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LE NOM DE LA ROSE 37 страницаBé thanie parce qu’il n’avait pas de quoi se payer l’auberge à Jé rusalem! — Bonagrazia, c’est toi le bouc! Et que mangeait Notre Seigneur à Jé rusalem? — Et toi tu dirais que le cheval, qui reç oit de l’avoine de son maî tre pour survivre, a la proprié té de l’avoine? — Tu vois bien que tu compares Christ à un cheval... — Non, c’est toi qui compares Christ à un pré lat simoniaque de la cour, chantepleure d’excré ments! — Oui? Et combien de fois le Saint-Siè ge a dû endosser des procè s pour dé fendre vos biens? — Les biens de l’Eglise, pas les nô tres! Nous, nous en avions l’usage! — L’usage pour les dé vorer, pour vous fabriquer de charmantes é glises avec des statues d’or, hypocrites, vaisseaux d’iniquité, sé pulcres blanchis, sentines de vices! Vous le savez bien que c’est la charité, et non la pauvreté, le principe de la vie parfaite! — Ç a, c’est votre glouton de Thomas qui l’a dit! — Attention à toi, impie! Celui que tu appelles glouton est un saint de la sainte Eglise romaine! — Saint de mes sandales, canonisé par Jean pour irriter les franciscains! Votre pape ne peut pas faire de saints, car c’est un hé ré tique! Mieux, c’est un hé ré siarque! — Cette belle proposition, nous la connaissons dé jà ! C’est la dé claration du fantoche de Baviè re à Sachsenhausen, pré paré e par votre Ubertin! — Attention à ce que tu dis, porc, fils de la prostitué e de Babylone et d’autres roulures encore! Tu sais parfaitement que cette anné e-là Ubertin n’é tait pas auprè s de l’empereur, mais se trouvait justement en Avignon, au service du cardinal Orsini, et le pape l’envoyait comme messager en Aragon! — Je le sais, je sais qu’il faisait voeu de pauvreté à la table du cardinal, comme il le fait maintenant dans l’abbaye la plus riche de la pé ninsule! Ubertin, si tu n’y é tais pas toi, qui a suggé ré à Louis de se servir de tes é crits? — Est-ce ma faute si Louis lit mes é crits? Il ne peut certes pas lire les tiens, illettré que tu es! — Moi un illettré ? Il é tait lettré votre Franç ois, qui parlait avec les oies? — Tu as blasphé mé ! — C’est toi qui blasphè mes, fraticelle au balai rô ti! — Moi je n’ai jamais rô ti le balai, et tu le sais bien! ! ! — Bien sû r que si, avec tes fraticelles, quand tu t’enfilais dans le lit de Claire de Montfaucon! — Que Dieu te foudroie! J’é tais inquisiteur en ce temps-là, et Claire avait dé jà expiré en odeur de sainteté ! — Continue, continue, l’ire de Dieu s’abattra sur toi comme elle s’abattra sur ton maî tre, qui a donné asile à deux hé ré tiques comme cet ostrogoth d’Eckhart et ce né cromant anglais que vous appelez Branucerton! — Vé né rables frè res, vé né rables frè res! » criaient le cardinal Bertrand et l’Abbé. Cinquiè me jour TIERCE Où Sé verin parle à Guillaume d’un livre é trange et Guillaume parle aux lé gats d’une é trange conception du gouvernement temporel. La querelle faisait encore rage, lorsque l’un des novices de garde à la porte entra, passant au milieu de cette confusion comme qui traverse un champ battu par la grê le, et vint glisser à l’oreille de Guillaume que Sé verin dé sirait lui parler d’urgence. Nous sortî mes dans le narthex bondé de moines curieux qui tentaient de saisir au milieu des cris et des bruits, quelque chose de ce qui se passait à l’inté rieur. Au premier rang, nous vî mes Aymaro d’Alexandrie qui nous accueillit avec son habituel rictus de commisé ration pour l’imbé cillité de l’univers entier: « Certes, depuis qu’ont fleuri les ordres mendiants, la chré tienté est devenue plus vertueuse », dit-il. Guillaume l’é carta, non sans brusquerie, et se dirigea sur Sé verin, qui nous attendait dans un coin. Il é tait anxieux, il voulait nous entretenir en privé, mais on ne pouvait trouver un