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LE NOM DE LA ROSE 4 страница



— Certes, c’est une abbaye petite, mais riche, admit

l’Abbé avec suffisance. Cent cinquante servants pour

soixante moines. Mais tout s’est passé dans l’É difice. Là,

comme peut-ê tre vous savez dé jà, mê me si au premier

é tage sont les cuisines et le ré fectoire, aux deux é tages

supé rieurs il y a le scriptorium{28} et la bibliothè que.

Aprè s le souper on ferme l’É difice et il est une rè gle trè s

rigoureuse qui interdit à quiconque d’y accé der (il devina

la question de Guillaume et ajouta aussitô t, mais

clairement à contrecoeur): y compris les moines

naturellement, mais…

— Mais?

— Mais j’exclus absolument, absolument vous

comprenez, qu’un servant ait eu le courage d’y pé né trer

de nuit. » Dans ses yeux passa comme un sourire de dé fi,

qui fut rapide comme l’é clair, ou une é toile filante.

« Disons qu’ils auraient peur, vous savez… parfois les

ordres donné s aux gens simples, il faut les renforcer avec

quelques menaces, comme le pré sage qu’il puisse arriver

quelque chose de terrible au transgresseur, et par une

force surnaturelle. Un moine, en revanche…

— Je comprends.

— Non seulement, mais un moine pourrait avoir

d’autres raisons pour s’aventurer dans un lieu interdit, je

veux dire des raisons… comment dire? Raisonnables,

fussent-elles contraires à la rè gle… »

Guillaume se rendit compte que l’Abbé é tait mal à

l’aise et il é mit une question qui peut-ê tre visait à dé vier

le discours, mais qui produisit un redoublement

d’embarras.

« En parlant d’un possible homicide vous avez dit:

“‘et n’é tait que celui-ci”’. Qu’entendez-vous par là ?

— J’ai dit cela? Eh bien, on ne tue pas sans raison,

pour perverse qu’elle soit. Et je tremble à la pensé e de la

perversité des raisons qui peuvent avoir poussé un moine

à tuer un confrè re. Voilà. C’est cela.

— Il n’y a rien d’autre?

— Il n’y a rien d’autre que je puisse vous dire.

— Vous voulez dire qu’il n’y a rien d’autre que vous

ayez le pouvoir de dire?

— Je vous en prie, frè re Guillaume, frè re

Guillaume », et l’Abbé voulut souligner et le lien religieux

et le lien fraternel. Guillaume rougit vivement et

commenta:

« Eris sacerdos in aeternum{29}.

— Merci », dit l’Abbé.

O. Seigneur Dieu, quels mystè res terribles

effleurè rent en cet instant mes imprudents supé rieurs,

poussé s l’un par l’angoisse et l’autre par la curiosité. Car,

novice qui s’acheminait vers les mystè res du saint

sacerdoce de Dieu, moi aussi humble jeune homme je

compris que l’Abbé savait quelque chose, mais qu’il l’avait

appris sous le sceau de la confession. Il avait dû savoir des

lè vres de quelqu’un certains dé tails criminels qui

pouvaient ê tre en relation avec la fin tragique d’Adelme.

C’est pour cela peut-ê tre qu’il priait frè re Guillaume de

dé couvrir un secret qu’il soupç onnait sans pouvoir le

ré vé ler à personne, et qu’il espé rait que mon maî tre fî t la

lumiè re avec les forces de l’intellect sur tout ce qu’il

devait envelopper d’ombre en vertu du sublime empire

de la charité.

« Bien, dit alors Guillaume, pourrai-je poser des

questions aux moines,

— Vous pourrez.

— Pourrai-je circuler librement dans l’abbaye?

— Je vous en confè re la faculté.

— M’investissez-vous de cette mission coram

monachos{30}?

— Ce soir mê me.

— Je commencerai pourtant aujourd’hui, avant que

les moines sachent de quoi vous m’avez chargé. Et en

outre, j’avais le grand dé sir, et ce n’est pas la moindre

raison de mon passage ici, de visiter votre bibliothè que

dont on parle avec admiration dans toutes les abbayes de

la chré tienté. »

L’Abbé se leva presque d’un bond, le visage crispé.

« Vous pourrez circuler dans toute l’abbaye, j’ai dit.

