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LE NOM DE LA ROSE 23 страница



devons trouver de l’exté rieur une faç on de dé crire

l’É difice tel qu’il est à l’inté rieur...

— Et comment?

— Laisse-moi y penser, cela ne doit pas ê tre si

difficile...

— Et la mé thode dont vous parliez hier? Ne vouliezvous

pas parcourir le labyrinthe en faisant des signes avec

un charbon?

— Non, dit-il, plus j’y pense, moins cela me convainc.

Peut-ê tre n’arrivé -je pas à me rappeler bien la rè gle, ou

peut-ê tre pour circuler dans un labyrinthe faut-il disposer

d’une bonne Ariane qui t’attende sur le seuil en tenant le

bout d’un fil. Mais il n’existe pas de fils aussi longs. Et

mê me s’il en existait, cela signifierait (souvent les fables

disent la vé rité ) qu’on ne sort d’un labyrinthe qu’avec une

aide exté rieure. Où les lois de l’exté rieur seraient

pareilles aux lois de l’inté rieur. Voilà, Adso, nous nous

servirons des sciences mathé matiques. Dans les seules

sciences mathé matiques, comme dit Averroè s{159}, on

identifie les choses connues de nous avec celles connues

de faç on absolue.

— Alors, vous voyez que vous admettez des

connaissances universelles!

— Les connaissances mathé matiques sont des

propositions construites par notre intellect de maniè re à

toujours fonctionner comme vraies, ou bien parce qu’elles

sont inné es ou bien parce que la mathé matique a é té

inventé e avant les autres sciences. Et la bibliothè que a é té

construite par un esprit humain qui pensait de faç on

mathé matique, car sans mathé matiques tu ne fais pas de

labyrinthes. Il s’agit donc de confronter nos propositions

mathé matiques avec les propositions du bâ tisseur, et de

cette confrontation la science peut surgir, parce qu’elle est

science de termes sur termes. Et, en tout cas, cesse de

m’entraî ner dans des discussions de mé taphysique.

Quelle diablesse de mouche t’a piqué aujourd’hui? Toi qui

as de bons yeux, prends plutô t un parchemin, une

tablette, quelque chose sur quoi tracer des signes, et un

stylet... bien, tu as ce qu’il faut, bravo Adso! Allons faire

une promenade autour de l’É difice, tant que nous avons

encore un peu de lumiè re.

Nous tournâ mes donc longuement autour de

l’É difice. C’est-à - dire que nous examinâ mes de loin les

tours orientale, mé ridionale et occidentale, avec les murs

qui les reliaient. Quant au reste, il donnait sur l’à -pic, mais

pour des raisons de symé trie il ne devait pas ê tre

diffé rent de ce que nous voyions.

Et ce que nous vî mes, remarqua Guillaume tandis

qu’il me faisait prendre des notes pré cises sur ma

tablette, c’é tait que chaque mur avait deux verriè res, et

chaque tour cinq.

« Maintenant raisonne un peu, me dit mon maî tre.

Toutes les piè ces que nous avons vues comptaient une

fenê tre...

— À part celles qui ont sept cô té s, dis-je.

— Et c’est normal, ce sont celles qui se trouvent au

centre de chaque tour.

— Et à part quelques-unes que nous avons trouvé es

sans fenê tre et qui n’é taient pas heptagonales.

— Oublie-les. D’abord trouvons la rè gle, ensuite

nous chercherons à justifier les exceptions. Nous aurons

donc vers l’exté rieur cinq piè ces pour chaque tour et deux

piè ces pour chaque mur, chacune avec une fenê tre. Mais

si d’une piè ce avec fenê tre on avance vers l’inté rieur de

l’É difice, on rencontre une autre salle avec fenê tre. Signe

qu’il s’agit des fenê tres inté rieures. À pré sent dis-moi

quelle forme a le puits inté rieur, tel qu’on le voit dans les

cuisines et dans le scriptorium?

— Octogonale, dis-je.

— Parfait. Et sur chaque cô té de l’octogone, peuvent

trè s bien s’ouvrir deux fenê tres. Cela veut dire que pour

chaque cô té de l’octogone, il y a bien deux piè ces sur

l’inté rieur? Exact?

— Oui, mais les piè ces sans fenê tre?

