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LE NOM DE LA ROSE 28 страница



scriptorium...

— Trè s inté ressant », observa Guillaume tout pensif,

en regardant de plus prè s les doigts de Bé renger. L’aube

se levait, la lumiè re à l’inté rieur é tait encore faible, mon

maî tre souffrait é videmment du manque de ses verres.

« Trè s inté ressant, ré pé ta-t-il. L’index et le pouce sont

foncé s au bout, le mé dius seulement sur la partie interne,

et faiblement. Mais il y a des traces plus faibles sur la

main gauche aussi, au moins sur l’index et sur le pouce.

— S’il ne s’agissait que de la main droite, ce serait les

doigts de qui saisit quelque chose de petit, ou de long et de

mince...

— Comme un stylet. Ou un aliment. Ou un insecte.

Ou un serpent. Ou un ostensoir. Ou un bâ ton. Trop de

choses. Mais s’il y a des signes sur l’autre main aussi, ce

pourrait ê tre encore une coupe, tenue solidement dans la

droite, quand la gauche collabore avec une moindre

force... »

Sé verin s’é tait mis à frotter lé gè rement les doigts du

mort, mais la couleur brune ne partait pas. Je remarquai

qu’il avait enfilé une paire de gants, dont il se servait

probablement quand il manipulait des substances

toxiques. Il reniflait, mais sans en tirer aucune sensation.

« Je pourrais te citer beaucoup de substances vé gé tales

(et miné rales aussi) qui provoquent des traces de ce type.

Certaines lé tales, d’autres pas. Les enlumineurs ont

parfois les doigts maculé s de poudre d’or...

— Adelme é tait enlumineur, dit Guillaume. J’imagine

que devant son corps fracassé tu n’as pas pensé à lui

examiner les doigts. Mais eux, ils pourraient avoir touché

quelque chose qui avait appartenu à Adelme.

— Je ne sais vraiment pas, dit Sé verin. Deux morts,

tous deux avec les doigts noirs. Qu’en dé duis-tu?

— Je n’en dé duis rien: nihil sequitur geminis ex

particularibus unquam{187}. Il faudrait ramener les deux

cas à une rè gle. Par exemple: il existe une substance qui

noircit les doigts de qui la touche... »

Je terminai triomphant le syllogisme: «... Venantius

et Bé renger ont les doigts noircis, ergo ils ont touché cette

substance!

— Bien Adso, dit Guillaume. Dommage que ton

syllogisme ne tienne pas debout, car aut semel aut iterum

mé dium generaliter esto{188}, et dans ce syllogisme le

moyen terme n’apparaî t jamais comme gé né ral. Signe que

nous avons mal choisi la pré misse majeure. Je ne devais

pas dire: tous ceux qui touchent une certaine substance

ont les doigts noirs, car il pourrait exister aussi des

personnes avec les doigts noirs et qui n’ont pas touché la

substance. Je devais dire: tous ceux, et seulement tous

ceux, qui ont les doigts noirs ont certainement touché une

substance donné e. Venantius et Bé renger, et caetera.

Avec quoi nous aurions un Darii{189}, un excellent

troisiè me syllogisme de premiè re figure.

— Alors nous avons la ré ponse! dis-je tout content.

— Hé las, Adso, comme tu te fies aux syllogismes!

Nous avons seulement et de nouveau la question. En

somme nous avons é mis l’hypothè se que Venantius et

Bé renger ont touché la mê me chose, hypothè se à coup sû r

raisonnable. Mais une fois que nous avons imaginé une

substance qui, seule entre toutes, provoque ce ré sultat (ce

qui est encore à vé rifier), nous ne savons ce qu’elle est, ni

où ceux-ci l’ont trouvé e, et pourquoi ils l’ont touché e. Et

note bien, nous ne savons pas mê me à la fin si la

substance qu’ils ont touché e, est ce qui les a conduits à la

mort. Imagine qu’un fou veuille tuer tous ceux qui

touchent de la poudre d’or. Dirions-nous que c’est la

poudre d’or qui tue? »

Je demeurai troublé. J’avais toujours cru que la

logique é tait une arme universelle, et je m’apercevais

maintenant combien sa validité dé pendait de la faç on dont

on en usait. Par ailleurs, en fré quentant mon maî tre je

m’é tais rendu compte, et je m’en rendis de plus en plus

compte dans les jours qui suivirent, que la logique pouvait

grandement servir à condition d’y entrer et puis d’en

sortir. Sé verin, qui n’é tait certes pas un bon logicien,

ré flé chissait cependant selon sa propre expé rience:

« L’univers des poisons est varié comme varié s sont les

mystè res de la nature », dit-il. Il montra une sé rie de

vases et de flacons qu’une fois dé jà nous avions admiré s,

disposé s en bon ordre sur les é tagè res le long des murs,

avec quantité de volumes. « Comme je te l’ai dé jà dit,

nombre de ces herbes, dû ment composé es et dosé es,

pourraient fournir des boissons et des onguents mortels.

