Хелпикс

Главная

Контакты

Случайная статья





FILENAME : LE RETOUR DE SAINT‑GERMAIN 11 страница



Comme elle se dé fend bien la Tour, me disais‑ je, de loin elle lance des oeillades affectueuses, mais si vous approchez, si vous cherchez à pé né trer son mystè re, elle vous tue, vous gè le les os, rien qu'en affichant l'effroi insensé dont elle est faite. A pré sent, je sais que Belbo est mort et que le Plan est vrai, parce que vraie est la Tour. Si je ne parviens pas à fuir, à fuir encore une fois, je ne pourrai le dire à personne. Il faut donner l'alarme.

 

Un bruit. Halte, on revient à la ré alité. Un taxi qui avanç ait à toute allure. D'un bond, je ré ussis à me soustraire a la ceinture magique, je fis de larges signes, je courus le risque de me faire renverser car le taxi ne freina qu'à la derniè re seconde, comme s'il s'arrê tait de mauvaise grâ ce – pendant le trajet, il me dirait que, lui aussi, quand il passe dessous, la nuit, il a peur de la Tour, et il accé lè re. « Pourquoi? » lui avais‑ je demandé. « Parce que... parce que ç a fait peur, c'est tout. »

 

Je fus vite rendu à mon hô tel. Je dus sonner longtemps pour ré veiller un portier tombant de sommeil. Je me suis dit: il faut que tu dormes, à pré sent. Le reste, à demain. Je pris quelques cachets, en quantité suffisante pour m'empoisonner. Ensuite, je ne me souviens pas.

 

– 117 –

La folie possè de un pavillon é norme qui de tout lieu donne asile aux hommes surtout s'ils possè dent or et pouvoir en somme.

Sebastian BRANT, Das Narrenschiff, 46.

Je m'é tais ré veillé à deux heures de l'aprè s‑ midi, abasourdi et catatonique. Je me rappelais exactement tout, mais je n'avais aucune garantie que ce que je me rappelais fû t vrai. D'abord, j'avais pensé courir en bas dans la rue pour acheter les journaux, puis je m'é tais dit que dans tous les cas, quand bien mê me une compagnie de spahis eû t pé né tré dans le Conservatoire sitô t aprè s l'é vé nement, on n'aurait pas eu assez de temps pour faire sortir la nouvelle dans les journaux du matin.

Et puis Paris, ce jour‑ là, avait d'autres chats à fouetter. Le portier me l'avait dit tout de go, à peine j'é tais descendu prendre un café. La ville se trouvait en é bullition, beaucoup de stations de mé tro avaient é té fermé es, dans certains endroits la police chargeait, les é tudiants é taient trop nombreux et dé cidé ment ils exagé raient.

J'avais trouvé le numé ro du docteur Wagner dans le Bottin. J'avais mê me essayé de té lé phoner, mais il é tait é vident que le dimanche il n'é tait pas à son cabinet. Quoi qu'il en fû t, je devais aller vé rifier au Conservatoire. Je me souvenais qu'il é tait ouvert le dimanche aprè s‑ midi aussi.

 

 

Le Quartier latin é tait agité. Des groupes vocifé rants passaient avec des drapeaux. Dans l'î le de la Cité, j'avais vu un barrage de police. Au loin, on entendait des explosions. Ç a devait ê tre comme ç a en 68. A la hauteur de la Sainte‑ Chapelle il y avait eu des remous, je sentais une odeur de gaz lacrymogè ne. J'avais entendu une sorte de charge, je ne savais pas si c'é taient les é tudiants ou les flics, les gens couraient autour de moi, nous nous é tions ré fugié s derriè re une grille, un cordon de policiers devant nous, tandis que le chambardement avait lieu dans la rue. Quelle honte, moi dé sormais en compagnie des bourgeois sur le retour, à attendre que la ré volution se calmâ t.