— Il y en a huit en tout. En effet, la salle inté rieure

de chaque tour, à sept cô té s, possè de cinq parois qui

donnent sur chacune des cinq piè ces de chaque tour. Qu’y

a-t-il derriè re les deux autres parois? Pas une piè ce

situé e le long des murs exté rieurs, car il y aurait des

fenê tres, ni une piè ce disposé e le long de l’octogone, pour

les mê mes raisons et parce qu’il s’agirait alors de piè ces

exagé ré ment longues. De fait, essaie de tracer un dessin

de la bibliothè que comme elle apparaî trait vue de haut.

Tu vois que correspondant à chaque tour il doit y avoir

deux piè ces qui avoisinent la salle heptagonale et donnent

sur deux piè ces qui avoisinent le puits octogonal

inté rieur. »

Je m’essayai à tracer le dessin que mon maî tre me

suggé rait et lanç ai un cri de triomphe. « Mais alors nous

savons tout! Laissez- moi compter... La bibliothè que a

cinquante-six piè ces, dont quatre heptagonales et

cinquante-deux plus ou moins carré es, et, d’entre ces

derniè res, huit sont sans fenê tre, tandis que vingt-huit

donnent sur l’exté rieur et seize sur l’inté rieur!

— Et les quatre tours ont chacune cinq piè ces de

quatre cô té s et une de sept... La bibliothè que est

construite selon une harmonie cé leste à laquelle on peut

attribuer des significations varié es et mirifiques...

— Splendide dé couverte, dis-je, mais alors pourquoi

est-il aussi difficile de s’y orienter?

— Parce que ce qui ne correspond à aucune loi

mathé matique, c’est la disposition des passages. Certaines

piè ces permettent d’accé der à plusieurs autres, certaines

à une seule, et on peut se demander s’il n’y a pas des

piè ces qui ne permettent d’accé der à aucune autre. Si tu

considè res cet é lé ment, plus le manque de lumiè re et

l’absence totale d’indice fourni par la position du soleil (et

ajoutes-y les visions et les miroirs), tu comprends

combien le labyrinthe est de nature à dé sarç onner

quiconque le parcourt, dé jà agité par un sentiment de

faute. D'autre part, songe comme nous é tions dé sespé ré s,

nous, hier soir, quand nous ne parvenions plus à trouver

notre chemin. La plus grande confusion obtenue avec le

plus grand ordre: ce me semble un calcul sublime. Les

bâ tisseurs de la bibliothè que é taient de grands maî tres.

— Comment ferons-nous alors pour nous orienter?

— Au point où nous en sommes, ce n’est pas difficile.

Avec le plan que tu as relevé, et qui, peu ou prou, doit

correspondre au tracé de la bibliothè que, dè s que nous

serons dans la premiè re salle heptagonale, nous ferons en

sorte de trouver tout de suite une des deux piè ces

aveugles. Puis, en prenant toujours sur la droite, aprè s

trois ou quatre piè ces, nous devrions nous trouver de

nouveau dans une tour, qui ne pourra ê tre que la tour

septentrionale, jusqu’à tomber sur une autre piè ce

aveugle, qui à gauche avoisinera la salle heptagonale, et à

droite devra nous permettre de retrouver un trajet

analogue à celui que je viens de te dire, jusqu’à arriver

dans la tour occidentale.

— Oui, si toutes les piè ces donnaient dans toutes les

piè ces...

— En effet. D’où l’utilité de ton plan, sur lequel

marquer les parois pleines, de faç on à savoir quelles

dé viations nous prenons. Mais ç a ne sera pas difficile.

— Mais sommes-nous certains que ç a marchera?

demandai-je perplexe, parce que tout me semblait trop

simple. —

Ç a marchera, ré pondit Guillaume. Omnes enim

causae effec- tuum naturalium dantur per lineas, angulos

et figuras. Aliter enim impossibile est sciri propter quid in

illis{160}, cita-t-il. Ce sont les mots d’un des grands maî tres

d’Oxford. Malheureusement, nous ne savons pas encore

tout. Nous avons appris comment ne pas nous perdre. Il

s’agit maintenant de savoir s’il y a une rè gle qui gouverne

la distribution des livres dans les piè ces. Et les versets de

l’Apocalypse nous en disent fort peu, c’est qu’aussi

beaucoup se ré pè tent identiques dans des piè ces

diffé rentes...

— Et pourtant le livre de l’apô tre aurait permis de

trouver bien plus que cinquante-six versets!

