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LE NOM DE LA ROSE 1 страница



 

 

UMBERTO ECO

LE NOM DE LA ROSE

Roman

Traduit de l’italien par

Jean-Noë l Schifano

1982, É ditions Grasset & Fasquelle

L’é dition originale de cet ouvrage a é té publié e en 1980

par Gruppo Editoriale Fabbri-Bompiani, Milan, sous le

titre:

Il nome della rosa

Table des Matiè res

UN MANUSCRIT, NATURELLEMENT. 6

NOTE 11

PROLOGUE 13

PREMIER JOUR 22

PRIME 24

TIERCE 30

SEXTE 42

VERS NONE 65

APRÈ S NONE 7 1

VÊ PRES 83

COMPLIES 92

DEUXIÈ ME JOUR 98

MATINES 99

PRIME 108

TIERCE 118

SEXTE 132

NONE 137

APRÈ S VÊ PRES 150

COMPLIES 154

NUIT 162

TROISIÈ ME JOUR 17 1

DE LAUDES A PRIME 17 2

TIERCE 17 4

SEXTE 17 8

NONE 187

VÊ PRES 200

APRÈ S COMPLIES 211

NUIT 240

QUATRIÈ ME JOUR 245

LAUDES 246

PRIME 253

TIERCE 262

SEXTE 27 1

NONE 283

VÊ PRES 286

COMPLIES 290

APRÈ S COMPLIES 293

NUIT 308

CINQUIÈ ME JOUR 315

PRIME 316

TIERCE 329

SEXTE 338

NONE 348

VÊ PRES 367

COMPLIES 37 3

SIXIÈ ME JOUR 382

MATINES 383

LAUDES 387

PRIME 390

TIERCE 397

APRÈ S TIERCE 407

SEXTE 410

NONE 415

ENTRE VÊ PRES ET COMPLIES 424

APRÈ S COMPLIES 427

SEPTIÈ ME JOUR 431

NUIT 432

NUIT 447

DERNIER FEUILLET 460

Apostille au Nom de la rose 466

Notes 493

 

 

{1}

UN MANUSCRIT, NATURELLEMENT.

Le 16 aoû t 1968, on me mit dans les mains un livre

dû à la plume d’un certain abbé Vallet, Le Manuscrit de

Dom Adso de Melk, traduit en franç ais d’aprè s l’é dition de

Dom J. Mabillon (aux Presses de l’Abbaye de la Source,

Paris, 1842). Le livre, accompagné d’indications

historiques en vé rité fort mince, affirmait qu’il

reproduisait fidè lement un manuscrit du XIVe siè cle,

trouvé à son tour dans le monastè re de Melk par le grand

é rudit du XVIIe, qui a tant fait pour l’histoire de l’ordre

bé né dictin. La docte trouvaille (la mienne, troisiè me dans

le temps donc) me ré jouissait tandis que je me trouvais à

Prague dans l’attente d’une personne chè re. Six jours

aprè s, les troupes sovié tiques envahissaient la

malheureuse ville. En suivant un parcours hasardeux, je

ré ussissais à atteindre la frontiè re autrichienne à Linz, de

là je me dirigeais sur Vienne où je rejoignais la personne

attendue, et ensemble nous remontions le cours du

Danube.

En un climat mental de grande excitation, je lisais,

fasciné, la terrible histoire d’Adso de Melk, et elle

m’absorba tant que, presque d’un seul jet, j’en ré digeai

une traduction sur ces grands cahiers de la Papeterie

Joseph Gibert où il est si agré able d’é crire avec une plume

douce. Et ce faisant, nous arrivâ mes à proximité de Melk,

où, à -pic sur une boucle du fleuve, se dresse encore le trè s

beau Stift plus d’une fois restauré au cours des siè cles.

Comme le lecteur l’aura imaginé, dans la bibliothè que du

monastè re je ne trouvai trace du manuscrit d’Adso.

Avant d’arriver à Salzbourg, une nuit tragique dans

un petit hô tel sur les rives du Mondsee, et mon voyage à

deux s’interrompit brusquement: la personne avec qui je

voyageais disparut en emportant dans son bagage le livre

de l’abbé Vallet, non point par malignité, mais à cause de

la faç on dé sordonné e et abrupte dont avait pris fin notre

liaison. Il me resta ainsi une sé rie de cahiers é crits de ma

propre main, et un grand vide au coeur.