Puis j'avais eu la voie libre en prenant des rues secondaires autour des anciennes Halles, et j'é tais tombé sur la rue Saint‑ Martin. Le Conservatoire é tait ouvert, avec sa cour blanche, la plaque sur la faç ade: « Le Conservatoire des arts et mé tiers institué par dé cret de la Convention du 19 vendé miaire an III... dans les bâ timents de l'ancien prieuré de Saint‑ Martin‑ des‑ Champs fondé au XIe siè cle. » Tout en ordre, avec une petite foule dominicale insensible à la kermesse estudiantine.

J'é tais entré – gratuit le dimanche – et chaque chose é tait comme l'aprè s‑ midi pré cé dent à cinq heures. Les gardiens, les visiteurs, le Pendule à sa place habituelle... Je cherchais les traces de tout ce qui s'é tait passé, si cela s'é tait passé, quelqu'un avait fait un consciencieux nettoyage. Si cela s'é tait passé.

 

Je ne me souviens pas comment s'est dé roulé pour moi le reste de l'aprè s‑ midi. Je ne me rappelle mê me pas ce que j'ai vu en flâ nant dans les rues, contraint de temps à autre à m'esquiver pour é viter le remue‑ mé nage. j'ai appelé Milan, histoire d'essayer. Par superstition, j'ai composé le numé ro de Belbo. Puis celui de Lorenza. Puis les é ditions Garamond, qui ne pouvaient ê tre que fermé es. Et pourtant, si cette nuit est encore aujourd'hui, tout est arrivé hier. Mais depuis avant‑ hier jusqu'à cette nuit il est passé une é ternité.

Vers le soir, je me suis aperç u que j'é tais à jeun. Je voulais de la tranquillité, et quelque faste. Prè s du Forum des Halles, je suis entré dans un restaurant qui me promettait du poisson. Et mê me trop. Ma table juste devant un aquarium. Un univers assez irré el pour me replonger dans un climat de soupç on absolu. Rien n'est le fait du hasard. Ce poisson a l'air d'un hé sychaste asthmatique qui perd la foi et accuse Dieu d'avoir ré duit le sens de l'univers. Sabaoth Sabaoth, comment arrives‑ tu à ê tre assez malin pour me faire croire que tu n'existes pas? Ainsi qu'une gangrè ne, la chair s'é tend sur le monde... Cet autre ressemble à Minnie, il bat de ses longs cils et fait la boubouche en cœ ur. Minnie est la fiancé e de Mickey. Je mange une salade folle avec un haddock moelleux comme des chairs d'enfants. Avec du miel et du poivre. Les pauliciens sont ici. Celui‑ là plane au milieu des coraux tel l'aé roplane de Breguet – longs battements d'ailes de lé pidoptè re, cent contre un qu'il a remarqué son fœ tus d'homunculus abandonné sur le fond d'un athanor dé sormais percé, jeté au milieu des ordures, devant la maison de Flamel. Et puis un poisson templier, tout loriqué de noir, il cherche Noffo Dei. Il effleure l'hé sychaste asthmatique, qui navigue, absorbé et courroucé, vers l'indicible. Je tourne la tê te, là ‑ bas au bout de la rue j'aperç ois l'enseigne d'un autre restaurant, CHEZ R... Rose‑ Croix? Reuchlin? Rosispergius? Rač kovskijragotzitzarogi? Signatures, signatures..

Voyons, l'unique faç on de mettre le diable dans l'embarras, c'est de lui faire croire que tu n'y crois pas. Il n'y a pas à chercher midi à quatorze heures sur la course nocturne à travers Paris, et sur la vision de la Tour. Sortir du Conservatoire, aprè s qu'on a vu ou cru voir ce qu'on a vu, et vivre la ville comme un cauchemar, c'est normal. Mais qu'est‑ ce que j'ai vu au Conservatoire?

Il fallait absolument que je parle avec le docteur Wagner. Je ne sais pas pourquoi je m'é tais mis en tê te que c'é tait la panacé e, mais c'é tait ainsi. Thé rapie de la parole.

Comment ai‑ je fait venir ce matin? J'ai l'impression d'ê tre entré dans un ciné ma où on passait La dame de Shanghaï d'Orson Welles. Quand je suis arrivé à la scè ne des miroirs, je n'ai pas tenu et je suis sorti. Mais peut‑ ê tre n'est‑ ce pas vrai, je l'ai imaginé.