Certes pas dans le dernier é tage de l’É difice, dans la

bibliothè que. »

— Pourquoi?

— J’aurais dû vous l’expliquer avant, et je croyais

que vous le saviez. Vous savez que notre bibliothè que

n’est pas comme les autres…

— Je sais qu’elle renferme plus de livres que toute

autre bibliothè que chré tienne. Je sais qu’à cô té de vos

armaria ceux de Bibbio ou de Pomposa, de Cluny ou de

Fleury ont l’air de la chambre d’un enfant à peine initié à

l’abé cé daire. Je sais que les six mille manuscrits, dont se

targuait il y a plus de cent ans Novalesa, sont peu de

chose à cô té des vô tres, et que peut-ê tre un grand

nombre de ceux-là sont ici maintenant. Je sais que votre

abbaye est l’unique lumiè re que la chré tienté puisse

opposer aux trente-six bibliothè que de Bagdad, aux dis

mille manuscrits du vizir Ibn al-Alkhami, que le nombre

de vos bibles é gale les deux mille quatre cents corans dont

s’enorgueillit le Caire, et que la ré alité de vos armaria est

lumineuse é vidence contre la fiè re lé gende des infidè les

qui, voilà des anné es, voulaient (intimes comme il sont du

prince du mensonge) faire accroire que la bibliothè que de

Tripoli é tait riche de six millions de volumes et habité e

par quatre-vingt mille commentateurs et deux cents

scribes.

— C’est ainsi, que le ciel soit loué.

