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LE NOM DE LA ROSE 37 страница



Bé thanie parce qu’il n’avait pas de quoi se payer l’auberge

à Jé rusalem!

— Bonagrazia, c’est toi le bouc! Et que mangeait

Notre Seigneur à Jé rusalem?

— Et toi tu dirais que le cheval, qui reç oit de l’avoine

de son maî tre pour survivre, a la proprié té de l’avoine?

— Tu vois bien que tu compares Christ à un cheval...

— Non, c’est toi qui compares Christ à un pré lat

simoniaque de la cour, chantepleure d’excré ments!

— Oui? Et combien de fois le Saint-Siè ge a dû

endosser des procè s pour dé fendre vos biens?

— Les biens de l’Eglise, pas les nô tres! Nous, nous

en avions l’usage!

— L’usage pour les dé vorer, pour vous fabriquer de

charmantes é glises avec des statues d’or, hypocrites,

vaisseaux d’iniquité, sé pulcres blanchis, sentines de

vices! Vous le savez bien que c’est la charité, et non la

pauvreté, le principe de la vie parfaite!

— Ç a, c’est votre glouton de Thomas qui l’a dit!

— Attention à toi, impie! Celui que tu appelles

glouton est un saint de la sainte Eglise romaine!

— Saint de mes sandales, canonisé par Jean pour

irriter les franciscains! Votre pape ne peut pas faire de

saints, car c’est un hé ré tique! Mieux, c’est un

hé ré siarque!

— Cette belle proposition, nous la connaissons dé jà !

C’est la dé claration du fantoche de Baviè re à

Sachsenhausen, pré paré e par votre Ubertin!

— Attention à ce que tu dis, porc, fils de la prostitué e

de Babylone et d’autres roulures encore! Tu sais

parfaitement que cette anné e-là Ubertin n’é tait pas

auprè s de l’empereur, mais se trouvait justement en

Avignon, au service du cardinal Orsini, et le pape

l’envoyait comme messager en Aragon!

— Je le sais, je sais qu’il faisait voeu de pauvreté à la

table du cardinal, comme il le fait maintenant dans

l’abbaye la plus riche de la pé ninsule! Ubertin, si tu n’y

é tais pas toi, qui a suggé ré à Louis de se servir de tes

é crits?

— Est-ce ma faute si Louis lit mes é crits? Il ne peut

certes pas lire les tiens, illettré que tu es!

— Moi un illettré ? Il é tait lettré votre Franç ois, qui

parlait avec les oies?

— Tu as blasphé mé !

— C’est toi qui blasphè mes, fraticelle au balai rô ti!

— Moi je n’ai jamais rô ti le balai, et tu le sais bien! ! !

— Bien sû r que si, avec tes fraticelles, quand tu

t’enfilais dans le lit de Claire de Montfaucon!

— Que Dieu te foudroie! J’é tais inquisiteur en ce

temps-là, et Claire avait dé jà expiré en odeur de sainteté !

— Continue, continue, l’ire de Dieu s’abattra sur toi

comme elle s’abattra sur ton maî tre, qui a donné asile à

deux hé ré tiques comme cet ostrogoth d’Eckhart et ce

né cromant anglais que vous appelez Branucerton!

— Vé né rables frè res, vé né rables frè res! » criaient le

cardinal Bertrand et l’Abbé.

Cinquiè me jour

TIERCE

Où Sé verin parle à Guillaume d’un livre é trange et

Guillaume parle aux lé gats d’une é trange conception du

gouvernement temporel.

La querelle faisait encore rage, lorsque l’un des

novices de garde à la porte entra, passant au milieu de

cette confusion comme qui traverse un champ battu par

la grê le, et vint glisser à l’oreille de Guillaume que Sé verin

dé sirait lui parler d’urgence. Nous sortî mes dans le

narthex bondé de moines curieux qui tentaient de saisir

au milieu des cris et des bruits, quelque chose de ce qui se

passait à l’inté rieur. Au premier rang, nous vî mes Aymaro

d’Alexandrie qui nous accueillit avec son habituel rictus de

commisé ration pour l’imbé cillité de l’univers entier:

« Certes, depuis qu’ont fleuri les ordres mendiants, la

chré tienté est devenue plus vertueuse », dit-il.