Ce matin, j'ai té lé phoné à neuf heures au docteur Wagner, le nom de Garamond m'a permis de franchir la barriè re de la secré taire, le docteur a paru se souvenir de moi, devant l'é tat d'urgence où je lui expliquai me trouver, il m'a dit qu'il me recevrait tout de suite, à neuf heures et demie, avant qu'arrivent les autres patients. Il m'avait semblé aimable et compré hensif.

 

Peut‑ ê tre ai‑ je rê vé mê me ma visite au docteur Wagner. La secré taire m'a fait dé cliner mon identité, elle a pré paré une fiche, m'a fait payer les honoraires. Par chance, j'avais dé jà mon billet de retour.

 

Un cabinet de petite dimension, sans divan. Fenê tres sur la Seine, à gauche l'ombre de la Tour. Le docteur Wagner m'a accueilli avec une affabilité professionnelle – au fond c'est juste, je n'é tais plus un de ses é diteurs, j'é tais un de ses clients. D'un geste large et calme, il m'a invité à m'asseoir devant lui, de l'autre cô té de son bureau, comme un employé du ministè re. « Et alors? » C'est ce qu'il a dit, et il a donné une impulsion à son fauteuil pivotant, me tournant le dos. Il restait tê te baissé e, et il me semblait qu'il tenait les mains jointes. Je n'avais plus qu'à parler.

J'ai parlé, comme une cataracte, j'ai tout sorti, du dé but à la fin, ce que je pensais il y a deux ans, ce que je pensais l'anné e derniè re, ce que je pensais que Belbo avait pensé, et Diotallevi. Et surtout ce qui est arrivé la nuit de la Saint‑ Jean.

Wagner ne m'a jamais interrompu, n'a jamais fait signe que oui, ou montré de la dé sapprobation. Pour ce que j'en sais, il pouvait avoir sombré dans le sommeil. Mais ce doit ê tre sa technique. Et moi je parlais. Thé rapie de la parole.

Puis j'ai attendu, en fait de parole, la sienne, qui me sauvâ t.

Wagner s'est levé, trè s lentement. Sans se retourner vers moi, il a fait le tour de son bureau et il s'est dirigé vers la fenê tre. Maintenant, il regardait par les vitres, les mains croisé es dans son dos, absorbé dans ses pensé es.

En silence, pendant environ dix, quinze minutes.

Ensuite, toujours le dos tourné vers moi, d'une voix incolore, paisible, rassurante: « Monsieur, vous ê tes fou. »

Lui il est resté immobile, moi de mê me. Aprè s cinq autres minutes, j'ai compris qu'il ne continuerait plus. Fin de la sé ance.

Je suis sorti sans saluer. La secré taire m'a fait un large sourire, et je me suis retrouvé dans l'avenue É lisé e‑ Reclus.

 

 

Il é tait onze heures. J'ai rassemblé mes affaires à l'hô tel et je me suis pré cipité à l'aé roport, confiant dans ma bonne é toile. J'ai dû attendre deux heures, et, en attendant, j'ai appelé à Milan les é ditions Garamond, en PCV parce que je n'avais plus un sou. Gudrun a ré pondu, elle paraissait plus hé bé té e que d'habitude, j'ai dû lui crier trois fois qu'elle dit si, oui, yes, qu'elle acceptait l'appel.

Elle pleurait: Diotallevi est mort samedi soir à minuit.

« Et aucun, aucun de ses amis à l'enterrement, ce matin, quelle honte! Pas mê me monsieur Garamond, qui, d'aprè s ce qu'on dit, est en voyage à l'é tranger. Moi, Grazia, Luciano, et un monsieur tout noir, la barbe, les favoris à frisottis et un grand chapeau, il avait l'air d'un croque‑ mort. Dieu seul sait d'où il venait. Mais où é tiez‑ vous, Casaubon? Et où est Belbo? Qu'est‑ ce qui se passe? »

J'ai murmuré des explications confuses et j'ai raccroché. On m'a appelé, et je suis monté dans l'avion.

