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LE NOM DE LA ROSE 36 страница



s’é tant ré uni à Pé rouse sous la conduite de Michel de

Cé sè ne, avait é tabli, aprè s mû re et diligente dé libé ration,

que Christ, pour donner un exemple de vie parfaite, et les

apô tres pour se conformer à son enseignement, n’avaient

jamais possé dé en commun la moindre chose, aussi bien à

titre de proprié té que de seigneurie, et que cette vé rité

é tait matiè re de foi saine et catholique, comme on le

dé duisait de diffé rents passages des livres canoniques. Le

renoncement à la proprié té de toute chose s’avé rait donc

mé ritoire et saint, et à cette rè gle de sainteté s’é taient

tenus les premiers fondateurs de l’Eglise militante. A

cette vé rité s’é tait tenu en 1312 le concile de Vienne, et le

pape Jean lui-mê me en 1317, dans la constitution sur

l’é tat des frè res mineurs qui commence Quorundam

exigit, avait commenté les dé libé ré s de ce concile comme

saintement composé s, lucides, solides et mû rs. En

consé quence de quoi, le chapitre de Pé rouse, jugeant que

ce que par saine doctrine le Siè ge apostolique avait

toujours approuvé, se devait tenir toujours pour accepté,

et qu’on ne devait d’aucune faç on s’en é carter, s’é tait

contenté de sceller à nouveau une telle dé cision

conciliaire, par le paraphe de maî tres en sainte thé ologie

comme frè re Guillaume d’Angleterre, frè re Henri

d’Allemagne, frè re Arnaud d’Aquitaine, provinciaux et

ministres; ainsi que par le sceau de frè re Nicolas ministre

de France, frè re Guillaume Bloc bachelier, du ministre

gé né ral et de quatre ministres provinciaux, frè re Thomas

de Bologne, frè re Pierre de la province de saint Franç ois,

frè re Fernand de Castel et frè re Simon de Turonie.

Cependant, ajouta Abbon, l’anné e suivante le pape

promulguait la dé cré tale Ad conditorem canonum contre

laquelle faisait appel frè re Bonagrazia de Bergame, la

jugeant contraire aux inté rê ts de son ordre. Le pape avait

alors dé cloué la dé cré tale des portes de la cathé drale

d’Avignon où elle avait é té cloué e, et il l’avait amendé e

sur plusieurs points. Mais en ré alité, il l’avait rendue

encore plus â pre, preuve en é tait que, comme

consé quence immé diate, frè re Bonagrazia avait é té gardé

une anné e en prison. Et on ne pouvait avoir aucun doute

sur la sé vé rité du souverain pontife, car la mê me anné e il

promulguait la dé sormais cé lè bre Cum inter nonnullos, où

se voyaient dé finitivement condamné es les thè ses du

chapitre de Pé rouse.

C’est alors que prit la parole, interrompant

courtoisement Abbon, le cardinal Bertrand: il dit qu’il

fallait rappeler comment, pour compliquer les choses et

irriter le souverain pontife, é tait intervenu en 1324 Louis

le Bavarois avec la dé claration de Sachsenhausen, où l’on

adoptait sans aucune raison valable les thè ses de Pé rouse

(et on comprenait mal, remarqua Bertrand avec un fin

sourire, comment il se faisait que l’empereur acclamâ t

avec un tel enthousiasme une pauvreté qu’il é tait bien loin

de pratiquer lui), prenant des positions antagoniques

contre messer le pape, l’appelant inimicus pacis et le

disant tout occupé à susciter scandales et discordes, le

traitant pour finir d’hé ré tique, et mê me d’hé ré siarque.

« Pas exactement, fit Abbon en mé diateur.

