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LE NOM DE LA ROSE 18 страница



pour tout le reste de l’é crit. Par exemple, ici Venantius a

certainement noté la clef pour pé né trer dans le finis

Africae. Si j’essaie de penser que le message parle de cela,

voilà qu’à l’improviste un rythme m’é claire... Essaie de

regarder les trois premiers mots, ne tiens pas compte des

lettres, considè re seulement le nombre des signes...

IIIIIIII IIIII IIIIIII... Maintenant, essaie de les diviser

en syllabes d’au moins deux signes chacune, et ré cite à

voix haute: ta-ta-ta, ta-ta, ta-ta-ta... Cela ne te rappelle

rien?

— À moi non.

— Et à moi si. Secretum finis Africae{129}... Mais s’il

en allait ainsi, le dernier mot devrait avoir la premiè re et

la sixiè me lettre é gale, et de fait c’est ainsi, voilà deux fois

le symbole de la Terre. Et la premiè re lettre du premier

mot, le S, devrait ê tre identique à la derniè re du second:

et de fait, voilà ré pé té le signe de la Vierge. C’est peutê tre

la bonne voie. Il pourrait aussi ne s’agir que d’une

sé rie de coï ncidences. Il faut trouver une rè gle de

correspondance...

— La trouver où ?

— Dans sa tê te. L’inventer. Et puis contrô ler si c’est

la bonne. Cependant entre un essai et un autre, le jeu

pourrait me prendre une journé e entiè re. Pas davantage,

car – souviens-toi – il n’y a aucune é criture secrè te qui ne

puisse ê tre dé chiffré e avec un peu de patience. Mais à

pré sent nous risquons de trop nous attarder et nous

voulons visiter la bibliothè que. D’autant que sans verres

je ne ré ussirai jamais à lire la seconde partie du message,

et toi tu ne peux m’aider parce que ces signes, à tes

yeux... —

Graecum est, non legitur{130}, complé tai-je

humilié.

Justement, et tu vois que Bacon avait raison.

É tudie! Mais ne perdons pas courage. Remisons le

parchemin et tes notes, et montons à la bibliothè que. Car

ce soir, dix lé gions infernales mê me ne parviendront pas à

nous retenir. »

Je fis le signe de la croix. « Mais qui a bien pu nous

pré cé der ici? Bence?

— Bence brû lait de l’envie de savoir ce qu’il y avait

dans les affaires de Venantius, mais il ne me semblait pas

avoir la tê te à nous jouer des tours aussi malicieux. Au

fond il nous avait proposé une alliance, et puis il m’avait

l’air de manquer de courage pour entrer la nuit dans

l’É difice.

— Alors Bé renger? Ou Malachie?

— Bé renger m’a tout l’air d’avoir la trempe de faire

des choses de ce genre-là. Au fond il est coresponsable de

la bibliothè que, il est rongé par le remords d’en avoir trahi

quelque secret, il jugeait que Venantius avait distrait ce

livre et voulait sans doute le reporter à la place d’où il

vient. Il n’a pas ré ussi à monter, à pré sent il cache le

volume quelque part et nous pourrons le cueillir sur le

fait, si Dieu nous assiste, quand il tentera de le remettre

en place.

— Mais ce pourrait ê tre aussi Malachie, mû par les

mê mes intentions.

— Je ne pense pas. Malachie avait eu tout le temps

qu’il voulait pour farfouiller dans la table de Venantius

quand il est resté seul pour fermer l’É difice. Je le savais

trè s bien et je n’avais pas moyen de l’é viter. À pré sent

nous savons qu’il ne l’a pas fait. Et si tu y ré flé chis bien,

nous n’avons pas de motif pour soupç onner que Malachie

savait que Venantius é tait entré dans la bibliothè que en y

dé robant quelque chose. C’est ce que savent Bé renger et

Bence, c’est ce que nous savons toi et moi. À la suite de la

confession d’Adelme, Jorge pourrait le savoir, mais ce

n’é tait certes pas lui, l’homme qui se pré cipitait avec une

telle fougue dans l’escalier à vis...

— Alors ou Bé renger ou Bence?...