 

 

YESOD

 

– 118 –

La thé orie sociale de la conspiration... est une consé quence du manque de ré fé rence à Dieu, et de la consé quente question: « Qui y a‑ t‑ il à sa place? » la

Karl POPPER, Conjectures and refutations, London, Routledge, 1969, I, 4.

Le voyage m'a fait du bien. Non seulement j'avais quitté Paris, mais j'avais quitté le sous‑ sol, et carré ment le sol, la croû te terrestre. Ciel et montagnes encore blanches de neige. La solitude à dix mille mè tres, et cette sensation d'ivresse que donne toujours le vol, la pressurisation, la traversé e d'une lé gè re turbulence. Je pensais que là ‑ haut seulement je reprenais pied. Et j'ai dé cidé de faire le bilan de la situation, d'abord en ré capitulant les diffé rents points sur mon carnet, puis en me laissant aller, les yeux fermé s.

 

J'ai dé cidé d'é numé rer avant tout les é vidences irré futables.

Il est hors de doute que Diotallevi est mort. Gudrun me l'a dit, Gudrun est toujours resté e en dehors de notre histoire, elle ne l'aurait pas comprise, et donc elle reste la seule à dire la vé rité Ensuite, il est vrai que Garamond n'é tait pas à Milan. Certes, il pourrait ê tre n'importe où, mais le fait qu'il n'y soit pas et n'y é tait pas ces jours passé s laisse croire qu'il se trouve à Paris, où je l'ai vu.

De mê me, Belbo n'est pas à Milan.

Maintenant, essayons de penser que ce que j'ai vu samedi soir à Saint‑ Martin‑ des‑ Champs est ré ellement arrivé. Peut‑ ê tre pas comme je l'ai vu moi, sé duit par la musique et par les encens, mais il s'est passé quelque chose. C'est comme l'histoire d'Amparo. Elle n'é tait pas certaine, en rentrant chez elle, qu'elle avait é té possé dé e par la Pomba Gira, mais elle savait certainement qu'elle avait é té sous la tente de umbanda, et qu'elle avait cru que – ou elle s'é tait comporté e comme si – la Pomba Gira l'avait possé dé e.

Enfin, ce que m'a dit Lia à la montagne est vrai, sa lecture é tait absolument convaincante, le message de Provins é tait une note des commissions. Il n'y a jamais eu de ré unions de Templiers à la Grange‑ aux‑ Dî mes. Il n'y avait pas de Plan et il n'y avait pas de message

La liste des commissions a é té pour nous une grille de mots croisé s aux cases encore vides, mais sans les dé finitions. Il faut donc remplir les cases de maniè re que tout se croise dû ment. Mais sans doute l'exemple est‑ il impré cis. Dans les mots croisé s les mots se croisent et ils doivent se croiser sur une lettre commune. Dans notre jeu, ce n'é taient pas les mots qui se croisaient, mais des idé es et des faits; les rè gles é taient donc diffé rentes, et il y en avait fondamentalement trois,

Premiè re rè gle, les idé es se relient par analogie. Il n'y a pas de rè gles pour dé cider au dé part si une analogie est bonne ou mauvaise, parce que n'importe quelle chose est semblable à n'importe quelle autre sous un certain rapport. Exemple. Patate se croise avec pomme, parce que l'une et l'autre sont des vé gé taux et aux formes arrondies. De pomme à serpent, par connexion biblique. De serpent à gimblette, par similitude formelle, de gimblette à boué e de sauvetage et de là à maillot de bain, du bain au rouleau, du rouleau au papier hygié nique, de l'hygiè ne à l'alcool, de l'alcool à la drogue, de la drogue à la seringue, de la seringue au trou, du trou à la terre, de la terre à la patate.

Parfait. La deuxiè me rè gle dit en effet que si tout se tient, le jeu est valable. De patate à patate tout se tient. C'est donc juste.

Troisiè me rè gle: les connexions ne doivent pas ê tre iné dites, dans le sens où elles doivent avoir dé jà é té posé es au moins une fois, mieux encore si elles l'ont é té de nombreuses fois, par d'autres. C'est ainsi seulement que les croisements semblent vrais, parce qu'ils sont é vidents.

