du groupe des curieux entassé s au fond de la salle: « Toi, tu lui cachais les lettres et lui, il te montrait le cul des novices aux cuisines! » Des é clats de rire fusè rent, Malachie sortit rapidement en jouant des coudes à gauche et à droite, moi j’aurais juré que le timbre é tait celui de Aymaro, mais la phrase avait é té crié e d’une voix de fausset. L’Abbé, le visage cramoisi, hurla de faire silence et menaç a de terribles punitions pour tous, intimant aux moines d’é vacuer la salle. Bernard souriait lubriquement, le cardinal Bertrand, d’un autre cô té de la salle, se penchait à l’oreille de Jean d’Anneaux et lui disait quelque chose, à quoi l’autre ré agissait en se couvrant la bouche de sa main et en inclinant la tê te comme s’il toussait. Guillaume me dit: « Le cellé rier n’é tait pas seulement un pé cheur charnel pour son plaisir, mais il faisait aussi le rufian. Cependant, rien de cela n’importe à Bernard, si ce n’est juste ce qu’il faut pour mettre Abbon, mé diateur impé rial, en embarras... » Il fut interrompu pré cisé ment par Bernard qui maintenant s’adressait à lui: « Il m’inté resserait ensuite de savoir de vous, frè re Guillaume, de quels feuillets vous parliez ce matin avec Sé verin, lorsque le cellé rier vous entendit et commit son erreur. » Guillaume soutint son regard: « Il commit une erreur, justement. Nous parlions d’un exemplaire du traité sur l’hydrophobie canine de Ayyub al Ruhawi, livre admirable de doctrine que certainement vous connaissez de renommé e et qui vous aura souvent é té de grande utilité... L’hydrophobie, dit Ayyub, se reconnaî t d’aprè s vingt-cinq signes é vidents... » Bernard, qui appartenait à l’ordre des domini canes{209}, ne jugea pas opportun d’affronter une nouvelle bataille. « Il s’agissait donc de choses é trangè res au cas en question », dit-il rapidement. Et il poursuivit l’instruction. « Revenons à toi, frè re Ré migio minorite, bien plus dangereux qu’un chien hydrophobe. Si frè re Guillaume avait ces jours-ci prê té plus d’attention à la bave des hé ré tiques qu’à celle des chiens, peut-ê tre aurait-il dé couvert lui aussi quel serpent nichait dans l’abbaye. Revenons à ces lettres. A pré sent nous savons sans l’ombre d’un doute qu’elles furent entre tes mains et que tu pris soin de les cacher comme un poison mortel, et que tu es allé jusqu’à tuer... (il arrê ta d’un geste une tentative de dé ni)... et du meurtre nous parlerons ensuite... jusqu’à tuer, disais-je, pour qu’elles ne vinssent jamais en ma possession. Alors, tu reconnais ces feuillets comme t’appartenant? » Le cellé rier ne ré pondit pas, mais son silence é tait suffisamment é loquent. Raison pour quoi Bernard poursuivit: « Et que sont ces parchemins? Deux pages ré digé es de la main mê me de l’hé ré siarque Dolcino, peu de jours avant d’ê tre pris, et qu’il confiait à l’un de ses acolytes pour qu’il les portâ t à d’autres de ses sectateurs encore é parpillé s à travers l’Italie. Je pourrais vous lire tout ce qu’elles renferment, et comment Dolcino, redoutant sa fin imminente, confie un message d’espé rance – à ses frè res dit-il – en Satan! Il les console en annonç ant que, si les dates pré vues ici ne concordent pas avec celles de ses lettres pré cé dentes, où il avait promis pour l’anné e 1305 la destruction complè te de tous les prê tres par les soins de l’empereur Fré dé ric, cette destruction ne serait toutefois pas é loigné e. Une fois de plus, l’hé ré siarque mentait, car plus de vingt ans ont passé depuis ce jour et aucune de ses pré dictions né fastes ne s’est ré alisé e. Cependant ce n’est pas sur la risible pré somption de ces prophé ties que nous devons discuter, mais bien sur le fait que Ré migio en é tait le porteur. Peux-tu encore nier, frè re hé ré tique et impé nitent, que tu as eu commerce et contubernalité {210} avec la secte des pseudo-apô tres? » Le cellé rier ne pouvait plus nier dé sormais. « Seigneur, dit-il, ma jeunesse a é té peuplé e d’erreurs trè s funestes. Quand j’eus vent de la pré dication de Dolcino, dé jà sé duit comme je l’é tais par les erreurs des frè res de pauvre vie, je crus en ses paroles et je m’unis à sa bande. Oui, c’est vrai, je fus avec eux dans les ré gions de Brescia, de Bergame, je fus avec eux à Cô me et en Valsesia, avec eux je me ré fugiai à la Paroi Chauve et en val de Rassa, et enfin sur le mont Rebello. Mais je ne pris part à aucun mé fait, et quand ils commirent saccages et violences, je portais encore en moi l’esprit de mansué tude qui fut le propre des fils de Franç ois et pré cisé ment sur le mont Rebello je dis à Dolcino que je n’avais plus le coeur à participer à leur lutte, et il me donna la permission de m’en aller, car, dit-il, il ne