Voici, là -bas, le datura stramonium{190}, la belladone, la

ciguë : elles peuvent procurer somnolence, excitation, ou

bien l’une et l’autre; administré es avec prudence, ce sont

d’excellents mé dicaments, en doses excessives, elles

entraî nent la mort.

— Mais aucune de ces substances ne laisserait des

marques sur les doigts?

— Aucune, je crois. Ensuite il y a les substances qui

deviennent dangereuses uniquement si on les ingè re, et

d’autres qui agissent au contraire sur la peau. L’ellé bore

blanc peut provoquer des vomissements chez qui le saisit

pour l’arracher de terre. Le dictame est le sceau-desalomon{

191} qui, quand il est en fleur, provoque de

l’ivresse chez les jardiniers s’ils le touchent, comme s’ils

avaient bu du vin. L’ellé bore noir, à le toucher seulement,

provoque la diarrhé e. D’autres plantes donnent des

palpitations du coeur, d’autres de la tê te, d’autres encore

ô tent la voix. Par contre le venin de la vipè re, appliqué

sur la peau sans qu’il pé nè tre dans le sang, ne produit

qu’une lé gè re irritation... Mais une fois on me montra une

mixture qui, appliqué e sur la partie interne des cuisses

d’un chien, prè s des organes gé nitaux, provoque la mort

de l’animal en un court laps de temps, au milieu de

convulsions atroces, les membres se roidissant peu à

peu...

— Tu en sais long sur les poisons », observa

Guillaume, dont la voix paraissait trahir une grande

admiration. Sé verin le fixa et, quelques instants, soutint

son regard: « Je sais ce qu’un mé decin, un herboriste, un

amateur de sciences de la santé humaine doit savoir. »

Guillaume resta un long moment songeur. Puis il

pria Sé verin d’ouvrir la bouche du cadavre et d’en

observer la langue. Sé verin, intrigué, se servit d’une fine

spatule, un des instruments de son art mé dical, et

s’exé cuta. Il eut un cri de stupeur: « La langue est noire!

— Alors c’est ç a, murmura Guillaume. Il a saisi

quelque chose avec les doigts et l’a ingé ré... Ce qui é limine

les poisons que tu viens de citer, qui tuent en pé né trant à

travers la peau. Mais ne rend pas plus facile nos

inductions. Parce qu’à pré sent nous devons penser, pour

lui et pour Venantius, à un geste volontaire, non casuel, où

n’entrent en jeu ni la distraction, ni l’imprudence, ni la

violence d’autrui. Ils ont saisi quelque chose et l’ont

introduit dans leur bouche, sachant ce qu’ils faisaient...

— Un aliment? Une boisson?

— Peut-ê tre. Ou peut-ê tre... que sais-je? un

instrument musical comme une flû te...

— Absurde, dit Sé verin.

— Certes, c’est absurde. Mais nous ne devons

né gliger aucune hypothè se, pour extraordinaire qu’elle

soit. Pour l’instant, cherchons à remonter à la matiè re

toxique. Si quelqu’un qui connaî t les poisons autant que

toi s’é tait introduit ici et s’é tait servi de certaines de tes

herbes, aurait-il pu composer un onguent mortel

susceptible de produire ces marques sur les doigts et sur

la langue? Susceptible d’ê tre mê lé à un aliment, à une

boisson, placé sur une cuillè re, sur quelque chose qui se

met à la bouche?