Guillaume l’é carta, non sans brusquerie, et se dirigea

sur Sé verin, qui nous attendait dans un coin. Il é tait

anxieux, il voulait nous entretenir en privé, mais on ne

pouvait trouver un endroit tranquille dans ce tohu-bohu.

Nous voulions sortir en plein air, mais sur le seuil de la

salle capitulaire apparaissait Michel de Cé sè ne qui

exhortait Guillaume à rentrer car, disait-il, la querelle se

vidait, et on devait continuer la sé rie d’interventions.

Guillaume, partagé entre les deux sacs de foin, incita

Sé verin à parler et l’herboriste chercha de ne pas se faire

entendre des pré sents.

« Bé renger a sû rement é té à l’hô pital, avant de se

rendre aux balnea, dit-il.

— Comment le sais-tu? » Quelques moines

s’approchaient, intrigué s par notre entretien. Sé verin

parla à voix encore plus basse, en jetant des coups d’oeil

circulaires.

« Tu m’avais dit que cet homme... devait avoir

quelque chose avec lui... Bien, j’ai trouvé quelque chose

dans mon laboratoire, au milieu des autres livres... un

livre qui ne m’appartient pas, un livre é trange...

— Ce doit ê tre lui, dit Guillaume triomphant,

apporte-le-moi tout de suite.

— Je ne peux pas, dit Sé verin, je t’expliquerai, j’ai

dé couvert, je crois avoir dé couvert quelque chose

d’inté ressant... Il faut que tu viennes toi, il faut que je te

montre le livre... avec prudence... » Il arrê ta de parler.

Nous nous aperç û mes que, silencieux comme de coutume,

Jorge avait surgi presque à l’improviste à nos cô té s. Il

tendait les mains devant lui comme si, non habitué à se

diriger dans ce lieu, il cherchait à comprendre où il allait.

Une personne normale n’aurait pu entendre les

murmures de Sé verin, mais nous avions appris depuis

beau temps que l’ouï e de Jorge, comme celle de tous les

aveugles, é tait particuliè rement aiguë.

Le vieillard eut toutefois l’air de n’avoir rien

entendu. Il s’en alla mê me dans une direction opposé e à la

nô tre, toucha un des moines et demanda quelque chose.

Celui-ci le soutint avec dé licatesse au bras et le conduisit

dehors. A ce moment-là ré apparut Michel qui sollicita de

nouveau Guillaume, et mon maî tre prit une ré solution:

« Je t’en conjure, dit-il à Sé verin, retourne sur-le-champ

d’où tu viens. Enferme-toi à double tour et attends-moi.

Toi, me dit-il en se tournant vers moi, suis Jorge. Mê me

s’il a entendu quelque chose, je ne crois pas qu’il se fasse

emmener à l’hô pital. En tout cas, tâ che de me dire où il

va. »

Il s’apprê ta à rentrer dans la salle, et aperç ut

(comme je l’aperç us moi aussi) Aymaro jouant des coudes

dans la foule pour suivre Jorge qui sortait. C’est alors que

Guillaume commit une imprudence, car cette fois à voix

haute, d’un bout à l’autre du narthex, il dit à Sé verin, dé jà

sur le seuil exté rieur: « C’est bien entendu. Ne permets à

personne que... ces feuillets... retournent d’où ils sont

sortis! » Moi, qui m’apprê tais à suivre Jorge, je vis à cet

instant, adossé au montant de la porte exté rieure, le

cellé rier: il avait entendu les paroles de Guillaume et il

regardait alternativement mon maî tre et l’herboriste, le

visage contracté de peur. Il vit Sé verin qui s’en allait, il le

suivit. Moi, sur le seuil, je craignais de perdre de vue

Jorge, qui allait disparaî tre, avalé par le brouillard: mais

les deux autres aussi, dans la direction opposé e, allaient

disparaî tre de mê me. Je calculai rapidement ce que je

devais faire. Il m’avait é té ordonné de suivre l’aveugle,

mais dans la crainte qu’il n’aille vers l’hô pital. En

revanche, la direction qu’il prenait, avec son

accompagnateur, é tait tout autre, parce qu’il traversait le

cloî tre, marchant vers l’é glise, ou l’É difice. Par contre le

cellé rier é tait certainement en train de suivre l’herboriste,

et Guillaume s’inquié tait de ce qui pourrait se passer dans

le laboratoire. Aussi me mis-je à suivre ces deux-là, en me

demandant, entre autres, où se rendait Aymaro, si

toutefois il n’é tait pas sorti pour des raisons fort

diffé rentes des nô tres.