voulait pas de femmelette avec lui, et il me demanda de lui porter ces lettres à Bologne... — A qui? questionna le cardinal Bertrand. — A certains de ses sectateurs, dont il me semble me rappeler le nom, et comme je me le rappelle je vous le dis, seigneur », se hâ ta d’assurer Ré migio. Et il prononç a certains noms que le cardinal Bertrand devait connaî tre, parce qu’il sourit d’un air satisfait, en faisant un signe d’entente à Bernard. « Fort bien », dit Bernard, et il prit note de ces noms. Puis il demanda à Ré migio: « Et comment se fait-il qu’à pré sent tu nous livres tes amis? — Ce ne sont pas mes amis, seigneur, preuve en soit que les lettres, je ne les remis jamais. Mieux, je fis davantage, et je le dis maintenant aprè s avoir tenté de l’oublier pendant tant d’anné es: afin de pouvoir quitter ces lieux sans ê tre pris par l’armé e de l’é vê que de Verceil qui nous attendait dans la plaine, je parvins à me mettre en contact avec certains d’entre les assié geants, et en é change d’un sauf-conduit je leur indiquai les bons passages pour aller prendre d’assaut les fortifications de Dolcino, en raison de quoi partie du succè s des forces de l’Eglise fut due à ma collaboration... — Trè s inté ressant. Ce qui nous apprend que non seulement tu fus hé ré tique, mais aussi que tu fus vil et traî tre. Ta situation n’en est pas pour autant changé e. Comme aujourd’hui pour te sauver tu as tenté d’accuser Malachie, qui pourtant t’avait rendu un service, ainsi naguè re pour te sauver tu remis tes compagnons de pé ché dans les mains de la justice. Mais tu as trahi leurs corps, tu n’as pas trahi leurs enseignements, et tu as conservé ces lettres comme des reliques, et espé rant un jour avoir le courage, et la possibilité, sans courir de risques, de les remettre, pour que de nouveau t’accueillent avec faveur les pseudo-apô tres. — Non, seigneur, non, disait le cellé rier, couvert de sueur, les mains tremblantes. Non, je vous jure que... — Un serment! dit Bernard. Voilà une autre preuve de ta malice! Tu veux jurer car tu sais que je sais que les hé ré tiques vaudois sont prê ts à n’importe quelle ruse, et mê me à la mort, plutô t que de jurer! Et s’ils sont poussé s par la peur, ils feignent de jurer et marmonnent de faux serments! Mais moi je le sais bien que tu n’es pas de la secte des pauvres de Lyon, maudit renard, et que tu cherches à me convaincre que tu n’es pas ce que tu es afin que je ne dise pas que tu es ce que tu es! Tu jures alors? Jure pour ê tre absous, mais sache qu’un seul serment ne me suffit pas! Je peux en exiger un, deux, trois, cent, tant que j’en voudrai. Je sais pertinemment que vous, les pseudo-apô tres, vous accordez des dispenses à qui jure le faux pour ne point trahir la secte. Et ainsi tout serment sera une nouvelle preuve de ta culpabilité ! — Mais alors, que dois-je faire? hurla le cellé rier, en tombant à genoux. — Ne te prosterne pas comme un bé guin! Tu ne dois rien faire. Moi seul dé sormais sais ce qu’il faudra faire, dit Bernard avec un sourire effrayant. Toi, tu n’as qu’à avouer. Et tu seras damné et condamné si tu avoues, et tu seras damné et condamné si tu n’avoues pas, parce que tu seras puni comme parjure! Alors avoue, au moins pour abré ger ce fort douloureux interrogatoire, qui trouble nos consciences et notre sens de l’indulgence et de la compassion! — Mais que dois-je avouer? — Deux ordres de pé ché s. Que tu as é té de la secte de Dolcino, que tu en as partagé les propositions hé ré tiques, et les coutumes et les offenses à la dignité des é vê ques et des magistrats citadins, qu’impé nitent tu continues à en partager les mensonges et les illusions, fû tce aprè s la mort de l’hé ré siarque et la dispersion de sa secte, mê me si elle n’est pas tout à fait vaincue et dé truite. Et que, corrompu au plus profond de ton â me par les pratiques que tu appris dans la secte immonde, tu es coupable des dé sordres contre Dieu et les hommes perpé tré s dans cette abbaye, pour des raisons qui encore m’é chappent mais qui n’auront pas mê me besoin d’ê tre complè tement é claircies, une fois qu’il sera lumineusement dé montré (comme nous sommes en train de le faire) que l’hé ré sie de ceux qui prê chè rent et prê chent la pauvreté, contre les enseignements du seigneur pape et de ses bulles, ne peut que conduire à des agissement criminels. C’est ce que devront apprendre les fidè les et cela me suffira. Avoue. » Ce que Bernard voulait fut alors é vident. Nullement inté ressé à savoir qui avait tué les autres moines, il voulait uniquement dé montrer que Ré migio partageait d’une certaine faç on les idé es soutenues par les thé ologiens de l’empereur. Et aprè s avoir montré le lien entre ces idé es, qui