endroit tranquille dans ce tohu-bohu. Nous voulions sortir en plein air, mais sur le seuil de la salle capitulaire apparaissait Michel de Cé sè ne qui exhortait Guillaume à rentrer car, disait-il, la querelle se vidait, et on devait continuer la sé rie d’interventions. Guillaume, partagé entre les deux sacs de foin, incita Sé verin à parler et l’herboriste chercha de ne pas se faire entendre des pré sents. « Bé renger a sû rement é té à l’hô pital, avant de se rendre aux balnea, dit-il. — Comment le sais-tu? » Quelques moines s’approchaient, intrigué s par notre entretien. Sé verin parla à voix encore plus basse, en jetant des coups d’oeil circulaires. « Tu m’avais dit que cet homme... devait avoir quelque chose avec lui... Bien, j’ai trouvé quelque chose dans mon laboratoire, au milieu des autres livres... un livre qui ne m’appartient pas, un livre é trange... — Ce doit ê tre lui, dit Guillaume triomphant, apporte-le-moi tout de suite. — Je ne peux pas, dit Sé verin, je t’expliquerai, j’ai dé couvert, je crois avoir dé couvert quelque chose d’inté ressant... Il faut que tu viennes toi, il faut que je te montre le livre... avec prudence... » Il arrê ta de parler. Nous nous aperç û mes que, silencieux comme de coutume, Jorge avait surgi presque à l’improviste à nos cô té s. Il tendait les mains devant lui comme si, non habitué à se diriger dans ce lieu, il cherchait à comprendre où il allait. Une personne normale n’aurait pu entendre les murmures de Sé verin, mais nous avions appris depuis beau temps que l’ouï e de Jorge, comme celle de tous les aveugles, é tait particuliè rement aiguë. Le vieillard eut toutefois l’air de n’avoir rien entendu. Il s’en alla mê me dans une direction opposé e à la nô tre, toucha un des moines et demanda quelque chose. Celui-ci le soutint avec dé licatesse au bras et le conduisit dehors. A ce moment-là ré apparut Michel qui sollicita de nouveau Guillaume, et mon maî tre prit une ré solution: « Je t’en conjure, dit-il à Sé verin, retourne sur-le-champ d’où tu viens. Enferme-toi à double tour et attends-moi. Toi, me dit-il en se tournant vers moi, suis Jorge. Mê me s’il a entendu quelque chose, je ne crois pas qu’il se fasse emmener à l’hô pital. En tout cas, tâ che de me dire où il va. » Il s’apprê ta à rentrer dans la salle, et aperç ut (comme je l’aperç us moi aussi) Aymaro jouant des coudes dans la foule pour suivre Jorge qui sortait. C’est alors que Guillaume commit une imprudence, car cette fois à voix haute, d’un bout à l’autre du narthex, il dit à Sé verin, dé jà sur le seuil exté rieur: « C’est bien entendu. Ne permets à personne que... ces feuillets... retournent d’où ils sont sortis! » Moi, qui m’apprê tais à suivre Jorge, je vis à cet instant, adossé au montant de la porte exté rieure, le cellé rier: il avait entendu les paroles de Guillaume et il regardait alternativement mon maî tre et l’herboriste, le visage contracté de peur. Il vit Sé verin qui s’en allait, il le suivit. Moi, sur le seuil, je craignais de perdre de vue Jorge, qui allait disparaî tre, avalé par le brouillard: mais les deux autres aussi, dans la direction opposé e, allaient disparaî tre de mê me. Je calculai rapidement ce que je devais faire. Il m’avait é té ordonné de suivre l’aveugle, mais dans la crainte qu’il n’aille vers l’hô pital. En revanche, la direction qu’il prenait, avec son accompagnateur, é tait tout autre, parce qu’il traversait le cloî tre, marchant vers l’é glise, ou l’É difice. Par contre le cellé rier é tait certainement en train de suivre l’herboriste, et Guillaume s’inquié tait de ce qui pourrait se passer dans le laboratoire. Aussi me mis-je à suivre ces deux-là, en me demandant, entre autres, où se rendait Aymaro, si toutefois il n’é tait pas sorti pour des raisons fort diffé rentes des nô tres. Me tenant