Ce qui é tait en somme l'idé e de monsieur Garamond: les livres des diaboliques ne doivent pas innover, ils doivent ré pé ter le dé jà dit, sinon qu'en serait‑ il de la force de la Tradition?

C'est ce que nous avons fait. Nous n'avons rien inventé, sauf la disposition des piè ces. C'est ce qu'avait fait Ardenti, il n'avait rien inventé sauf qu'il avait disposé les piè ces de faç on maladroite, sans compter qu'il é tait moins cultivé que nous, et qu'il ne possé dait pas toutes les piè ces.

Eux, ils avaient les piè ces, mais pas la grille des mots croisé s. Et puis nous – encore une fois – nous é tions les plus forts.

Je me rappelais une phrase que m'avait dite Lia à la montagne, quand elle me reprochait d'avoir joué à un vilain jeu: « Les gens sont affamé s de plans, si tu leur en offres un, ils se jettent dessus comme une meute de loups. Toi, tu inventes et eux, ils croient. Il ne faut pas susciter plus d'imaginaire qu'il n'y en a. »

Au fond, ç a arrive toujours comme ç a. Un jeune É rostrate se ronge les sangs parce qu'il ne sait pas comment devenir cé lè bre. Puis il voit un film où un garç on fragile tire un coup de feu sur la diva de la country music et cré e l'é vé nement du jour. Il a trouvé la formule, va et flingue John Lennon.

C'est comme les ACA. Comment faire pour que je devienne un poè te publié qui finit dans les encyclopé dies? Garamond lui explique: c'est simple, tu banques. L'ACA n'y avait jamais pensé avant, mais vu qu'existe le plan des é ditions Manuzio, il s'y conforme. L'ACA est convaincu qu'il attendait les é ditions Manuzio depuis son enfance, à part qu'il ignorait leur existence.

Consé quence: nous, nous avons inventé un Plan inexistant et Eux, non seulement ils l'ont pris pour argent comptant, mais ils se sont convaincus d'en faire partie depuis longtemps, autrement dit ils ont identifié les fragments de leurs projets dé sordonné s et confus comme des moments de notre Plan scandé selon une irré futable logique de l'analogie, de l'apparence, du soupç on.

Mais si, quand on invente un plan, les autres le ré alisent, c'est comme si le Plan existait; mieux, dé sormais il existe.

A partir de ce moment, des bataillons de diaboliques parcourront le monde à la recherche de la carte.

Nous avons offert une carte à des personnes qui cherchaient à vaincre une de leurs frustrations obscures. Laquelle? Le dernier file de Belbo me l'avait suggé ré: il n'y aurait pas é chec s'il y avait vraiment un Plan. Dé faite, mais pas par ta faute. Succomber devant un complot cosmique n'est pas une honte. Tu n'es pas un lâ che, tu es un martyr.

Tu ne te plains pas d'ê tre mortel, la proie de mille micro‑ organismes que tu ne domines pas, tu n'es pas responsable de tes pieds peu pré hensiles, de la disparition de la queue, des cheveux et des dents qui ne repoussent pas, des neurones que tu sè mes chemin faisant, des veines qui se durcissent. Ce sont les Anges Envieux.

Et il en va de mê me pour la vie de tous les jours. Comme les effondrements des cours de la Bourse. Ils ont lieu parce que chacun fait un faux mouvement, et tous les faux mouvements ré unis cré ent la panique. Ensuite, ceux qui n'ont pas les nerfs solides se demandent: mais qui a ourdi ce complot, à qui profite‑ t‑ il? Et gare si tu ne trouves pas un ennemi qui ait comploté, tu te sentirais coupable. En somme, puisque tu te sens coupable, tu inventes un complot, et mê me plusieurs. Et pour les contrer, tu dois organiser ton propre complot.