— Je sais que d’entre les moines qui vivent parmi

vous, beaucoup viennent d’autres abbayes dissé miné es de

par le monde: qui, pour un temps limité, le temps de

copier des manuscrits introuvables ailleurs afin de les

emporter ensuite dans leur propre monastè re, non sans

avoir apporté en é change quelques autres manuscrits

introuvables que de votre cô té vous copierez et insé rerez

dans votre tré sor; et qui, pour un trè s long temps, parfois

jusqu’à la mort, parce que, ici seulement, se peuvent

trouver les ouvrages qui illuminent la recherche. Et vous

avez donc parmi vous des Germains, des Daces, des

Hispaniques, des Franç ois et des Grecs. Je sais que

l’empereur Fré dé ric, il y a des anné es et des anné es de

cela, vous demanda de compiler pour lui un livre sur les

prophé ties de Merlin et de la traduire ensuite en arabe,

pour l’envoyer comme cadeau au sultan d’Egypte. Je sais

enfin qu’une abbaye glorieuse telle que celle de Murbach,

en ces temps si tristes, n’a plus un seul scribe, qu’à Saint-

Gall sont resté s peu de moines qui sachent é crire, que

c’est dé sormais dans les cité s que naissent corporations et

guildes composé es de sé culiers qui travaillent pour les

université s, et que seule votre abbaye renouvelle de jour

en jour, que dis-je? porte à des sommets toujours plus

hauts les gloires de votre ordre…

— Monasterium sine libris, cita intensivement

l’Abbé, est sicut civitas sine opibus, Castrum sine

numeris, coquina suppellectili, mensa sine cibis, hortus ine

herbis, pratum sine floribus, arbor sine foliis{31}… Et notre

ordre, en grandissant autour du double commandement

du travail et de la priè re, fû t lumiè re pour tout le monde

connu, ré serve de savoir, sauvegarde d’une doctrine fort

ancienne qui menaç ait de disparaî tre dans des incendies,

des mises à sac et des tremblements de terre, creuset

d’une nouvelle é criture et levain pour l’ancienne… Oh,

vous savez bien, nous vivons maintenant des temps trè s

obscurs, et je rougis de vous dire qu’il y a peu d’anné es de

cela le concile de Vienne a dû ré pé ter avec force que

chaque moine a le devoir de prendre les ordres… combien

de nos abbaye, qui, il y a deux cents ans, é taient centres

resplendissants de grandeur et de sainteté, sont à pré sent

refuges de cagnards. L’ordre est encore puissant, mais

l’empuantissement de la ville cerne de prè s nos lieux

saints, le peuple de Dieu est maintenant enclin aux

commerces et aux guerres de factions, en bas dans les

grands centres habité s, où ne peut s’enraciner l’esprit de

la sainteté, non seulement on par le (que peut-on

demander d’autre à des laï ques? ) Mais dé jà on é crit en

vulgaire, et que jamais aucun de ces volumes puisse

franchir nos murs – source d’hé ré sie qu’il deviendrait

fatalement! Pour les pé ché s des hommes le monde est

suspendu sur le bord de l’abî me, pé né tré de l’abî me

mê me que l’abî me invoque. Et demain, comme voulait

Honorius, les corps des hommes seront plus petits que les

nô tres, de mê me que les nô tres sont plus petits que ceux

des antiques. Mundus senecit. Or si Dieu a confié à notre

ordre une mission, c’est celle de s’opposer à cette course

vers l’abî me, et en conservant, en ré pé tant et en

dé fendant le tré sor de sagesse que nos pè res nous ont

confié. La divine Providence a ordonné que le

gouvernement universel, qui au commencement du

monde é tait en orient, au fur et à mesure que les temps

s’approchaient, se dé plaç a vers l’occident pour nous

avertir que la fin du monde approche, car le cours des

é vé nements a dé jà atteint les confins de l’univers. Mais

tant que le millé naire n’é cherra pas dé finitivement, tant

que ne triomphera pas, fû t-ce pour peu de temps, la bê te

immonde qui les l’Anté christ, et nous revient de dé fendre

le tré sor du monde chré tien, et la parole mê me de Dieu,

telle qu’il la dicta aux prophè tes et aux apô tres, telle que

les pè res l’a ré pé tè rent sans changer un seul mot, telle

que les é coles ont cherché de la gloser, mê me si

aujourd’hui au coeur des é coles se love le serpent de

l’orgueil, de l’envie de la folie. Dans ce dé clin nous sommes

encore en flambeaux et lumiè re haute sur l’horizon. Et

tant que ces murailles ré sisteront, nous serons les

gardiens de la Parole divine.

— Ainsi soit-il, dit Guillaume d’un ton dé vot. Mais

quel rapport avec le fait qu’on ne peut visiter la

bibliothè que?

— Voyez, frè re Guillaume, dit l’abbé, pour pouvoir

ré aliser l’oeuvre immense et sainte qui enrichit ses

murailles (et il indiqua la masse de l’É difice, qu’on

n’entrevoyait par les fenê tres de la cellule, trô nant au

dessus de l’é glise abbatiale elle-mê me), des hommes plats

d’abné gation ont travaillé pendant des siè cles, en suivant

des rè gles de fer. La bibliothè que est né e selon un dessein

est obscur pour tous au cours des siè cles et qu’aucun des

moines n’est appelé à connaî tre. Seul le bibliothé caire en a

reç u le secret du bibliothé caire qui le pré cé da, et le

communique, encore en vie, à l’aide-bibliothé caire, de

faç on que la mort ne le surprenne pas en privant ainsi de

la communauté de ce savoir. Et leurs lè vres à tous deux

sont scellé es par le secret. Seul le bibliothé caire, outre

qu’il sait, a le droit de circuler dans le labyrinthe des

livres, lui seul sait où les trouver et où les remplacer, lui

seul est responsable de leur conservation. Les autres

moines travaillent dans le scriptorium et peuvent

connaî tre la liste des volumes que la bibliothè que

renferme. Mais souvent, une liste de titres dit fort peu,

seul le bibliothé caire sachant d’aprè s l’emplacement du

volume, d’aprè s le degré de son inaccessibilité, quel type

de secrets, de vé rité s ou de mensonges le volume recè le.

Lui seul dé cide comment, quand, et de l’opportunité de

pourvoir le moine qui en fait la demande, parfois aprè s

m’avoir consulté. Parce que toutes les vé rité s ne sont pas

bonnes pour toutes les oreilles, tous les mensonges ne

peuvent pas ê tre reconnus comme tels par une â me

pieuse, et les moines, enfin, sont dans le scriptorium pour

mener à bonne fin un ouvrage pré cis, pour lequel ils

doivent lire certains volumes et d’autres pas, et non point

pour suivre toutes les curiosité s insensé es donc ils

seraient pris, soit par faiblesse d’esprit, soit par orgueil,

soit par suggestion diabolique.