— Sans nul doute. Donc certains versets seulement

sont bons. Bizarre. Comme s’ils en avaient eu moins de

cinquante, trente, vingt... Oh, par la barbe de Merlin!

— De qui?

— Aucune importance, un magicien de mon pays...

Ils ont utilisé autant de versets que de lettres de

l’alphabet! Il en est bien ainsi! Le texte des versets ne

compte pas, seules comptent les lettres initiales. Chaque

piè ce est marqué e par une lettre de l’alphabet, et toutes

ensemble elles composent un texte que nous devons

dé couvrir!

— Comme un poè me figuré, en forme de croix ou de

poisson!

— Plus ou moins, et probablement, aux temps où la

bibliothè que fut constitué e, ce type de poè me é tait fort en

vogue. —

Mais d’où part le texte?

D’un cartouche plus grand que les autres, de la salle

heptagonale de la tour d’entré e... ou bien... Mais bien sû r,

des phrases en rouge!

— Mais il y en a tant!

— Et donc il y aura beaucoup de textes, ou beaucoup

de mots.

Toi à pré sent recopie mieux et en plus grand ton

plan, puis à notre prochaine visite de la bibliothè que non

seulement tu indiqueras avec ton stylet, et sans appuyer,

les piè ces par où nous passons, et la position des portes et

des parois (sans oublier les fenê tres), mais aussi la lettre

initiale du verset qui y apparaî t, et en quelque sorte,

comme un bon enlumineur, les lettres en rouge tu les

feras plus grandes.

— Mais comment se fait-il, dis-je plein d’admiration,

que vous ayez ré ussi à ré soudre le mystè re de la

bibliothè que en la regardant de l’exté rieur, et que vous ne

l’ayez pas ré solu quand vous é tiez dedans?

— Ainsi Dieu connaî t le monde, parce qu’il l’a conç u

dans son esprit, comme de l’exté rieur, avant qu’il fû t cré é,

alors que nous, nous n’en connaissons pas la rè gle, car

nous vivons à l’inté rieur du monde, l’ayant trouvé dé jà

fait.

— On peut ainsi connaî tre les choses en les

observant de l’exté rieur!

— Les choses de l’art, car nous reparcourons dans

notre esprit les opé rations de l’artisan. Pas les choses de

la nature, car elles ne sont point l’oeuvre de notre esprit.

— Mais pour la bibliothè que cela nous suffit, n’est-ce

pas?

— Oui, dit Guillaume. Mais seulement pour la

bibliothè que. Allons nous reposer à pré sent. Je ne peux

rien faire jusqu’à demain matin quand j’aurai – j’espè re –

mes verres. Autant vaut dormir et nous lever de bonne

heure. Je tâ cherai de ré flé chir.

— Et le souper?

— Ah, c’est vrai, le souper. L’heure est dé sormais

passé e. Les moines sont dé jà à complies. Mais les cuisines

sont peut-ê tre encore ouvertes. Va chercher quelque

chose. —

Voler?

— Demander. À Salvatore, qui est maintenant ton

ami.

— Mais c’est lui qui volera!

— Es-tu par hasard le gardien de ton frè re? »

demanda Guillaume avec les mots de Caï n. Mais je

m’avisai qu’il plaisantait et voulait dire que Dieu est grand

et misé ricordieux. Raison pour quoi je me mis à la

recherche de Salvatore, que je trouvai prè s des é curies.

« Magnifique », dis-je en montrant Brunei, et, faç on

d’engager la conversation: « J’aimerais bien le monter. —

No se puede. Abbanis est. Mais pas besoin d’un bon

cheval pour filer à toute allure... » Il m’indiqua un cheval

robuste mais disgracieux: « Mê me celui-ci sufficit... Vide

illuc, tertius equi{161}... »

Il voulait m’indiquer le troisiè me cheval. Je ris de

son drô le de latin. « Et que feras-tu avec celui-là ? » lui

demandai-je.

Il me raconta alors une é trange histoire. Il dit qu’on

pouvait rendre n’importe quel cheval, fû t-ce la bê te la

plus vieille et la plus cagneuse, aussi rapide que Brunei. Il

faut mé langer à son avoine une herbe qui s’appelle

satyrion, haché e menue, et puis lui oindre les cuisses avec

de la graisse de cerf. Ensuite on monte sur le cheval et

avant de l’é peronner on lui tourne les naseaux vers le

levant et on prononce trois fois à voix basse dans son

oreille, les mots « Gaspard, Melchior, Merchisard{162} ».