— Oui, admit Sé verin, mais qui? Et puis, en

admettant cette, hypothè se, comment eû t-on administré

le poison à nos deux malheureux frè res? »

Franchement, moi non plus je n’arrivais pas à

imaginer Venantius ou Bé renger se laissant approcher par

quelqu’un qui leur aurait pré senté une substance

mysté rieuse et les aurait convaincus de la manger ou de la

boire. Mais cette bizarrerie ne parut pas troubler

Guillaume. « A cela nous penserons plus tard, dit-il, parce

que pour l’heure j’aimerais que tu cherches à te rappeler

quelque fait qui peut-ê tre ne t’est pas encore revenu à

l’esprit, je ne sais pas moi, quelqu’un qui t’aurait posé des

questions sur tes herbes, quelqu’un qui entrerait avec

facilité dans l’hô pital...

— Attends voir, dit Sé verin, il y a longtemps de cela,

je parle d’anné es, je conservais sur une de ces é tagè res

une substance trè s puissante, que m’avait procuré e un

frè re au retour de voyages dans de lointains pays. Il ne

savait pas me dire de quoi elle é tait faite, d’herbes

certainement, mais pas toutes connues. D’apparence, elle

é tait visqueuse et jaunâ tre, mais on me conseilla de ne pas

la toucher car, ne fû t-elle entré e qu’au seul contact de

mes lè vres, elle m’aurait tué en un court moment. Ce

frè re me dit que, ingé ré e mê me à doses minimes, elle

provoquait en l’espace d’une demi- heure une sensation

de grande fatigue, puis une lente paralysie de tous les

membres, et la mort enfin. Il ne voulait pas l’emporter

avec lui, il m’en fit don. Je la gardai longtemps, car je me

proposais de l’examiner d’une faç on ou d’une autre. Puis

un jour une grande tempê te se dé chaî na sur le plateau.

Un de mes aides, un novice, avait laissé ouverte la porte

de l’hô pital, et l’ouragan avait mis sens dessus dessous

toute la piè ce où nous nous trouvons maintenant. Flacons

brisé s, liquides ré pandus sur le pavement, herbes et

poudres aux quatre vents. Je travaillai un jour entier pour

remettre en ordre mes affaires, et je ne me fis aider que

pour balayer les tessons et les herbes irré cupé rables

dé sormais. A la fin, je m’aperç us qu’il manquait justement

le flacon dont je te parlais. D’abord je fus pré occupé,

ensuite je me persuadai qu’il s’é tait brisé et confondu avec

les autres dé bris. Je fis laver de fond en comble le

pavement de, l’hô pital, et les é tagè res...

— Et tu avais vu le flacon quelques heures avant

l’ouragan?

— Oui... Ou plutô t, non, maintenant que j’y pense. Il

se trouvait derriè re une rangé e de vases, bien caché, et je

ne le contrô lais pas chaque jour...

— Donc, d’aprè s ce que tu sais, il aurait pu t’ê tre

dé robé bien avant l’ouragan, sans que tu le saches?

— A pré sent que tu m’y fais ré flé chir, oui, sans nul

doute. —

Et ton novice pourrait l’avoir dé robé et puis saisi

l’occasion de l’ouragan pour laisser dé libé ré ment la porte

ouverte et mettre tes affaires dans le plus grand

dé sordre? »

Sé verin eut l’air fort excité : « Certes oui. Non

seulement, mais en me rappelant ce qui advint, je fus trè s

é tonné que l’ouragan, pour violent qu’il fû t, eû t renversé

tant de choses. Je pourrais parfaitement avancer que

quelqu’un a profité de l’ouragan pour ravager la piè ce et

produire plus de dommages que le vent n’aurait pu le

faire!

— Qui é tait le novice?

— Il s’appelait Agostino. Mais il est mort l’anné e

derniè re, en tombant d’un é chafaudage tandis qu’avec

d’autres moines et des servants, il nettoyait les sculptures

de la faç ade de l’é glise. Et puis, en y songeant bien, il avait

juré ses grands dieux qu’il n’avait pas laissé la porte

ouverte avant l’ouragan. Ce fut moi, rendu furieux, qui le

tins pour responsable de l’incident. Peut-ê tre é tait-il

vraiment innocent.

— Et comme ç a, nous avons une troisiè me personne,

sans doute bien plus experte qu’un novice, qui connaissait

l’existence de ton poison. A qui en avais-tu parlé ?

— Ç a, vraiment, je ne m’en souviens pas. A l’Abbé,

bien sû r, en lui demandant la permission de garder une

substance aussi dangereuse. Et à quelque autre, peut-ê tre

justement à la bibliothè que, car je cherchais des herbiers

qui auraient pu me ré vé ler quelque chose.