à une distance raisonnable, je ne perdais pas de vue le cellé rier, qui ralentissait le pas, parce qu’il s’é tait aperç u que je le suivais. Il ne pouvait pas savoir si l’ombre qui le talonnait c’é tait moi, comme moi je ne pouvais savoir si l’ombre que je talonnais c’é tait lui, mais comme moi je n’avais aucun doute à son sujet, lui n’avait aucun doute à mon sujet. En le contraignant à me contrô ler, je l’empê chai de serrer de trop prè s Sé verin. Ainsi, quand la porte de l’hô pital apparut dans le brouillard, elle é tait dé jà refermé e. Sé verin s’é tait dé sormais claquemuré, grâ ce au ciel. Le cellé rier se retourna encore une fois pour me regarder, moi qui restais immobile comme une souche, puis il parut prendre une dé cision et se dirigea vers les cuisines. Il me sembla avoir rempli ma mission, Sé verin é tait un homme plein de bon sens, il se garderait tout seul sans ouvrir à personne. Je n’avais plus rien d’autre à faire et surtout je brû lais de la curiosité de voir ce qui se passait dans la salle capitulaire. Je dé cidai donc de revenir faire mon rapport à Guillaume. Peut-ê tre fut-ce une erreur de ma part, j’aurais dû monter encore la garde, et nous aurions é vité beaucoup d’autres malheurs. Mais cela je le sais à pré sent, je ne le savais pas alors. Tandis que je rentrais, il s’en fallut de peu que je ne me heurtasse à Bence qui souriait d’un air complice: « Sé verin a trouvé quelque chose dont Bé renger s’est dé fait, n’est-ce pas? — Qu’en sais-tu, toi? » lui ré pondis-je insolemment, le traitant comme un de mon â ge, en partie par colè re et en partie à cause de son visage jeune qui prenait maintenant une expression malicieuse presque enfantine. « Je ne suis pas un idiot, ré pondit Bence, Sé verin court dire quelque chose à Guillaume, toi tu contrô les si personne ne le suit... — Et toi, tu nous observes un peu trop, nous et Sé verin, dis-je irrité. — Moi? bien sû r que je vous observe. Depuis avanthier, je ne perds de vue ni les balnea ni l’hô pital. L’eussé je pu, j’y serais dé jà entré. Je donnerais les yeux de la tê te pour savoir ce que Bé renger a trouvé dans la bibliothè que. — Tu veux savoir trop de choses sans en avoir le droit! — Moi je suis un escholier et j’ai le droit de savoir, je suis venu des confins du monde pour connaî tre la bibliothè que et la bibliothè que reste fermé e comme si elle renfermait des choses mauvaises et moi... — Laisse-moi aller, dis-je d’un ton brusque. — Je te laisse aller, d’ailleurs tu m’as dit ce que je voulais. — Moi? — On parle mê me en se taisant. — Je te conseille de ne pas entrer dans l’hô pital, lui dis-je. — Je n’entrerai pas, je n’entrerai pas, sois tranquille. Mais personne ne m’interdit de regarder de l’exté rieur. » Je ne l’é coutai plus et rentrai. Ce curieux, me sembla-t-il, ne repré sentait pas un grand danger. Je me rapprochai de Guillaume et le mis briè vement au courant des faits. Il hocha la tê te en marque d’approbation, puis il me fit signe de me taire. La confusion allait dé croissant dé sormais. Les lé gats des deux partis é changeaient le baiser de la paix. Alboré a louait la foi des minorites, Jé rô me exaltait la charité des prê cheurs, tous acclamaient l’espé rance d’une Eglise plus jamais agité e par des luttes intestines. Qui cé lé brait le courage des uns, qui la tempé rance des autres, tous invoquaient la justice et en appelaient à la prudence. Jamais je ne vis autant d’hommes visant aussi sincè rement au triomphe des vertus thé ologales et cardinales. Mais dé jà Bertrand du Poggetto invitait Guillaume à exprimer les thè ses des thé ologiens impé riaux. Guillaume se leva à contrecoeur: d’un cô té il se rendait compte que la rencontre n’avait aucune utilité, d’un autre cô té il avait hâ te d’en finir, et le livre mysté rieux lui importait davantage, dé