Le cheval partira à fond de train et fera en une heure le

chemin que Brunei ferait en huit heures. Et si on lui avait

suspendu au cou les dents d’un loup que le cheval mê me,

en galopant, aurait tué, la bê te ne sentirait alors nulle

fatigue.

Je lui demandai s’il avait jamais essayé. Il me dit,

s’approchant avec circonspection et me murmurant à

l’oreille, avec son haleine vraiment dé sagré able, que

c’é tait trè s difficile, parce que le satyrion n’est plus

dé sormais cultivé que par les é vê ques et par leurs amis

les chevaliers, qui s’en servent pour augmenter leur

pouvoir. Je mis fin à son laï us et lui dis que ce soir mon

maî tre voulait lire certains livres dans sa cellule et dé sirait

aussi y prendre son repas.

« M’en occupe, dit-il, lui fais l’angelot en palette.

— Comment c’est?

— Facilis. Tu prends de l’angelot pas trop vieux, ni

trop salé et coupé en tranches minces, en bouché es

carré es ou sicut te plaî t. Et postea tu mettras un doigt de

beurre ou de saindoux frais à ré chauffer sobre la braisia.

Et dedans vamos à dé poser deux tranches d’angelot, et

comme il te semble tendre, sucrum et cannelle supra

positurum du bis{163}. Et sers tout de suite in tabula, car il

faut le manger todo chaud.

— Va pour l’angelot en palette », lui dis-je. Et il

disparut vers les cuisines, en me disant de l’attendre. Il

arriva une demi-heure aprè s, avec un plat recouvert d’un

linge. L’odeur é tait bonne.

« Tiens », me dit-il, et il me tendit aussi une grande

lampe remplie d’huile.

« Pour quoi faire? demandai-je.

— Sais pas, moi, dit-il d’un air chafouin. Fileisch ton

magister veut ire en lieu sombre esta noche, »

Salvatore en savait é videmment plus que je ne

soupç onnais. Je ne poussai pas mon enquê te et apportai

sa pitance à Guillaume. Nous mangeâ mes, et moi je me

retirai dans ma cellule. Ou du moins, je fis semblant. Je

voulais encore trouver Ubertin, et je rentrai dans l’é glise

furtivement.

 

 

Troisiè me jour

APRÈ S COMPLIES

Où Ubertin raconte à Adso l’histoire de fra Dolcino, Adso

é voque d’autres histoires ou bien lit pour son propre

compte à la bibliothè que, et puis il vient à rencontrer une

jeune fille belle et redoutable comme des bataillons.

Comme escompté, je trouvai Ubertin au pied de la

statue de la Vierge. Je me joignis silencieusement à lui et

pendant un court temps fis semblant (je l’avoue) de prier.

Puis je m’enhardis à lui parler.

« Pè re saint, lui dis-je, puis-je vous demander lumiè re et

conseil? »

Ubertin me regarda, me prit par la main et se leva,

m’emmenant m’asseoir avec lui sur une chaise. Il me

serra dans ses bras, et je pus sentir son haleine sur mon

visage.

« Fils trè s cher, dit-il, tout ce que ce pauvre vieux

pé cheur peut faire pour ton â me, sera fait avec joie.

Qu’est-ce qui te trouble? Les tourments, pas? demandat-

il presque tourmenté lui aussi, les tourments de la

chair? —

Non, ré pondis-je en rougissant, il s’agirait plutô t

des tourments de l’esprit, qui veut connaî tre trop de

choses...

— Et c’est mal. Le Seigneur connaî t les choses, pour

notre part il nous faut seulement adorer sa sapience.

— Mais il nous faut aussi distinguer le bien du mal et

comprendre les passions humaines. Je suis novice, mais je

serai moine et recevrai le sacerdoce, et je dois apprendre

où est le mal, et quel aspect il prend, pour le reconnaî tre

un jour et pour enseigner aux autres à le reconnaî tre.

— C’est juste, mon garç on. Et alors que veux-tu

connaî tre?

