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LE NOM DE LA ROSE 15 страницаde la cellule de Jorge. Bence avait eu l’intuition qu’Adelme s’é tait jeté au pied du vieillard pour lui confesser son pé ché. Et Bé renger tremblait, sachant que son secret se dé voilait en ce moment mê me, fut-ce sous le sceau du sacrement. Ensuite Adelme é tait sorti, le visage d’une grande pâ leur, il avait é carté de lui Bé renger qui cherchait à lui parler, et il s’é tait pré cipité hors du dortoir, tournant autour du chevet de l’é glise et entrant dans le choeur par la porte septentrionale (qui, la nuit, reste toujours ouverte). Il voulait probablement prier. Bé renger l’avait suivi, mais sans entrer dans l’é glise; et il errait parmi les tombes du cimetiè re en se tordant les mains. Bence ne savait plus que faire depuis qu’il s’é tait aperç u qu’une quatriè me personne rô dait alentour. Cette derniè re aussi avait suivi les deux autres et ne s’é tait certes pas aperç ue de sa pré sence à lui, Bence, qui se tenait raide contre le tronc d’un chê ne planté à la limite du cimetiè re. C’é tait Venantius. À sa vue Bé renger s’é tait tapi entre les tombes et Venantius é tait entré lui aussi dans le choeur. À ce point-là, Bence, redoutant d’ê tre dé couvert, s’en é tait retourné au dortoir. Le lendemain matin le cadavre d’Adelme avait é té trouvé au pied de l’à pic. Et Bence rien d’autre ne savait. L’heure du dî ner approchait maintenant. Bence nous quitta et mon maî tre ne lui demanda rien d’autre. Nous restâ mes encore un peu derriè re les balnea, puis nous nous promenâ mes quelques minutes dans le jardin, en mé ditant sur ses singuliè res ré vé lations. « Frangule, dit soudain Guillaume en se penchant pour observer un arbrisseau, qu’en ces jours divers il reconnut d’aprè s ses branches. La fusion d’é corce, bonne pour les hé morroï des. Et ç a, c’est l’arctium lappa, un bon cataplasme de racines fraî ches cicatrise les eczé mas. — Vous ê tes plus fort que Sé verin, lui dis-je, mais à pré sent dites-moi ce que vous pensez de ce que nous avons entendu! — Mon cher Adso, tu devrais apprendre à raisonner avec ta tê te. Bence nous a probablement dit la vé rité. Son histoire coï ncide avec celle, par ailleurs toute entremê lé e d’hallucinations, que nous a raconté tô t ce matin Bé renger. Essaie de reconstruire. Bé renger et Adelme font ensemble une chose extrê mement laide, nous avions dé jà eu l’intuition. Et Bé renger doit avoir ré vé lé le secret à Adelme, qui reste hé las un secret. Adelme, aprè s avoir commis son crime contre chasteté et les rè gles de la nature, n’a plus qu’une pensé e: se livrer à quelqu’un qui puisse l’absoudre, et il court chez Jorge. Lequel a un caractè re fort austè re, nous en avons eu les preuves, et à coup sû r assaille Adelme d’angoissantes ré primandes. Peut-ê tre ne lui donne-t-il pas l’absolution, peut-ê tre lui impose-t-il une impossible pé nitence, nous ne le savons pas, et Jorge ne nous le dira jamais. Le fait est qu’Adelme court à l’é glise se prosterner devant l’autel, mais son remords ne s’apaise pas. À ce moment-là, il est abordé par Venantius. Nous ne savons pas ce qu’ils disent. Adelme confie peut-ê tre à Venantius le secret qu’il eut en cadeau (ou contre paiement) de Bé renger, et qui dé sormais ne lui importe plus du tout, depuis qu’il dé tient un secret bien plus terrible et brû lant. Qu’arrive-t-il à Venantius? Peut-ê tre, pris par la mê me ardente curiosité qui agitait encore notre Bence aujourd’hui, satisfait de ce qu’il a su, il laisse Adelme à ses remords. Adelme se voit abandonné, il projette de se tuer, sort dé sespé ré du cimetiè re et là, il rencontre Bé renger. Il lui dit des mots terribles, lui jette à la figure sa responsabilité, l’appelle son maî tre è s turpitudes. Je