— Et pourquoi pas Pacifico de Tivoli ou un autre des

moines que nous avons vus ici aujourd’hui? Ou Nicolas Le

Verrier, qui sait bien l’existence de mes lunettes? Ou ce

curieux personnage de Salvatore, qui, nous a-t-on dit,

rô de la nuit à la recherche de qui sait quoi? Nous devons

veiller à ne point restreindre le champ des suspects

simplement parce que les ré vé lations de Bence nous ont

orienté s dans une seule direction. Bence voulait peut-ê tre

nous embrouiller.

— Mais il vous a paru sincè re.

— Certes. Souviens-toi pourtant que le premier

devoir d’un bon inquisiteur, c’est celui de soupç onner

d’abord ceux qui te semblent sincè res.

— Damné travail que celui d’inquisiteur, dis-je.

— C’est bien pour ç a que je l’ai abandonné. Et

comme tu vois, il me faut le reprendre. Mais du coeur! À

la bibliothè que! »

Deuxiè me jour

NUIT

Où l’on pé nè tre enfin dans le labyrinthe, l’on a d’é tranges

visions et, comme il arrive dans les labyrinthes, on s’y

perd.

Nous remontâ mes au scriptorium, cette fois par

l’escalier oriental, qui donnait aussi accè s à l’é tage

interdit, la lampe haute devant nous. Moi je songeais aux

paroles d’Alinardo sur le labyrinthe et je m’attendais à

des choses é pouvantables.

Je fus surpris, quand nous é mergeâ mes dans le lieu

où nous n’aurions pas dû entrer, de me trouver dans une

salle à sept cô té s, pas trè s vaste, dé nué e de fenê tres, où

ré gnait, comme du reste dans tout l’é tage, une forte odeur

de renfermé et de moisissure. Rien de terrifiant.

La salle, dis-je, avait sept parois, mais sur quatre

d’entre elles seulement s’ouvrait, entre deux colonnettes

encastré es dans le mur, un passage assez large surmonté

d’un arc en plein cintre. Le long des parois aveugles

s’adossaient d’é normes armoires, chargé es de livres

disposé s avec ré gularité. Les armoires portaient une

é tiquette numé roté e, ainsi que chacune de leurs

é tagè res: d’é vidence, les mê mes numé ros que nous

avions vus dans le catalogue. Au milieu de la piè ce, une

table, elle aussi remplie de livres. Sur tous les volumes un

voile assez lé ger de poussiè re, signe que les livres é taient

nettoyé s avec une certaine fré quence. Par terre non plus,

il ne traî nait aucune saleté. Au-dessus de l’arc d’une des

portes, un cartouche, peint à mê me le mur, qui portait les

mots: Apocalypsis Iesu Christi{131}. Il ne paraissait pas

dé fraî chi, mê me si les caractè res é taient anciens. Nous

nous aperç û mes aprè s, dans les autres piè ces aussi, que

ces cartouches é taient en vé rité gravé e dans la pierre, et

plutô t profondé ment, et puis les cavité s avaient é té

emplies de peinture, comme on fait pour peindre à

fresque les é glises.

Nous franchî mes l’un des passages. Nous nous

trouvâ mes dans une autre piè ce, où s’ouvrait une fenê tre,

qui au lieu de panneaux de verre portait des plaques

d’albâ tre, avec deux parois pleines et un arc, du mê me

type que celui par où nous venions de passer, qui

desservait une autre piè ce, laquelle avait deux parois

pleines elles aussi, une avec fenê tre, et une autre porte

qui s’ouvrait devant nous. Dans les deux piè ces, deux

cartouches semblables par leur forme au premier que

nous avions vu, mais avec d’autres mots. Le cartouche de

la premiè re disait: Super thronos viginti quatuor{132},

celui de la seconde: Nomen illi mors{133}. Pour le reste,

mê me si les deux piè ces é taient plus petites que celle par

où nous é tions entré s dans la bibliothè que (de fait celle-là

é tait heptagonale et ces deux derniè res rectangulaires),

l’ameublement é tait le mê me: armoires avec des livres et

table centrale.

Nous accé dâ mes à la troisiè me piè ce. Elle é tait vide

de livres et sans cartouche. Sous la fenê tre, un autel de

pierre. Il y avait trois portes, une par où nous é tions

entré s, l’autre qui donnait sur la piè ce heptagonale dé jà

visité e, une troisiè me qui nous introduisit dans une

nouvelle piè ce, à peu prè s pareille aux autres, sauf pour le

cartouche qui disait: Obscuratus est sol et aer{134}. D’ici on

passait à une nouvelle piè ce, dont le cartouche disait:

Facta est grando et ignis{135}; elle é tait sans porte,

autrement dit, arrivé s à cette piè ce, on ne pouvait plus

aller de l’avant et il fallait revenir sur ses pas.