Et plus tu imagines les complots d'autrui, pour justifier ton incompré hension, plus tu tombes sous leur charme et conç ois le tien à leur mesure. En somme, ce qui é tait arrivé quand entre jé suites et baconiens, pauliciens et né o‑ templiers, chacun se renvoyait à la figure le plan de l'autre. Alors Diotallevi avait observé: « Bien sû r, tu attribues aux autres ce que tu fais toi, et comme tu fais une chose odieuse les autres deviennent odieux. Cependant, comme les autres voudraient, à leur habitude, pré cisé ment faire la chose odieuse que tu fais toi, ils collaborent avec toi en laissant croire que – oui – en ré alité ce que tu leur attribues, c'est ce qu'eux ils ont toujours dé siré. Dieu aveugle ceux qu'il veut perdre, il suffit de L'aider. »

 

Un complot, pour ê tre un complot, doit ê tre secret. Il doit y avoir un secret, dont la connaissance nous ô te toute frustration, car ou bien ce serait le secret qui nous mè ne au salut ou bien la connaissance du secret s'identifierait au salut. Existe‑ t‑ il secret aussi lumineux?

Certes, à condition de ne le connaî tre jamais. Dé voilé, il ne pourrait que nous dé cevoir. Agliè ne m'avait‑ il pas parlé de la tension vers le mystè re, qui agitait l'é poque des Antonins? Et pourtant, il venait d'arriver quelqu'un qui s'é tait dé claré le fils de Dieu, le fils de Dieu qui se fait chair, et rachè te les pé ché s du monde. C'é tait un mystè re de quatre sous? Et il promettait le salut à tout le monde, il suffisait d'aimer son prochain. C'é tait un secret de rien du tout? Et il laissait en hé ritage que quiconque prononcerait les bonnes paroles au bon moment pouvait transformer un morceau de pain et un demi‑ verre de vin en chair et sang du fils de Dieu, et s'en nourrir. C'é tait une é nigme à jeter au panier? Et il induisait les Pè res de l'É glise à conjecturer, et puis à dé clarer, que Dieu é tait et Un et Trin et que l'Esprit procé dait du Pè re et du Fils, mais non pas le Fils du Pè re et de l'Esprit. C'é tait là une formulette pour Hyliques? Et pourtant, les autres, qui avaient dé sormais le salut à porté e de main – do it yourself–, rien. La ré vé lation, c'est que ç a? Quelle banalité: et allons‑ y, et de sillonner, hysté riques, avec leurs liburnes toute la Mé diterrané e à la recherche d'un autre savoir perdu dont ces dogmes de trente deniers ne seraient que le voile superficiel, la parabole pour les pauvres d'esprit, le hié roglyphe allusif, le clin d'œ il aux Pneumatiques. Le mystè re trinitaire? Trop facile, il doit y avoir anguille sous roche.

Il é tait une fois un type, peut‑ ê tre Rubinstein, qui avait ré pondu, quand on lui demanda s'il croyait en Dieu: « Oh non, moi je crois... en quelque chose de beaucoup plus grand... » Mais il y en avait un autre (peut‑ ê tre Chesterton? ) qui avait dit: depuis que les hommes ne croient plus en Dieu, ce n'est pas qu'ils ne croient plus en rien, ils croient en tout.

Tout n'est pas un secret plus grand. Il n'y a pas de secrets plus grands, car à peine ré vé lé s ils apparaissent petits. Il n'y a qu'un secret vide. Un secret qui glisse. Le secret de la plante orchis c'est qu'elle repré sente les testicules et agit sur eux, mais les testicules repré sentent à leur tour un signe zodiacal, celui‑ ci une hié rarchie angé lique, celle‑ ci une gamme musicale, la gamme un rapport entre humeurs, et ainsi de suite, l'initiation c'est apprendre à ne s'arrê ter jamais, on é pluche l'univers comme un oignon, et un oignon est tout é pluchure, figurons‑ nous un oignon infini, qui ait son centre partout et sa circonfé rence nulle part, ou fait en anneau de Moebius.

Le vrai initié est celui qui sait que le plus puissant des secrets est un secret sans contenu, parce qu'aucun ennemi ne parviendra à le lui faire avouer, aucun fidè le ne parviendra à le lui dé rober.

