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LE NOM DE LA ROSE 38 страницаproposition. Puisque personne n’avait soutenu, et n’aurait pu soutenir, que Jé sus avait demandé pour lui et pour les siens une quelconque juridiction terrestre, ce dé tachement de Jé sus des choses temporelles lui paraissait un indice suffisant pour inviter à penser, sans pé cher, que Jé sus avait aussi ché ri la pauvreté. Guillaume avait parlé d’un ton si modeste, il avait exprimé ses certitudes d’une maniè re si dubitative, qu’aucun des pré sents n’avait pu se lever pour le ré futer. Cela ne veut pas dire que tous é taient convaincus de ce qu’il avait dit. Non seulement les Avignonnais s’agitaient maintenant avec des faces courroucé es et en murmurant entre eux leurs commentaires, mais l’Abbé lui-mê me paraissait trè s dé favorablement impressionné par ces paroles, comme s’il pensait que ce n’é tait pas du tout là les rapports dont il rê vait entre son ordre et l’Empire. Et quant aux minorites, Michel de Cé sè ne é tait perplexe, Jé rô me atterré, Ubertin pensif. Le silence fut rompu par le cardinal du Poggetto, toujours souriant et dé tendu, qui de bonne grâ ce demanda à Guillaume s’il irait en Avignon pour dire ces mê mes choses à messer le pape. Guillaume demanda l’avis du cardinal, celui-ci lui dit que messer le pape avait entendu é mettre beaucoup d’opinions discutables dans sa vie et que c’é tait un homme plein d’amour pour ses fils, mais qu’à coup sû r ces propositions l’auraient fort affligé. Bernard Gui intervint, qui jusqu’alors n’avait pas ouvert la bouche: « Moi je serais trè s heureux si frè re Guillaume, si habile et é loquent dans l’exposition de ses propres idé es, allait les soumettre au jugement du souverain pontife... — Vous m’avez convaincu, sire Bernard, dit Guillaume. Je n’irai pas. » Puis, s’adressant au cardinal, d’un ton d’excuse: « Vous savez, cette fluxion qui me prend à la poitrine me dé conseille d’entreprendre un voyage aussi long par cette saison... — Mais alors pourquoi avez-vous parlé si longtemps? demanda le cardinal. — Pour té moigner de la vé rité, dit humblement Guillaume. La vé rité nous rendra libres. — Eh non! explosa à ce moment-là Jean de Baune. Il ne s’agit pas ici de la vé rité qui nous fait libres, mais de l’excessive liberté qui veut se faire vraie! — Cela aussi est possible », admit Guillaume avec douceur. Je sentis par une intuition subite qu’allait é clater une tempê te de coeurs et de langues bien plus furieuse que la premiè re. Mais il ne se passa rien. De Baune n’avait pas encore fini de parler, que le capitaine des archers é tait entré et murmurait quelque chose à l’oreille de Bernard. Qui se leva soudain et de la main demanda qu’on lui prê tâ t attention. « Mes frè res, dit-il, il est possible que cette roborative discussion puisse ê tre reprise, mais à pré sent un é vé nement d’une immense gravité nous oblige à suspendre nos travaux, avec l’autorisation de l’Abbé. Peut-ê tre ai-je comblé, sans le vouloir, l’attente de l’Abbé lui-mê me, qui espé rait dé couvrir le coupable de ces nombreux crimes des jours passé s. Cet homme est maintenant entre mes mains. Mais hé las, il a é té pris trop tard, encore une fois... Quelque chose est arrivé là -bas... » et il indiquait vaguement l’exté rieur. Il traversa rapidement la salle et sortit, suivi par beaucoup, Guillaume parmi les premiers et moi avec lui. Mon maî tre me regarda et me dit: « Je crains qu’il ne soit arrivé quelque chose à Sé verin. »