crois vraiment que le ré cit de Bé renger, dé pouillé de toute hallucination, é tait exact. Adelme lui ré pè te les mê mes mots de dé sespé rance qui doit avoir entendu de la bouche de Jorge. Et voilà que Bé renger s’en va bouleversé d’un cô té, et Adelme s’en va se tuer d’un autre. Ensuite vient le reste, dont nous avons é té presque les té moins. Tous croient qu’Adelme a é té tué, Venantius en retire l’impression que le secret de la bibliothè que est encore plus important qu’il ne le croyait, et continue la recherche pour son propre compte. Jusqu’au moment où quelqu’un l’arrê te, avant qu’il ait dé couvert ce qu’il voulait ou aprè s. — Qui le tue? Bé renger? — Possible. Ou Malachie, qui a la garde de l’É difice. Ou un autre. Bé renger est soupç onnable justement parce qu’il est é pouvanté, et qu’il savait Venantius en possession de son secret. Malachie est soupç onnable: gardien de l’inté grité de la bibliothè que, il dé couvre que quelqu’un l’a violé e, et tue. Jorge sait tout de tout le monde, il possè de le secret d’Adelme, il ne veut pas que je dé couvre ce que Venantius pourrait avoir trouvé... De nombreux faits conseilleraient de le soupç onner. Mais, dis-moi, comment un homme aveugle peut-il en tuer un autre dans la force de l’â ge, et comment un vieux, encore que robuste, a-t-il pu transporter le cadavre dans la jarre? Mais enfin, pourquoi l’assassin ne pourrait-il ê tre Bence soi-mê me? Il pourrait nous avoir menti, agir en vue de fins inavouables. Et pourquoi limiter les soupç ons à ceux-là seuls qui participè rent à la conversation sur le rire? Le crime a eu peut-ê tre d’autres mobiles, qui n’ont rien à voir avec la bibliothè que. En tous les cas, nous avons besoin de deux choses: savoir comment on entre la nuit dans la bibliothè que, et avoir une lampe. Pour la lampe, tu y penseras toi. Passe dans les cuisines à l’heure du souper, prends-en une... — Un vol? — Un emprunt, pour la plus grande gloire du Seigneur. — Alors, compter sur moi. — Bien. Pour ce qui est entré dans l’É difice, nous avons vu par où est apparu Malachie hier soir. Aujourd’hui je ferai une visite à l’é glise, et à cette chapelle en particulier. Dans une heure nous passerons à table. Aprè s nous avons une ré union avec l’Abbé. Tu y seras admis, car j’ai demandé d’avoir un secré taire qui prenne note de ce que nous dirons. » Deuxiè me jour NONE Où l’Abbé se montre fier des richesses de son abbaye et plein de crainte au sujet des hé ré tiques, et pour finir Adso se demande s’il n’a pas mal fait d’aller de par le monde. Nous trouvâ mes l’Abbé dans l’é glise, face au maî treautel. Il suivait le travail de plusieurs novices qui avaient retiré de quelques anfractuosité s secrè tes une sé rie de vases sacré s, calices, patè nes, ostensoirs, et un crucifix que je n’avais pas vu pendant la fonction du matin. Je n’ai pu retenir une exclamation d’é merveillement devant la fulgurante beauté de ces objets de culte. C’é tait en plein midi et la lumiè re entrait à flots par les vitraux du choeur, et davantage encore par ceux des faç ades, formant de blanches cascades qui, tels de mystiques torrents de divines substances, allaient se croiser en diffé rents points de l’é glise, inondant l’autel mê me. Les vases, les calices, tout ré vé lait sa propre matiè re pré cieuse: entre le jaune de l’or, la blancheur immaculé e des ivoires et la transparence du cristal, je vis rutiler des gemmes de toutes les couleurs, de toutes les dimensions, et je reconnus l’hyacinthe, la topaze, le rubis, le saphir, l’é meraude, la chrysolithe, l’onyx, l’escarboucle et le jaspe et l’agate. Et dans le mê me moment, je me rendis compte de tout ce que, le matin, ravi en priè re et puis bouleversé par la terreur, je n’avais pas remarqué : le paliotto de l’autel et trois