Quelques mois plus tard à Paris, je dé cidais d’aller au

bout de ma recherche. Des renseignements plutô t chiches

que j’avais tiré s du livre franç ais, me restait la ré fé rence à

la source, exceptionnellement dé taillé e et pré cise:

Vetera analecta, sive collectio veterum aliquot operum &

opusulorum omnis generis, carminum, epistolarum,

diplomaton, epitaphiorum, &, cum itinere germanico,

adnotationibus & aliquot disquisitionibus R. P. D. Joannis

Mabillon, Presbiteri ac Monachi Ord. Sancti Benedicti e

Congregatione S. Mauri. — Nova Editio cui accessere

Mabilonii vita & aliquot opuscula, scilicet Dissertatio de

Pane Eucharistico, Azymo et Fermentato, ad Eminentiss.

Cardinalem Bona. Subjungitur opusculum Eldefonsi

Hispaniensis Episcopi de eodem argumento Et Eusebii

Romani ad Theophilum Gallum epistola, De cultu

sanctorum ignotorum, Parisiis, apud Levesque, ad

Pontem S. Michaelis, MDCCXXI, cum privilegio Regis. {2}

Pontem S. Michaelis, MDCCXXI, cum privilegio Regis.

Je trouvai tout de suite les Vetera Analecta à la

bibliothè que Sainte-Geneviè ve, mais à ma grande

surprise, l’é dition repé ré e divergeait sur deux dé tails:

d’abord l’é diteur, qui é tait Montalant, ad Ripam P. P

Augustinianorum (prope Pontem S. Michaelis), et ensuite

la date de deux anné es posté rieures. Inutile de dire que

ces Analecta ne contenaient aucun manuscrit d’Adso ou

Adson de Melk – et qu’il s’agit en revanche comme tout

un chacun peut le vé rifier, d’un recueil de textes de courte

et moyenne longueur, quand l’histoire transcrite par

Vallet sur plusieurs centaines de pages. Je consultai à

l’é poque des mé dié vistes illustres comme le cher et

inoubliable É tienne Gilson, mais il fut clair que les uniques

Vetera Analecta é taient ceux que j’avais vus à Sainte-

Geneviè ve. Une pointe jusqu’à l’Abbaye de la source, qui

s’é lè ve du cô té de Passy, et un entretien avec l’ami Dom

Arne Lahnested me convainquit pareillement qu’aucun

abbé Vallet n’avait publié de livres aux presses (d’ailleurs

inexistantes) de l’abbaye. On ne sait pas trop la

né gligence des é rudits franç ais à fournir des indications

bibliographiques d’une certaine cré dibilité, mais le cas en

question dé passait tout pessimisme raisonnable. Je

commenç ai à penser qu’un faux m’é tait tombé dans les

mains. Dé sormais le livre mê me de Vallet é tait

irré cupé rable (ou du moins ne me sentais-je pas le

courage d’aller le qué mander à qui me l’avait distrait). Il

ne me restait donc que mes notes, dont je commenç ai dè s

lors à douter.

Il est des moments magiques, de grande fatigue

physique et d’intense excitation, où surgissent des visions

de personnes connues par le passé (« en me retraç ant ces

dé tails, j’en suis à me demander s’ils sont ré els, ou bien si

je les ai rê vé s »). Comme je l’appris plus tard dans le beau

livre de l’abbé de Bucquoy, surgissent pareillement des

visions de livres non encore é crits.

Si rien de nouveau ne s’é tait produit, j’en serais

encore à me demander d’où peut bien venir l’histoire

d’Adso de Melk; seulement en 1970, à Buenos Aires,

comme je fouinais sur les é tagè res d’un petit libraire

antiquaire dans la Corrientes, pas trè s loin du plus fameux

Patio du Tango de cette grande rue, voici que me tomba

entre les mains la version castillane d’un opuscule de Milo

T emesv ar, de l’utilisation des miroirs dans le jeu des

é checs, que j’avais dé jà eu l’occasion de citer (de seconde

main) dans mon Apocalyptiques et inté gré s, en rendant

compte de son plus ré cent les Marchands d’Apocalypses.

