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FILENAME : LE RETOUR DE SAINT‑GERMAIN 13 страница



Personne ne lui avait encore dit que le Graal est une coupe mais aussi une lance, et que sa trompette levé e en calice é tait en mê me temps une arme, un instrument de trè s douce domination, qui lanç ait ses flè ches vers le ciel et ré unissait la terre avec le Pô le Mystique. Avec l'unique Point Immobile que l'univers eû t jamais eu: avec ce qu'il faisait ê tre, pour ce seul instant, grâ ce à son souffle.

Diotallevi ne lui avait pas encore dit qu'on peut ê tre en Yesod, la sefira du Fondement, le signe de l'alliance de l'arc supé rieur qui se tend pour envoyer des flè ches à la mesure de Malkhut, qui est sa cible. Yesod est la goutte qui jaillit de la flè che pour produire l'arbre et le fruit, c'est l'anima mundi parce qu'elle est le moment où la force virile, en procré ant, lie entre eux tous les é tats de l'ê tre.

Savoir filer ce Cingulum Veneris signifie remé dier à l'erreur du Dé miurge.

 

Comment peut‑ on passer une vie à chercher l'Occasion sans s'apercevoir que le moment dé cisif, celui qui justifie la naissance et la mort, est dé jà passé ? Il ne revient pas, mais il a é té, irré versiblement, plein, resplendissant, gé né reux comme toute ré vé lation.

Ce jour‑ là Jacopo Belbo avait fixé la Vé rité dans les yeux. La seule et unique qui lui serait permise, car la vé rité qu'il apprenait c'est que la vé rité est trè s brè ve (aprè s, elle n'est que commentaire). C'est pourquoi il tentait de dompter l'impatience du temps.

Il ne l'avait pas compris à l'é poque, certainement. Et non plus quand il en é crivait, ou quand il dé cidait de n'en plus é crire.

Pour ma part, je l'ai compris ce soir: il faut que l'auteur meure pour que le lecteur s'aperç oive de sa vé rité.

L'obsession du Pendule, qui devait accompagner Jacopo Belbo durant toute sa vie adulte, avait é té – comme les adresses perdues dans le rê ve – l'image de cet autre moment, enregistré et puis refoule, où il avait vraiment touché la voû te du monde. Et cela, le moment où il avait gelé l'espace et le temps en dé cochant sa flè che de Zé non, n'avait pas é té un signe, un symptô me, une allusion, une figure, une signature, une é nigme: c'é tait ce qui é tait et qui ne remplaç ait rien d'autre, le moment où il n'est plus de sursis, où les comptes s'é galisent.

Jacopo Belbo n'avait pas compris qu'il avait eu son moment, qui aurait dû lui suffire pour toute sa vie. Il ne l'avait pas reconnu, il avait passé le reste de ses jours à chercher autre chose, jusqu'à se damner. Ou peut‑ ê tre en avait‑ il eu le soupç on, autrement il ne serait pas revenu aussi souvent sur le souvenir de la trompette. Mais il se la rappelait comme perdue, en revanche il l'avait eue.

Je crois, j'espè re, je prie qu'à l'instant où il mourait en oscillant avec le Pendule, Jacopo Belbo l'a compris, et qu'il a trouvé la paix.

 

Puis avait é té commandé le repos. Il aurait cé dé quoi qu'il en fû t, car le souffle lui manquait. Il avait interrompu le contact, et sonné une seule note, haute et à l'intensité dé croissante, tendrement, pour habituer le monde à la mé lancolie qui l'attendait.

Le commandant avait dit: « Bravo, jeune homme. Tu peux partir Belle trompette. »

Le pré vô t s'é tait esquivé, les partisans s'é taient dirigé s vers une grille du fond où les attendaient leurs vé hicules, les fossoyeurs s'en é taient allé s aprè s avoir comblé les fosses Jacopo é tait sorti le dernier. Il n'arrivait pas à quitter ce lieu de bonheur.