Cinquiè me jour SEXTE Où l’on trouve Sé verin assassiné, sans plus trouver le livre qu’il avait trouvé. Nous traversâ mes l’esplanade d’un pas rapide et le souffle angoissé. Le capitaine des archers nous conduisait vers l’hô pital et comme nous y arrivions, nous dé couvrî mes dans la dense grisaille un fourmillement d’ombres: c’é taient des moines et des servants qui accouraient, c’é taient des archers qui barraient la porte et empê chaient l’accè s. « Ceux qui sont armé s de pied en cap, je les avais envoyé s pour chercher un homme qui pouvait faire la lumiè re sur tant de mystè res, dit Bernard. — Le frè re herboriste? demanda stupé fait l’Abbé. — Non, vous allez voir », dit Bernard en se frayant un chemin pour entrer. Nous pé né trâ mes dans le laboratoire de Sé verin et là, un spectacle pé nible s’offrit à nos yeux. Le malheureux herboriste gisait mort dans un lac de sang, la tê te fendue. herboriste gisait mort dans un lac de sang, la tê te fendue. Tout autour, on eû t dit que les é tagè res avaient é té dé vasté es par une tempê te: flacons, bouteilles, livres, documents é taient é parpillé s dans le plus grand dé sordre et dans un é tat dé sastreux. A cô té du corps se trouvait une sphè re armillaire, grande comme au moins deux fois la tê te d’un homme; de mé tal finement ouvragé, surmonté e d’une croix d’or et fixé e sur un court tré pied dé coré. Les autres fois je l’avais remarqué e à gauche de l’entré e, placé e sur une table. A l’autre bout de la piè ce deux archers tenaient fortement le cellé rier qui se dé menait en protestant de son innocence et qui redoubla de cris quand il vit l’Abbé. « Seigneur, hurlait-il, les apparences sont contre moi! Je suis entré quand Sé verin é tait dé jà mort et ils m’ont trouvé tandis que j’observais, le souffle coupé, ce massacre! » Le chef des archers s’approcha de Bernard, et, avec sa permission, il lui fit un rapport, devant tout le monde. Les archers avaient reç u l’ordre de trouver le cellé rier et de l’arrê ter, et depuis plus de deux heures, ils le cherchaient dans toute l’abbaye. Il devait s’agir, pensaije, de la disposition donné e par Bernard avant d’entrer dans le chapitre, et les soldats, é trangers à ces lieux, avaient probablement mené leurs recherches aux mauvais endroits, sans s’apercevoir que le cellé rier, ignorant encore son destin, é tait dans le narthex avec les autres; et par ailleurs le brouillard avait rendu leur chasse plus ardue. En tout cas, d’aprè s les paroles du capitaine, on pouvait dé duire que quand Ré migio, aprè s que je l’avais laissé, é tait allé vers les cuisines, quelqu’un l’avait vu et en avait averti les archers, lesquels é taient arrivé s à l’É difice lorsque le mê me Ré migio s’en é tait de nouveau é loigné, et depuis fort peu, car dans les cuisines se trouvait Jorge qui affirmait venir à peine de lui parler. Les archers avaient alors exploré le plateau dans la direction des jardins et là, surgi du brouillard comme un fantô me, ils avaient surpris le vieil Alinardo, qui s’é tait presque perdu. Et c’est pré cisé ment Alinardo qui avait dit avoir vu le cellé rier, peu auparavant, entrer dans l’hô pital. Les archers s’y é taient rendus, trouvant la porte ouverte. A l’inté rieur, ils avaient dé couvert Sé verin inanimé et le cellé rier qui, comme un forcené, fouillait sur les é tagè res, en jetant tout à terre, probablement à la recherche de quelque chose. Il é tait facile de comprendre ce qui s’é tait passé, concluait le capitaine. Ré migio é tait entré, s’é tait jeté sur l’herboriste, l’avait occis, pour chercher ensuite ce pour quoi il l’avait tué. Un archer souleva de terre la sphè re armillaire et la tendit à Bernard. L’é lé gante architecture de cercles de cuivre et d’argent, ré unis par une plus robuste charpente d’anneaux de bronze, empoigné e par le fû t du tré pied, avait é té assené e avec tant de force sur le crâ ne de la victime, que dans l’impact nombre de cercles parmi les plus petits s’é taient brisé s ou é crasé s d’un cô té. Et qu’on eû t abattu ce cô té -là sur la tê te de Sé verin, les traces de sang le ré vé laient et mê me les grumeaux