A pré sent, elle m'apparaissait plus logique, consé quente, la dynamique du rite nocturne devant le Pendule. Belbo avait soutenu qu'il possé dait un secret, et par là il avait acquis un pouvoir sur Eux. Leur impulsion, mê me de la part d'un homme aussi avisé qu'Agliè, qui avait aussitô t battu le tam‑ tam pour convoquer tous les autres, a é té de le lui soutirer. Et plus Belbo se refusait à le ré vé ler, plus Eux pensaient que le secret é tait grand; et plus lui jurait ne pas le possé der, plus Ils é taient convaincus qu'il le possé dait, et que c'é tait un vrai secret, parce que s'il avait é té faux, Belbo l'aurait ré vé lé.

Pendant des siè cles, la recherche de ce secret avait é té le ciment qui les avait assemblé s, fû t‑ ce au milieu des excommunications, des luttes intestines, des coups de main. Maintenant, ils é taient en passe de le connaî tre. Et ils ont é té saisis de deux terreurs: que le secret fû t dé cevant, et que – devenant connu de tous – il ne restâ t plus aucun secret. Ç 'aurait é té leur fin.

C'est pré cisé ment alors qu'Agliè a eu l'intuition que si Belbo avait parlé, tous auraient su, et lui, Agliè, il aurait perdu la vague aura qui lui confé rait charisme et pouvoir. Si Belbo s'é tait confié à lui seulement, Agliè aurait continué d'ê tre Saint‑ Germain, l'immortel – le sursis accordé à sa mort coï ncidait avec le sursis accordé au secret. Il a tenté d'induire Belbo à lui parler à l'oreille, et quand il a compris que ce ne serait pas possible, il l'a provoqué en prô nant sa reddition, mais plus encore en lui donnant un spectacle de fatuité. Oh, il le connaissait bien, le vieux comte, il savait que sur des gens de ces ré gions l'entê tement et le sens du ridicule l'emportent mê me sur la peur. Il l'a obligé à monter le ton du dé fi et à dire non de faç on dé finitive.

Et les autres, pour la mê me crainte, ont pré fé ré le tuer. Ils perdaient la carte – ils auraient les siè cles pour la chercher encore – mais ils sauvaient la fraî cheur de leur dé sir dé cré pit et baveux.

Je me souvenais d'une histoire que m'avait raconté e Amparo. Avant de venir en Italie, elle avait vé cu quelques mois à New York, et elle é tait allé e habiter un quartier, de ceux où, à la limite, on tourne des té lé films sur la Criminelle. Elle rentrait seule, à deux heures du matin. Et quand je lui avais demandé si elle n'avait pas peur des maniaques sexuels, elle m'avait raconté sa mé thode. A peine le maniaque s'approchait et se manifestait pour tel, elle le prenait par le bras et lui disait: « Alors, allons nous coucher. » Et l'autre dé talait, dé concerté.

Si tu es un maniaque du sexe, du sexe tu n'en veux pas, tu veux le dé sirer, au mieux le dé rober, mais si possible à l'insu de la victime. Si on te met devant le sexe et qu'on te dise hic Rodon, hic salta, il est normal que tu dé campes, sinon tu serais un bien curieux maniaque.

 

Et nous, nous sommes allé s chatouiller leurs envies, leur offrir un secret on ne peut plus vide, parce que non seulement nous ne le connaissions pas nous‑ mê mes, mais de surcroî t nous savions qu'il é tait faux.

 

 

L'avion survolait le mont Blanc et les voyageurs se jetaient tous ensemble du mê me cô té pour ne pas perdre la ré vé lation de cet obtus bubon poussé là du fait d'une dystonie des courants souterrains. Je pensais que si ce que j'é tais en train de penser é tait juste, alors peut‑ ê tre les courants n'existaient‑ ils pas, pas davantage que n'avait existé le message de Provins; mais l'histoire du dé chiffrement du Plan, telle que nous l'avions reconstitué e, n'é tait rien d'autre que l'Histoire.



  

© helpiks.su При использовании или копировании материалов прямая ссылка на сайт обязательна.