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FILENAME : LE RETOUR DE SAINT‑GERMAIN 7 страница– Oh, moi, qu'allez‑ vous me demander, monsieur... – Et alors allez‑ vous‑ en. Il faut que je dise une chose importante à mon ami. É coute‑ moi, Jacopo. De mê me que dans le corps de l'homme il y a des membres et des articulations et des organes, de mê me dans la Torah, d'accord? Et de mê me que dans la Torah il y a des membres et des articulations et des organes, de mê me dans le corps de l'homme, d'accord? – D'accord. – Et rabbi Meir, quand il apprenait auprè s de rabbi Akiba, mé langeait le vitriol avec l'encre, et le maî tre ne disait rien. Mais quand rabbi Meir avait demandé à rabbi Ismahel s'il faisait bien, celui‑ ci lui avait dit: mon fils, sois prudent dans ton travail, parce que c'est un travail divin, et si tu omets une seule lettre ou si tu é cris une seule lettre de trop, tu dé truis le monde entier... Nous avons cherché à ré crire la Torah, mais nous ne nous sommes pas occupé s des lettres en plus ou en moins... – Nous plaisantions... – On ne plaisante pas avec la Torah. – Mais nous, nous plaisantions avec l'histoire, avec l'é criture des autres...
– Y a‑ t‑ il une é criture qui fonde le monde et ne soit pas le Livre? Donne‑ moi un peu d'eau, non, pas avec le verre, mouille ce mouchoir. Merci. Maintenant, é coute. Mé langer les lettres du Livre signifie mé langer le monde. On n'en sort pas. N'importe quel livre, mê me l'abé cé daire. Des types comme ton docteur Wagner ne disent‑ ils pas que quelqu'un qui joue avec les mots, et anagrammatise, et bouleverse le lexique, a de sales choses dans l'â me et hait son pè re? – Ce n'est pas tout à fait ç a. Eux, ce sont des psychanalystes, ils disent ç a pour faire du fric, ce ne sont pas tes rabbins. – Des rabbins, tous des rabbins. Ils parlent tous de la mê me chose. Tu crois que les rabbins qui parlaient de la Torah parlaient d'un rouleau? Ils parlaient de nous, qui cherchons à refaire notre corps à travers le langage. Maintenant, é coute. Pour manipuler les lettres du Livre, il faut beaucoup de pié té, et nous, nous n'en avons pas eu. Tout livre est tissé du nom de Dieu, et nous avons anagrammatisé tous les livres de l'histoire, sans prier. Tais‑ toi, é coute. Celui qui s'occupe de la Torah maintient le monde en mouvement et il maintient en mouvement son corps tandis qu'il lit, ou ré crit, car il n'y a aucune partie du corps qui n'ait un é quivalent dans le monde... Mouille le mouchoir, merci. Si tu altè res le Livre, tu altè res le monde, si tu altè res le monde, tu altè res le corps. C'est ce que nous n'avons pas compris. La Torah laisse sortir une parole de son é crin, elle apparaî t un moment et aussitô t se cache. Et elle ne se ré vè le un moment que pour son amant. C'est comme une femme trè s belle, qui se cache au fond de sa demeure, dans une petite chambre perdue. Elle a un unique amant, dont personne ne connaî t l'existence. Et si quelqu'un qui n'est pas lui veut la violer, lui mettre ses sales mains dessus, elle se rebelle. Elle connaî t son amant, se pré sente dans l'entrebâ illement d'une petite fenê tre, juste un instant. Et aussitô t elle se cache à nouveau. La parole de la Torah ne se ré vè le qu'à celui qui l'aime. Et nous, nous avons cherché à parler de livres sans amour et par dé rision... » Belbo lui avait encore mouillé les lè vres avec le mouchoir. « Et alors? – Et alors, nous avons voulu faire ce qui ne nous é tait pas permis et que nous n'é tions pas pré paré s à faire. En manipulant les paroles du Livre, nous avons voulu construire le Golem. – Je ne comprends pas... – Tu ne peux plus comprendre. Tu es prisonnier de ta cré