— En substance, si », dit Bertrand d’un ton sec. Et il

ajouta que c’é tait pré cisé ment pour riposter à

l’intervention inopportune de l’empereur que messer le

pape avait é té contraint de promulguer la dé cré tale Quia

quorundam, et qu’il avait enfin sé vè rement invité Michel

de Cé sè ne à se pré senter devant lui. Michel avait mandé

des lettres d’excusation se disant malade, chose dont

personne ne doutait, envoyant à sa place frè re Jean

Fidanza et frè re Modeste Custodio de Pé rouse. Mais le

hasard voulut, dit le cardinal, que les guelfes de Pé rouse

eussent informé le pape que, loin d’ê tre malade, fra

Michel entretenait des contacts avec Louis de Baviè re. Et

en tout cas, ce qui avait é té ayant é té, maintenant fra

Michel semblait d’aspect bel et serein, et on l’attendait

donc en Avignon. Cependant, mieux valait, admettait le

cardinal, jauger d’abord, comme on le faisait en ce

moment, en pré sence d’hommes prudents des deux

parties, ce que Michel dirait ensuite au pape, é tant donné

que le but de tous é tait bien de ne pas envenimer les

choses et de mettre fraternellement fin à une dissension

qui n’avait pas lieu d’ê tre entre un pè re aimant et ses fils

dé voué s, et qui jusqu’alors ne s’é tait ravivé e qu’à cause

des interventions d’hommes du siè cle, empereurs ou leurs

vicaires comme on veut, lesquels n’avaient rien à voir

avec les questions de notre sainte mè re l’Eglise.

Alors intervint Abbon et il dit que, tout en é tant

homme d’Eglise et abbé d’un ordre auquel l’Eglise devait

tant (un murmure de respect et de dé fé rence parcourut

les deux cô té s de l’hé micycle), il ne pensait pourtant pas

que l’empereur dû t demeurer é tranger à de telles

questions, pour les nombreuses raisons que frè re

Guillaume de Baskerville exposerait par la suite. Mais,

disait toujours Abbon, il s’avé rait toutefois juste que la

premiè re partie du dé bat se dé roulâ t entre les envoyé s

pontificaux et les repré sentants de ces fils de saint

Franç ois qui, du fait mê me d’ê tre intervenus à cette

rencontre, dé montraient qu’ils é taient les fils trè s fidè les

du souverain pontife. Et donc il invitait frè re Michel ou

l’un des siens parlant en son nom, à dire ce qu’il entendait

soutenir en Avignon.

Michel dit que, pour sa joie et son é motion, se

trouvait parmi eux ce matin-là Ubertin de Casale, à qui le

Pontife lui-mê me, en 1322, avait demandé une relation

motivé e sur la question de la pauvreté. Et Ubertin

justement pourrait ré sumer, avec la lucidité, l’é rudition et

la foi passionné e que tout le monde lui reconnaissait, les

points capitaux de ce qu’é taient dé sormais, et

indé fectiblement, les idé es de l’ordre franciscain.

Ubertin se leva et, à peine commenç a-t-il à parler,

que je compris comment il avait pu susciter un tel

enthousiasme, et en tant que pré dicateur et en tant

qu’homme de cour. Le geste passionné, la voix

persuasive, le sourire fascinant, le raisonnement clair et

consé quent, il s’attacha son auditoire pendant tout le

temps qu’il eut la parole. Il dé buta par une disquisition

fort docte sur les raisons qui confortaient les thè ses de

Pé rouse. Il dit qu’avant tout on devait reconnaî tre que

Christ et ses apô tres furent dans un double é tat, parce

qu’ils ont é té les pré lats de l’Eglise du Nouveau

Testament et ainsi possé dè rent-ils, quant à l’autorité de

dispensation et de distribution, pour donner aux pauvres

et aux ministres de l’Eglise, comme il est é crit dans le IVe

chapitre des Actes des apô tres, et ce point, personne ne le

conteste. Mais secondement on doit considé rer Christ et

les apô tres comme des personnes particuliè res,

fondement de toute perfection religieuse, et parfaits

contempteurs du monde. Et alors se proposent deux

maniè res d’avoir, l’une est civile et mondaine, que les lois

impé riales dé finissent par les mots in bonis nostris, parce

que nô tres sont dits ces biens dont on a la garde et que, si

on nous les enlè ve, nous avons le droit de les exiger.