sormais, que l’issue de la rencontre. Mais il é tait clair qu’il ne pouvait se soustraire à son devoir. Il commenç a donc à parler, avec de nombreux « eh » et « oh », peut-ê tre plus que d’habitude et plus qu’il ne devait, comme pour faire comprendre qu’il é tait absolument incertain sur le discours à tenir, et dans son exorde il affirma entendre fort bien le point de vue de ceux qui avaient parlé avant lui, et que par ailleurs ce que d’autres appelaient la « doctrine » des thé ologiens impé riaux n’allait pas au-delà de certaines observations é parses sans pré tention de s’imposer comme vé rité de foi. Il dit ensuite que, é tant donné l’immense bonté que Dieu avait manifesté e en cré ant le peuple de ses enfants, les aimant tous sans distinction dè s ces pages de la Genè se où il n’é tait pas encore fait mention de prê tres et de rois, considé rant aussi que le Seigneur avait donné à Adam et à ses descendants autorité sur les choses de cette terre, pourvu qu’ils se pliassent aux lois divines, il s’avé rait loisible de soupç onner qu’elle n’é tait pas é trangè re au Seigneur lui-mê me l’idé e que dans les affaires terrestres le peuple soit lé gislateur et premiè re cause effective de la loi. Par peuple, dit-il, il eû t é té bon d’entendre l’universalité des citoyens, mais comme parmi les citoyens il faut aussi prendre en considé ration les jeunes enfants, les abrutis, les malfaiteurs et les femmes, sans doute pouvait-on en arriver d’une faç on raisonnable à une dé finition de peuple comme la partie la meilleure des citoyens, bien que, pour le moment, lui ne jugeâ t pas opportun de se prononcer sur ceux qui appartenaient effectivement à cette partie-là. Il toussota, s’excusa auprè s de l’assistance en suggé rant que ce jour l’atmosphè re é tait indubitablement trè s humide, et il supposa que la faç on dont le peuple aurait pu exprimer sa volonté pouvait coï ncider avec une assemblé e gé né rale é lective. Il dit qu’il lui paraissait tout à fait sensé qu’une telle assemblé e pû t interpré ter, changer ou suspendre la loi, parce que si le lé gislateur est seul, il pourrait mal agir par ignorance ou par malignité, et il ajouta que point n’é tait besoin de rappeler aux pré sents le nombre de cas de ce genre qu’on avait relevé s ré cemment. Je m’aperç us que l’assemblé e, plutô t perplexe à ses pré cé dentes paroles, ne pouvait qu’approuver ces derniè res, car chacun s’é tait mis é videmment à penser à une personne diffé rente, et chacun jugeait dé sastreuse la personne à qui il pensait. Bien, continua Guillaume, si un seul individu peut faire de mé chantes lois, un grand nombre d’individus ne feront-ils pas mieux l’affaire? Naturellement, souligna-til, on parlait là de lois terrestres, affé rentes au bon ordre des choses civiques. Dieu avait dit à Adam de ne pas manger de l’arbre du bien et du mal, et ç a, c’é tait la loi divine; mais ensuite il l’avait autorisé, que dis-je? Encouragé à donner un nom aux choses, et sur ce point il avait laissé toute liberté à son sujet terrestre. En effet, bien que d’aucuns, à notre é poque, disent que nomina sunt consequentia rerum{208}, le livre de la Genè se est d’ailleurs fort clair en l’occurrence: Dieu mena à l’homme tous les animaux pour voir comment il les appellerait, et quelle que fû t la maniè re dont l’homme aurait appelé chacun des ê tres vivants, ce nom devait ê tre le sien. Et, bien que le premier homme eû t é té certainement fort avisé, au point de nommer, dans sa langue é dé nique, chaque chose et animal selon sa nature, cela ne veut pas dire qu’il n’exerç â t point une sorte de droit souverain en imaginant le nom qui à son avis correspondait le mieux à cette nature. Car en fait on sait combien sont diffé rents les noms que les hommes imposent pour dé signer les concepts, et que, seuls