— Mais ne m’as-tu pas dit que tu conserves prè s de

toi les livres les plus utiles à ton art?

— Si, et beaucoup, dit-il en montrant dans un coin de

la piè ce plusieurs é tagè res chargé es de dizaines de

volumes. Mais à l’é poque je cherchais certains livres qu’il

me serait impossible de garder ici, et mê me que Malachie

é tait ré ticent à me laisser consulter, à telle enseigne que je

dus en demander l’autorisation à l’Abbé. » Sa voix se fit

plus basse, comme s’il avait quelque scrupule à ce que je

l’entendisse moi aussi. « Tu sais, dans un lieu inconnu de

la bibliothè que on conserve mê me des ouvrages de

né cromancie, de magie noire, de recettes pour des

philtres diaboliques. Je pus prendre connaissance de

certaines de ces oeuvres, par devoir scientifique, et

j’espé rais trouver une description de ce poison et de ses

fonctions. En vain.

— Tu en as donc parlé à Malachie.

— Sans nul doute à lui, et peut-ê tre aussi à Bé renger

lui-mê me, qui l’assistait. Mais n’en tire pas de conclusions

hâ tives: je ne me souviens pas, peut-ê tre, tandis que je

parlais, d’autres moines é taient pré sents, tu sais, il y a

parfois beaucoup de monde dans le scriptorium...

— Je ne soupç onne personne. Je cherche

simplement à comprendre ce qui a pu se passer. Tu me

dis en tout cas que le fait eut lieu il y a quelques anné es de

cela, et il est curieux que quelqu’un ait dé robé tellement

par avance un poison dont il se serait servi tellement plus

tard. Ce serait le signe d’une volonté maligne qui a

longuement couvé dans l’ombre un propos homicide. »

Sé verin fit le signe de la croix avec une expression

d’horreur sur le visage. « Que Dieu nous pardonne

tous! » dit-il.

Il n’y avait point d’autres commentaires à faire.

Nous recouvrî mes le corps de Bé renger, qu’il faudrait

pré parer pour les funé railles.

Quatriè me jour

PRIME

Où Guillaume amè ne d’abord Salvatore et ensuite le

cellé rier à avouer leur passé, Sé verin retrouve les verres

volé s, Nicolas apporte les neufs et Guillaume avec six

yeux s’en va dé chiffrer le manuscrit de Venantius.

Nous allions passer le seuil quand entra Malachie. Il

parut contrarié de notre pré sence, et fit mine de se

retirer. De l’inté rieur Sé verin le vit et dit: « Tu me

cherchais? C’est pour... » Il s’interrompit, en nous

regardant. Malachie lui fit un signe, imperceptible, comme

pour dire: « Nous en parlerons aprè s... » Nous sortions, il

entrait, nous nous trouvions tous les trois dans

l’embrasure de la porte. Malachie dit, de faç on plutô t

redondante:

« Je cherchais le frè re herboriste... J’ai... j’ai mal à la

tê te.

— Ce doit ê tre l’air confiné de la bibliothè que, lui dit

Guillaume d’un ton de pré venante compré hension. Vous

devriez faire des fumigations. »

Malachie eut un mouvement de lè vres comme s’il

voulait encore parler, puis il renonç a, baissa la tê te et

entra, tandis que nous nous é loignions.

« Qu’est-ce qu’il va faire chez Sé verin? demandaije.

— Adso, me dit avec impatience le maî tre, apprends

à raisonner avec ta tê te. » Puis il changea de discours:

« Nous devons interroger plusieurs personnes à pré sent.

Du moins, ajouta-t-il alors que du regard il explorait le

plateau, tant qu’elles sont encore en vie. A propos:

doré navant faisons attention à ce que nous mangeons et

buvons. Prends toujours tes aliments dans le plat

commun, et tes boissons à la cruche où d’autres se sont

dé jà servis. Aprè s Bé renger, nous sommes ceux qui en

savons le plus. Outre, naturellement, l’assassin.

— Mais qui voulez-vous interroger à pré sent?

— Adso, dit Guillaume, tu auras observé qu’ici les

choses les plus inté ressantes se passent la nuit. La nuit on

meurt, la nuit on rô de dans le scriptorium, la nuit on

introduit des femmes dans l’enceinte... Nous avons une

abbaye diurne et une abbaye nocturne, et la nocturne

paraî t malheureusement plus inté ressante que la diurne.