 

Sur l'esplanade la camionnette de l'oratoire avait disparu.

Jacopo s'é tait demandé comment cela se faisait, don Tico ne l'aurait jamais abandonné comme ç a. Avec le recul du temps, la ré ponse la plus probable c'est qu'il y avait eu malentendu: quelqu'un avait dit à don Tico que les partisans reconduisaient le petit gars dans la vallé e. Mais Jacopo, à ce moment‑ là, avait pensé – et non sans raison – qu'entre le garde‑ à ‑ vous et le repos trop de siè cles s'é taient é coulé s, que les enfants avaient attendu jusqu'à la canitie, à la mort, et que leur poussiè re s'é tait dispersé e pour former ce voile de brume qui maintenant azurait l'é tendue des collines devant ses yeux.

Jacopo é tait seul. Derriè re lui, un cimetiè re dé sormais vide, dans ses mains la trompette, en face de lui les collines qui s'estompaient de plus en plus bleues, l'une derriè re l'autre vers la gelé e de coings de l'infini et, vindicatif sur sa tê te, le soleil en liberté

Il avait dé cidé de pleurer.

Mais soudain é tait apparu le char funè bre avec son automé don paré comme un maré chal d'Empire, tout crè me, noir et argent, les chevaux bardé s de masques barbares qui ne laissaient dé couverts que les yeux, caparaç onné s comme des cercueils, les colonnettes torses qui soutenaient le tympan assyro‑ é gypto‑ grec tout blanc et or. L'homme au bicorne s'é tait arrê té un instant devant ce trompette solitaire, et Jacopo lui avait demandé: « Pourriez pas me ramener à la maison? »

L'homme é tait bienveillant. Jacopo é tait monté sur le siè ge à cô té de lui; et sur le char des morts avait commencé le retour vers le monde des vivants. Ce Charon, qui n'é tait pas en service, é peronnait, taciturne, ses coursiers funè bres le long des escarpements, Jacopo droit et hié ratique, la trompette serré e sous son bras, la visiè re luisante, pé né tré de son nouveau rô le, inespé ré.

Ils avaient descendu les collines, à chaque tournant s'ouvrait une nouvelle é tendue de vignes bleues de sulfate, toujours dans une lumiè re qui aveuglait; et, aprè s un temps incalculable, ils avaient abouti à ***Ils avaient traversé la grand‑ place tout en arcades, dé serte comme seules peuvent ê tre dé sertes les places du Montferrat à deux heures de l'aprè s‑ midi, un dimanche. Un camarade d'é cole au coin de la grand‑ place avait aperç u Jacopo sur le char, la trompette sous le bras, l'œ il fixé sur l'infini, et il lui avait fait un signe d'admiration.

 

 

Jacopo é tait rentré, il n'avait pas voulu manger, ni rien raconter. Il s'é tait blotti dans un coin de la terrasse, et mis à jouer de la trompette comme si elle avait une sourdine, en soufflant doucement pour ne pas troubler le silence de cette sieste‑ là.

Son pè re l'avait rejoint et, sans mé chanceté, avec la sé ré nité de celui qui connaî t les lois de la vie, il lui avait dit: « D'ici un mois, si tout se passe comme pré vu, on retourne à la maison. Tu ne peux pas songer à jouer de la trompette en ville. Le proprié taire nous mettrait à la porte. Donc, commence par l'oublier. Si vraiment tu as un penchant pour la musique, nous te ferons donner des leç ons de piano. » Et puis, le voyant avec les yeux qui luisaient: « Allons, grand bê ta. Tu te rends compte que les vilains jours sont finis? »

Le lendemain, Jacopo avait rendu la trompette à don Tico. Deux semaines plus tard, la famille abandonnait ***, revenant au futur.