— Il y a donc aussi dans la bibliothè que des livres qui

contiennent des mensonges…

— Les monstres existent parce qu’ils font partie du

dessein divin et jusque dans les traits horribles des

monstres se ré vè lent la puissance du cré ateur. Ainsi par

dessein divin existent aussi les livres des mages, les

cabales des Juifs, les fables des poè tes paï ens, les

mensonges des infidè les. Ce fut là ferme et sainte

conviction de ce qui ont voulu et soutenu cette abbaye au

cours des siè cles, que, mê me dans les livres mensongers,

puisse transparaî tre, aux yeux du lecteur s’agace, une

pâ le lumiè re de la sagesse divine. C’est pourquoi fû t-ce à

ces livres la bibliothè que fait é crin. Mais pré cisé ment de

ce fait, vous comprenez, n’importe qui ne peut y pé né trer.

Et en outre, ajoute à l’Abbé comme pour s’excuser de la

pauvreté de ce dernier argument, le livre est cré ature

fragile, il souffre de l’usure du temps, craint les rongeurs,

les intempé ries, les mains inhabiles. Si pendant cent et

cent ans tout un chacun avait pu librement toucher non

manuscrits, la plus grande partie d’entre eux n’existerait

plus. Le bibliothé caire les dé fend donc non seulement des

hommes, mais aussi de la nature, et consacra sa vie à

cette guerre contre les forces de l’oubli, ennemi de la

vé rité. —

Ainsi nul n’entre au dernier é tage de l’É difice, sauf

deux personnes… »

L’Abbé sourit: « nul ne doit, nul ne peut. Personne,

mê me en le voulant, n’y ré ussiraient. La bibliothè que se

dé fend de toute seule, insondable comme la vé rité qu’elle

hé berge, trompeuse comme le mensonge qu’elle enserre.

Labyrinthe spirituel, c’est aussi un labyrinthe terrestre.

Vous pourriez entrer et vous ne pourriez plus sortir. Et

cela dit, je voudrai que vous vous conformiez aux rè gles

de l’abbaye.

— Mais vous-mê me de n’avez pas exclu qu’Adelme

puisse avoir dé boulé d’une des fenê tres de la bibliothè que.

Et comment puis-je raisonner sur sa mort de si je ne vois

pas le lieu où pourrait avoir commencé l’histoire de sa

mort? —

Frè re Guillaume, dit l’Abbé d’un ton conciliant, un

homme qui a dé crit mon cheval Brunel sans le voir et la

mort d’Adelme peuvent venir sans en connaî tre presque

rien n’aura point de difficulté à raisonner sur les lieux

auquel il n’a pas accè s. »

Guillaume se ploya en une inclination: « Vous ê tes

sage, mê me quand vous ê tes sé vè re. Comme il vous

plaira. —

Si oncque é tait sage, de je le serais parce que je

sais ê tre sé vè re, ré pondit l’abbé.

— Une derniè re chose, demanda Guillaume,

Ubertin?

— Il est ici. Il vous attend. Vous le trouverez à

l’é glise.

— Quand?

— Toujours, sourit l’abbé. Vous savez, encore que

fort docte, il n’est pas homme à appré cier la bibliothè que.

Ils la considè rent comme une complaisance du siè cle… Il

passe le plus clair de son temps à l’é glise en mé ditation, en

priè res…

— Est-il vieux? Demanda Guillaume avec hé sitation.

— Depuis quand ne l’avez-vous pas vu?

— Depuis bien des anné es.

— Il est las. Trè s dé taché des choses de ce monde. Il

aura soixante-huit ans. Mais je crois qu’il a encore l’â me

de sa jeunesse.

— Je vais le chercher sans tarder, je vous

remercie. »

L’Abbé lui demanda s’il ne voulait pas s’unir à la

communauté pour le repas, aprè s sexte. Guillaume dit

qu’il venait de manger, et fort confortablement, et qu’il

pré fé rerait voir tout de suite Ubertin. L’Abbé salua.

Il franchissait le seuil de la cellule quand s’é leva de la

cour un hurlement dé chirant, comme d’une personne

blessé e à mort, que suivirent des lamentations tout aussi

atroces. « Qu’est-ce? ! Demanda Guillaume, dé concerté.