Partant, toute personne qui circule la nuit nous inté resse,

y compris par exemple l’homme que tu as vu hier soir

avec la jeune fille. Il est fort possible que l’histoire de la

fille n’ait rien à voir avec celle des poisons, et il est fort

possible que si. De toute faç on, j’ai mon idé e sur l’homme

d’hier soir, une personne qui doit savoir pas mal d’autres

choses sur la vie nocturne de ce saint lieu. Et, on parle du

loup, il sort du bois, le voilà justement qui passe là -bas. »

Il pointa le doigt vers Salvatore, qui nous avait vus à

son tour. Je remarquai une lé gè re hé sitation dans son pas

comme si, dé sirant nous é viter, il s’é tait arrê té pour

rebrousser chemin. L’espace d’un instant. Evidemment, il

s’é tait rendu compte qu’il ne pouvait plus é chapper à la

rencontre, et il reprit sa marche. Il se tourna vers nous

avec un large sourire et un « bé né dicité » plutô t onctueux.

Mon maî tre le laissa à peine finir et lui parla d’un ton

brusque.

« Tu sais que demain arrive ici l’inquisition? » lui

demanda-t-il.

Salvatore n’eut pas l’air content. Avec un filet de

voix, il demanda: « Et moi?

— Et toi, tu feras bien de dire la vé rité à moi, qui suis

ton ami, et frè re mineur comme tu l’as é té, plutô t que de

la dire demain aux autres, que tu connais trè s bien. »

Entrepris aussi brusquement, Salvatore eut l’air

d’abandonner toute ré sistance. Il regarda Guillaume d’un

air soumis comme pour lui faire comprendre qu’il é tait

prê t à dire ce qu’il lui aurait demandé.

« Cette nuit il y avait une femme dans les cuisines.

Qui é tait avec elle?

— Oh! femme qui se vend como marchandise no

peut oncques ê tre bonne, ni avoir courtoisie, ré cita

Salvatore.

— Je ne veux pas savoir si c’é tait une brave fille. Je

veux savoir qui é tait avec elle!

— Deu, combien sont les femmes de mé chantes

rusé es! Elles pensent jur et nouit como l’omo tromper... »

Guillaume le saisit brusquement à la poitrine: « Qui

é tait avec elle, toi ou le cellé rier? »

Salvatore comprit qu’il ne pouvait plus continuer à

mentir. Il commenç a à raconter une é trange histoire, dont

nous apprî mes non sans peine que, pour complaire au

cellé rier, il le pourvoyait de filles du village, en les faisant

entrer de nuit dans l’enceinte par des passages qu’il ne

voulut pas nous indiquer. Mais il jura à qui mieux mieux

qu’il agissait par pur bon coeur, en laissant transparaî tre

un regret comique du fait qu’il ne trouvait pas moyen d’en

tirer plaisir lui aussi, en sorte que la fille, aprè s avoir

contenté le cellé rier, lui donnâ t quelque chose aussi. Il

jargonna tout cela avec de visqueux sourires lubriques, et

des clins d’yeux, comme pour laisser entendre qu’il parlait

à des hommes faits de chair, accoutumé s aux mê mes

pratiques. Et il me regardait par en dessous, sans que je

pusse le remettre à sa place comme je l’aurais voulu, car

je me sentais lié à lui par un secret commun, son complice

et compagnon de pé ché.

Guillaume dé cida, au point où nous en é tions, de

tenter le tout pour le tout. Il lui demanda à brû lepourpoint

: « Tu as connu Ré migio avant ou aprè s avoir

é té avec Dolcino? » Salvatore s’agenouilla à ses pieds en

le priant au milieu de pleurs abondants de ne pas vouloir

sa perte, de le sauver de l’inquisition; Guillaume lui jura

solennellement de ne rien dire à personne de ce qu’il

apprendrait, et Salvatore n’hé sita pas à mettre le cellé rier

à notre merci. Ils s’é taient connus à la Paroi Chauve, l’un

et l’autre de la bande de Dolcino, avec le cellé rier il s’é tait

enfui pour entrer dans le couvent de Casale; avec lui, il

s’é tait transfé ré chez les clunistes. Il bredouillait des

implorations de pardon, et il é tait clair qu’on n’aurait pas

pu en tirer davantage. Guillaume dé cida qu’il valait la

peine de prendre Ré migio par surprise, et quitta

Salvatore, qui courut se ré fugier dans l’é glise.