 

 

MALKHUT

 

– 120 –

Mais ce qu'il me semble devoir dé plorer, c'est que je vois certains idolâ tres insensé s et sots, lesquels... imitent l'excellence du culte de l'É gypte; et cherchent la divinité, dont ils n'ont que faire, dans les excré ments de choses mortes et inanimé es; et avec cela ils moquent non seulement ces vé né rateurs divins et avisé s, mais nous aussi... et ce qui est pis, ils triomphent, en voyant leurs rites fous si tant ré puté s... – Que ce Momos ne t'importune, dit Isis, pour ce que le destin a ordonné la vicissitude des té nè bres et de la lumiè re. Mais le mal est, ré pondit Momos, qu'ils tiennent pour certain d'ê tre dans la lumiè re.

Giordano BRUNO, Spaccio della bestia trionfante, 3.

Je devrais ê tre en paix. J'ai compris. Certains d'entre eux ne disaient‑ ils pas que le salut vient quand s'est ré alisé e la plé nitude de la connaissance?

J'ai compris. Je devrais ê tre en paix. Qui disait que la paix naî t de la contemplation de l'ordre, de l'ordre compris, savouré, ré alisé sans ré sidus, joie, triomphe, cessation de l'effort? Tout est clair, limpide, et l'œ il se pose sur le tout et sur les parties, et il voit comment les parties concouraient au tout, il saisit le centre d'où coule la sè ve, le souffle, la racine des pourquoi...

Je devrais ê tre exté nué par la paix. Par la fenê tre du bureau de l'oncle Carlo, je regarde la colline, et ce peu de lune qui se lè ve. L'ample bosse du Bricco, la dorsale plus modulé e des collines sur le fond, racontent l'histoire de lents et sommeilleux bouleversements de notre mè re la terre qui, en s'é tirant et en bâ illant, faisait et dé faisait des plaines cé rulé ennes dans le sombre é clair de cent volcans. Nulle direction profonde des courants souterrains. La terre se clivait dans son demi‑ sommeil et é changeait une surface avec une autre. Là où d'abord paissaient les ammonites, des diamants. Là où d'abord germaient les diamants, des vignes. La logique de la moraine, de l'avalanche, de l'é boulement. Dé place un petit caillou, par hasard, il s'agite, roule vers le bas, laisse de l'espace en descendant (eh, l'horror vacui! ), un autre lui tombe dessus, et voilà le haut. Surfaces. Surfaces de surfaces sur des surfaces. La sagesse de la Terre. Et de Lia. L'abî me est le tourbillon d'une plaine. Pourquoi adorer un tourbillon?

Mais pourquoi comprendre ne me donne pas la paix? Pourquoi aimer le Fatum, s'il te tue autant que la Providence et que le Complot des Archontes? Sans doute n'ai‑ je pas encore tout compris, il me manque un espace, un intervalle.

Où ai‑ je lu qu'au moment final, quand la vie, surface sur surface, s'est incrusté e d'expé rience, tu sais tout, le secret, le pouvoir et la gloire, pourquoi tu es né, pourquoi tu es en train de mourir, et comment tout aurait pu se passer diffé remment? Tu es sage. Mais la sagesse suprê me, à ce moment‑ là, c'est de savoir que tu l'as su trop tard. On comprend tout quand il n'y a plus rien à comprendre.

A pré sent, je sais quelle est la Loi du Royaume, du pauvre, dé sespé ré, loqueteux Malkhut où s'est exilé e la Sagesse, allant à tâ tons pour retrouver sa propre lucidité perdue. La vé rité de Malkhut, l'unique vé rité qui brille dans la nuit des sefirot, c'est que la Sagesse se dé couvre nue en Malkhut, et dé couvre que son propre mystè re gî t dans le non‑ ê tre, rien qu'un moment, qui est le dernier. Aprè s recommencent les Autres.

Et avec les autres, les diaboliques, à chercher des abî mes où se cacherait le secret qu'est leur folie.