é taient aussi celles du chapitre de Pé rouse, et celles des fraticelles et des dolciniens, et avoir montré qu’un seul homme, dans cette abbaye, participait de toutes ces hé ré sies, et avait é té l’auteur de nombreux crimes, de cette maniè re il porterait un coup vraiment mortel à ses adversaires. Je regardai Guillaume et je compris qu’il avait compris, mais ne pouvait rien y faire, mê me s’il l’avait pré vu. Je regardai l’Abbé et je lui vis un air sombre: il se rendait compte, trop tard, d’avoir é té lui aussi attiré dans un piè ge, et que son autorité mê me de mé diateur se dé litait, à pré sent qu’il allait apparaî tre comme le seigneur d’un lieu où toutes les infamies du siè cle s’é taient donné rendez-vous. Quant au cellé rier, il ne savait plus dé sormais quel é tait le crime dont il pouvait encore se disculper. Mais sans doute, il ne fut capable à ce moment-là d’aucun calcul, le cri qui sortit de sa bouche é tait le cri de son â me, et en lui et avec lui il expulsait des anné es de longs et secrets remords. Ou encore, aprè s une vie d’incertitudes, enthousiasmes et dé ceptions, lâ cheté s et trahisons, placé devant l’iné luctabilité de sa ruine, il dé cidait de professer la foi de sa jeunesse, sans plus se demander si elle é tait juste ou erroné e, mais comme pour se dé montrer à lui-mê me qu’il é tait capable de croire en quelque chose. « Oui, c’est vrai, s’é cria-t-il, j’ai vé cu avec Dolcino et j’en ai partagé les crimes, les licences, peut-ê tre é tais-je fou, je confondais l’amour de Jé sus-Christ Notre Seigneur avec le besoin de liberté et notre haine pour les é vê ques, c’est vrai, j’ai pé ché, mais je suis innocent de ce qui est arrivé à l’abbaye, je le jure! — En attendant nous avons obtenu quelque chose, dit Bernard. Tu admets donc avoir pratiqué l’hé ré sie de Dolcino, de la sorciè re Marguerite et de ses pairs. Admets-tu avoir é té avec eux tandis que prè s de Trivero ils pendaient un grand nombre de fidè les de Christ parmi lesquels un enfant innocent de dix ans? Et lorsqu’ils pendirent d’autres hommes en pré sence de leurs é pouses et de leurs parents parce qu’ils refusaient de s’en remettre à la volonté de ces chiens? Et parce que, dé sormais, aveuglé s par votre fureur et votre orgueil, vous pensiez que personne ne pouvait ê tre sauvé sans appartenir à votre communauté ? Parle! — Oui, oui, j’ai cru à ceci et fait cela! — Et tu é tais pré sent lorsqu’ils s’emparè rent de plusieurs fidè les des é vê ques, et que, certains, ils les firent mourir de faim dans une fosse, et qu’ils coupè rent un bras et une main à une femme grosse, la laissant ensuite accoucher d’un enfant qui mourut aussitô t sans baptê me? Et tu é tais avec eux, lorsqu’ils rasè rent au sol et livrè rent aux flammes les villages de Mosso, Trivero, Cossila et Flecchia, et beaucoup d’autres localité s de la ré gion de Crè vecoeur et un grand nombre de maisons à Mortiliano et à Quorino, et incendiè rent l’é glise de Trivero, souillant d’abord les images saintes, dé chaussant la pierre des autels, brisant un bras à la statue de la Vierge, saccageant les calices, les ornements sacré s et les livres, dé truisant le clocher, cassant l’airain des cloches, s’appropriant tous les vases de la confré rie et les biens du prê tre? — Oui, oui, j’y é tais, et personne ne savait plus ce qu’il faisait; nous voulions devancer l’heure du châ timent, nous é tions les avant- gardes de l’empereur envoyé par le ciel et par le pape saint, nous devions hâ ter le moment de la descente de l’ange de Philadelphie, et alors tous auraient reç u la grâ ce de l’Esprit Saint et l’Eglise eû t é té renouvelé e, et aprè s la destruction de tous les pervers, les seuls parfaits auraient ré gné ! » Le cellé rier paraissait possé dé et illuminé à la fois, on eû t dit que maintenant la digue du silence et de la simulation s’é tait rompue, que son passé revenait non seulement en mots, mais en images, et qu’il é prouvait de nouveau les é motions qui l’avaient exalté autrefois. « Alors, le talonnait Bernard, tu avoues que vous avez honore comme martyr Gé rard Segalelli, que vous avez nié toute autorité à l’Eglise romaine, que vous affirmiez que ni le pape ni aucune autorité ne pouvait vous prescrire un mode de vie diffé rent du vô tre, que personne n’avait le droit de vous excommunier, que depuis le temps de saint Sylvestre tous les pré lats de l’Eglise avaient é té des pré varicateurs et des sé ducteurs, sauf Pierre du Morron, que les laï cs ne sont pas tenus de payer les dî mes aux prê tres qui n’observeraient pas un é tat de perfection absolue et de pauvreté comme l’observaient les premiers apô tres, que les dî mes donc
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