— La maie plante de l’hé ré sie, pè re », dis-je avec

conviction. Et puis, d’un seul souffle: « J’ai entendu parler

d’un homme mauvais qui en a sé duit beaucoup d’autres,

fra Dolcino. »

Ubertin garda le silence. Puis il dit: « C’est juste, tu

nous as entendu y faire allusion l’autre soir avec frè re

Guillaume. Mais c’est une trè s vilaine histoire, dont j’ai

douleur à parler, parce qu’elle enseigne (oui, dans ce sens

il faudra que tu la saches, pour en tirer un enseignement

utile), parce qu’elle enseigne, disais-je, comment à partir

de l’amour de pé nitence et du dé sir de purifier le monde,

peut naî tre sang et massacres. » Il s’assit mieux, en

desserrant son é treinte autour de mes é paules, mais en

gardant toujours une main sur mon cou, comme pour me

communiquer, je ne sais, sa science ou son ardeur.

« L’histoire dé bute avant fra Dolcino, dit-il, il y a

plus de soixante ans, et moi j’é tais un enfant. Ce fut à

Parme. Là commenç a à prê cher un certain Gé rard

Segalelli{164}, qui invitait tout le monde à la vie de

pé nitence, et parcourait les routes en criant:

« Pé nitenziagité ! », qui é tait sa faç on d’homme inculte

pour dire: Penitentiam agite, appropinquabit enim

regnum coelorum{165} ». Il invitait ses disciples à se faire

pareils aux apô tres, il voulut que sa secte prî t le nom de

l’ordre des apô tres, et que les siens parcourussent le

monde comme de pauvres mendiants ne vivant que

d’aumô nes...

— Comme les fraticelles, dis-je. N’é tait-ce pas là le

mandat de Notre Seigneur et de votre Franç ois?

— Si, admit Ubertin avec une lé gè re hé sitation dans

la voix et avec un soupir. Mais sans doute Gé rard

exagé ra-t-il. Lui et les siens furent accusé s de ne plus

reconnaî tre l’autorité des prê tres, la cé lé bration de la

messe, la confession, et de vagabonder dans l’oisiveté.

— Mais on porta ces mê mes accusations contre les

franciscains spirituels. Et les minorites aujourd’hui ne

disent-ils pas qu’il ne faut pas reconnaî tre l’autorité du

pape? —

Si, mais ils ne contestent pas l’autorité des

prê tres. Nous- mê mes sommes prê tres. Mon garç on, il est

malaisé de dé partir ces choses-là. La ligne qui sé pare le

bien et le mal est si labile... D’une faç on ou d’une autre,

Gé rard fit un faux pas et s’entacha d’hé ré sie... Il demanda

à ê tre admis dans l’ordre des mineurs, mais nos frè res ne

l’acceptè rent pas. Il passait ses jours dans l’é glise de nos

frè res et là il vit les apô tres peints sandales aux pieds et

manteaux roulé s autour des é paules, et ainsi il se fit

pousser les cheveux et la barbe, mit des sandales aux

pieds et s’assujettit la cordeliè re des frè res mineurs, car

quiconque veut fonder une nouvelle congré gation prend

toujours quelque chose à l’ordre du bienheureux Franç ois.

— Mais alors il é tait dans le juste...

— Mais il fit un faux pas... Vê tu d’un manteau blanc

passé sur une tunique blanche et avec ses longs cheveux,

il acquit chez les simples une ré putation de sainteté. Il

vendit une de ses maisons et quand il en obtint le

paiement, il se plaç a sur une pierre du haut de laquelle,

dans les anciens temps, les podestats avaient accoutumé

de pé rorer, tenant en main sa bourse remplie, et il ne la

dilapida pas, ni ne la donna aux pauvres, mais il hé la des

ribauds qui jouaient dans le voisinage et la leur jeta en

disant: En prenne qui voudra et ces ribauds prirent l’or

et allè rent le jouer aux dé s et blasphé mè rent le Dieu

vivant, et lui qui avait donné, entendait et ne rougissait

point.

— Mais Franç ois aussi se dé pouilla de tout, et j’ai

entendu dire aujourd’hui par Guillaume qu’il alla prê cher

aux corneilles et aux é perviers, aux lé preux aussi, en

somme à la lie que le peuple de ceux qui se disaient

vertueux tenaient en marge...

— Oui, mais Gé rard fit un faux pas; Franç ois ne se

heurta jamais à la sainte É glise, et l’É vangile dit de donner

aux pauvres, pas aux ribauds. Gé rard donna et ne reç ut

rien en é change parce qu’il avait donné à de mauvaises

gens, et il fit un mauvais dé but, une mauvaise

continuation et une mauvaise fin, car sa congré gation a

é té blâ mé e par le pape Gré goire X.