Il s’agissait de la traduction introuvable de l’original en

langue gé orgienne (Tbilissi, 1934), et dans ces pages, à ma

grande surprise, je lus de copieuses citations du manuscrit

d’Adso, sauf que la source n’é tait ni Vallet ni Mabillon,

mais bien le pè re Athanasius Kircher (quel ouvrage au

juste? ). Un savant – que je ne juge pas opportun de

nommer – m’a assuré par la suite que (et il citait les index

de mé moire) le grand jé suite n’a jamais parlé d’Adso de

Melk. Mais les pages de Temesvar se trouvaient sous mes

yeux et les é pisodes auxquels il se ré fé rait absolument

analogues à ceux du manuscrit traduit par Vallet (en

particulier, la description du labyrinthe ne laissant place à

aucun doute). Quoi qu’en ait é crit ensuite Benianino

Placido{3}, l’abbé Vallet avait existé et de mê me

certainement Adso de Melk.

J’en conclus que les mé moires d’Adso semblaient

justement participer de la nature des é vé nements qu’il

relate: enveloppé s de nombreux et vagues mystè res, à

commencer par l’auteur, pour finir avec l’emplacement de

l’abbaye dont Adso ne souffle mot, tenacement pointilleux

là -dessus, à telle enseigne que les conjectures permettent

de dessiner une zone pré cise entre Pomposa e t Conques,

avec de raisonnables probabilité s que le lieu se situâ t le

long de la dorsale des Apennins, entre Pié mont, Ligurie et

France (autant dire entre Lerici et Turbie). Quant à

l’é poque où se dé roulè rent les é vé nements dé crits, nous

sommes à la fin du mois de novembre 1327; en revanche

le moment où é crit l’auteur est incertain. En calculant

qu’il se dit novice en 1327 et proche de la mort quand il

é crit ses mé moires, nous pouvons conjecturer que le

manuscrit a é té ré digé au cours des dix ou vingt derniè res

anné es du XIVe siè cle.

Tout bien ré flé chi, elles é taient plutô t minces, les

raisons qui pouvaient me porter à faire imprimer ma

version italienne d’une obscure version né o-gothique

franç aise d’une é dition latine du XVIIe siè cle d’un

ouvrage é crit en latin par un moine allemand vers la fin

du XIVe siè cle.

Et d’abord, quel style adopter? Il fallait repousser

comme tout à fait injustifié e la tentation d’imiter les

modè les italiens de l’é poque: non seulement Adso é crit en

latin, mais il est clair d’aprè s toute l’allure du texte que sa

culture (ou la culture de l’abbaye qui si clairement

l’influence) est beaucoup plus daté e; il s’agit é videmment

d’une somme plurisé culaire de connaissances et de

coquetteries stylistiques que se rattachent à la tradition

du bas moyen â ge latin. Adso pense et é crit comme un

moine resté impermé able à la ré volution de la langue

vulgaire, lié aux pages abrité es par la bibliothè que dont il

parle, formé es sur des textes patristico-scolastiques, et

son histoire (au-delà des ré fé rences et des é vé nements du

XIVe siè cle, que cependant Adso enregistre au milieu de

mille perplexité s, et toujours par ouï -dire) aurait pu ê tre

é crite, quant à la langue et aux citations é rudites, au XIIe

ou XIIe siè cle.

Il ne fait d’autre part aucun doute qu’en traduisant

dans son franç ais né o-gothique le latin d’Adso, Vallet s’est

permis diverses liberté s, et pas toujours stylistiques. Par

exemple, les personnages parlent quelquefois des vertus

des herbes en se rapportant d’é vidence à ce livre des

secrets attribué à Albert le Grand, qui subit au cours des

siè cles d’innombrables remaniements. Sans l’ombre d’un

doute, Adso le connaissait, mais reste le fait qu’il en cite

des passages qui é voquent trop litté ralement soit des

prescriptions de Paracelse soit d’é videntes interpolations

d’une é dition d’Albert le Grand à coup sû r de l’é poque

Tudor. Par ailleurs j’ai vé rifié ensuite qu’aux temps où

Vallet transcrivait (? ) le manuscrit d’Adso, il circulait à

Paris une é dition du XVIIIe siè cle du Grand et du Petit

Albert{4} dé sormais irré mé diablement frelaté e. Pourtant,

comment ê tre certain que le texte à quoi se ré fé raient

Adso et les moines dont il annotait les discours ne

contenait aussi, entre les gloses, les scolies et divers

appendices, des remarques destiné es à nourrir ensuite la

culture à venir?