« Raisonnons, dit Guillaume. Cinq piè ces

quadrangulaires ou vaguement trapé zoï dales, avec une

fenê tre chacune, qui tournent autour d’une piè ce

heptagonale sans fenê tre desservie par l’escalier. Cela me

semble é lé mentaire. Nous sommes dans la tour orientale,

chaque tour pré sente de l’exté rieur cinq fenê tres et cinq

cô té s. Le compte y est. La piè ce vide est pré cisé ment celle

qui regarde à l’orient, dans la mê me direction que le

choeur de l’é glise, la lumiè re du soleil à l’aube é claire

l’autel, ce qui me semble juste et saint. L’unique idé e

astucieuse me semble celle des plaques d’albâ tre. Le jour

elles filtrent une belle lumiè re, la nuit elles ne laissent

transparaî tre pas mê me les rayons de la lune. Ce n’est

aprè s tout pas un grand labyrinthe. Voyons à pré sent où

mè nent les deux autres portes de la piè ce heptagonale. Je

crois que nous nous orienterons aisé ment. »

Mon maî tre se trompait et les constructeurs de la

bibliothè que avaient é té plus habiles que nous ne

croyions. Je n’arrive pas bien à m’expliquer ce qui se

passa, mais comme nous quittions la tour, l’ordre des

piè ces se fit plus confus. Certaines avaient deux, d’autres

trois-portes. Toutes avaient une fenê tre, mê me celles où

nous nous engagions en partant d’une piè ce avec fenê tre

et en pensant aller vers l’inté rieur de l’É difice. Chacune

avait toujours le mê me type d’armoires et de tables, les

volumes entassé s en bon ordre paraissaient tous pareils

et ne nous aidaient certes pas à reconnaî tre le lieu d’un

coup d’oeil. Nous tentâ mes de nous orienter avec les

cartouches. Une fois nous avions traversé une piè ce où

é tait é crit: In diebus illis{136}, et aprè s plusieurs tours il

nous sembla y ê tre revenus. Mais nous nous souvenions

que la porte devant la fenê tre desservait une piè ce où

é tait é crit: Primogenitus mortuorum{137}, tandis qu’à

pré sent nous en trouvions une autre qui disait de

nouveau: Apocalypsis Iesu Christi, et ce n’é tait pas la

salle heptagonale d’où nous é tions partis. Ce fait nous

convainquit que parfois les cartouches se ré pé taient

é gaux dans des piè ces diffé rentes. Nous trouvâ mes deux

piè ces avec Cecidit de coelo Stella magna{138}.

D’où provenaient les phrases des cartouches, cela ne

laissait aucun doute: il s’agissait de versets de

l’Apocalypse de Jean; en revanche, ni la raison de leur

exposition sur les murs, ni la logique de leur disposition

n’é taient le moins du monde claires. Et pour accroî tre

notre confusion, nous relevâ mes que certains cartouches,

peu nombreux, é taient de couleur rouge au lieu d’ê tre en

noir.

À un moment donné, nous nous retrouvâ mes dans la

salle heptagonale de dé part (reconnaissable, car l’escalier

y ouvrait son orifice), et nous reprî mes notre exploration

vers notre droite en cherchant d’aller droit de piè ce en

piè ce. Nous passâ mes par trois piè ces et puis nous

trouvâ mes devant une paroi fermé e. L’unique passage

desservait une nouvelle piè ce qui n’avait qu’une autre

porte, au sortir de laquelle nous parcourû mes quatre

autres piè ces et nous trouvâ mes à nouveau devant un

mur orbe. Nous revî nmes à la piè ce pré cé dente qui avait

deux sorties, prî mes celle que nous n’avions pas encore

essayé e, passâ mes dans une nouvelle piè ce, et nous

retrouvâ mes dans la salle heptagonale de dé part.

« Comment s’appelait la derniè re piè ce d’où nous

avons rebroussé chemin? » demanda Guillaume.

Je fis un effort de mé moire: « Equus albus{139}.