de cheveux et les é claboussures immondes et baveuses de matiè re cé ré brale. Guillaume se pencha sur Sé verin pour en constater la mort. Les yeux du pauvre malheureux, voilé s par le sang jailli de son crâ ne, é taient é carquillé s, et je me demandai s’il avait jamais é té possible de lire dans la pupille roidie, comme, raconte-t-on, cela s’é tait passé en d’autres cas, l’image de l’assassin, ultime vestige des perceptions de la victime. Je vis que Guillaume cherchait les mains du mort, pour vé rifier si des taches noires apparaissaient sur les doigts, quand bien mê me en l’occurrence la cause de la mort é tait plus qu’é vidente. Mais Sé verin portait ces mê mes gants de peau, avec lesquels je l’avais vu parfois manier des herbes dangereuses, des lé zards verts, des insectes inconnus. Cependant Bernard Gui s’adressait au cellé rier: « Ré migio de Varagine, c’est bien ton nom, n’est-ce pas? Je t’avais fait rechercher par mes hommes sur la base d’autres accusations et pour confirmer d’autres soupç ons. Je vois maintenant que j’é tais dans le juste chemin, bien que, je me le reproche, avec trop de retard. Sire, dit-il à l’Abbé, je me juge presque responsable de ce dernier crime, car dè s ce matin je savais qu’il fallait remettre cet homme à la justice, aprè s avoir é couté les ré vé lations de l’autre misé rable arrê té cette nuit. Mais comme vous l’avez pu constater vous aussi, durant la matiné e j’ai é té pris par d’autres devoirs et mes hommes ont fait de leur mieux... » Tandis qu’il parlait, à voix bien haute pour que tous les pré sents entendissent (et la piè ce s’é tait entre-temps remplie de gens qui se faufilaient de partout, regardant les choses é parses et dé truites, se montrant du doigt le cadavre et commentant à mi-voix le grand crime), j’aperç us au milieu de la petite foule Malachie, qui observait la scè ne d’un air sombre. Le cellé rier aussi l’aperç ut, qui juste à ce moment-là é tait traî né dehors. Il s’arracha à l’é treinte des archers et se jeta sur son frè re, le saisissant à la robe et lui parlant briè vement et dé sespé ré ment face contre face, jusqu’à ce que les archers le tirassent de nouveau à eux. Mais, emmené avec brutalité, il se tourna encore vers Malachie en lui criant: « Jure, et moi je jure! » Malachie ne ré pondit pas aussitô t, comme s’il cherchait les mots approprié s. Puis, alors que le cellé rier de force passait dé jà le seuil, il lui dit: « Je ne ferai rien contre toi. » Guillaume et moi nous nous regardâ mes, nous demandant ce que signifiait cette scè ne. Bernard aussi l’avait observé e, mais il n’en parut point troublé, il sourit mê me à Malachie comme pour approuver ses paroles, et sceller avec lui une sinistre complicité. Puis il annonç a que sitô t aprè s le repas un premier tribunal se ré unirait dans le chapitre pour instruire publiquement cette enquê te. Et il sortit en ordonnant de conduire le cellé rier dans les forges, sans le laisser parler avec Salvatore. A ce moment-là nous nous entendî mes appeler par Bence, qui se trouvait derriè re nous: « Moi je suis entré sitô t aprè s vous, dit-il dans un murmure, quand la piè ce é tait encore à moitié vide, et Malachie n’y é tait pas. — Il sera entré aprè s, dit Guillaume. — Non, assura Bence, je me trouvais prè s de la porte, j’ai vu qui entrait. Je vous le dis, Malachie é tait dé jà dedans... avant. — Quand, avant? — Avant que le cellé rier n’y entrâ t. Je ne peux le jurer, mais je crois qu’il est sorti de derriè re ce rideau, quand nous é tions dé jà nombreux ici », et il montra une large tenture qui proté geait le lit où d’habitude Sé verin laissait se reposer qui venait de subir une mé dication. « Tu veux insinuer que c’est lui qui a tué Sé verin et qu’il s’est retiré là derriè re lorsque le cellé rier est entré ? demanda Guillaume. — Ou