ature. Mais ton histoire se dé roule encore dans le monde exté rieur. Je ne sais comment, mais tu peux en sortir. Pour moi, c'est diffé rent, je suis en train d'expé rimenter dans mon corps ce que nous avons fait par jeu dans le Plan. – Ne dis pas de bê tises, c'est une histoire de cellules... – Et que sont les cellules? Pendant des mois, comme des rabbins dé vots, nous avons prononcé avec nos lè vres une combinaison diffé rente des lettres du Livre. GCC, CGC, GCG, CGG. Ce que nos lè vres disaient, nos cellules l'apprenaient. Qu'ont fait mes cellules? Elles ont inventé un Plan diffé rent, et à pré sent elles circulent pour leur propre compte. Mes cellules inventent une histoire qui n'est pas celle de tout le monde. Mes cellules ont dé sormais appris qu'on peut jurer en anagrammatisant le Livre et tous les livres du monde. Ainsi ont‑ elles appris à faire avec mon corps. Elles inversent, transposent, alternent, permutent, cré ent des cellules jamais vues et dé nué es de sens, ou avec des sens contraires au bon sens. Il doit y avoir un bon sens et des sens erroné s, autrement on meurt. Mais elles, elles jouent, sans foi, à l'aveuglette. Jacopo, tant que je pouvais encore lire, ces mois‑ ci j'ai lu de nombreux dictionnaires. J'é tudiais des histoires de mots pour comprendre ce qui se passait dans mon corps. Nous, rabbins, c'est ainsi que nous procé dons. N'as‑ tu jamais ré flé chi au fait que le terme rhé torique de mé tathè se est semblable au terme oncologique de mé tastase? Qu'est‑ ce qu'une mé tathè se? Au lieu de " image " tu dis " magie ". Et au lieu de " Rome " tu peux dire " more ". C'est la Temurah. Le dictionnaire dit que metathesis signifie dé placement, transformation. Et metastasis veut dire changement, dé placement. Qu'ils sont stupides, ces dictionnaires. La racine est la mê me, ou c'est le verbe metatithemi ou le verbe methistemi. Mais metatithemi veut dire je m'entremets, je dé place, je transfè re, je mets à la place de, j'abroge une loi, je change le sens. Et methistemi? Mais c'est la mê me chose, je dé place, je permute, je transpose, je change l'opinion commune, je dé mé nage de la tê te. Nous, et quiconque cherche un sens secret au‑ delà de la lettre, nous avons dé mé nagé de la tê te. Et ainsi ont fait mes cellules, obé issantes. C'est pour ç a que je meurs, Jacopo, et tu le sais. – Tu dis ç a maintenant parce que tu vas mal... – Je dis ç a maintenant parce que j'ai enfin tout compris de mon corps. Je l'é tudie jour aprè s jour, je sais ce qui s'y passe, sauf que je ne peux pas intervenir, les cellules n'obé issent plus. Je meurs parce que j'ai convaincu mes cellules que la rè gle n'existe pas, et que de tout texte on peut faire ce qu'on veut. J'ai mis ma vie à m'en convaincre, moi, avec mon cerveau. Et mon cerveau doit leur avoir transmis le message, à elles. Pourquoi devrais‑ je pré tendre qu'elles soient plus prudentes que mon cerveau? Je meurs parce que notre imagination a excé dé toutes les bornes. – Ecoute, ce qui se passe pour toi n'a rien à voir avec notre Plan... – Non? Et pourquoi t'arrive‑ t‑ il ce qui t'arrive? Le monde se comporte comme mes cellules. » É puisé, il s'é tait abandonné. Le docteur é tait entré et avait sifflé à voix basse qu'on ne pouvait pas soumettre à ce stress quelqu'un qui allait mourir. Belbo é tait sorti, et c'é tait la derniè re fois qu'il avait vu Diotallevi. D'accord, é crivait‑ il, je suis recherché par la police pour les mê mes raisons qui font que Diotallevi a un cancer. Pauvre ami, lui il meurt, mais moi, moi qui n'ai pas de cancer, qu'est‑ ce que je fais? Je vais à Paris chercher la rè gle de la né oplasie. Il ne s'é tait pas rendu tout de