— Peut-ê tre, dis-je, é tait-ce un pape moins

clairvoyant que celui qui approuva la rè gle de Franç ois...

— Oui, mais Gé rard fit un faux pas, quand Franç ois,

lui, savait fort bien ce qu’il faisait. Et enfin, mon garç on,

ces gardiens de porcs et de vaches qui du jour au

lendemain deviennent pseudo-apô tres voulaient

bé atement et sans sueur vivre des aumô nes de ceux que

les frè res mineurs avaient é duqué s avec tant de peines et

d’hé roï ques exemples de pauvreté ! Mais il ne s’agit pas

de cela, ajouta-t-il aussitô t, c’est que pour ressembler aux

apô tres qui é taient encore juifs, Gé rard Segalelli se fit

circoncire, ce qui va à rencontre des paroles de Paul aux

Galates – et tu sais que de nombreuses et saintes

personnes annoncent que l’Anté christ futur viendra du

peuple des circoncis... Mais Gé rard fit pire encore, il allait

regroupant les simples et disait: « Venez avec moi dans la

vigne et ceux qui ne le connaissaient pas entraient avec lui

dans la vigne d’autrui, croyant qu’elle lui appartenait, et

ils mangeaient le raisin d’autrui...

— Ç a n’a pas dû ê tre les mineurs qui ont dé fendu la

proprié té d’autrui », dis-je impudemment.

Ubertin me fixa d’un oeil sé vè re: « Les mineurs

demandent à ê tre pauvres, mais ils n’ont jamais demandé

aux autres d’ê tre pauvres. Tu ne peux impuné ment

attenter à la proprié té des bons chré tiens, les bons

chré tiens te montreront du doigt comme un bandit. Ce qui

advint à Gé rard. Dont on dit enfin (note, je ne sais pas si

c’est vrai, et je me fie aux paroles de frè re Salimbene qui

connut ces gens) que pour mettre à l’é preuve la force de

sa volonté et sa continence, il dormit avec plusieurs

femmes sans avoir de rapports sexuels; mais comme ses

disciples essayè rent de l’imiter, les ré sultats furent bien

diffé rents... Oh! ce ne sont pas des choses que doit savoir

un garç on, la femme est le vaisseau du dé mon... Gé rard

continuait à crier: « Pé nitenziagité »mais un de ses

disciples, un certain Guy Putagio, tenta de prendre la

direction du groupe, et il allait en grande pompe avec de

nombreuses montures et faisait de grandes dé penses et

des banquets comme les cardinaux de l’É glise de Rome.

Et puis ce furent des rixes entre eux, pour le

commandement de la secte, et il se passa des choses d’une

grande ignominie. Cependant beaucoup vinrent à Gé rard,

non seulement des paysans, mais aussi des gens des villes,

inscrits aux arts; Gé rard les faisait dé nuder afin que nus

ils suivissent Christ nu, et les envoyait prê cher de par le

monde, mais lui il se fit tailler une robe sans manches,

blanche, de fil robuste, et ainsi accoutré il ressemblait

davantage à un bouffon qu’à un religieux! Ils vivaient en

plein air, mais de temps à autre, ils montaient sur les

ambons et les jubé s interrompant l’assemblé e du peuple

dé vot et chassant les pré dicateurs, et une fois ils assirent

un enfant sur le trô ne é piscopal dans l’é glise de Sant’Orso

à Ravenne. Et ils se disaient les hé ritiers de la doctrine de

Joachim de Flore... »

— Mais les franciscains aussi, dis-je, Gé rard de

Borgo San Donnino aussi, vous aussi! m’exclamai-je.

— Calme-toi, mon garç on. Joachim de Flore fut un

grand prophè te et le premier à comprendre que Franç ois

devait marquer la ré novation de l’É glise. Mais les pseudoapô tres

se servirent de sa doctrine pour justifier leurs

folies, Segalelli trimbalait avec lui une apô tresse, une

certaine Tripia ou Ripia, qui se targuait du don de

prophé tie. Une femme, tu comprends?

— Mais pè re, tentai-je d’objecter, vous-mê me

parliez l’autre soir de la sainteté de Claire de Montfaucon

et d’Angè le de Foligno...

— C’é taient des saintes, elles! Elles vivaient dans

l’humilité en reconnaissant le pouvoir de l’É glise, elles ne

s’arrogè rent jamais le don de la prophé tie! En revanche,

les pseudo-apô tres affirmaient que les femmes aussi



  

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