encore, que de là derriè re il a assisté à ce qui s’est passé ici. Sinon pourquoi le cellé rier l’aurait-il imploré de ne pas lui nuire en lui promettant de lui rendre la pareille? — C’est possible, dit Guillaume. En tout cas ici il y avait un livre et il devrait y ê tre encore, parce qu’aussi bien le cellé rier que Malachie sont sortis les mains vides. » Guillaume savait, d’aprè s mon rapport, que Bence savait: et en cet instant, il avait besoin d’aide. Il s’approcha de l’Abbé qui observait tristement le cadavre de Sé verin et il le pria de faire sortir tout le monde parce qu’il voulait mieux examiner les lieux. L’Abbé acquiesç a et sortit luimê me, non sans lancer à Guillaume un regard de scepticisme, comme s’il lui reprochait d’arriver toujours en retard. Malachie essaya de rester, pré textant diverses raisons plus vagues les unes que les autres: Guillaume lui fit observer qu’il ne s’agissait point là de la bibliothè que et qu’en cet endroit il ne pouvait allé guer des droits. Il fut courtois mais inflexible, et il se vengea du moment où Malachie ne lui avait pas permis d’examiner la table de Venantius. Quand nous restâ mes nous trois, Guillaume dé barrassa une des tables des tessons et des feuilles de parchemin qui la recouvraient, et il me dit de lui passer un par un les livres de la collection de Sé verin. Petite bibliothè que, comparé e à l’immense du labyrinthe, mais toujours est-il qu’il ne s’agissait pas moins de dizaines et de dizaines de volumes de diffé rentes grosseurs, qui, avant, é taient en bon ordre sur les é tagè res, et à pré sent se trouvaient en dé sordre par terre, au milieu de bien d’autres objets, et dé jà mis sens dessus dessous par les mains fé briles du cellé rier, certains mê me dé chiré s, comme s’il n’avait pas cherché un livre, mais quelque chose qui devait se trouver entre les pages d’un livre. Plusieurs avaient é té dé chiqueté s avec violence, sé paré s de leur reliure. Les recueillir, en examiner rapidement la nature et les replacer en tas sur la table, ne fut pas une petite affaire, et mené e en toute hâ te, car l’Abbé nous avait accordé peu de temps, é tant donné que des moines devaient ensuite entrer afin de recomposer le corps massacré de Sé verin et de le pré parer pour la sé pulture. Et puis il fallait aussi aller chercher de tous les cô té s, sous les tables, derriè re les é tagè res et les armoires, si quelque chose avait é chappé à une premiè re inspection. Guillaume ne voulut pas que Bence m’aidâ t et il ne lui permit que de monter la garde à la porte. Malgré les ordres de l’Abbé, beaucoup s’obstinaient à vouloir entrer, servants consterné s par la nouvelle, moines pleurant leur frè re, novices arrivé s avec des draps blancs et des bassines d’eau pour laver et envelopper le cadavre... Nous devions donc procé der à vive allure. Je saisissais les livres, les pré sentais à Guillaume qui les examinait et les dé posait sur la table. Puis nous nous rendî mes compte que le travail é tait trop long et nous poursuivî mes ensemble, c’est-à -dire que je ramassais un livre, le remettais en ordre s’il é tait en dé sordre, en lisais le titre, le posais. Et en de nombreux cas, il s’agissait de feuillets é pars. « De plantis libri trè s, malé diction ce n’est pas ç a », disait Guillaume et il jetait le livre sur la table. « Thé saurus herbarum », disais-je, et Guillaume: « Laisse tomber, nous cherchons un livre grec! — Celui-ci? » demandais-je en lui montrant un ouvrage aux pages couvertes de caractè res abstrus. Et Guillaume: « Non, celui- ci est arabe, idiot! Il avait bien raison Bacon: le premier devoir du sage, c’est d’é tudier les langues! — Mais l’arabe vous ne le savez pas vous non plus! » ré torquais-je piqué au vif, à quoi Guillaume me ré pondait: « Mais au moins je comprends quand c’est de