autres panneaux qui lui faisaient couronne, é taient entiè rement d’or, et enfin l’autel entier paraissait d’or de quelque cô té qu’on le regardâ t. L’Abbé sourit devant mon é tonnement: « Ces richesses que vous voyez, dit-il tourné vers moi et mon maî tre, et d’autres que vous verrez encore, sont l’hé ritage de siè cles de pié té et de dé votion, et té moignent de la puissance et de la sainteté de cette abbaye. Princes et puissants de la terre, archevê ques et é vê ques ont sacrifié à cet autel et aux objets qui lui sont destiné s, les anneaux de leurs investitures, les ors et les pierres qui é taient le signe de leur grandeur, et les ont voulus ici refondus pour la plus grande gloire du Seigneur et de ce lieu. Bien qu’aujourd’hui l’abbaye ait é té funestement marqué e par un autre é vé nement douloureux, nous ne pouvons oublier face à notre fragilité la force et la puissance du Trè s-Haut. S’approchent les festivité s de Noë l, Sainte Nativité, et nous commenç ons à fourbir les objets du culte, de faç on que la naissance du Sauveur soit ensuite cé lé bré e avec tout l’é clat et la magnificence qu’elle mé rite et exige. Tout devra apparaî tre dans toute sa splendeur... ajouta-t-il en regardant fixement Guillaume – et je compris ensuite pourquoi il insistait avec autant d’orgueil pour justifier son comportement –, car nous pensons qu’il est utile et convenable de ne pas cacher, mais au contraire de proclamer les divines largesses. — Certes, dit Guillaume avec courtoisie, si Votre Sublimité juge que le Seigneur doit ê tre glorifié ainsi, votre abbaye a atteint la plus grande excellence dans ce concours de louanges. — Et ainsi se doit-on de faire, dit l’Abbé. Si amphores et flacons d’or et petits mortiers en or servaient, selon la coutume, par volonté de Dieu ou ordre des prophè tes, à recueillir le sang des chè vres ou des veaux ou de la jument dans le temple de Salomon, à plus forte raison vases d’or et pierres pré cieuses, et tout ce qui a de la valeur parmi les choses cré é es, doivent ê tre utilisé s avec continuelle ré vé rence et pleine dé votion pour accueillir le sang de Christ! Si pour une seconde cré ation notre substance venait à ê tre la mê me que celle des ché rubins et des sé raphins, il serait encore indigne le service auquel elle pourrait se prê ter pour une victime aussi ineffable... — Ainsi soit-il, dis-je. — Beaucoup objectent qu’un esprit saintement inspiré, un coeur pur, une intention pleine de foi devraient suffire à cette fonction sacré e. Nous sommes les premiers à affirmer explicitement et ré solument que c’est bien là chose essentielle: mais nous sommes convaincus qu’on doit rendre l’hommage aussi à travers l’ornement exté rieur des objets sacré s, car il est suprê mement juste et convenable que nous servions notre Sauveur en toute chose, inté gralement, lui qui ne s’est pas refusé de nous pourvoir en toute chose inté gralement et sans exception. — Voilà qui a toujours é té l’opinion des grands de votre ordre, consentit Guillaume, et je me rappelle les fort belles choses é crites sur les ornements des é glises par le trè s grand et vé né rable abbé Suger. — C’est ainsi, dit l’Abbé. Vous voyez ce crucifix. Il n’est pas encore complet... » Il le prit dans la main avec un amour infini et le c o d’nun visagse rayonnant de bé atitude. « Ici manquent encore quelques perles, et je n’en ai pas encore trouvé d’une assez belle eau. Autrefois saint André s’adressa à la croix du Golgotha en la disant orné e des membres de Christ comme de perles. Et c’est de perles que doit ê tre orné cet humble simulacre du grand prodige. Mê me si j’ai jugé opportun d’y faire sertir, à cet endroit, au-dessus de la tê te mê me du Sauveur, le plus beau diamant que vous ayez jamais vu. » Il caressa de ses mains dé