Raison pour quoi un compte est de dé fendre civilement et

mondainement son propre bien contre celui qui veut nous

le prendre, en faisant appel au juge impé rial (mais dire

que Christ et les apô tres possé dè rent quoi que ce fû t de

cette maniè re est une affirmation hé ré tique, car comme le

dit Matthieu dans le Ve chapitre, celui qui veut t’attaquer

en justice et t’enlever ta tunique, abandonne-lui aussi ton

manteau, et Luc ne dit pas autre chose dans le VIe

chapitre, où Christ repousse toute offre de domination et

de seigneurie, refus qu’il impose aussi à ses apô tres, et

puis qu’on se reporte en outre à Matthieu chapitre XXIV,

où Pierre dit au Seigneur qu’ils abandonnè rent tout pour

le suivre); un autre compte de possé der des choses

temporelles, en raison de la charité fraternelle commune,

et de cette maniè re Christ et les siens eurent des biens

par raison naturelle, raison que certains appellent jus poli,

c’est-à -dire raison du ciel, pour sustenter la nature qui

sans ordonnance humaine est en accord avec la juste

raison; tandis que le jus fori est puissance qui dé pend

d’humaines stipulations. Anté rieurement au premier

partage des choses, celles-ci, quant à la domination, furent

comme maintenant sont celles qui finalement

n’appartiennent à personne et se prê tent à qui les occupe

et furent en un certain sens communes à tous les

hommes, alors qu’aprè s le pé ché seulement nos ancê tres

commencè rent à se partager la proprié té des choses et

dè s lors dé butè rent les dominations mondaines telles

qu’elles sont connues aujourd’hui. Mais Christ et les

apô tres eurent les choses de la premiè re maniè re, et ainsi

des vê tements et des pains et des poissons, et comme dit

Paul dans la Premiè re à Timothé e, nous avons les

aliments, et de quoi nous couvrir, et nous sommes

contents. Il en ré sulte que ces choses Christ et les siens

les eurent non en possession, mais bien en usage, leur

absolue pauvreté restant sauve. Ce qui a dé jà é té reconnu

par le pape Nicolas II dans la dé cré tale Exiit qui seminat.

Mais du cô té opposé, se leva Jean d’Anneaux, et il

dit que les positions d’Ubertin lui semblaient contraires et

à la juste raison et à la juste interpré tation des Ecritures.

Pour ce que dans les biens pé rissables à l’usage, comme le

pain et les poissons, on ne peut parler de simple droit

d’usage, et on ne peut pas non plus avoir usage de fait,

mais abus seulement; tout ce que les croyants avaient en

commun dans l’Eglise primitive, comme on l’infè re des

Actes second et troisiè me, ils l’avaient sur la base du

mê me type de possession d’avant leur conversion; les

apô tres, aprè s la descente du Saint-Esprit, possé dè rent

des proprié té s en Judé e; le voeu de vivre sans proprié té

ne comprend pas ce dont l’homme a né cessairement

besoin pour vivre, et quand Pierre dit qu’il avait tout

abandonné, il n’entendait pas signifier qu’il avait renoncé

à la proprié té ; Adam eut domination et proprié té des

choses; le serviteur qui prend de l’argent à son maî tre

n’en fait certes ni us ni abus; les phrases de la Exiit qui

seminat à quoi les minorites se ré fè rent sans cesse et qui

é tablit que les frè res mineurs ont seulement l’usage de ce

dont ils se servent, sans en avoir la domination et la

proprié té, il faut les rapporter uniquement aux biens qui

ne s’é puisent pas à l’usage, et de fait si la Exiit comprenait

les biens pé rissables, elle soutiendrait une chose

impossible; on ne peut distinguer l’usage de fait de la

domination juridique; tout droit humain, sur la base

duquel on possè de des biens maté riels, est contenu dans

les lois des rois; Christ comme homme mortel, dè s

l’instant de sa conception, fut proprié taire de tous les

biens terrestres et comme Dieu, il eut de son pè re la

domination universelle; il fut proprié taire de robes,

d’aliments, de deniers grâ ce aux contributions et aux

offrandes des fidè les, et s’il fut pauvre ce n’a point é té

parce qu’il n’eut pas de proprié té mais parce qu’il n’en

percevait pas les fruits, pour ce que la simple domination

juridique, sé paré e du recouvrement des inté rê ts, ne rend

pas riche qui la possè de; et enfin, la Exiit eû t-elle dit des

choses diffé rentes, le Pontife romain, pour ce qui est

affé rent ‘‘à la foi et aux questions morales, peut ré voquer

les dé terminations de ses pré dé cesseurs et produire

mê me des affirmations contraires.