Me tenant à une distance raisonnable, je ne perdais

pas de vue le cellé rier, qui ralentissait le pas, parce qu’il

s’é tait aperç u que je le suivais. Il ne pouvait pas savoir si

l’ombre qui le talonnait c’é tait moi, comme moi je ne

pouvais savoir si l’ombre que je talonnais c’é tait lui, mais

comme moi je n’avais aucun doute à son sujet, lui n’avait

aucun doute à mon sujet.

En le contraignant à me contrô ler, je l’empê chai de

serrer de trop prè s Sé verin. Ainsi, quand la porte de

l’hô pital apparut dans le brouillard, elle é tait dé jà

refermé e. Sé verin s’é tait dé sormais claquemuré, grâ ce au

ciel. Le cellé rier se retourna encore une fois pour me

regarder, moi qui restais immobile comme une souche,

puis il parut prendre une dé cision et se dirigea vers les

cuisines. Il me sembla avoir rempli ma mission, Sé verin

é tait un homme plein de bon sens, il se garderait tout seul

sans ouvrir à personne. Je n’avais plus rien d’autre à faire

et surtout je brû lais de la curiosité de voir ce qui se

passait dans la salle capitulaire. Je dé cidai donc de revenir

faire mon rapport à Guillaume. Peut-ê tre fut-ce une

erreur de ma part, j’aurais dû monter encore la garde, et

nous aurions é vité beaucoup d’autres malheurs. Mais cela

je le sais à pré sent, je ne le savais pas alors.

Tandis que je rentrais, il s’en fallut de peu que je ne

me heurtasse à Bence qui souriait d’un air complice:

« Sé verin a trouvé quelque chose dont Bé renger s’est

dé fait, n’est-ce pas?

— Qu’en sais-tu, toi? » lui ré pondis-je insolemment,

le traitant comme un de mon â ge, en partie par colè re et

en partie à cause de son visage jeune qui prenait

maintenant une expression malicieuse presque enfantine.

« Je ne suis pas un idiot, ré pondit Bence, Sé verin

court dire quelque chose à Guillaume, toi tu contrô les si

personne ne le suit...

— Et toi, tu nous observes un peu trop, nous et

Sé verin, dis-je irrité.

— Moi? bien sû r que je vous observe. Depuis avanthier,

je ne perds de vue ni les balnea ni l’hô pital. L’eussé je

pu, j’y serais dé jà entré. Je donnerais les yeux de la tê te

pour savoir ce que Bé renger a trouvé dans la

bibliothè que.

— Tu veux savoir trop de choses sans en avoir le

droit! —

Moi je suis un escholier et j’ai le droit de savoir, je

suis venu des confins du monde pour connaî tre la

bibliothè que et la bibliothè que reste fermé e comme si elle

renfermait des choses mauvaises et moi...

— Laisse-moi aller, dis-je d’un ton brusque.

— Je te laisse aller, d’ailleurs tu m’as dit ce que je

voulais.

— Moi?

— On parle mê me en se taisant.

— Je te conseille de ne pas entrer dans l’hô pital, lui

dis-je. —

Je n’entrerai pas, je n’entrerai pas, sois tranquille.

Mais personne ne m’interdit de regarder de l’exté rieur. »

Je ne l’é coutai plus et rentrai. Ce curieux, me

sembla-t-il, ne repré sentait pas un grand danger. Je me

rapprochai de Guillaume et le mis briè vement au courant

des faits. Il hocha la tê te en marque d’approbation, puis il

me fit signe de me taire. La confusion allait dé croissant

dé sormais. Les lé gats des deux partis é changeaient le

baiser de la paix. Alboré a louait la foi des minorites,

Jé rô me exaltait la charité des prê cheurs, tous acclamaient

l’espé rance d’une Eglise plus jamais agité e par des luttes

intestines. Qui cé lé brait le courage des uns, qui la

tempé rance des autres, tous invoquaient la justice et en

appelaient à la prudence. Jamais je ne vis autant

d’hommes visant aussi sincè rement au triomphe des

vertus thé ologales et cardinales.