Le cellé rier se trouvait du cô té opposé de l’abbaye,

devant les greniers, en train de né gocier avec quelques

villageois de la vallé e. Il nous regarda non sans

appré hension, et fit son possible pour se montrer trè s

affairé, mais Guillaume insista pour lui parler. Jusqu’à

pré sent nous n’avions eu, avec cet homme, que de rares

contacts; il avait é té courtois avec nous, nous avec lui. Ce

matin-là, Guillaume s’adressa à lui comme il eû t fait avec

un frè re de son ordre. Le cellé rier parut embarrassé de

cette familiarité et ré pondit d’abord avec beaucoup de

prudence.

« En raison de ton office, tu te trouves é videmment

contraint de circuler dans l’abbaye mê me quand les

autres dorment, j’imagine, dit Guillaume.

— Cela dé pend, ré pondit Ré migio, il y a parfois de

petits travaux à expé dier et je dois y consacrer quelques

heures de sommeil.

— Dans ces cas-là, il ne t’est jamais rien arrivé qui

puisse nous mettre sur la piste de quelqu’un qui rô de,

sans avoir tes raisons, entre les cuisines et la

bibliothè que?

— Si j’avais vu quelque chose, je l’aurais dit à l’Abbé.

— Juste », convint Guillaume, et il changea

brusquement de discours: « Le village dans la vallé e n’est

pas trè s riche, n’est-ce pas?

— Oui et non, ré pondit Ré migio, des pré bendiers y

habitent, qui dé pendent de l’abbaye, et eux ils partagent

notre richesse, dans les anné es grasses. Par exemple le

jour de la Saint-Jean, ils ont reç u douze boisseaux de

malt, un cheval, sept boeufs, un taureau, quatre gé nisses,

cinq veaux, vingt brebis, quinze cochons, cinquante

poulets et dix-sept ruches. Et puis vingt porcs fumé s,

vingt-sept formes de saindoux, une demi-mesure de miel,

trois mesures de savon, un filet de pê cheur...

— J’ai compris, j’ai compris, interrompit Guillaume,

mais tu admettras que tout cela ne me dit encore pas

quelle est la situation dans le village, lesquels de ses

habitants sont les pré bendiers de l’abbaye, et combien de

terre doit cultiver pour son propre compte qui n’est pas

pré bendier...

— Oh, pour ç a, dit Ré migio, une famille normale peut

possé der là -bas jusqu’à cinquante tables de terrain.

— Combien mesure une table?

— Naturellement, quatre demi-perches carré es.

— Des perches carré es? Cela fait combien?

— Trente-six pieds pour quatre demi-perches. Ou si

tu veux, quatre cents perches liné aires font un mille

pié montais. Et calcule qu’une famille – dans les terres

vers le nord – peut cultiver des olives pour au moins un

demi-sac d’huile.

— Un demi-sac?

— Oui, un sac fait cinq hé mines, et une hé mine fait

huit coupes.

— J’ai compris, dit mon maî tre dé couragé. Chaque

pays a ses mesures. Vous, par exemple, le vin vous le

mesurez en pichets?

— Ou en setiers. Six setiers, quarante-huit pintes et

dix pintes, cinq quartes. Si tu veux, un setier fait huit

pintes ou quatre quartes.

— Je crois avoir les idé es claires, dit Guillaume

ré signé.

— Dé sires-tu savoir autre chose? demanda Ré migio,

d’un ton qui me parut de dé fi.

— Oui! Je te demandais la faç on dont ils vivaient

dans la vallé e, parce que je mé ditais aujourd’hui dans la

bibliothè que sur les sermons aux femmes de Humbert de

Romans, et en particulier sur ce chapitre Ad mulieres

pauperes in villulis{192}. Où il dit que ces derniè res plus

que d’autres sont tenté es par les pé ché s de la chair, à

cause de leur misè re, et sagement il dit qu’elles peccant

enim mortaliter, cum peccant cum quocumque laico,

mortalius vero quando cum Clerico in sacris ordinibus

constituto, maxime vero quando cum Religioso mundo

mortuo{193}. Tu sais mieux que moi que fû t-ce en des lieux

saints comme les abbayes, les tentations du dé mon

mé ridien ne manquent jamais. Je me demandais si dans

tes contacts avec les gens du village, tu é tais venu à savoir

que des moines, à Dieu ne plaise, aient poussé des jeunes



  

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