Ce fut à ce point-là que se leva avec vé hé mence

frè re Jé rô me, é vê que de Caffa, la barbe vibrant de colè re,

mê me si ses paroles cherchaient à paraî tre conciliantes. Et

il se lanç a dans une argumentation qui me sembla plutô t

confuse. « Ce que je voudrais dire au Saint-Pè re, et moimê me

qui le dirai, je le place dè s à pré sent sous sa

correction, car je crois vraiment que Jean est le vicaire de

Christ, et pour cette confession je fus pris par les

Sarrasins. Et je commencerai en citant un fait rapporté

par un grand docteur, sur la dispute qui s’é leva un jour

entre des moines au sujet de l’identité du pè re de

Melchisé dech. Et alors l’abbé Copes, interrogé à ce

propos, se heurta le chef et dit: « Gare à toi Copes car tu

cherches uniquement ces choses que Dieu ne te

commande pas de chercher et tu né gliges celles qu’il veut

que tu trouves. Voilà, comme on le dé duit clairement de

mon exemple, il est si é vident que Christ et la

Bienheureuse Vierge et les apô tres n’eurent rien ni en

particulier ni en commun, qu’il serait moins é vident de

reconnaî tre que Jé sus fut homme et Dieu à la fois, et

pourtant il me semble clair que celui qui nierait la

premiè re é vidence devrait ensuite nier la seconde! »

Dit-il triomphalement, et je vis Guillaume qui levait

les yeux au ciel. J’eus le soupç on qu’il jugeait le syllogisme

de Jé rô me plutô t dé fectueux, et je ne peux lui donner

tort, mais encore plus dé fectueuse me parut

l’argumentation contraire et furieuse de Jean de Baune,

qui dit qu’à affirmer quelque chose sur la pauvreté de

Christ on affirme ce qui se voit (ou ne se voit pas) des

deux yeux, tandis qu’à dé finir son humanité et sa divinité

intervient la foi, raison pour laquelle les deux propositions

ne peuvent ê tre mises à é galité. Dans sa ré ponse, Jé rô me

fut plus subtil que son adversaire:

« Oh non, mon cher frè re, dit-il, c’est pré cisé ment le

contraire qui me semble vrai, car tous les é vangiles

dé clarent que Christ é tait homme et mangeait et buvait

et, du fait de ses trè s é vidents miracles, il é tait Dieu aussi,

et tout cela saute justement aux yeux!

— Les mages aussi et les devins firent des miracles,

dit de Baune avec suffisance.

— Oui, ré torqua Jé rô me, mais par des opé rations

d’art magique. Et tu veux mettre sur le mê me pied les

miracles de Christ et l’art des magiciens? » L’assemblé e

murmura indigné e que non, qu’elle ne le voulait pas. « Et

enfin, poursuivit Jé rô me qui dé sormais se sentait prè s de

la victoire, messer le cardinal du Poggetto voudrait

considé rer comme hé ré tique la croyance en la pauvreté

de Christ quand c’est sur cette proposition que s’é taye la

rè gle d’un ordre tel que l’ordre franciscain, dont il n’est

royaume, du Maroc jusqu’à l’Inde, où les fils ne soient

allé s prê chant et ré pandant leur sang?

— Sainte â me de Pierre d’Espagne, murmura

Guillaume, protè ge-nous, toi.

— Frè re trè s cher, vocifé ra alors de Baune en faisant

un pas en avant, va pour le sang de tes frè res, mais

n’oublie pas que ce tribut a aussi é té payé par les religieux

d’autres ordres...

— Sauf ma ré vé rence au seigneur cardinal, cria

Jé rô me, aucun dominicain n’est jamais mort au milieu des

infidè les, tandis que rien qu’à mon é poque neuf minorites

ont é té martyrisé s! »

Le visage é carlate, le dominicain é vê que d’Alboré a

se leva:

« Alors moi je peux dé montrer qu’avant que les

minorites fussent en Tartarie, le pape Innocent y envoya

trois dominicains!

— Ah oui? ricana Jé rô me. Eh bien, moi je sais que

depuis quatre-vingts ans les minorites sont en Tartarie et

ont quarante é glises dans tout le pays, alors que les

dominicains n’ont que cinq postes sur la cô te et doivent

ê tre en tout quinze frè res! Et le problè me est ainsi

ré solu!