votes, de ses longs doigts blancs, les parties les plus pré cieuses du bois sacré, ou plutô t de l’ivoire sacré, car c’est de cette matiè re splendide qu’é taient faits les bras de la croix. « Quand, tandis que je m’enchante de toutes les beauté s de cette maison de Dieu, que le charme des pierres multicolores m’a arraché aux soins exté rieurs, et qu’une digne mé ditation m’a conduit à ré flé chir, transfé rant ce qui est maté riel à ce qui est immaté riel, sur la diversité des vertus sacré es, alors j’ai l’impression de me trouver, pour ainsi dire, dans une ré gion de l’univers qui n’est plus tout à fait enclose dans la boue de la terre ni tout à fait dé lié e dans la pureté du ciel. Et il me semble que, grâ ce à Dieu, je peux ê tre transporté de ce monde infé rieur au monde supé rieur par voie anagogique{122}... » Il parlait, et il avait tourné son visage vers la nef. Une cascade de lumiè re qui pé né trait d’en haut, par une particuliè re bienveillance de l’astre diurne, l’illuminait au visage, et aux mains qu’il avait ouvertes en forme de croix, ravi qu’il é tait par sa propre ferveur. « Chaque cré ature, dit-il, qu’elle soit visible ou invisible, est une lumiè re, amené e à l’ê tre par le pè re des lumiè res. Cet ivoire, cet onyx, mais aussi la pierre qui nous entoure sont une lumiè re, parce que je perç ois qu’ils sont bons et beaux, qu’ils existent selon leurs propres rè gles de proportion, lesquelles diffè rent par genre et espè ce de tous les autres genres et espè ces, sont dé finies par leur propre nombre, ne se dé robent pas à leur ordre, cherchent leur lieu spé cifique conformé ment à leur gravité. Et ces choses me sont ré vé lé es, d’autant mieux que la matiè re é clatante sous mes yeux est de par sa nature pré cieuse, et elle se fait d’autant mieux lumiè re de la puissance cré atrice divine, que je dois remonter à la sublimité de la cause, inaccessible dans sa plé nitude, à partir de la sublimité de l’effet; et combien plus haut me parle de la divine causalité un effet admirable tel que l’or ou le diamant, si d’elle dé jà ré ussissent à me parler l’excré ment et l’insecte mê mes! Et alors, quand dans ces pierres je perç ois de ces choses supé rieures, mon â me pleure, de joie é mue, et non par vanité terrestre ou amour des richesses, mais par amour trè s pur de la cause premiè re non causé e. — C’est là vraiment la plus douce des thé ologies », dit Guillaume avec une parfaite humilité, et je vis qu’il employait cette insidieuse figure de pensé e que les rhé teurs appellent ironie; qu’on utilise toujours en la faisant pré cé der de la pronunciato{123}, qui en constitue le signal et la justification; chose que Guillaume ne faisait jamais. Raison pour quoi l’Abbé, plus enclin à user des figures de discours, prit Guillaume au pied de la lettre et ajouta, encore en proie à son ravissement mystique: « C’est la plus immé diate des voies qui nous mettent en contact avec le Trè s-Haut, maté rielle thé ophanie. » Guillaume toussa poliment: « Eh... oh... », dit-il. Il faisait ainsi quand il voulait introduire un autre sujet. Avec une parfaite bonne grâ ce d’ailleurs parce qu’il é tait dans ses habitudes – et je crois que c’est typique des hommes de sa terre – de commencer chacune de ses interventions par de longs gé missements liminaires, comme si mettre en branle l’exposition d’une pensé e accomplie lui coû tait un grand effort de l’esprit. Alors que, j’en é tais dé sormais convaincu, plus ses gé missements é taient nombreux avant son assertion, plus il é tait sû r de l’excellence de la proposition qu’elle exprimait. « Eh... oh... fit donc Guillaume. Nous devrions parler de la rencontre et du dé bat sur la pauvreté... — La pauvreté... dit l’Abbé encore tout rê veur, comme s’il lui en coû tait de descendre de