l’arabe! » Et moi je rougissais car j’entendais Bence rire dans mon dos. Les livres é taient en grand nombre, et beaucoup plus nombreux les notes, les rouleaux avec des dessins de la voû te cé leste, les catalogues de plantes bizarres, des manuscrits du dé funt probablement, sur des feuillets dé taché s. Nous travaillâ mes longtemps, nous explorâ mes le laboratoire de fond en comble, Guillaume en arriva mê me, avec une grande froideur, à dé placer le cadavre pour voir s’il n’y avait rien dessous, et il fouilla sa robe. Rien. « C’est impossible, dit Guillaume. Sé verin s’est enfermé là - dedans avec un livre. Le cellé rier ne l’avait pas... — Il ne l’aura tout de mê me pas caché dans sa robe? demandai-je. — Non, le livre que j’ai vu l’autre matin sous la table de Venantius é tait d’un grand format, nous nous en serions aperç us. — Comment é tait-il relié ? demandai-je. — Je l’ignore. Il se trouvait ouvert et je ne l’ai vu que quelques secondes, tout juste le temps de me rendre compte qu’il é tait en grec, mais je n’en garde aucun autre souvenir. Continuons: le cellé rier ne l’a pas pris, et Malachie non plus, je crois. — Absolument pas, confirma Bence, quand le cellé rier l’a saisi à la poitrine, on voyait qu’il ne pouvait l’avoir sous son scapulaire. — C’est bon. En somme, c’est mauvais. Si le livre n’est pas dans cette piè ce, il est é vident que quelqu’un d’autre, outre Malachie et le cellé rier, é tait entré avant. — C’est-à -dire une troisiè me personne qui a tué Sé verin? — Trop de monde, dit Guillaume. — D’autre part, dis-je, qui pouvait savoir que le livre é tait ici? — Jorge, par exemple, s’il nous a entendus. — Oui, dis-je, mais Jorge n’aurait pu tuer un homme robuste comme Sé verin, et avec une telle violence. — Certainement pas. En outre, tu l’as vu se diriger vers l’É difice, et les archers l’ont croisé dans les cuisines peu avant de trouver le cellé rier. Il n’aurait donc pas eu le temps de venir ici et puis de s’en retourner aux cuisines. Tiens compte du fait que, mê me s’il se dé place avec une certaine dé sinvolture, il doit pourtant avancer en longeant les murs et il n’aurait pas pu traverser les jardins, et à vive allure... — Laissez-moi raisonner avec ma tê te, dis-je, moi qui dé sormais avais l’ambition de rivaliser avec mon maî tre. Donc ç a n’a pu ê tre Jorge. Alinardo rô dait dans les environs, mais lui aussi se tient malaisé ment sur ses jambes, et il ne peut l’avoir emporté sur Sé verin. Le cellé rier est venu ici, mais le temps é coulé entre sa sortie des cuisines et l’arrivé e des archers a é té si bref qu’il me semble difficile qu’il ait pu se faire ouvrir par Sé verin, l’affronter, le tuer et puis combiner cette chienlit. Malachie pourrait avoir pré cé dé tout le monde: Jorge vous a entendu dans le narthex, il est allé dans le scriptorium informer Malachie qu’un livre de la bibliothè que se trouvait chez Sé verin. Malachie vient ici, convainc Sé verin de lui ouvrir, le tue, Dieu sait pourquoi. Mais s’il cherchait le livre, il aurait dû le reconnaî tre sans farfouiller comme une brute, car enfin c’est lui le bibliothé caire! Alors, qui reste-t-il? — Bence », dit Guillaume. Bence nia avec vigueur en secouant le chef: « Non, frè re Guillaume, vous savez que je brû lais de curiosité. Mais si j’é tais entré ici, et si j’avais pu sortir avec le livre, je ne serais pas maintenant en train de vous tenir compagnie: je serais quelque part en train d’examiner mon tré sor... — Une preuve presque convaincante, sourit Guillaume. Pourtant toi non plus tu ne sais pas comment est fait le livre. Tu pourrais avoir tué et maintenant tu serais ici pour chercher de l’identifier. » Bence rougit violemment. « Moi je ne suis pas un assassin! protesta-t-il. — Personne ne l’est, avant de commettre son premier crime, dit philosophiquement