suite. Il é tait resté enfermé chez lui quatre jours durant, avait remis en ordre ses files, phrase aprè s phrase, pour trouver une explication. Puis il avait ré digé son histoire, comme un testament, la racontant à lui‑ mê me, à Aboulafia, à moi ou à quiconque aurait pu lire. Et enfin, mardi il é tait parti. Je crois que Belbo é tait allé à Paris pour leur dire qu'il n'y avait pas de secrets, que le vrai secret c'é tait de laisser aller les cellules selon leur sagesse instinctive, qu'à chercher des secrets sous la surface on ré duisait le monde à un cancer immonde. Et que le plus immonde et le plus stupide de tous c'é tait lui, qui ne savait rien et avait tout inventé – et cela devait lui coû ter beaucoup, mais il avait dé sormais accepté depuis trop de temps l'idé e d'ê tre un lâ che, et De Angelis lui avait dé montré que des hé ros, il n'y en a pas des masses. A Paris, il devait avoir eu le premier contact et il s'é tait aperç u qu'Ils ne croyaient pas ce qu'il disait. Ses paroles é taient trop simples. Maintenant Ils s'attendaient à une ré vé lation, sous peine de mort. Belbo n'avait pas de ré vé lations à faire et, ultime lâ cheté, il avait craint de mourir. C'est alors qu'il tenta de faire perdre ses traces, et m'appela. Mais Ils l'avaient pris.
– 111 – C'est une leç on par la suite. Quand votre ennemi se reproduira, car il n'est pas à son dernier masque, congé diez‑ le brusquement, et surtout n'allez pas le chercher dans les grottes. Jacques CAZOTTE, Le diable amoureux, 1772, page supprimé e dans les é ditions suivantes. A pré sent, me demandais‑ je dans l'appartement de Belbo, en finissant de lire ses confessions, que dois‑ je faire moi? Aller chez Garamond, ç a n'a pas de sens; De Angelis est parti; Diotallevi a dit tout ce qu'il avait à dire. Lia se trouve loin dans un endroit sans té lé phone. Il est six heures du matin, samedi 23 juin, et si quelque chose doit arriver, ce sera cette nuit, au Conservatoire. Je devais prendre une dé cision rapide. Pourquoi, me demandais‑ je l'autre soir dans le pé riscope, n'as‑ tu pas choisi de faire semblant de rien? Tu avais devant toi les textes d'un fou, qui parlait de ses entretiens avec d'autres fous et de son dernier entretien avec un moribond surexcité, ou surdé primé. Tu n'é tais mê me pas sû r que Belbo t'avait té lé phoné de Paris, peut‑ ê tre parlait‑ il à quelques kilomè tres de Milan, peut‑ ê tre de la cabine du coin. Pourquoi fallait‑ il que tu te fourres dans une histoire peut‑ ê tre imaginaire, qui ne te concerne pas? Mais cela, je me le demandais dans le pé riscope, alors que mes pieds s'engourdissaient, que la lumiè re dé clinait et que j'é prouvais la peur innaturelle et trè s naturelle que tout ê tre humain doit é prouver la nuit, seul, dans un musé e dé sert. Ce matin‑ là, par contre, je n'avais pas peur. De la curiosité, rien d'autre. Et peut‑ ê tre le sens du devoir, ou de l'amitié. Et je m'é tais dit que je devais aller moi aussi à Paris, je ne savais pas bien pour quoi faire, mais je ne pouvais pas laisser Belbo tout seul C'est sans doute ce qu'il attendait de moi, ç a seulement, que je pé nè tre de nuit dans la caverne des thugs et, tandis que Suyodhana allait lui plonger le couteau sacrificiel dans le cœ ur, je faisais irruption sous les voû tes du temple avec mes cipayes au fusil chargé à mitraille, et je le tirais de là sain et sauf. Par chance, j'avais un peu d'argent sur moi. A Paris, j'avais pris un taxi et je m'é tais fait conduire rue de la Manticore. Le chauffeur avait juré d'abondance, parce que mê me dans leurs guides à eux, on ne la trouvait pas; de fait, c'é tait une venelle pas plus large que le couloir d'un train, du cô té