Mais dé jà Bertrand du Poggetto invitait Guillaume à

exprimer les thè ses des thé ologiens impé riaux. Guillaume

se leva à contrecoeur: d’un cô té il se rendait compte que

la rencontre n’avait aucune utilité, d’un autre cô té il avait

hâ te d’en finir, et le livre mysté rieux lui importait

davantage, dé sormais, que l’issue de la rencontre. Mais il

é tait clair qu’il ne pouvait se soustraire à son devoir.

Il commenç a donc à parler, avec de nombreux « eh »

et « oh », peut-ê tre plus que d’habitude et plus qu’il ne

devait, comme pour faire comprendre qu’il é tait

absolument incertain sur le discours à tenir, et dans son

exorde il affirma entendre fort bien le point de vue de

ceux qui avaient parlé avant lui, et que par ailleurs ce que

d’autres appelaient la « doctrine » des thé ologiens

impé riaux n’allait pas au-delà de certaines observations

é parses sans pré tention de s’imposer comme vé rité de foi.

Il dit ensuite que, é tant donné l’immense bonté que

Dieu avait manifesté e en cré ant le peuple de ses enfants,

les aimant tous sans distinction dè s ces pages de la

Genè se où il n’é tait pas encore fait mention de prê tres et

de rois, considé rant aussi que le Seigneur avait donné à

Adam et à ses descendants autorité sur les choses de

cette terre, pourvu qu’ils se pliassent aux lois divines, il

s’avé rait loisible de soupç onner qu’elle n’é tait pas

é trangè re au Seigneur lui-mê me l’idé e que dans les

affaires terrestres le peuple soit lé gislateur et premiè re

cause effective de la loi. Par peuple, dit-il, il eû t é té bon

d’entendre l’universalité des citoyens, mais comme parmi

les citoyens il faut aussi prendre en considé ration les

jeunes enfants, les abrutis, les malfaiteurs et les femmes,

sans doute pouvait-on en arriver d’une faç on raisonnable

à une dé finition de peuple comme la partie la meilleure

des citoyens, bien que, pour le moment, lui ne jugeâ t pas

opportun de se prononcer sur ceux qui appartenaient

effectivement à cette partie-là.

Il toussota, s’excusa auprè s de l’assistance en

suggé rant que ce jour l’atmosphè re é tait indubitablement

trè s humide, et il supposa que la faç on dont le peuple

aurait pu exprimer sa volonté pouvait coï ncider avec une

assemblé e gé né rale é lective. Il dit qu’il lui paraissait tout

à fait sensé qu’une telle assemblé e pû t interpré ter,

changer ou suspendre la loi, parce que si le lé gislateur est

seul, il pourrait mal agir par ignorance ou par malignité, et

il ajouta que point n’é tait besoin de rappeler aux pré sents

le nombre de cas de ce genre qu’on avait relevé s

ré cemment. Je m’aperç us que l’assemblé e, plutô t

perplexe à ses pré cé dentes paroles, ne pouvait

qu’approuver ces derniè res, car chacun s’é tait mis

é videmment à penser à une personne diffé rente, et

chacun jugeait dé sastreuse la personne à qui il pensait.

Bien, continua Guillaume, si un seul individu peut

faire de mé chantes lois, un grand nombre d’individus ne

feront-ils pas mieux l’affaire? Naturellement, souligna-til,

on parlait là de lois terrestres, affé rentes au bon ordre

des choses civiques. Dieu avait dit à Adam de ne pas

manger de l’arbre du bien et du mal, et ç a, c’é tait la loi

divine; mais ensuite il l’avait autorisé, que dis-je?

Encouragé à donner un nom aux choses, et sur ce point il

avait laissé toute liberté à son sujet terrestre. En effet,

bien que d’aucuns, à notre é poque, disent que nomina

sunt consequentia rerum{208}, le livre de la Genè se est

d’ailleurs fort clair en l’occurrence: Dieu mena à l’homme

tous les animaux pour voir comment il les appellerait, et

quelle que fû t la maniè re dont l’homme aurait appelé

chacun des ê tres vivants, ce nom devait ê tre le sien. Et,

bien que le premier homme eû t é té certainement fort

avisé, au point de nommer, dans sa langue é dé nique,

chaque chose et animal selon sa nature, cela ne veut pas

dire qu’il n’exerç â t point une sorte de droit souverain en

imaginant le nom qui à son avis correspondait le mieux à

cette nature. Car en fait on sait combien sont diffé rents

les noms que les hommes imposent pour dé signer les

concepts, et que, seuls les concepts, signes des choses,

sont é gaux pour tous. Ainsi le mot nomen vient

certainement de nomos, autrement dit loi, vu que

justement les nomina sont donné s par les hommes ad

placitum, c’est-à -dire par libre et collective convention.