— Aucun problè me n’est ré solu, cria Alboré a, car ces

minorites, qui accouchent de bougres comme les chiennes

mettent bas leurs chiots, s’attribuent tout à eux-mê mes,

ils se vantent de leurs martyrs et puis ont de belles

é glises, des parements somptueux et ils achè tent et ils

vendent comme tous les autres religieux!

— Non, mon sire, non, intervint Jé rô me, ils

n’achè tent ni ne vendent eux-mê mes, mais par

l’intermé diaire des procurateurs du siè ge apostolique, et

les procurateurs dé tiennent la proprié té tandis que les

minorites n’en ont que l’usage!

— Vraiment? railla Alboré a, et combien de fois as-tu

vendu alors sans procurateurs? Je connais l’histoire de

certains domaines que...

— Si je l’ai fait, j’ai commis une erreur, interrompit

pré cipitamment Jé rô me, ne rejette pas sur l’ordre ce qui

peut avoir é té faiblesse de ma part!

— Mais mes vé né rables frè res, intervint alors

Abbon, notre problè me n’est pas de savoir si les minorites

sont pauvres, mais si Notre Seigneur é tait pauvre...

— Eh bien, se fit encore entendre Jé rô me, j’ai sur

cette question un argument tranchant comme le fil de

l’é pé e...

— Saint Franç ois, protè ge tes fils... dit Guillaume

ayant perdu toute confiance.

— L’argument est, poursuivit Jé rô me, que les

Orientaux et les Grecs, bien plus familiers que nous de la

doctrine des saints pè res, tiennent pour certaine la

pauvreté de Christ. Et si ces hé ré tiques et schismatiques

soutiennent aussi limpidement une aussi limpide vé rité,

voudrions-nous ê tre, nous, plus hé ré tiques et

schismatiques qu’eux et la nier? Ces Orientaux, s’ils

entendaient certains d’entre nous prê cher contre une telle

vé rité, ils les lapideraient!

— Mais qu’est-ce que tu me racontes, persifla

Alboré a, et pourquoi alors ne lapident-ils pas les

dominicains qui prê chent justement contre ç a?

— Les dominicains? Mais si là -bas je n’en ai jamais

vu! »

Alboré a, rouge de colè re, observa que ce frè re

Jé rô me avait é té en Grè ce quinze ans peut-ê tre, tandis

que lui, il y avait é té dè s son enfance. Jé rô me ré pliqua que

lui, le dominicain Alboré a, avait peut-ê tre é té jusqu’en

Grè ce, mais pour y mener une vie douillette dans de

beaux palais é piscopaux, alors que lui, franciscain, y avait

vé cu non pas quinze mais vingt-deux anné es et avait

prê ché devant l’empereur à Constantinople. Alboré a, à

court d’arguments, tenta de franchir l’espace qui le

sé parait des minorites, en proclamant à haute voix, et

avec des mots que je n’ose rapporter, sa ferme intention

d’arracher sa barbe à l’é vê que de Caffa, dont il ré voquait

en doute la virilité, et que pré cisé ment selon la logique du

talion il voulait punir, en utilisant cette barbe en guise de

flé au.

Les autres minorites coururent faire un rempart en

dé fense de leur frè re, les Avignonnais jugè rent utile de

prê ter main-forte au dominicain et il s’ensuivit (Seigneur,

prends pitié des meilleurs de tes fils! ) une rixe que l’Abbé

et le cardinal cherchè rent en vain d’apaiser. Au cours de

ce tumulte, minorites et dominicains se lancè rent

ré ciproquement des mots fort graves, comme si chacun

d’eux é tait un chré tien en lutte avec les Sarrasins. Les

seuls qui restè rent à leur place furent d’un cô té

Guillaume, de l’autre Bernard Gui. Guillaume paraissait

triste et Bernard gai, si tant est qu’on pû t parler de gaieté

pour le pâ le sourire qui plissait la lè vre de l’inquisiteur.

« N’y a-t-il point de meilleurs arguments,

demandai-je à mon maî tre, tandis qu’Alboré a s’acharnait

sur la barbe de l’é vê que de Caffa, pour dé montrer ou nier

la pauvreté de Christ?