Enfin, devais-je laisser en latin les passages que

l’abbé Vallet lui-mê me ne jugea pas opportun de traduire,

peut-ê tre pour garder un air d’é poque? Il n’y avait point

de justifications pré cises pour le faire, si ce n’est un

sentiment, peut-ê tre mal compris, de fidé lité à ma

source… J’ai é lagué de maniè re à conserver certaines

choses. Et je crains d’avoir fait comme les mauvais

romanciers qui, s’ils mettent en scè ne un personnage

franç ais, lui font dire « parbleu! » et « la femme, ah! La

femme! »

Pour conclure, je suis plein de doutes. Je ne sais

vraiment pas pourquoi je me suis dé cidé à prendre mon

courage à deux mains pour pré senter comme s’il é tait

authentique le manuscrit d’Adso de Melk. Disons: un

geste d’é namouré. Ou, si on veut, une faç on de me libé rer

de nombreuses et anciennes obsessions.

Je transcris sans me soucier de l’actualité. Dans les

anné es où je dé couvrais le texte de l’abbé Vallet, se

ré pandait la conviction qu’on ne devait é crire que pour

s’engager dans le pré sent, et pour changer le monde. À un

peu plus de dix ans de là, c’est maintenant la consolation

de l’homme de lettres (recouvrant sa trè s haute dignité )

qu’on puisse é crire par pur amour de l’é criture. C’est ainsi

qu’à pré sent je me sens libre de raconter, par simple goû t

fabulateur, l’histoire d’Adso de Melk, et que j’é prouve

ré confort et consolation à la retrouver si

incommensurablement é loigné e dans le temps

(maintenant que la veille de la raison a chassé tous les

monstres que son sommeil avait engendré s), si

glorieusement dé nué e de rapport avec le temps où nous

vivons, intemporellement é trangè re à nos espé rances et à

nos certitudes.

Parce que c’est là une histoire de livres, non de

misè res quotidiennes, et sa lecture peut incliner à ré citer

avec le grand imitateur à Kempis: « In omnibus requiem

quaesivi, et nusquam inveni nisi in angulo cum libro{5}. »

5 janvier 1980

NOTE

Le manuscrit d’Adso est divisé en sept journé es et

chaque journé e en pé riodes correspondant aux heures

liturgiques. Les sous-titres, à la troisiè me personne, ont

é té probablement ajouté s par Vallet. Mais comme ils sont

utiles à l’orientation du lecteur, et que cet usage est

commun à tant de litté rature en langue vulgaire de ce

temps-là, je n’ai pas jugé opportun de les é liminer.

Les ré fé rences d’Adso aux heures canoniales m’ont

laissé quelque peu perplexe, parce que non seulement

elles se caracté risent diffé remment selon les localité s et

les saisons, mais selon toute probabilité, au XIVe siè cle, on

ne se conformait pas avec une absolue pré cision aux

indications fixé es par saint Benoî t dans la rè gle.

Cependant, pour orienter le lecteur, en se fondant en

partie sur le texte, en partie en confrontant la rè gle

originelle avec la description de la vie monastique fournie

par É douard Schneider dans les Heures bé né dictines

(Paris, Grasset, 1925), je crois qu’on peut s’en tenir à

l’é valuation suivante:

— Matines: (que parfois Adso dé signe aussi avec l’antique

expression de Vigilae). La nuit entre 2 h 30 et 3 heures.

— Laudes: (qu’on disait dans la tradition la plus ancienne

Matutini). Entre 5 et 6 heures du matin, de faç on à

terminer quand pointe l’aube.

— Prime: vers 7 h 30, peu avant l’aurore.

— Tierce: vers 9 heures.

— Sexte: Midi (dans un monastè re où les moines ne

travaillaient pas aux champs, c’é tait aussi, en hiver,

l’heure du dî ner).

— None: entre 2 et 3 heures de l’aprè s-midi.

— Vê pres: vers les 4 h 30, au couchant (la rè gle prescrit

de souper quand les té nè bres ne sont pas encore

tombé es).

— Complies: vers les 6 heures (à 7 heures au plus tard,

les moines vont se coucher).