de la vieille Biè vre, derriè re Saint‑ Julien‑ le‑ Pauvre. Le taxi ne pouvait pas mê me s'y faufiler, et il m'avait laissé au coin. J'é tais entré en hé sitant dans cette ruelle où ne s'ouvrait aucune porte, mais qui, à un certain point, s'é largissait un peu, là où é tait la librairie. Je ne sais pas pourquoi elle avait le numé ro 3, vu qu'il n'y avait aucun numé ro 1, ni 2, pas plus que d'autres. C'é tait une petite boutique avec une seule lumiè re, et la moitié de la porte servait de vitrine. Sur les cô té s, à peine quelques dizaines de livres, suffisamment pour indiquer le genre. En bas, une sé rie de pendules radiesthé siques, de sachets poussié reux de baguettes d'encens, de petites amulettes orientales ou sud‑ amé ricaines. De nombreux jeux de tarots, dans des styles et des pré sentations diffé rents. L'inté rieur n'é tait pas plus confortable, un amoncellement de livres aux murs et par terre, avec une petite table au fond, et un libraire qui semblait mis là exprè s pour permettre à un é crivain d'é crire qu'il é tait plus vieux que ses livres. Il compulsait un grand registre é crit à la main, se dé sinté ressant de ses clients. D'ailleurs, il n'y avait en ce moment que deux visiteurs, lesquels soulevaient des nuages de poussiè re en tirant de vieux volumes, presque tous dé pouillé s de leur couverture, des é tagè res croulantes, et ils se mettaient à les lire, sans avoir l'air de vouloir acheter. L'unique espace non encombré d'é tagè res é tait occupé par une affiche. Des couleurs criardes, une suite de portraits dans des mé daillons à double bord, comme sur les affiches du magicien Houdini. « Le Petit Cirque de l'Incroyable. Madame Olcott et ses liens avec l'Invisible. » Une face olivâ tre et masculine, deux bandeaux de cheveux noirs ramassé s en chignon sur la nuque, il me semblait avoir dé jà vu cette tê te. « Les Derviches Hurleurs et leur danse sacré e. Les Freaks Mignons, ou Les Petits‑ Fils de Fortunio Liceti. » Une assemblé e de petits monstres pathé tiquement immondes. « Alex et Denys, les Gé ants d'Avalon, Theo, Leo et Geo Fox, Les Enlumineurs de l'Ectoplasme... » La librairie Sloane fournissait vraiment tout, du berceau au tombeau, mê me le sain divertissement du soir où amener les enfants avant de les broyer dans un mortier. J'avais entendu sonner un té lé phone, et vu le libraire dé placer une pile de feuillets, jusqu'à ce qu'il repé râ t le combiné. « Oui monsieur, s'é tait‑ il mis à dire, c'est bien ç a. » Il avait é couté pendant quelques minutes en silence, d'abord acquiesç ant, puis d'un air perplexe, mais – aurais‑ je dit – à l'usage des pré sents, comme si tout le monde pouvait é couter ce qu'il entendait et qu'il ne voulait pas en prendre la responsabilité. Puis il avait eu cette expression scandalisé e du commerç ant parisien quand vous lui demandez quelque chose qu'il n'a pas dans son magasin, ou des portiers d'hô tel quand ils doivent vous annoncer qu'il n'y a plus de chambres libres. « Ah non, monsieur. Ah, ç a... Non, non, monsieur, c'est pas notre boulot. Ici, vous savez, on vend des livres, on peut bien vous conseiller sur des catalogues, mais ç a... Il s'agit de problè mes trè s personnels, et nous... Oh, alors, pour ç a il y a – sais pas, moi – des curé s, des... oui, si vous voulez, des exorcistes. D'accord, je le sais, on connaî t des confrè res qui se prê tent... Mais pas nous. Non, vraiment la description ne me suffit pas, et quand mê me... Dé solé, monsieur. Comment? Oui... si vous voulez. C'est un endroit bien connu, mais ne demandez pas mon avis. C'est bien ç a, vous savez, dans ces cas‑ là, la confiance, c'est tout. A votre service, monsieur. » Les deux