— Mais tu peux aussi bien affirmer l’une et l’autre

chose, mon bon Adso, dit Guillaume, et tu ne pourras

jamais é tablir sur la base des é vangiles si Christ

considé rait comme sa proprié té, et jusqu’à quel point, la

tunique qu’il portait et dont il est bien possible qu’il se

dé barrassait quand elle é tait usé e. Et, si tu veux, la

doctrine de Thomas d’Aquin sur la proprié té est plus

hardie que celle des minorites. Nous, nous disons: nous

ne possé dons rien et nous avons usage de tout. Lui, il

disait: vous pouvez vous considé rer possesseurs pourvu

que, si quelqu’un manque de ce que vous possé dez, vous

lui en permettiez l’usage, et par obligation, non par

charité. Mais la question n’est pas si Christ é tait pauvre,

et si l’Eglise se doit d’ê tre pauvre. Et pauvre en ce cas, ne

signifie pas tant possé der ou non un palais, mais garder ou

abandonner le droit de lé gifé rer sur les affaires terrestres.

— Voilà donc pourquoi, dis-je, l’empereur tient tant

aux discours des minorites sur la pauvreté.

— En effet. Les minorites font le jeu impé rial contre

le pape. Mais pour Marsile et pour moi le jeu est double,

et nous voudrions que le jeu de l’Empire fî t notre jeu et

servî t à notre idé e de l’humain gouvernement.

— Et c’est ce que vous direz quand il faudra que

vous preniez la parole?

— Si je le dis, j’accomplis ma mission, qui é tait de

rendre manifestes les opinions des thé ologiens impé riaux.

Mais si je le dis, ma mission é choue, car j’aurais dû

faciliter une seconde rencontre en Avignon, et je ne crois

pas que Jean accepte que j’aille là -bas dire ces choses-là.

— Et alors?

— Et alors je suis pris entre deux forces opposé es,

comme un â ne qui ne sait, de deux sacs de foin, lequel

manger. Le fait est que les temps ne sont pas mû rs.

Marsile divague sur une transformation impossible, pour

l’heure, et Louis n’est pas meilleur que ses pré dé cesseurs,

mê me si pour le moment il reste l’unique garde-fou

contre un misé rable comme Jean. Peut-ê tre devrai-je

parler, à moins que ceux-là ne finissent d’abord par se

tuer les uns les autres. Dans tous les cas, é cris, Adso,

qu’au moins reste trace de ce qui est en train de se passer

aujourd’hui.

— Et Michel?

— Je crains qu’il ne perde son temps. Le cardinal sait

que le pape ne cherche pas une mé diation, Bernard Gui

sait que sa tâ che est de faire é chouer la rencontre; et

Michel sait qu’il ira en Avignon, quoi qu’il arrive, parce

qu’il ne veut pas que l’ordre coupe tous les ponts avec le

pape. Et il va risquer sa vie. »

Tandis que nous parlions de la sorte – et je ne sais

vraiment pas comment nous pouvions nous entendre l’un

l’autre – la dispute é tait à son comble. Les archers

intervenaient, sur un signe de Bernard Gui, pour

empê cher que les deux bandes en vinssent dé finitivement

aux mains. Mais tels des assié geants et des assié gé s, de

chaque cô té des murailles d’une forteresse, ils se lanç aient

contestations et injures, que je rapporte ici au hasard,

sans plus ré ussir à en attribuer la paternité, et é tant bien

entendu que les phrases ne furent pas prononcé es à tour

de rô le, comme cela se produirait lors d’une dispute dans

mes contré es, mais à la mode mé diterrané enne, les unes

chevauchant les autres, comme les lames d’une mer

enragé e.

« L’Evangile dit que Christ avait une bourse!

— Tais-toi, veux-tu, avec cette bourse que vous

peignez mê me sur les crucifix! Qu’en dis-tu, alors, du fait

que Notre Seigneur quand il é tait à Jé rusalem revenait

chaque soir à Bé thanie?

— Et si Notre Seigneur voulait aller dormir à

Bé thanie, qui es-tu toi, pour critiquer sa dé cision?

— Non, vieux bouc, Notre Seigneur revenait à



  

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