les concepts, signes des choses, sont é gaux pour tous. Ainsi le mot nomen vient certainement de nomos, autrement dit loi, vu que justement les nomina sont donné s par les hommes ad placitum, c’est-à -dire par libre et collective convention. Les pré sents n’osè rent contester cette docte dé monstration. En consé quence de quoi, conclut Guillaume sur ce point, on voit parfaitement pourquoi lé gifé rer sur les choses de cette terre, et donc sur les affaires des villes et des royaumes, n’a rien à voir avec la garde et l’administration de la parole divine, privilè ge inalié nable de la hié rarchie ecclé siastique. Malheureux mê me, les infidè les, dit Guillaume, qui n’ont pas semblable autorité interpré tant chacun pour soi la parole divine (et tous de s’apitoyer sur les infidè les). Mais pouvons-nous dire pour autant, que les infidè les n’ont pas tendance à faire des lois et à administrer leurs affaires au moyen de gouvernements, rois, empereurs ou sultans et califes, comme on voudra? Et pouvait-on nier que de nombreux empereurs romains eussent exercé le pouvoir temporel avec sagesse, qu’on songeâ t à Trajan? Et qui a donné, à des paï ens et à des infidè les, cette capacité naturelle de lé gifé rer et de vivre en communauté s politiques? Leurs divinité s mensongè res peut-ê tre, qui né cessairement n’existent pas (ou n’existent pas né cessairement, de quelque faç on qu’on veuille entendre la né gation de cette modalité )? Certes pas. Seul le Dieu des armé es, le Dieu d’Israë l, pè re de Notre Seigneur Jé sus-Christ, pouvait la leur avoir confé ré e... Preuve admirable de la bonté divine qui a confé ré la capacité de juger des choses politiques, fû t-ce à qui dé savoue l’autorité du pontife romain et ne professe pas les mê mes sacré s, doux et terribles mystè res que le peuple chré tien! Est-il plus belle dé monstration que celle-là, du fait que la domination temporelle et la juridiction sé culaire n’ont rien à voir avec l’Eglise et avec la loi de Jé sus-Christ, et qu’elles furent ordonné es par Dieu en dehors de toute ratification ecclé siastique et avant mê me que ne naquî t notre sainte religion? Il toussa de nouveau, mais cette fois-ci pas tout seul. Beaucoup des assistants s’agitaient sur leurs siè ges et se raclaient la gorge. Je vis le cardinal se passer la langue sur les lè vres et faire un geste, anxieux mais courtois, pour inviter Guillaume à en venir au fait. Et Guillaume affronta ce qui maintenant paraissait à tous, mê me à qui ne les partageait pas, les conclusions peut-ê tre dé sagré ables de cet irré futable discours. Guillaume dit alors que ses dé ductions lui semblaient s’appuyer sur l’exemple mê me du Christ, qui ne vint pas en ce monde pour commander, mais pour se soumettre aux conditions qu’il trouvait dans le monde, du moins en regard des lois de Cé sar. Il ne voulut pas que les apô tres eussent commandement et domination, il semblait donc sage que les successeurs des apô tres dussent ê tre allé gé s de tout pouvoir mondain et coercitif. Si le pape, les é vê ques et les prê tres n’é taient pas soumis au pouvoir mondain et coercitif du prince, l’autorité du prince en serait invalidé e, et ce faisant on invaliderait un ordre qui, comme il fut d’abord dé montré, avait é té disposé par Dieu. On doit certes prendre en considé ration des cas fort dé licats – dit Guillaume – comme celui des hé ré tiques, sur l’hé ré sie desquels la seule Eglise, gardienne de la vé rité, peut se prononcer, quand toutefois le seul bras sé culier peut agir. Lorsque l’Eglise repè re des hé ré tiques, elle devra certes les signaler au prince, qu’il est bon d’informer des conditions de ses citoyens. Mais que devra faire le prince avec un hé ré tique? Le condamner au nom de cette vé rité divine dont il n’est pas le gardien? Le prince peut et