Ce calcul se fonde sur le fait que dans l’Italie

septentrionale, à la fin novembre, le soleil se lè ve autour

de 7 h 30 et se couche autour de 4 h 40 de l’aprè s-midi.

PROLOGUE

Au commencement é tait le Verbe et le Verbe é tait

auprè s de Dieu, et le Verbe é tait Dieu. Il é tait au

commencement auprè s de Dieu et la tâ che d’un moine

fidè le serait de ré pé ter chaque jour avec humilité

psalmodiante l’unique inchangeable é vé nement dont on

puisse affirmer l’incontestable vé rité. Mais videmus nunc

per manifeste par fragments (hé las, combien illisibles)

dans l’erreur du monde, si bien que nous devons en

â nonner les signes fidè les, mê me là où ils nous semblent

obscurs et comme le tissu d’une volonté visant

exclusivement au mal.

Arrivé au terme de ma vie de pé cheur, tandis que

chenu, vieilli comme le monde, dans l’attente de me

perdre en l’abime sans fond de la divinité silencieuse et

dé serte, participant de la lumiè re immuable des

intelligences angé liques, dé sormais retenu par mon corps

lourd et malade dans cette cellule de mon cher monastè re

de Melk, je m’apprê te à laisser sur ce vé lin té moignage

des é vé nements admirables et terribles auxquels dans ma

jeunesse il me fut donné d’assister, en ré pé tant

verbatim{6} tout ce que je vis et entendis, sans me

hasarder à en tirer un dessein, comme pour laisser à ceux

qui viendront (si l’Anté christ ne les devance) des signes

de signes, afin que sur eux s’exerce la priè re du

dé chiffrement.

Que le Seigneur m’accorde la grâ ce d’ê tre le té moin

transparent des é vé nements qui eurent lieu à l’abbaye

dont il est bon et charitable de taire mê me le nom

dé sormais, vers la fin de l’anné e du Seigneur 1327 où

l’empereur Louis descendit en Italie pour reconstruire la

dignité du Saint-Empire romain, suivant les plans du

Trè s-Haut et pour confondre l’infâ me usurpateur

simoniaque et hé ré siarque qui en Avignon couvrit de

honte le saint nom de l’apô tre (je veux dire l’â me

pé cheresse de Jacques de Cahors, que les impies

honorè rent sous le nom de Jean XXII).

Sans doute, pour mieux comprendre les situations

où je me trouvai mê lé, est-il bon que je rappelle ce qui se

passait en ce dé but de siè cle, tel que je le compris alors en

le vivant, et comme je me le remé more maintenant,

enrichi d’autres ré cits que j’ai entendus aprè s – si ma

mé moire est encore en mesure de renouer les fils de si

nombreux et si confus é vé nements.

Dè s les premiè res anné es de ce siè cle, le pape

Clé ment V avait transfé ré le siè ge apostolique en Avignon,

laissant Rome en proie aux ambitions des seigneurs

locaux: et graduellement la ville trè s sainte de la

chré tienté s’é tait transformé e en un cirque, ou en un

lupanar, dé chiré e par les luttes entre ses grands; elle se

disait ré publique et ne l’é tait pas, battue par des bandes

armé es, soumises aux violences et aux pillages. Des

ecclé siastiques s’é tant soustraits à la juridiction sé culaire

commandaient des groupes de rebelles et vivaient de

rapines, l’é pé e à la main, pré variquaient et organisaient

d’ignobles trafics. Comment empê cher que la Caput

Mundi{7} redevî nt, et fort justement, le but de qui voulait

coiffer la couronne du Saint-Empire romain et restaurer

la dignité de cette domination temporelle qui jadis avait

é té celle des cé sars?

Voilà donc qu’en 1314 cinq princes allemands

avaient é lu à Francfort Louis de Baviè re comme suprê me

gouverneur de l’Empire. Mais le jour mê me, sur l’autre

rive du Main, le comte palatin du Rhin et l’archevê que de

Cologne avaient é lu à la mê me dignité Fré dé ric

d’Autriche. Deux empereurs pour un seul trô ne et un seul

pape pour deux: situation qui devint, en vé rité, cause de

grand dé sordre…

Deux anné es plus tard é tait é lu en Avignon le

nouveau pape, Jacques de Cahors, â gé de soixante-douze

ans, sous le nom pré cisé ment de Jean XXII, et fasse le ciel

que jamais plus aucun Pontife ne prenne un nom

dé sormais si haï des bonnes gens. Franç ais et dé voué au

roi de France (les hommes de cette terre corrompue sont

toujours enclins à favoriser les inté rê ts des leurs, et sont

incapables de regarder le monde entier comme leur patrie

spirituelle), il avait soutenu Philippe le Bel contre les

Templiers, que le roi avait accusé s (injustement je crois)