Les pré sents n’osè rent contester cette docte

dé monstration. En consé quence de quoi, conclut

Guillaume sur ce point, on voit parfaitement pourquoi

lé gifé rer sur les choses de cette terre, et donc sur les

affaires des villes et des royaumes, n’a rien à voir avec la

garde et l’administration de la parole divine, privilè ge

inalié nable de la hié rarchie ecclé siastique. Malheureux

mê me, les infidè les, dit Guillaume, qui n’ont pas

semblable autorité interpré tant chacun pour soi la parole

divine (et tous de s’apitoyer sur les infidè les). Mais

pouvons-nous dire pour autant, que les infidè les n’ont pas

tendance à faire des lois et à administrer leurs affaires au

moyen de gouvernements, rois, empereurs ou sultans et

califes, comme on voudra? Et pouvait-on nier que de

nombreux empereurs romains eussent exercé le pouvoir

temporel avec sagesse, qu’on songeâ t à Trajan? Et qui a

donné, à des paï ens et à des infidè les, cette capacité

naturelle de lé gifé rer et de vivre en communauté s

politiques? Leurs divinité s mensongè res peut-ê tre, qui

né cessairement n’existent pas (ou n’existent pas

né cessairement, de quelque faç on qu’on veuille entendre

la né gation de cette modalité )? Certes pas. Seul le Dieu

des armé es, le Dieu d’Israë l, pè re de Notre Seigneur

Jé sus-Christ, pouvait la leur avoir confé ré e... Preuve

admirable de la bonté divine qui a confé ré la capacité de

juger des choses politiques, fû t-ce à qui dé savoue

l’autorité du pontife romain et ne professe pas les mê mes

sacré s, doux et terribles mystè res que le peuple chré tien!

Est-il plus belle dé monstration que celle-là, du fait que la

domination temporelle et la juridiction sé culaire n’ont rien

à voir avec l’Eglise et avec la loi de Jé sus-Christ, et

qu’elles furent ordonné es par Dieu en dehors de toute

ratification ecclé siastique et avant mê me que ne naquî t

notre sainte religion?

Il toussa de nouveau, mais cette fois-ci pas tout seul.