— Rien, ré pondit l’abbé en souriant. En cette saison,

on tue les cochons. Du travail pour les porchers. Ce n’est

pas de ce sang là que vous devrez vous occuper. »

Il sortit, et fit tort à sa renommé e d’homme prudent.

Car le matin suivant… Mais freine ton impatience, ô ma

langue pé tulante. Parce que le jour dont je parle, et avant

la nuit, moult de choses encore se passè rent qu’il sera bon

de relater.

 

Premier jour

SEXTE

Où Adso admire le portail de l’abbatiale et Guillaume

retrouve Ubertin de Casale

L’É glise n’é tait pas majestueuse comme d’autres que je

vis par la suite à Strasbourg, à Chartres, à Bamberg et à

Paris. Elle ressemblait plutô t à celles que j’avais dé jà vues

en Italie, peu enclines à s’é lever vertigineusement vers le

ciel est solidement posé à terre, souvent plus larges que

hautes; si ce n’est qu’à un premier niveau elle é tait

surmonté e, comme une forteresse, par une rangé e de

cré neaux carré s, et au-dessus de cet é tage s’é levait une

seconde construction, plus qu’une tour, une solide seconde

é glise, surmonté e d’un toit pointu et percé e de sé vè res

fenê tres. Robuste l’é glise abbatiale comme en

construisaient nos anciens en Provence et Languedoc, loin

des hardiesses et de l’excè s des broderies propres au

style moderne, qui seulement à une é poque plus ré cente,

je crois, s’é tait enrichie, au-dessus du choeur, d’une flè che

hardiment pointé e vers la voû te cé leste.

Deux colonnes de droite et nues encadraient

l’entré e, qui apparaissait à premiè re vue comme une

grande arcade unique: mais à partir des colonnes

prenaient naissance deux é brasures qui, surmonté e par

d’autres les multiples arcs, dirigeait le regard, comme

dans le coeur d’un abî me, vers le portail proprement dit,

qu’on entrevoyait dans l’ombre, surmonté d’un grand

tympan, soutenu de chaque cô té par deux pié droits et au

centre par un trumeau de sculpté, qui divisait l’entré e en

deux ouvertures, dé fendues par des portes de chê nes

renforcé es de mé tal. À cette heure du jour, le soleil pâ le

descendait quasi d’aplomb sur le toit et la lumiè re tombait

de biais sur la faç ade sans é clairer le tympan: si bien que,

passé les deux colonnes, nous nous trouvâ mes d’un coup

sous la voû te presque sylvestre des voussures s’é levant

de la suite de colonnes mineures qui proportionnellement

renforç aient les contreforts. Les yeux enfin accoutumé s à

la pé nombre, soudain le muet discours de la pierre

historié e, accessible comme il l’é tait immé diatement à la

vue et à l’imagination de tous (car pictura est laicorum

literatura{32}), é blouit mon regard et me plongea dans une

vision qu’à grand-peine aujourd’hui encore ma langue

parvient à dire.

Je vis un trô ne placé dans le ciel et quelqu’un assis

sur le trô ne. Celui qui é tait assis avait un visage sé vè re et

impassible, les yeux grands ouverts dardé s sur une

humanité terrestre arrivé e au terme de son aventure, les

cheveux et la barbe majestueux qui retombaient sur son

visage et sa poitrine comme les eaux d’un fleuve, en

ruisseaux tous é gaux et systé matiquement ré partis. La

couronne qu’il portait sur la tê te é tait enrichie d’é maux et

de gemmes, la tunique impé riale de pourpre se disposait

en amples volutes sur ses genoux, chargé e d’orfrois{33} et

de dentelles en fils d’or et d’argent. La main senestre,

immobile sur les genoux tenait un livre scellé, la dexte se

levait en un geste de bé né diction ou de menace, je ne sais.

Le visage é té illuminé par la terrifiante beauté d’un nimbe

crucifè re et fleuri, et je vis briller autour du trô ne et au

dessus de la tê te du Trô nant un arc-en-ciel d’é meraude.

Devant le trô ne, sous les pieds du Trô nant, coulait une

mer de cristal et autour du Trô nant, autour du trô ne et

au-dessus du trô ne, quatre animaux terribles – je vis –

terribles pour moi qui les regardais extasié, mais dociles

et trè s doux pour le trô nant, dont ils chantaient sans

trê ve les louanges.