de crimes ignominieux pour s’emparer de leurs biens,

avec la complicité de cet ecclé siastique rené gat. Entretemps

s’é tait insé ré dans cette trame sans pareille Robert

de Naples, qui pour garder le contrô le de la pé ninsule

italienne, avait convaincu le pape de ne reconnaî tre aucun

des deux empereurs allemands, restant ainsi capitaine

gé né ral de l’É tat de l’É glise.

En 1322, Louis de Baviè re l’emportait sur son rival

Fré dé ric. Sa crainte d’un seul empereur é tant encore plus

grande qu’elle ne l’avait é té à deux, Jean excommunia le

vainqueur, et celui-ci en retour dé nonç a le pape comme

hé ré tique. Il faut dire que justement cette anné e-là, avait

lieu à Pé rouse le chapitre des frè res franciscains, et leur

gé né ral, Michel de Cé sè ne, en accueillant les instances des

« spirituels » (dont j’aurais encore l’occasion de parler)

avaient proclamé comme vé rité de foi la pauvreté du

Christ qui, s’il avait possé dé quelque chose avec ses

apô tres, cela avait é té seulement comme usus facti{8}.

Digne ré solution, visant à sauvegarder la vertu et la

pureté de l’ordre, mais fort mal accueillie du pape qui sans

doute y entrevoyait un principe susceptible de mettre en

danger les pré tentions mê me que lui, chef de l’É glise,

avait de contester à l’Empire le droit d’é lire les é vê ques,

pré tendant en retour pour le Saint-Siè ge celui d’investir

l’empereur. Pour ces raisons, ou d’autres qui le poussaient

à en agir ainsi, Jean condamna en 1323 les propositions

des franciscains dans la dé cré tale cum inter nonnullos{9}.

Ce fut à ce moment-là, j’imagine, que Louis vit dans

les franciscains, ennemis du pape dé sormais, de puissants

allié s. En affirmant la pauvreté du Christ, ils fortifiaient en

quelque sorte les idé es des thé ologiens impé riaux, à

savoir de Marsile de Padoue et Jean de Jandun. Et enfin,

quelques mois avant les é vé nements que je vais raconter,

Louis, qui avait conclu un accord avec le vaincu Fré dé ric,

descendait en Italie, é tait couronné à Milan, entrait en

conflit avec les Visconti, qui pourtant l’avaient accueilli

avec faveur, mettait le siè ge devant Pise, nommait vicaire

impé rial Castruccio, duc de Lucques et de Pistoie (et je

crois qu’il faisait mal, car je ne connus jamais homme plus

cruel, sauf peut-ê tre Uguccione della Faggiola), et à

pré sent il s’apprê tait à fondre sur Rome, appelé par

Sciarra Colonna seigneur du lieu.

Telle é tait la situation quand – dé jà novice

bé né dictin au monastè re de Melk – je fus arraché à la

tranquillité du cloî tre par mon pè re, qui se battait dans la

suite de Louis, non le moindre d’entre ses barons, et qui

se trouva sage de m’emmener avec lui pour que je

connusse les merveilles d’Italie et fusse pré sent quand

l’empereur serait couronné à Rome. Mais le siè ge de Pise

l’absorba tout entier dans ses pré occupations militaires.

J’en tirai avantage en circulant, mi par oisiveté, mi par

dé sir d’apprendre, dans des villes de la Toscane, mais

cette vie libre et sans rè gle ne seyait point, pensè rent mes

parents, à un adolescent voué à la vie contemplative. Et

sur la suggestion de Marsile, qui s’é tait pris d’affection

pour moi, ils dé cidè rent de me placer auprè s d’un docte

franciscain, frè re Guillaume de Baskerville; ce dernier

allait entreprendre une mission qui devait le conduire

jusqu’à des villes cé lè bres et des abbayes trè s anciennes.

C’est ainsi que je devins son secré taire en mê me temps



  

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