 

Tout au long des flancs du Bricco s'é tendent des rangé es et des rangé es de vignes. Je les sais, j'en ai vu de semblables de mon temps. Aucune Doctrine des Nombres n'a jamais pu dire si elles lè vent en monté e ou en descente. Au milieu des rangé es, mais il faut y marcher pieds nus, le talon un peu calleux, dè s l'enfance, il y a des pê chers. Ce sont des pê ches jaunes qui ne poussent qu'entre les vignes, elles se fendent sous la pression du pouce, et le noyau en sort presque tout seul, propre comme aprè s un traitement chimique, sauf quelques vermisseaux à la chair grasse et blanche, qui y restent attaché s par un atome. On peut les manger sans quasiment sentir le velours de la peau, qui vous fait courir des frissons depuis la langue jusqu'à l'aine. Jadis paissaient là les dinosaures. Puis une autre surface a couvert la leur. Et pourtant, comme Belbo au moment où il jouait de la trompette, quand je mordais dans les pê ches je comprenais le Royaume et je ne faisais qu'un avec lui. Aprè s, tout n'est qu'artifice. Invente, invente le Plan, Casaubon. C'est ce qu'ils ont tous fait, pour expliquer les dinosaures et les pê ches.

J'ai compris. La certitude qu'il n'y avait rien à comprendre, voilà qui devrait ê tre ma paix et mon triomphe. Mais moi je suis ici, qui ai tout compris, et Eux me cherchent, pensant que je possè de la ré vé lation que sordidement ils dé sirent. Il ne suffit pas d'avoir compris, si les autres s'y refusent et continuent à interroger. Ils sont en train de me chercher, Ils doivent avoir retrouvé mes traces à Paris, Ils savent que maintenant je suis ici, Ils veulent encore la Carte. Et j'aurai beau leur dire qu'il n'y a point de cartes, Ils la voudront toujours. Belbo avait raison: mais va te faire foutre, imbé cile, qu'est‑ ce que tu veux, me tuer? Oh, suffit à pré sent. Liquide‑ moi, mais que la Carte n'existe pas, je ne te le dis pas, il faut apprendre à se faire renard tout seul...

 

 

Ç a me fait mal de penser que je ne verrai plus Lia et le petit, la Chose, Giulio, ma Pierre Philosophale. Mais les pierres survivent toutes seules. Peut‑ ê tre est‑ il en train de vivre maintenant son Occasion. Il a trouvé un ballon, une fourmi, un brin d'herbe, et il y voit en abyme le paradis. Lui aussi il le saura trop tard. Il sera bon, et bien, qu'il consomme ainsi, tout seul, sa journé e.

Merde. Et pourtant ç a me fait mal. Patience, à peine je suis mort je l'oublie.

 

 

C'est la pleine nuit, je suis parti de Paris ce matin, j'ai laissé trop de traces. Ils ont eu le temps de deviner où je suis. D'ici peu Ils arriveront. Je voudrais avoir é crit tout ce que j'ai pensé depuis cet aprè s‑ midi jusqu'à pré sent. Mais si Eux le lisaient, Ils en tireraient une autre sombre thé orie et passeraient l'é ternité à chercher à dé chiffrer le message secret qui se cache derriè re mon histoire. Il est impossible, diraient‑ Ils, que ce type n'ait fait que nous raconter qu'il se jouait de nous. Non, lui ne le savait peut‑ ê tre pas, mais l'Etre nous lanç ait un message à travers son oubli.

Que j'aie é crit ou non, ç a ne fait pas de diffé rence. Ils chercheraient toujours un autre sens, mê me dans mon silence. Ils sont faits comme ç a. Ils sont aveugles à la ré vé lation. Malkhut est Malkhut et c'est tout.

Mais allez le leur dire. Ils n'ont pas de foi.

 

Et alors autant vaut rester ici, attendre, et regarder la colline.

 

Elle est si belle.

 

 

L'é diteur juge opportun de signaler qu'aprè s la nuit du 23 juin 1984, à une date impré cisé e, le pé riscope a disparu du Conservatoire national des Arts et Mé tiers, et que la statue de la Liberté a é té dé placé e vers l'extré mité du chœ ur.

 



  

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