— Bien, retrouvons-la. » Et ce fut facile. De là, si l’on

ne voulait pas revenir sur ses pas, il n’y avait qu’à passer

à la piè ce dite Gratia vobis et pax{140}, et de là à droite il

nous sembla dé couvrir un nouveau passage qui ne nous

obligerait pas à faire marche arriè re. En effet, nous

trouvâ mes encore: In diebus illis et Primogenitus

mortuorum (é taient-ce les mê mes piè ces que nous

venions peu auparavant de traverser? ), mais nous

parvî nmes enfin dans une piè ce que nous n’avions pas

l’impression d’avoir encore visité e: Tertia pars terrae

combusta est{141}. Cependant, arrivé s là, nous ne savions

plus où nous é tions par rapport à la tour orientale.

Ma lampe tendue à bout de bras, je m’aventurai

dans les piè ces suivantes. Un gé ant de proportions

menaç antes, au corps onduleux et fluctuant comme celui

d’un fantô me, vint à ma rencontre.

« Un diable! » criai-je, et il s’en fallut de peu que la

lampe m’é chappâ t alors que je faisais une brusque volteface

et me ré fugiais dans les bras de Guillaume. Celui-ci

me prit la lampe des mains et, m’é cartant, s’avanç a avec

une dé cision qui me parut sublime. Il vit lui aussi quelque

chose, parce qu’il recula soudainement. Puis il s’avanç a de

nouveau et é leva la lampe. Il é clata de rire.

« Vraiment ingé nieux. Un miroir!

— Un miroir?

— Oui, mon vaillant guerrier. Tu t’es lancé avec tant

de courage sur un ennemi vé ritable, il y a peu, dans le

scriptorium, et maintenant tu as peur devant ta propre

image. Un miroir, qui te renvoie ton image grandie et

dé jeté e. »

Il me prit par la main et me conduisit en face de la

paroi qui regardait l’entré e de la piè ce. Sur une plaque de

verre ondulé, maintenant que la lampe l’é clairait de plus

prè s, je vis nos deux images grotesquement alté ré es, qui

changeaient de forme et de hauteur selon qu’on

s’approchait ou qu’on s’é loignait.

« Il te faudra lire aussi quelque traité d’optique, dit

Guillaume amusé, comme ont dû sû rement en lire les

fondateurs de la bibliothè que. Les meilleurs sont ceux des

Arabes. Alhazen composa un traité De aspectibus{142} où,

avec des dé monstrations gé omé triques pré cises, il a parlé

de la force des miroirs. Certains d’entre eux, selon la faç on

dont est modulé e leur surface, peuvent agrandir les

choses les plus minuscules (et en va-t-il autrement de

mes verres? ), d’autres font apparaî tre les images

renversé es, ou obliques, ou montrent deux objets au lieu

d’un, et quatre au lieu de deux. D’autres encore, comme

celui-ci, font d’un nain un gé ant ou d’un gé ant un nain.

— Seigneur Dieu! dis-je. Ce sont donc là les visions

qu’on dit avoir eues dans la bibliothè que?

— Peut-ê tre. Une idé e vraiment ingé nieuse. » Il lut

le cartouche sur le mur, au-dessus du miroir: Super

thronos viginti quatuor. « Nous l’avons dé jà trouvé, mais

c’é tait une salle sans miroir. Et celle-ci, entre autres, n’a

point de fenê tres, tout en é tant heptagonale. Où sommesnous

? » Il jeta un regard circulaire et s’approcha d’une

armoire: « Adso, sans ces sacré s oculi ad legendum{143} je

ne parviens pas à comprendre ce qui est é crit sur ces

livres. Lis-moi quelques titres. »

Je pris un livre au hasard: « Maî tre, il n’est pas

é crit!

— Comment? Je vois qu’il est é crit, que lis-tu?

— Je ne lis pas. Ce ne sont pas des lettres de

l’alphabet et ce n’est pas du grec, je le reconnaî trais. On

dirait des vermisseaux, des serpenteaux, des chiures de

mouche...

— Ah, c’est de l’arabe. Il y en a d’autres comme ç a?

— Oui, plusieurs. Mais en voilà un en latin, s’il plaî t à

Dieu. Al... Al Kuwarizmi, Tabulae.

— Les tables astronomiques d’Al Kuwarizmi,

traduites par Adé lard de Bath! Ouvrage d’une grande

rareté ! Continue.

— Isa ibn Ali, De oculis, Alkindi, De radiis stellatis...