autres clients é taient sortis, je me sentais mal à l'aise. Je m'é tais dé cidé, j'avais attiré l'attention du vieux en me raclant la gorge, et je lui avais dit que je cherchais une connaissance, un ami qui d'habitude passait par ici, monsieur Agliè. Il m'avait regardé comme si j'é tais l'homme du coup de té lé phone. Peut‑ ê tre, avais‑ je dit, ne le connaissait‑ il pas comme Agliè, mais comme Rakosky, ou Soltikoff, ou... Il m'avait encore regardé, en plissant les yeux, sans aucune expression, et fait remarquer que j'avais de curieux amis avec tant de noms. Je lui dis que peu importait, que je demandais comme ç a. Attendez, m'avait‑ il dit, mon associé va arriver et peut‑ ê tre connaî t‑ il, lui, la personne que vous cherchez. Plutô t, asseyez‑ vous, là au fond, il y a une chaise. Je passe un coup de fil et je vé rifie. Il avait soulevé le combiné, composé un numé ro, et il s'é tait mis à parler à voix basse. Casaubon, m'é tais‑ je dit, tu es plus stupide que Belbo. Maintenant, qu'est‑ ce que tu attends? Qu'Ils arrivent et disent oh quel heureux hasard, l'ami de Jacopo Belbo é galement ici, venez, venez vous aussi... Je me levai comme mû par un ressort, saluai et sortis. Je parcourus en une minute la rue de la Manticore, passai par d'autres ruelles, me retrouvai le long de la Seine. Imbé cile, me disais‑ je, que croyais‑ tu? Arriver là, trouver Agliè, l'attraper par le colback, et lui de s'excuser, ce n'é tait qu'une vaste é quivoque, voici votre ami, on ne lui a pas touché un cheveu. Et à pré sent, Ils savent que toi aussi tu es ici. Il é tait midi passé, dans la soiré e il serait arrivé quelque chose au Conservatoire. Que devais‑ je faire? J'avais pris la rue Saint‑ Jacques et de temps en temps je jetais un coup d'oeil en arriè re. A un moment donné, il m'avait semblé qu'un Arabe me suivait. Mais pourquoi pensais‑ je qu'il s'agissait d'un Arabe? La caracté ristique des Arabes, du moins à Paris, c'est qu'ils n'ont pas l'air d'Arabes, à Stockholm ce serait diffé rent. J'é tais passé devant un hô tel, j'é tais entré et j'avais demandé une chambre. Alors que je montais avec ma clef par un escalier de bois qui donnait sur un premier é tage avec balustrade d'où l'on apercevait la ré ception, j'avais vu entrer le pré sumé Arabe. Puis j'avais remarqué d'autres personnes dans le couloir qui auraient pu ê tre arabes. Normal, dans le coin il n'y avait que des petits hô tels pour Arabes. Que pré tendais‑ je? J'é tais entré dans ma chambre. Elle é tait dé cente, il y avait mê me un té lé phone, dommage de ne vraiment pas savoir qui appeler. Et là, je m'é tais assoupi, inquiet, jusqu'à trois heures. Ensuite, je m'é tais lavé la figure et acheminé vers le Conservatoire. Dé sormais, il ne me restait rien d'autre à faire: entrer dans le musé e, y rester aprè s la fermeture, et attendre minuit.
C'est ce que j'avais fait. Et, quelques petites heures avant minuit, je me trouvais dans le pé riscope, à attendre quelque chose.
Né tsah est pour certains interprè tes la sefira de la Ré sistance, de l'Endurance, de la Patience constante. De fait, une É preuve nous attendait. Mais pour d'autres interprè tes, c'est la Victoire. La victoire de qui? Peut‑ ê tre é tais‑ je pour le moment, dans cette histoire de vaincus, de diaboliques berné s par Belbo, de Belbo berné par les diaboliques, de Diotallevi berné par ses cellules, le seul victorieux. J'é tais aux aguets dans le pé riscope, je savais qu'Ils viendraient et Ils ne savaient pas que j'é tais là. La premiè re partie de mon projet s'é tait dé roulé e selon mes plans. Et la deuxiè me? Se dé roulerait‑ elle selon mes plans, ou selon le Plan, qui dé sormais ne m'appartenait plus?