cette belle ré gion de l’univers où l’avaient transporté ses gemmes. C’est vrai, la rencontre... » Et ils commencè rent une discussion serré e sur des choses qu’en partie je connaissais dé jà et en partie je parvins à comprendre en é coutant leur entretien. Il s’agissait, comme je l’ai dit dè s le dé but de cette chronique fidè le, de la double querelle qui opposait d’un cô té l’empereur au pape, et de l’autre le pape aux franciscains qui, lors du chapitre de Pé rouse, fut-ce avec des anné es et des anné es de retard, avaient fait leurs les thè ses des spirituels sur la pauvreté de Christ; et de l’embrouillement qui s’é tait formé en unissant les franciscains à l’Empire, embrouillement qui – de triangle d’oppositions et d’alliances – s’é tait dé sormais transformé en un carré par l’intervention, à moi encore fort obscure, des abbé s de l’ordre de saint Benoî t. Pour ma part je n’ai jamais saisi avec clarté la raison pour laquelle les abbé s bé né dictins avaient donné protection et asile aux franciscains spirituels, avant encore que leur propre ordre en partageâ t de quelque faç on que ce fû t les opinions. Car, si les spirituels prê chaient le renoncement à tous les biens terrestres, les abbé s de mon ordre, j’en avais eu ce jour mê me la lumineuse confirmation suivait une voie non moins vertueuse, mais diamé tralement opposé e. Je crois que les abbé s considé raient qu’un excessif pouvoir du pape signifiait un excessif pouvoir des é vê ques et des villes, alors que mon ordre avait gardé intacte sa puissance au cours des siè cles pré cisé ment en lutte avec le clergé sé culier et les marchands citadins, se plaç ant comme mé diateur direct entre le ciel et la terre, et conseiller des souverains. J’avais entendu ré pé ter tant de fois la phrase selon laquelle le peuple de Dieu se divisait en pasteurs (autrement dit les clercs), chiens (autrement dit les guerriers) et brebis, le peuple. Mais j’ai appris par la suite que cette phrase peut ê tre redite de diffé rentes faç ons. Les bé né dictins avaient souvent parlé non pas de trois ordres, mais de deux grandes divisions, l’une qui concernait l’administration des choses terrestres et l’autre qui concernait l’administration des choses cé lestes. En ce qui concernait les choses terrestres la division entre clergé, seigneurs laï cs et peuple é tait valable, mais sur cette tripartition dominait la pré sence de l’ordomonachorum{ 124}, lien direct entre le peuple de Dieu et le ciel, et les moines n’avaient rien à voir avec ces pasteurs sé culiers qu’é taient les prê tres et les é vê ques, ignorants et corrompus, soumis dé sormais aux inté rê ts des villes, où les brebis n’é taient plus tant les bons et fidè les paysans, mais bien les marchands et les artisans. Point ne dé plaisait à l’ordre bé né dictin que le gouvernement des simples fû t confié aux clercs sé culiers, pourvu que le rè glement dé finitif de ce rapport fû t é tabli par les moines, en contact direct avec la source de tout pouvoir terrestre, l’Empire, ainsi qu’ils l’é taient avec la source de tout pouvoir cé leste. Voilà pourquoi, je crois, de nombreux abbé s bé né dictins, pour restituer sa dignité à l’Empire contre le gouvernement des villes (é vê ques et marchands unis) acceptè rent aussi de proté ger les franciscains spirituels, dont ils ne partageaient pas les idé es, mais dont la pré sence les arrangeait dans la mesure où elle offrait à l’Empire de bons syllogismes contre le pouvoir excessif du pape. Ce sont là les raisons, arguai-je, pour lesquelles Abbon s’apprê tait maintenant à collaborer avec Guillaume, l’envoyé de l’empereur, pour servir de mé diateur entre l’ordre franciscain et le Siè ge pontifical. De fait, mê me dans la violence de la dispute qui faisait tant pé ricliter l’unité de l’É