— À pré sent, regarde sur la table. »

J’ouvris un grand volume qui se trouvait sur la table,

un De bestiis{144}. Je tombai sur une page finement

enluminé e où é tait repré senté un trè s bel unicorne.

« Belle facture, commenta Guillaume qui ré ussissait

à bien voir les images. Et celui-ci? »

Je lus: « Liber monstrorum de diversis

generibus{145}. Celui-là aussi avec de belles images, mais

elles me semblent plus anciennes. »

Guillaume inclina son visage sur le texte:

« Enluminé par des moines irlandais, il y a au moins cinq

siè cles. Le livre de l’unicorne est en revanche beaucoup

plus ré cent, il me paraî t de facture franç aise. » Une fois de

plus, j’admirai la science de mon maî tre. Nous entrâ mes

dans la piè ce suivante et parcourû mes une enfilade de

trois piè ces, toutes avec fenê tre, et toutes pleines de

volumes en langues inconnues, plus quelques textes de

sciences occultes, et nous arrivâ mes à un mur qui nous

contraignit à revenir sur nos pas, parce que les cinq

derniè res piè ces pé né traient les unes dans les autres sans

nous offrir d’autres sorties.

« D’aprè s l’inclinaison des murs, nous devrions ê tre

dans le pentagone d’une autre tour, dit Guillaume,

pourtant il n’y a pas de salle heptagonale centrale, peutê tre

nous trompons-nous.

— Mais les fenê tres? dis-je. Comment peut-il y

avoir tant de fenê tres? Impossible que toutes les piè ces

donnent sur l’exté rieur.

— Tu oublies le puits central, quantité de verriè res

que nous avons vues sont de celles qui donnent sur

l’octogone du puits. S’il faisait jour, la diffé rence de la

lumiè re nous dirait quelles sont les verriè res exté rieures

et quelles les inté rieures, et peut-ê tre mê me nous

ré vé lerait la position de la piè ce par rapport au soleil.

Mais la nuit, on ne relè ve aucune diffé rence. Revenons en

arriè re. »

Nous revî nmes dans la piè ce du miroir et nous

repliâ mes vers la troisiè me porte par laquelle il nous

semblait n’ê tre pas encore passé. Nous vî mes devant nous

une enfilade de trois ou quatre piè ces, et vers la derniè re

nous entrevî mes une lueur.

« Il y a quelqu’un! m’exclamai-je d’une voix

é touffé e.

— S’il y a quelqu’un, il a dé jà vu notre lampe », dit

Guillaume en couvrant cependant la flamme de sa main.

Nous restâ mes sans bouger une minute ou deux. La lueur

continuait à osciller lé gè rement, mais sans qu’elle se fî t

plus forte ni plus faible.

« Ce n’est peut-ê tre qu’une lampe, dit Guillaume, de

celles qu’on place pour convaincre les moines que la

bibliothè que est habité e par les â mes des tré passé s. Mais

il faut en avoir le coeur net. Toi, reste ici en couvrant la

lampe, moi je vais de l’avant avec prudence. »

Encore honteux de ma piè tre figure devant le miroir,

je voulus me racheter aux yeux de Guillaume: « Non, j’y

vais moi, dis-je, vous, restez ici. À peine me rendrai-je

compte qu’il n’y a point de risque, je vous appellerai. »

Aussitô t dit, aussitô t fait. J’avanç ai à travers trois

piè ces en rasant les murs, lé ger comme un chat (ou

comme un novice qui descendrait aux cuisines voler du

fromage dans la dé pense, entreprise où j’excellais à Melk).