HOD
– 112 – Pour nos Cé ré monies et Rites, nous avons deux longues Galeries, dans le Temple des Rose‑ Croix. Dans l'une de celles‑ ci nous disposons des modè les et des exemples de toutes les inventions les plus rares et excellentes, dans l'autre les Statues des principaux Inventeurs John HEYDON, The English Physitians Guide Or A Holy Guide, London, Ferris, 1662, The Preface. J'é tais dans le pé riscope depuis trop longtemps. Il pouvait ê tre dix heures, dix heures et demie. S'il devait se passer quelque chose, cela se passerait dans la nef, devant le Pendule. Et donc il fallait que je m'apprê te à descendre, pour trouver un refuge, et un point d'observation. Si j'é tais arrivé trop tard, aprè s qu'ils é taient entré s (par où ? ), Ils m'auraient aperç u. Descendre. Bouger... Je ne dé sirais rien d'autre depuis plusieurs heures, mais à pré sent que je pouvais, à pré sent qu'il é tait sage de le faire, je me sentais comme paralysé. Je devrais traverser de nuit les salles, en me servant de ma lampe de poche avec modé ration. Une rare lumiè re nocturne filtrait par les verriè res, et si je m'é tais imaginé un musé e rendu spectral par la clarté de la lune, je m'é tais bien trompé. Des grandes fenê tres les vitrines recevaient d'impré cis reflets. Si je ne m'é tais pas dé placé avec prudence, j'aurais pu m'é crouler par terre en heurtant quelque chose dans un fracas de cristaux ou de ferraille. J'allumais ma lampe de temps en temps. Je me sentais comme au Crazy Horse, par moments une lumiè re impré vue me ré vé lait une nudité, non pas de chair, mais bien de vis, d'é taux, de boulons. Et si soudain j'avais é clairé une pré sence vivante, la silhouette de quelqu'un, un envoyé des Seigneurs, qui refaisait spé culairement mon parcours? Qui aurait crié le premier? Je tendais l'oreille. A quoi bon? Je ne faisais pas de bruit, j'effleurais le sol. Donc lui aussi. Dans l'aprè s‑ midi, j'avais attentivement é tudié l'enfilade des salles, j'é tais convaincu que mê me dans le noir j'aurais pu trouver l'escalier monumental. En fait, j'errais presque à tâ tons, et j'avais perdu le sens de l'orientation. Peut‑ ê tre é tais‑ je en train de passer pour la seconde fois dans certaines salles, peut‑ ê tre ne serais‑ je plus jamais sorti de là, et peut‑ ê tre que ç a, cette errance au milieu de machines dé nué es de sens, c'é tait le rite. En vé rité, je ne voulais pas descendre, en vé rité je voulais retarder le rendez‑ vous. J'é tais sorti du pé riscope aprè s un long, impitoyable examen de conscience; au cours de tant d'heures, j'avais revu notre erreur des derniè res anné es et cherché à me rendre compte pourquoi, sans aucune raison raisonnable, j'é tais là maintenant à la recherche de Belbo, tombé dans ce lieu pour des raisons encore moins raisonnables. Mais à peine avais‑ je mis le pied dehors, tout fut changé. Tandis que j'avanç ais, je pensais avec la tê te d'un autre. J'é tais devenu Belbo. Et tel Belbo, dé sormais au terme de son long voyage vers l'illumination, je savais que tout sujet terrestre, fû t‑ ce le plus sordide, doit ê tre lu comme le hié roglyphe de quelque chose d'autre, et il n'est d'Autre aussi ré el que le Plan. Oh, j'é tais malin, il me suffisait d'un é clair, d'un regard dans une é chappé e de lumiè re, pour comprendre. Je ne me laissais pas avoir.