glise, Michel de Cé sè ne, plusieurs fois appelé en Avignon par le pape Jean, s’é tait enfin disposé à accepter l’invitation, parce qu’il ne voulait pas que son ordre brisâ t dé finitivement avec le Pontife. En tant que gé né ral des franciscains, il voulait à la fois faire triompher leurs positions et obtenir l’approbation du pape, car il avait aussi l’intuition que sans l’approbation papale, il ne pourrait longtemps demeurer à la tê te de l’ordre. Mais beaucoup lui avaient fait observer que le pape l’attendrait en France pour lui tendre un piè ge, l’accuser d’hé ré sie et lui faire un procè s. C’est pourquoi ils conseillaient que le voyage de Michel en Avignon fû t pré cé dé de quelques pourparlers. Marsile avait eu une meilleure idé e: envoyer en mê me temps que Michel un lé gat impé rial qui pré sentâ t au pape le point de vue des tenants de l’empereur. Non tant pour convaincre le vieux Cahors que pour renforcer la position de Michel qui, faisant partie d’une lé gation impé riale, n’aurait pu aussi facilement tomber, proie de la vengeance pontificale. Cette idé e pré sentait toutefois de nombreux inconvé nients et n’é tait pas ré alisable sur-le-champ. De là le projet d’une rencontre pré liminaire entre les membres de la lé gation impé riale et quelques envoyé s du pape, afin d’é tablir les respectives positions et de ré diger les accords pour une rencontre où la sé curité des visiteurs italiens serait garantie. L’organisation de cette premiè re rencontre, c’est justement Guillaume de Baskerville qui en avait é té chargé. Qui devrait par la suite repré senter le point de vue des thé ologiens impé riaux en Avignon, s’il jugeait que le voyage é tait possible sans danger. Entreprise malaisé e, car on supposait que le pape, qui voulait Michel tout seul afin de pouvoir le ré duire plus facilement à l’obé issance, enverrait en Italie une lé gation instruite de faç on à faire é chec, dans toute la mesure du possible, au voyage des envoyé s impé riaux à sa cour. Guillaume avait manoeuvré jusqu’alors avec une grande habileté. Aprè s de longues consultations avec diffé rents abbé s bé né dictins (voilà la raison des nombreuses é tapes de notre voyage), il avait choisi celle où nous nous trouvions pré cisé ment parce qu’on savait que l’Abbé y é tait tout dé voué à l’Empire et cependant, grâ ce à sa grande souplesse diplomatique, point mal vu à la cour pontificale. Territoire neutre, donc, l’abbaye, où les deux groupes pourraient se rencontrer. Mais les ré sistances du Souverain Pontife ne s’arrê taient pas là. Il savait que, une fois sur le terrain de l’abbaye, sa lé gation serait soumise à la juridiction de l’Abbé : et comme elle serait aussi en partie composé e de membres du clergé sé culier, il n’acceptait pas cette clause, invoquant sa crainte d’une chausse-trappe impé riale. Il avait alors posé la condition que l’inté grité de ses envoyé s serait confié e à une compagnie d’archers du roi de France aux ordres d’une personne ayant toute sa confiance. J’avais vaguement entendu Guillaume discuter de cela avec un ambassadeur du pape à Bobbio: il s’é tait agi de dé finir la formule par laquelle dé signer les devoirs de ladite compagnie, autrement dit ce qu’on entendait par sauvegarde de l’inté grité des lé gats pontificaux. On avait finalement accepté une formule proposé e par les Avignonnais et qui avait paru raisonnable: les gens armé s, et qui les commandaient, auraient eu juridiction « sur tous ceux qui en quelque maniè re cherchaient à attenter à la vie des membres de la lé gation pontificale et d’en influencer le comportement et le jugement par des actes violents ». Alors, le pacte é tait apparu comme inspiré par de pures pré occupations formelles. À pré sent,
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