Guillaume. En tout é tat de cause, le livre n’est pas ici, cela suffit à prouver que tu ne l’as pas laissé ici. Et il me semble raisonnable que, si tu l’avais pris avant, tu te serais é clipsé dans la confusion. » Ensuite il se tourna pour considé rer le cadavre. On eû t dit qu’alors seulement il se rendait compte de la mort de son ami. « Pauvre Sé verin, dit-il, je t’avais soupç onné toi aussi et tes poisons. Et tu t’attendais à la fé lonie d’un poison, autrement tu n’aurais pas enfilé ces gants. Tu craignais un danger venu de la terre et en revanche il t’est arrivé de la voû te cé leste... » Il reprit la sphè re dans sa main, en l’observant avec attention. « Qui sait pourquoi on a utilisé pré cisé ment cette arme... — Elle é tait à porté e de la main. — Possible. Il y avait aussi d’autres choses, des vases, des outils de jardinier... C’est un bel exemple d’art des mé taux et de science astronomique. On a abî mé et... Juste ciel! s’exclama-t-il. — Qu’y a-t-il? — Alors furent frappé s le tiers du soleil et le tiers de la lune et le tiers des é toiles... », ré cita-t-il. Je connaissais trop bien le texte de l’apô tre Jean: « La quatriè me trompette! m’é criai-je. — En effet. D’abord la grê le, puis le sang, puis l’eau et maintenant les é toiles... S’il en va ainsi tout doit ê tre revu, l’assassin n’a pas frappé au hasard, il a suivi un plan... Mais est-il donc possible d’imaginer un esprit si mauvais qu’il ne tue que lorsqu’il peut le faire en suivant la dicté e du livre de l’Apocalypse? — Qu’arrivera-t-il avec la cinquiè me trompette? » demandai-je atterré. Je cherchai à me rappeler: « Alors j’aperç us un astre qui du ciel avait chu sur la terre. On lui remit la clef du puits de l’abî me... Quelqu’un mourra-t-il en se noyant dans le puits? — La cinquiè me trompette nous promet beaucoup d’autres choses, dit Guillaume. Du puits montera la fumé e d’une fournaise, puis en sortiront des sauterelles qui tourmenteront les hommes avec un aiguillon semblable à celui des scorpions. Et la forme des sauterelles sera semblable à celle de chevaux avec des couronnes d’or sur leurs tê tes et des crocs de lions... Notre homme aurait diffé rents moyens à sa disposition pour ré aliser les paroles du livre... Mais ne suivons pas nos imaginations. Cherchons plutô t de nous rappeler ce que nous a dit Sé verin quand il nous a annoncé avoir trouvé le livre... — Vous lui avez dit de vous l’apporter et lui, il a dit qu’il ne pouvait pas... — En effet, puis nous avons é té interrompus. Pourquoi ne pouvait-il pas? Un livre, on peut le transporter. Et pourquoi a-t-il mis ses gants? Y a-t-il quelque chose dans la reliure du livre en rapport avec le poison qui a tué Bé renger et Venantius? Un leurre mysté rieux, une pointe infecté e... — Un serpent! dis-je. — Pourquoi pas une baleine? Non, nous laissons encore errer notre imagination. Le poison, nous l’avons vu, devrait passer par la bouche. Ensuite, Sé verin n’a pas pré cisé ment dit qu’il ne pouvait pas transporter le livre. Il a dit qu’il pré fé rait me le faire voir ici. Et il a enfilé ses gants... Pour l’instant, nous savons qu’il faut toucher ce livre avec des gants. Et cela vaut aussi pour toi, Bence, si tu le trouves comme tu l’espè res. Et vu que tu es si serviable, tu peux m’aider. Remonte au scriptorium et tiens bien à l’oeil Malachie. Ne le perds pas de vue. — Ce sera fait! » dit Bence, et il sortit, heureux, nous sembla- t-il, de sa mission. Nous ne pû mes retenir plus longtemps les autres moines et la piè ce fut envahie. L’heure du dî ner é tait dé sormais passé e et Bernard probablement dé jà en train de ré unir sa cour dans le chapitre. « Ici, il n’y a plus rien à faire », dit Guillaume. Une idé e me traversa l’esprit: « L’assassin, dis-je,
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