... Moteur de Froment: une structure verticale à base rhomboï dale, qui renfermait, telle une cire anatomique exhibant ses cô tes artificielles, une sé rie de bobines, que sais‑ je, des piles, des rupteurs, diables de noms qu'on lit dans les livres scolaires, actionné s par une courroie de transmission qui s'innervait à un pignon à travers une roue denté e... A quoi pouvait‑ elle avoir servi? Ré ponse: à mesurer les courants telluriques, é videmment. Des accumulateurs. Qu'est‑ ce qu'ils accumulent? Il ne restait qu'à imaginer les Trente‑ Six Invisibles comme autant de secré taires (les gardiens du secret) obstiné s qui taperaient la nuit sur leur piano‑ scripteur pour en faire sortir un son, une é tincelle, un appel, tendus dans un dialogue entre rivage et rivage, entre abî me et surface, du Machupicchu à Avalon, zip zip zip, allô allô allô, Pamersiel Pamersiel, j'ai capté le fré missement, le courant Mu 36, celui que les brahmanes adoraient comme faible respiration de Dieu, à pré sent j'insè re la fiche, circuit micro‑ macrocosmique en action, toutes les racines de mandragore fré missent sous la croû te du globe, entends le chant de la Sympathie Universelle, terminé. Mon Dieu, les armé es s'ensanglantaient à travers les plaines d'Europe, les papes lanç aient des anathè mes, les empereurs se rencontraient, hé mophiles et incestueux, dans le pavillon de chasse des Jardins Palatins, pour fournir une couverture, une faç ade somptueuse au travail de ceux‑ là qui, dans la Maison de Salomon, auscultaient les pâ les appels de l'Umbilicus Mundi. Ils é taient ici, à actionner ces machines é lectrocapillaires pseudo‑ thermiques hexaté tragrammatiques – c'est ainsi qu'aurait dit Garamond, non? – et de temps à autre, que sais‑ je, l'un d'eux aurait inventé un vaccin, ou une ampoule, pour justifier la merveilleuse aventure des mé taux, mais leur tâ che é tait bien diffé rente, les voici tous ici ré unis à minuit pour faire tourner cette machine statique de Ducretet, une roue transparente qui a l'air d'une bandouliè re, et, derriè re, deux petites boules vibratiles soutenues par deux baguettes à arc; peut‑ ê tre alors se touchaient‑ elles et en jaillissait‑ il des é tincelles, Frankenstein espé rait qu'ainsi il aurait pu donner vie à son golem, eh bien non, il fallait attendre un autre signal: conjecture, travaille, creuse creuse vieille taupe... ... Une machine à coudre (qui é tait tout autre que celles dont on fait la publicité sur la gravure, en mê me temps que la pilule pour dé velopper la poitrine et le grand aigle qui vole au milieu des montagnes en emportant dans ses serres l'amer ré gé né rateur, Robur le Conqué rant, R‑ C), mais si on l'actionne elle fait tourner une roue, la roue un anneau, l'anneau... que fait‑ il, qui é coute l'anneau? Le petit carton disait « les courants induits par le champ terrestre ». Avec impudeur; mê me les enfants peuvent le lire pendant leurs visites de l'aprè s‑ midi, tant l'humanité croyait aller dans une autre direction; on pouvait tout tenter, l'expé rimentation suprê me, en disant que cela servait pour la mé canique. Les Seigneurs du Monde nous ont blousé s des siè cles durant. Nous é tions enveloppé s, emmailloté s, sé duits par le Complot, et nous é crivions des poè mes à la louange de la locomotive. J'allais et venais. J'aurais pu m'imaginer plus petit, microscopique, et voilà que j'aurais é té voyageur é bahi dans les rues d'une ville mé canique, toute cré nelé e de gratte‑ ciel mé talliques. Cylindres, batteries, bouteilles de Leyde l'une sur l'autre, petit manè ge haut de vingt centimè tres, tourniquet é lectrique à attraction et ré pulsion. Talisman pour stimuler les courants de sympathie. Colonnade é tincelante formé e de neuf tubes, é lectro‑ aimant, une guillotine, au centre – et on eû t dit d'une presse d'imprimerie – pendaient des crochets soutenus par des chaî nes d'é table. Une presse où on peut enfiler une main, une tê te à é craser. Cloche de verre mue par une pompe pneumatique à deux cylindres, une sorte d'alambic avec, dessous, une coupe, et, à droite, une sphè re de cuivre. Saint‑ Germain y concoctait ses teintures pour le landgrave de Hesse.
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