En vé rité, tous ne pouvaient pas se dire terribles,

parce que beau est gentil m’apparut l’homme qui à ma

senestre (et à la dextre du Trô nant) pré sentait un

volumen. Mais horriblement me parut du cô té opposé un

aigle, le bec dilaté, le plumage hé rissé disposé en cuirasse,

les serres puissantes, les grandes ailes ouvertes. Et au

pied du Trô nant{34}, sous les deux premiè res figures, deux

autres, un taureau et un lion, serrant entre leurs griffes et

leurs sabots un livre, le corps tourné vers l’exté rieur du

trô ne, mais la tê te vers le trô ne, comme tordant les

é paules et le cou en un é lan fé roce, les flancs palpitants,

les membres de bê tes à l’agonie, la gueule ouverte toute

grande, les queues enroulé es et torsadé es comme des

serpents et s’é ployant au sommet en langues de feu. L’un

et l’autre ailé s, l’un et l’autre couronné s d’un nimbe,

malgré leur apparence formidable n’é tait pas cré atures de

l’enfer, mais du ciel, et s’ils semblaient terrifiants, c’é tait

parce qu’ils rugissaient en adoration d’un prochain qui

jugerait les vivants et les morts.

Autour du trô ne, aux cô té s des quatre animaux et

sous les pieds du Trô nant, comme vus en transparence

sous les eaux de la mer du cristal, comme pour remplir

tout l’espace de la vision, composé s selon la structure

triangulaire du tympan, s’é levant d’une base de sept plus

sept, puis à trois plus trois et ensuite à deux plus deux, de

chaque cô té du trô ne de, se trouvaient vingt-quatre

vieillards sur vingt-quatre petits trô nes, revê tus d’habits

blancs et couronné s d’or. Qui avait dans la main une

vielle, qui une coupe de parfum, et un seul jouait, tous les

autres ravis en extase, le visage tourné vers le Trô nant

dont ils chantaient les louanges, les membres tors comme

ceux des animaux, de faç on qu’ils pussent tous voir le

Trô nant, mais non d’une maniè re bestiale, bien au

contraire avec des mouvements de danse extatique –

comme du danser David autour de l’arche{35} – de faç on

que, où qu’ils fussent, leurs pupilles, contre la loi qui

ré gissait la taille des corps, convergeassent vers le mê me

point fulgurant. Oh, quelle harmonie d’abandon et d’é lans,

de postures affecté es et pourtant plaines de grâ ce, dans ce

langage mystique que de membres miraculeusement

dé livré s du poids de la matiè re corporelle, nombre

annonciateur infus dans une nouvelle forme substantielle,

comme si la troupe sacré e é tait fouetté e par un vent

impé tueux, souffle de vie, fré né sie de dé lectation,

jubilation alleluiatique prodigieusement devenue, de son

qu’elle é tait, images.

Corps et membres habité s par l’esprit, illuminé s par

la ré vé lation, les visages bouleversé s par la stupeur, les

regards exalté s par l’enthousiasme, les joues enflammé es

par l’amour, les pupilles dilaté es par la bé atitude, l’un

foudroyé par une dé licieuse consternation, l’autre

transpercé d’un plaisir consterné, qui transfiguré par

l’é merveillement, qui rajeunit par la fé licité, les voilà tous

chantant avec l’expression de leurs visages, avec le drapé

de leurs tuniques, avec l’allure et la tension de leurs

membres, un cantique nouveau, les lè vres mi-closes en un

sourire de louanges é ternelles. Et sous les pieds des

vieillards, et un arc au dessus d’eux et au dessus du trô ne

et au dessus du groupe té tramorphe, disposé en bandes

symé triques, à peine discernable l’une de l’autre tant la

science de l’art les avait rendues toutes mutuellement

proportionné es, é gale dans la varié té et bigarré es dans

l’unité, unique dans la diversité de diverses dans leur

conforme ensemble, en admirable congruence des parties

allié es à une sé duisante suavité de teinte, miracle de

correspondance et d’harmonie de voix entre elles

dissemblable, compagnie disposé e à la faç on des cordes de

la cithare, consentante et sans trê ve conspirante

cognation par force profonde et interne apte à opé rer

l’univoque dans l’alternance mê me du jeu des é quivoques,



  

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