J’arrivai au seuil du lieu d’où provenait la lueur, trè s

faible, en me glissant à l’abri de la colonne qui servait de

portant droit et je lorgnai dans la piè ce. Il n’y avait

personne. Une espè ce de lampe é tait posé e sur la table,

allumé e, elle charbonnait. Ce n’é tait pas une lampe

comme la nô tre, elle ressemblait plutô t à un encensoir

dé couvert, elle ne faisait pas de flamme, mais une cendre

lé gè re couvait en brû lant quelque chose. Je me fis courage

et j’entrai. Sur la table à cô té de l’encensoir se trouvait

ouvert un livre aux couleurs vives. Je m’approchai et

aperç us sur la page quatre bandes de couleur diffé rente,

jaune, cinabre, bleu turquin et terre brû lé e. S’y dé tachait

une bê te horrible à voir, un grand dragon avec dix tê tes

qui de sa queue entraî nait à sa suite les é toiles du ciel et

les faisait s’abî mer sur la terre. Et soudain je vis le dragon

se multiplier, et la matiè re corné e de sa peau devenir

comme une selve de plates rutilantes qui se dé tachè rent

de la feuille et vinrent tourner autour de ma tê te. Je me

renversai en arriè re et vis le plafond de la piè ce qui

s’inclinait et descendait sur moi, puis j’entendis comme le

sifflement de mille serpents, mais pas effrayant, quasi

sé duisant, et une femme apparut nimbé e de lumiè re qui

approcha son visage du mien jusqu’à me faire sentir son

souffle. Je l’é loignai de mes mains tendues et j’eus

l’impression que mes doigts touchaient les livres de

l’armoire d’en face, ou que ceux-ci grandissaient

dé mesuré ment. Je ne me rendais plus compte où j’é tais,

et où é tait la terre et où le ciel. Je vis Bé renger au centre

de la piè ce, qui me fixait avec un sourire odieux,

ruisselant de luxure. De mes mains je me couvris la face,

et mes mains m’apparurent comme les pattes d’un

crapaud, visqueuses et palmé es. Je criai, je crois, sentis un

goû t acidulé dans ma bouche, puis je m’effondrai dans une

nuit infinie, qui semblait s’ouvrir de plus en plus sous moi,

et plus rien ne sus.

Je me ré veillai aprè s une pé riode de temps qui me

fit l’impression de siè cles, en sentant des coups qui me

ré sonnaient dans la tê te. J’é tais allongé sur le sol et

Guillaume me donnait des claques sur les joues. Je n’é tais

plus dans la piè ce aventureuse et mes yeux aperç urent un

cartouche qui disait: Requiescant a laboribus suis{146}.

« Allons allons, Adso, me murmurait Guillaume. Ce

n’est rien...

— Les choses... dis-je encore divaguant. Là -bas, la

Bê te... —

Point de bê te. Je t’ai trouvé qui dé lirais au pied

d’une table où se trouvait une belle apocalypse

mozarabique, ouverte à la page de la mulier amicta

sole{147} qui affronte le dragon. Mais je me suis aperç u

d’aprè s l’odeur que tu avais respiré quelque chose de

mauvais et je t’ai aussitô t emporté. Moi aussi, j’ai mal à la

tê te.

— Mais qu’ai-je vu?

— Tu n’as rien vu. C’est que là -bas, ils brû laient des

substances capables de donner des visions, j’ai reconnu

l’odeur, c’est une chose arabe, peut-ê tre la mê me que le

Vieillard de la Montagne donnait à humer à ses assassins

avant de les pousser à leurs entreprises. Et voilà, nous

avons expliqué le mystè re des visions. Quelqu’un dé pose

des herbes magiques pendant la nuit pour convaincre les

visiteurs inopportuns que la bibliothè que est proté gé e par

des pré sences diaboliques. Qu’as-tu é prouvé, au juste? »

Confusé ment, selon qu’il m’en souvenait, je lui

racontai ma vision, et Guillaume rit: « Pour la moitié, tu

grossissais ce que tu avais aperç u dans le livre, et pour

l’autre moitié tu laissais parler tes dé sirs et tes peurs. Ce

sont là les opé rations qu’activent de pareilles herbes.

Demain, il faudra en parler avec Sé verin, je pense qu’il en

sait plus long qu’il ne veut nous faire accroire. Il s’agit

d’herbes, rien que d’herbes, sans besoin de ces

pré parations dont nous parlait le verrier. Herbes,

miroirs... Ce lieu du savoir interdit est dé fendu par de

nombreuses et fort savantes inventions. La science

utilisé e pour occulter au lieu d’é clairer. Je n’aime pas cela

du tout. Un esprit pervers pré side à la sainte dé fense de

la bibliothè que. Mais ce fut une nuité e pé nible, il faudra

sortir, pour l’instant. Tu es bouleversé et tu as besoin

d’eau et d’air frais. Inutile de chercher à ouvrir ces

fenê tres, trop hautes et sans doute fermé es depuis des

dizaines d’anné es. Comment ont-ils pu penser qu’Adelme

s’est jeté d’ici? »

Sortir, dit Guillaume. Comme si ç ’avait é té facile.

Nous savions que la bibliothè que n’é tait accessible que



  

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