Beaucoup des assistants s’agitaient sur leurs siè ges et se

raclaient la gorge. Je vis le cardinal se passer la langue sur

les lè vres et faire un geste, anxieux mais courtois, pour

inviter Guillaume à en venir au fait. Et Guillaume affronta

ce qui maintenant paraissait à tous, mê me à qui ne les

partageait pas, les conclusions peut-ê tre dé sagré ables de

cet irré futable discours. Guillaume dit alors que ses

dé ductions lui semblaient s’appuyer sur l’exemple mê me

du Christ, qui ne vint pas en ce monde pour commander,

mais pour se soumettre aux conditions qu’il trouvait dans

le monde, du moins en regard des lois de Cé sar. Il ne

voulut pas que les apô tres eussent commandement et

domination, il semblait donc sage que les successeurs des

apô tres dussent ê tre allé gé s de tout pouvoir mondain et

coercitif. Si le pape, les é vê ques et les prê tres n’é taient pas

soumis au pouvoir mondain et coercitif du prince,

l’autorité du prince en serait invalidé e, et ce faisant on

invaliderait un ordre qui, comme il fut d’abord dé montré,

avait é té disposé par Dieu. On doit certes prendre en

considé ration des cas fort dé licats – dit Guillaume –

comme celui des hé ré tiques, sur l’hé ré sie desquels la

seule Eglise, gardienne de la vé rité, peut se prononcer,

quand toutefois le seul bras sé culier peut agir. Lorsque

l’Eglise repè re des hé ré tiques, elle devra certes les

signaler au prince, qu’il est bon d’informer des conditions

de ses citoyens. Mais que devra faire le prince avec un

hé ré tique? Le condamner au nom de cette vé rité divine

dont il n’est pas le gardien? Le prince peut et doit

condamner l’hé ré tique si son action nuit à la vie en socié té

de tout le monde, si en somme l’hé ré tique affirme son

hé ré sie en tuant ou en entravant ceux qui ne la partagent

pas. Mais là s’arrê te le pouvoir du prince, car personne

sur cette terre ne peut ê tre contraint supplices aidant, de

suivre les pré ceptes de l’Evangile, sinon où finirait cette

libre volonté sur l’exercice de quoi chacun se verra

ensuite jugé dans l’autre monde? L’Eglise peut et doit

avertir l’hé ré tique qu’il est en train de sortir de la

communauté des fidè les, mais elle ne peut le juger sur la

terre et l’obliger contre sa volonté. Si Christ avait voulu

que ses prê tres obtinssent un pouvoir coercitif, il eû t é tabli

des pré ceptes pré cis comme fit Moï se avec la loi ancienne.

Il ne l’a pas fait. Donc il ne l’a pas voulu. Ou entend-on

suggé rer l’idé e qu’il le voulait, mais qu’il lui serait manqué

le temps ou la capacité de le dire, en trois anné es de

pré dication? Mais il é tait juste qu’il ne le voulû t pas, car si

telle avait é té sa volonté, alors le pape aurait pu imposer

sa loi au roi, et le christianisme ne serait plus loi de liberté,

mais intolé rable esclavage.

Tout ceci, ajouta Guillaume, le visage hilare, ne

limite aucunement les pouvoirs du souverain pontife, mais

exalte au contraire sa mission: car le serviteur des

serviteurs de Dieu est sur cette terre pour servir et non

pas pour ê tre servi. Et, enfin, il serait pour le moins

bizarre que le pape eû t juridiction sur les affaires de

l’Empire et pas sur les autres royaumes de la terre.

Comme bien on le sait, ce que le pape dit sur les choses

divines vaut pour les sujets du roi de France comme pour

ceux du roi d’Angleterre, mais doit valoir aussi pour les

sujets du Grand Khan ou du sultan des infidè les,

pré cisé ment nommé s infidè les parce qu’ils ne sont pas

fidè les à cette belle vé rité. Et donc, si le pape se chargeait

d’avoir juridiction temporelle – en tant que pape – sur les

choses de l’Empire, il pourrait laisser soupç onner que, la

juridiction temporelle s’identifiant avec la spirituelle, pour

cela mê me non seulement il n’aurait pas juridiction

spirituelle sur les Sarrasins ou sur les Tartares, mais pas

davantage sur les Franç ais et les Anglais – ce qui serait un

blasphè me criminel. Voilà la raison, concluait mon maî tre,

pour laquelle il lui semblait juste de suggé rer que l’Eglise

d’Avignon faisait injure à l’humanité entiè re en affirmant

qu’il lui revenait d’approuver ou de suspendre celui qui

avait é té é lu empereur des Romains. Le pape n’a pas sur

l’Empire des droits plus grands que sur les autres

royaumes, et comme ne sont sujets à l’approbation du

pape ni le roi de France ni le sultan, on ne voit aucune

bonne raison pour que doive y ê tre sujet l’empereur des

Allemands et des Italiens. Un tel assujettissement n’est

pas de droit divin, parce que les Ecritures n’en parlent

pas. Il n’est pas sanctionné par le droit des gentils, en

vertu des raisons avancé es plus haut. Quant aux rapports

avec la dispute de la pauvreté, dit enfin Guillaume, ses

modestes opinions, é laboré es en forme d’affables

suggestions par lui et par certains comme Marsile de

Padoue et Jean de Jandun, portaient aux conclusions

suivantes: si les franciscains voulaient rester pauvres, le

pape ne pouvait ni ne devait s’opposer à un dé sir aussi

vertueux. Nul doute que si l’hypothè se de la pauvreté de

Christ avait é té prouvé e, non seulement cela eû t aidé les

minorites, mais renforcé l’idé e que Jé sus n’avait voulu

pour lui aucune juridiction terrestre. Cependant il avait

entendu ce matin des personnes fort sages affirmer qu’on

ne pouvait prouver que Jé sus eû t é té pauvre. A la suite

de quoi, il lui semblait plus convenable de renverser la



  

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