doit condamner l’hé ré tique si son action nuit à la vie en socié té de tout le monde, si en somme l’hé ré tique affirme son hé ré sie en tuant ou en entravant ceux qui ne la partagent pas. Mais là s’arrê te le pouvoir du prince, car personne sur cette terre ne peut ê tre contraint supplices aidant, de suivre les pré ceptes de l’Evangile, sinon où finirait cette libre volonté sur l’exercice de quoi chacun se verra ensuite jugé dans l’autre monde? L’Eglise peut et doit avertir l’hé ré tique qu’il est en train de sortir de la communauté des fidè les, mais elle ne peut le juger sur la terre et l’obliger contre sa volonté. Si Christ avait voulu que ses prê tres obtinssent un pouvoir coercitif, il eû t é tabli des pré ceptes pré cis comme fit Moï se avec la loi ancienne. Il ne l’a pas fait. Donc il ne l’a pas voulu. Ou entend-on suggé rer l’idé e qu’il le voulait, mais qu’il lui serait manqué le temps ou la capacité de le dire, en trois anné es de pré dication? Mais il é tait juste qu’il ne le voulû t pas, car si telle avait é té sa volonté, alors le pape aurait pu imposer sa loi au roi, et le christianisme ne serait plus loi de liberté, mais intolé rable esclavage. Tout ceci, ajouta Guillaume, le visage hilare, ne limite aucunement les pouvoirs du souverain pontife, mais exalte au contraire sa mission: car le serviteur des serviteurs de Dieu est sur cette terre pour servir et non pas pour ê tre servi. Et, enfin, il serait pour le moins bizarre que le pape eû t juridiction sur les affaires de l’Empire et pas sur les autres royaumes de la terre. Comme bien on le sait, ce que le pape dit sur les choses divines vaut pour les sujets du roi de France comme pour ceux du roi d’Angleterre, mais doit valoir aussi pour les sujets du Grand Khan ou du sultan des infidè les, pré cisé ment nommé s infidè les parce qu’ils ne sont pas fidè les à cette belle vé rité. Et donc, si le pape se chargeait d’avoir juridiction temporelle – en tant que pape – sur les choses de l’Empire, il pourrait laisser soupç onner que, la juridiction temporelle s’identifiant avec la spirituelle, pour cela mê me non seulement il n’aurait pas juridiction spirituelle sur les Sarrasins ou sur les Tartares, mais pas davantage sur les Franç ais et les Anglais – ce qui serait un blasphè me criminel. Voilà la raison, concluait mon maî tre, pour laquelle il lui semblait juste de suggé rer que l’Eglise d’Avignon faisait injure à l’humanité entiè re en affirmant qu’il lui revenait d’approuver ou de suspendre celui qui avait é té é lu empereur des Romains. Le pape n’a pas sur l’Empire des droits plus grands que sur les autres royaumes, et comme ne sont sujets à l’approbation du pape ni le roi de France ni le sultan, on ne voit aucune bonne raison pour que doive y ê tre sujet l’empereur des Allemands et des Italiens. Un tel assujettissement n’est pas de droit divin, parce que les Ecritures n’en parlent pas. Il n’est pas sanctionné par le droit des gentils, en vertu des raisons avancé es plus haut. Quant aux rapports avec la dispute de la pauvreté, dit enfin Guillaume, ses modestes opinions, é laboré es en forme d’affables suggestions par lui et par certains comme Marsile de Padoue et Jean de Jandun, portaient aux conclusions suivantes: si les franciscains voulaient rester pauvres, le pape ne pouvait ni ne devait s’opposer à un dé sir aussi vertueux. Nul doute que si l’hypothè se de la pauvreté de Christ avait é té prouvé e, non seulement cela eû t aidé les minorites, mais renforcé l’idé e que Jé sus n’avait voulu pour lui aucune juridiction terrestre. Cependant il avait entendu ce matin des personnes fort sages affirmer qu’on ne pouvait prouver que Jé sus eû t é té pauvre. A la suite de quoi, il lui semblait plus convenable de renverser la
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